Haïti : de la domination simple à la domination complexe

Publié le 2 février 2021
Walner Osna

47 min

Par Walner OSNA[1], Université d’Ottawa

Manifestation du 22 janvier 2016 – Haut Delmas (Crédit : Stephen William Phelps)

Résumé

Cet article analyse la critique (contestation de l’État) et la domination en Haïti à la lumière de la pensée de Luc Boltanski en considérant deux régimes politiques différents. D’une part, nous montrerons qu’une critique radicale du régime de Jean Pierre Boyer (1818-1843) a existé et qu’elle a pris la forme de mouvements armés. Ne laissant pas de place à cette critique de s’exprimer, le régime de Boyer a établi une domination simple. D’autre part, la critique a évolué (s’est transformée) en critique réformiste. Celle-ci a fait face à une domination complexe sous le régime de Michel Joseph Martelly (2011-2016), notamment parce que ce dernier a essayé d’incorporer la critique en adaptant son régime au contexte national et international post-1986.

Mots-clés

Haïti ; domination simple ; domination complexe ; critique ; régime politique

Introduction

Les questions de la critique (contestation) et de la domination politique traversent toute l’histoire politique d’Haïti. La société haïtienne est issue de la contestation. Elle a mené la plus grande révolution de l’histoire en remettant en question l’ordre capitaliste colonial esclavagiste : en novembre 1803, des «captifs[2]» ont mis en déroute la plus grande armée de l’époque, l’armée napoléonienne. Après l’indépendance d’Haïti, la critique et la domination ont pris des formes différentes selon l’époque et le régime politique. Cet article a pour objectif de comprendre la question de la domination en Haïti à la lumière de la sociologie de Luc Boltanski, et ce, en analysant deux régimes politiques différents. D’une part, nous analysons l’existence d’une critique radicale, prenant la forme de mouvements armés sous le régime de Jean Pierre Boyer (1818-1843). Cette contestation radicale a fait face à une domination simple en ce sens que le régime politique ne laissait pas de place à l’exercice de la critique. D’autre part, plus récemment, la critique a évolué et s’est transformée en critique réformiste et a mené à une domination complexe sous le régime de Michel Joseph Martelly (2011-2016). Ce dernier a incorporé la critique même si c’est pour la détourner de sa visée.

Nous avons considéré le régime de Boyer parce qu’il représente celui qui a été, dans toute l’histoire politique d’Haïti, le plus longtemps au pouvoir. De plus, il a créé les cadres juridiques de l’État en Haïti qui pour la plupart sont encore en vigueur[3]. En d’autres termes, c’est un régime qui a façonné le système politique d’Haïti. Néanmoins, le régime de Boyer a fait face à de virulentes contestations telles que le mouvement de la Grand’Ans qui s’est échelonné de 1807-1820. Environ deux siècles plus tard, dans un contexte «post-dictatorial»[4], Michel Joseph Martelly a accédé au pouvoir le 14 mai 2011. C’est l’un des régimes politiques le plus contesté depuis les mouvements sociaux de 1986[5]. L’idée d’étudier l’évolution de la critique à partir de ces deux régimes vient du fait qu’ils exemplifient parfaitement la transformation du mode de domination, de simple à complexe.

Pour aborder notre sujet, nous allons clarifier les concepts de critique, domination simple et domination complexe empruntés au sociologue Luc Boltanski pour saisir l’évolution de la critique et de la domination par rapport aux régimes politiques mentionnés précédemment. Finalement, nous procéderons à une analyse comparative en montrant la difficulté de l’exercice de la critique sous le régime de Boyer parce qu’elle est en proie à une domination simple. Nous analyserons, enfin, l’évolution de la critique et sa situation face à un mode de domination complexe sous la présidence de Martelly.

De la domination simple à la domination complexe : clarification conceptuelle

La notion de critique est importante dans les œuvres de Luc Boltanski. Luc Boltanski et Ève Chiapello[6], dans leur étude sur le capitalisme, affirment que la critique joue un rôle indispensable dans le processus de changement de l’esprit du capitalisme. Dans Le nouvel esprit du capitalisme, les auteurs ont montré l’importance de la critique dans les différents changements idéologiques qui ont marqué les transformations du capitalisme. Ainsi, ils affirment que «l’esprit du capitalisme est justement cet ensemble de croyances associées à l’ordre capitaliste qui contribue à justifier cet ordre et à soutenir, en les légitimant, les modes d’action et les dispositions qui sont incohérentes avec lui[7]».

La critique trouve sa validité dans trois éléments fondamentaux. Elle doit s’autojustifier, clarifier ses fondements normatifs et mettre en évidence l’injustice, les rapports de force, d’exploitation et de domination du monde. La critique a trois effets sur l’esprit du capitalisme du point de vue de ces deux auteurs. Elle rend illégitimes et inefficaces les esprits antérieurs, elle contraint les porte-paroles du capitalisme à mobiliser le discours du bien commun pour le justifier et implique une analyse moins optimiste du capitalisme. Selon que la critique perd ou gagne, elle peut provoquer le relâchement ou le renforcement des dispositifs de justice.

