Digressions sur la boxe, les fourrures et autres histoires politiques de Wendake

Publié le 5 septembre 2019

Par Jonathan Lainey, Musée canadien de l’histoire.[1]

Archives Conseil de la Nation huronne-wendat (ACNHW), fonds CNHW, PH-14-15.

Évocatrices et éloquentes, bien que muettes par leur nature même, les photographies anciennes sont autant des sources de souvenirs que des mines de renseignements de toutes sortes. Un visage, un détail, un décor, un paysage, tout peut être propice à l’interprétation et chaque élément représenté peut contribuer à une meilleure compréhension du passé, pour qui s’attarde à les faire parler. Comme elles sont riches en information, utiliser les photographies comme véritables sources de renseignements plutôt que comme simples agréments visuels d’un texte peut s’avérer fort profitable et tout autant intéressant. Au hasard des découvertes et des trouvailles, qu’elles errent au fond d’un tiroir ou qu’elles soient précieusement conservées dans un placard ou dans un centre d’archives, les photographies peuvent servir à illustrer un propos, à fournir une preuve légitime, ou bien tout simplement à servir de point de départ à une réflexion plus large et digressive.

Georges Lainé, boxeur ?!

Alors que je menais des recherches iconographiques aux archives de Wendake afin de compléter mon mémoire maitrise en histoire à l’Université Laval[2], j’ai aperçu une photographie ancienne qui a immédiatement capté mon attention. Et pour cause ! On y voit deux jeunes boxeurs amateurs s’affronter le temps d’une photographie dans le studio du photographe professionnel Alphonse Boivin de Loretteville. Ceux et celles qui me connaissent savent bien que je suis un mordu de boxe et de sports de combat en général.

C’est en manipulant et analysant l’intrigante photo que j’ai alors réalisé qu’un des pugilistes (celui à droite) était Georges Lainé, soit mon arrière-grand-père ! Son adversaire était Lauréat Robitaille. D’abord surpris de découvrir cette photographie de jeunes boxeurs dans les archives huronnes-wendat, quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir mon ancêtre en tenue de boxe !

Datant du début des années 1900, cette photographie provient de mon oncle Denis Lainé qui a bien voulu enrichir la collection iconographique des archives de Wendake. En effet, dans les années 1990, on avait sollicité les différentes familles huronnes-wendat afin qu’elles partagent leurs souvenirs photographiques. Certaines y avaient déposé des originaux, alors que la majorité avait opté pour les conserver et en faire des copies pour les archives. Denis en avait aussi donné une copie à Charlie Robitaille, fils de Lauréat, qui en avait profité pour lui dire que Georges était tout un boxeur, de même qu’un excellent danseur de gigue! On disait aussi de lui qu’il avait un bon sens de l’humour ainsi qu’une très belle voix.

De cette simple photographie émanent plusieurs idées et interprétations possibles. Par exemple, elle illustre assez bien le fait que les Huron.ne.s-wendat ont toujours été de leur temps, contrairement à une certaine croyance populaire tenace qui relègue les Autochtones en marge des activités sociales ou économiques. Installé.e.s de façon permanente dans la région de Québec dès 1650 alors que les Français.es sont encore très peu nombreux, ils et elles ont évolué et se sont développé.e.s au même rythme que leurs voisin.e.s, adaptant et adoptant les techniques et les idées qui se présentent au fils du temps. Des Indiens qui s’adonnent à la boxe? Et pourquoi pas?! À une époque où la boxe connaît une incroyable popularité au Canada et aux États-Unis (tout comme la lutte et les démonstrations de force à d’autres époques d’ailleurs), les Huron.ne.s-wendat suivent la vague, comme ils l’ont toujours fait, et comme ils le font toujours. Mais pour moi, cette simple photographie de mon arrière-grand-père évoque aussi d’autres choses.

Georges Lainé, marchand de fourrures

Dans ma famille, on raconte que Georges partait de longs mois pendant l’hiver quérir des fourrures sur la Côte-Nord. Ma grand-mère, Georgette Picard (la femme de mon grand-père Fernand, le fils de Georges), me disait que ce n’était vraiment pas un mode de vie idéal : toujours parti, loin de la maison… Georges n’allait pas chasser ni trapper les animaux à fourrures. Il partait plutôt avec un ballot de billets caché derrière sa ceinture pour aller acheter les peaux des chasseurs de ces régions. Mon grand-père me disait que son père prenait d’abord le train qui passait à Lorette (aujourd’hui Wendake), et qu’au bout du chemin de fer, il poursuivait sa course en traîneaux à chien, pour enfin la terminer en raquettes. Une façon de dire qu’il allait très loin…

S’il allait si loin, c’est qu’il allait chercher les plus belles fourrures à la source, avant qu’elles ne descendent vers les marchés de Québec. Après avoir sillonné le territoire avec un attelage de chiens, Georges allait revendre les fourrures amassées à un magasin très connu à Québec, le Holt and Renfrew. Dans ma famille, on raconte aussi que lorsque ma grand-mère se présentait à ce magasin, elle avait toujours droit à un traitement particulier et favorable : « Oh! Voilà madame Lainé qui arrive… ». Ce n’est certainement pas pour rien… il semble évident que la réputation de Georges a perduré bien après sa mort.

Georges avait un salaire très respectable qui faisait des envieux et qui permettait à sa famille de vivre dans une certaine aisance. Meublée avec élégance, sa maison était très jolie; on y trouvait un piano, des lits en cuivre dans les chambres et des beaux meubles de rotin sur le balcon. Albina Ouellet, sa femme, était très fière, toujours avec les joues fardées, parée de colliers et de chapeaux. Georges est décédé dans la jeune quarantaine alors que mon grand-père Fernand n’avait que 13 ans.

Les Hurons-wendat et l’élite sociopolitique

Ces activités économiques de Georges permettent d’explorer les liens étroits qu’entretenaient les Huron.ne.s-wendat avec l’élite politique et économique de la région de Québec dont faisait partie, par exemple, Jean-Baptiste Laliberté, un important marchand de fourrures de Québec. Une autre superbe photographie issue des archives de Wendake illustre bien cette relation particulière. On y voit des membres du conseil huron-wendat de l’époque, parés de colliers de wampum et de médailles britanniques, avec des objets déposés à leurs pieds. Ils sont accompagnés de l’homme d’affaires Jean-Baptiste Laliberté, celui avec le chapeau haut de forme sur la photographie. Au centre, avec un couvre-chef qui n’est visiblement pas de type huron-wendat, c’est Maurice Bastien Sarenhes, un prospère entrepreneur qui deviendra grand chef, de 1909 à 1916. Le grand chef de l’époque, Gaspard Picard Ondialaréthé est assis entre Laliberté et Bastien. L’individu à l’extrême gauche, c’est Moïse Picard Adéjiatha, l’arrière-grand-père de ma grand-mère Georgette Picard, qui maria Fernand Lainé, le fils de Georges.

Archives Conseil de la Nation huronne-wendat (ACNHW), collection François Vincent, PH-15-62.

Les membres du Conseil de la Nation huronne-wendat ont depuis toujours entretenu des relations diplomatiques avec des personnalités provenant des plus hauts rangs de la société. Ces relations étaient sérieuses et bien réelles, et non seulement amusantes ou folkloriques le temps d’une simple photographie. On dit même que François-Xavier Picard Tahourenche (1870-1883), l’un des derniers grands chefs traditionnels, jouissait d’une grande considération et d’une influence politique importante auprès de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, premier ministre du Québec, qui l’honorait de son estime et qui le traitait en ami. Il était aussi consulté par certains hommes politiques canadiens qui venaient chercher ses conseils et son appui[3].

Dans le même esprit d’alliances diplomatiques, le Conseil de la Nation nommait aussi parfois des chefs honoraires, lesquels étaient issus du milieu bourgeois ou politique. Dès le début du 19e siècle, cet honneur est accordé aux bienfaiteurs de la nation huronne-wendat, ou encore à des personnages de marque et à des dignitaires étrangers qui les honorent d’une visite spéciale ou qui sont de passage dans la région. Par exemple, en 1905, le consul de Suède, Folke Cronholm, reçut le prestigieux nom Tsawenhohi, un nom traditionnellement réservé au grand chef. La photo qui suit le montre posant fièrement avec le costume qu’il reçut pour l’occasion. Fabriqué par les artisanes huronnes-wendat avec un étonnant raffinement, ce costume est d’ailleurs conservé aujourd’hui au musée d’ethnographie de Suède[4]. Réservées à la chefferie huronne-wendat, la précieuse médaille qu’il porte et la rarissime hache-pipe qu’il tient ne lui ont toutefois pas été remises.

Archives Conseil de la Nation huronne-wendat (ACNHW), fonds CNHW, PH-14-16.

Décidément, le pouvoir évocateur des photographies est riche et stimulant : d’une simple photographie de boxeurs amateurs locaux, nous voilà rendus en Suède, après avoir passé par le monde politique huron-wendat ! Il s’agit pourtant de trois thématiques qui, aux premiers abords, ont bien peu à voir les unes aux autres. En butinant d’une photographie à l’autre, en jonglant avec les thèmes qui y sont évoqués, un portait se dresse néanmoins, celui d’une communauté autochtone décidément ouverte sur le monde.

Sources

Lainey, Jonathan. La « monnaie des Sauvages ». Les colliers de wampum d’hier à aujourd’hui. Québec, Septentrion, 2004.

Lainey, Jonathan. « Le fonds Famille Picard : un patrimoine documentaire d’exception », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, vol. 2 (2010) : 94-105.

Les trois photographies proviennent des Archives de Wendake.


[1] Ce texte est une version remaniée d’un texte paru dans La Griffe du Carcajou, magazine web, en novembre 2012.

[2] Mémoire portant sur les colliers de wampum, publié par la suite chez Septentrion (Lainey, 2004).

[3] Lainey, Jonathan C., « Le fonds Famille Picard : un patrimoine documentaire d’exception », Revue de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, vol. 2 (2010) : 102.

[4] On peut en apprécier les menus détails sur ce site : http://collections.smvk.se/carlotta-em/web/object/1046315.