La critique a une fonction dans la dynamique des épreuves[8]. La notion d’épreuves fait référence à l’événement dans lequel les êtres traduisent leur capacité et ce dont ils sont faits. Lorsque la réalité est liée à des contraintes de justification et les protagonistes estiment que ces contraintes sont respectées, cette épreuve devient légitime. On distingue deux types de critiques, l’une dite corrective et l’autre qui est radicale. L’objectif de la critique corrective est l’amélioration du statu quo. C’est une critique réformiste. Dans la seconde, l’enjeu est l’élimination et le remplacement de l’épreuve par un ordre nouveau. Dans ce cas, c’est la validité même de l’épreuve qui est remise en cause. Il s’agit donc d’une critique révolutionnaire. En fait, la critique désigne d’abord une mauvaise expérience qui implique une plainte, c’est la source de l’indignation. Mais elle nécessite aussi un cadre théorique et argumentaire dans le sens du bien commun. Luc Boltanski[9] a étudié la critique dans sa relation dialogique avec les institutions contre lesquelles elle s’exprime. Selon que la critique est libre de s’exprimer ou non, cela traduit un type de domination.

Des modes de domination

La domination désigne une situation historique qui empêche le déploiement de la critique. Selon le contexte politique, cela peut se faire de façon ouverte ou cachée[10]. Boltanski aborde la question de la domination en relation avec la critique et examine plus précisément les contextes dans lesquels la critique se trouve dans la difficulté de s’exprimer. Toutefois, il précise qu’«aucun régime politique ne peut échapper absolument au risque de la critique, qui est en quelque sorte incorporée, sous différentes formes, à la contradiction herméneutique[11]». Le régime politique est défini par Boltanski comme «les arrangements qui, constitutifs de différentes sociétés historiques, s’établissent autour de la contradiction herméneutique, à la fois pour l’incarner sous différentes formes et pour la dissimuler[12]». Le niveau de blocage auquel fait face l’expression de la critique donne lieu à un mode de domination. Ainsi, la domination est un processus à travers lequel les instances prennent en charge la critique.

Un effet de domination peut être déterminé par son pouvoir à limiter le champ de la critique ou lui empêcher toute influence sur la réalité[13]. Ainsi, un régime politique se définit selon la prise en charge qu’il fait de la contradiction herméneutique[14], car les dispositifs mis en place par celui-ci peuvent éviter la contradiction ou l’étouffer. Une autre articulation importante que l’auteur fait ressortir c’est la relation du pouvoir institutionnel et de la critique. Ainsi, il a souligné : «bien qu’il n’existe sans doute pas de société d’où les formes critiques seraient complètement absentes, différents régimes politiques se distinguent par le rôle qu’ils accordent à la critique face au pouvoir des institutions[15]». Selon que la critique est entravée ou susceptible de s’exprimer, on peut parler de domination simple ou de domination complexe.

Deux grandes situations permettent d’identifier les effets de la domination simple. D’abord, cela est identifiable dans les situations où l’exercice des libertés élémentaires des personnes est en partie ou totalement bafoué. Dans ce cas, la violence est directe et n’est pas seulement physique. Elle est à la fois sémantique et physique. Dans ce cas de figure, l’auteur parle d’oppression et l’assimile à l’esclavage. Toutefois, il reconnait que cela peut se présenter dans des situations autres que l’esclavage. Ainsi, il pense que l’on peut retrouver des cas de figure dans lesquels l’oppression s’exerce par la violence surtout policière afin de dissimuler la critique pour le maintien d’une orthodoxie[16]. Comme nous allons le voir, le régime de Boyer illustre parfaitement comment cette oppression peut exister dans des situations autres que l’esclavage.

Ensuite, on peut parler d’effet de domination simple dans des cas où la critique semble possible et où il y a des justifications de la part des acteurs ou des instances qui assurent la domination. En réalité, dans ce contexte, la critique n’a aucun effet et la justification n’est qu’un prétexte. En somme, dans un régime de domination simple, les instances sont déterminées à maintenir une réalité toute faite afin d’être à l’abri de tous troubles et cela implique nécessairement l’étouffement de la critique. Il y a une réticence au changement et les moyens mobilisés s’assimilent à une situation de guerre continue contre un ennemi intérieur[17]. Boltanski associe la domination complexe (ou gestionnaire) aux «sociétés capitalistes-démocratiques contemporaines» qui sont caractérisées par une rupture avec la domination simple. Dans cette configuration, les actes posés dans l’espace public nécessitent un impératif de justification. On peut imposer des exigences de justification aux agences étatiques, notamment les institutions du capitalisme. C’est un nouveau mode de relation entre institutions et critique qui est établi. La critique est alors intégrée dans les dispositifs institutionnels. L’une des spécificités de ces dispositifs est la non-exclusion du changement; au contraire, ils opèrent par l’intermédiaire de ce dernier.

L’une des particularités des effets de domination complexe est la possibilité offerte à la critique de s’exprimer. Dans cette perspective, il y a une reconnaissance de la critique, au moins dans des situations d’injustice. L’incorporation de la critique et l’ouverture au changement caractérisent le mode de domination complexe. Après avoir clarifié les concepts nous permettant de capter l’évolution des formes de domination et de contestation dans les deux régimes, nous pouvons maintenant analyser la question de la critique et la domination sous les présidences de Jean-Pierre Boyer et de Michel Joseph Martelly.

Le régime de Jean-Pierre Boyer (1818-1843) : rapport à la critique

Jean Pierre Boyer a dirigé la République d’Haïti de 1818 à 1843. Son régime a connu de nombreuses critiques qui s’exerçaient sous différentes formes. Il faut préciser que c’est Alexandre Pétion (qui a dirigé Haïti du 9 mars 1807 au 29 mars 1818) qui a désigné Boyer comme son successeur avant sa mort. Le jugement de Pétion sur Boyer se lisait comme suit : «Personne ne connait le général Boyer mieux que moi; je sais mieux que lui-même ce qu’il peut; c’est un homme d’une probité et d’une délicatesse à toute épreuve quant à ce qui ne lui appartient […]. En tout il veut dominer: c’est son esprit, c’est son caractère, il ne s’en départira jamais […][18]». Il est élu président par le Sénat de la République d’Haïti au lendemain de la mort de Pétion, soit le 30 mars 1818.

Critique radicale contre le régime de Boyer

À partir de la présidence d’Alexandre Pétion, les paysans et paysannes de la Grand’Ans se sont soulevés contre l’ordre sociopolitique et économique établi après l’indépendance, notamment après l’assassinat de Jean Jacques Dessalines le 17 octobre 1806, premier chef d’État de la nation. Le mouvement est déclenché le 8 janvier 1807 à partir d’une attaque contre la ville de Jérémie par un groupe de paysans pour exprimer leur désaccord au président Pétion et condamner l’assassinat de Jean Jacques Dessalines; cette attaque s’est soldée par un échec. Jean Baptiste Perrier, dit Goman, chef d’un bataillon de la dix-neuvième demi-brigade d’Anse d’Ainault, a pris la direction du mouvement le 4 février 1807 à la demande des paysans; ce mouvement aura duré treize ans. L’historien Michel Hector explique que «[…] le maintien d’une certaine vitalité du mouvement jusqu’en 1820 est dû non seulement à l’intensité des conflits à l’échelle étatique entre les couches possédantes, mais surtout à l’acuité dans la zone concernée du mécontentement paysan par la mise en œuvre de relations sociales abhorrées[19]». Les conflits entre les membres de l’oligarchie et la situation géographique ont contribué à la résistance de ce mouvement.

Goman a établi une Grand’Ans autonome avec le contrôle de la production de richesse par les paysans en s’inspirant du projet de liberté et de bien-être de la révolution haïtienne. Ainsi, la lutte paysanne exprime la volonté d’une continuité avec la philosophie de Jean Jacques Dessalines traduisant en cette expression «pas de liberté sans bien-être[20]». C’est un mouvement qui s’opposait aux politiques agraires de Pétion et de Boyer. Cette insurrection, dirigée par Goman, contestait l’ordre établi dans le Sud et dans l’Ouest et qui était, selon eux et elles, contraire aux aspirations paysannes. Ses revendications étaient fondamentalement liées à la question agraire. Ce mouvement ne se déroulait pas sans contrainte : «c’est dans la répression et la trahison que la grandonarchie réussit à mater ce mouvement. Le système bourgeois-grandonarchique parvient à se reproduire seul, jusqu’à la première année de honte c’est-à-dire en 1915[21]». Comment le régime boyériste a pu gérer un tel mouvement? En d’autres mots, comment a-t-il pris en charge cette résistance paysanne?

De la domination simple : prise en charge de la critique

La longue domination de Boyer facilite le renforcement des classes dominantes. Néanmoins ces dernières doivent affronter la résistance paysanne. Face à cette situation, le président Boyer s’est immédiatement fixé l’objectif de contrecarrer toute forme de résistance. Après la célébration de la fête de l’indépendance, Jean-Pierre Boyer a mis en application un plan de campagne contre l’insurrection de la Grand’Ans qui existait déjà sous Alexandre Pétion, son prédécesseur[22]. En outre, «[…] Boyer, lors d’une proclamation le 18 février 1820, annonce officiellement aux propriétaires de la Grand’Ans la remise de leurs terres qui leur avaient été prises par les rebelles[23]». Cette proclamation témoigne de la volonté du président Boyer de mettre en déroute le mouvement insurrectionnel de la Grand’Ans. Le gouvernement a mobilisé l’Armée afin de combattre cette insurrection : «Il [Boyer] confia au général Borgella une colonne sous le nom de division de droite; une autre colonne au général Lys, dite de centre; une troisième au général Francisque, dite de gauche […][24]». Le gouvernement a alors déclenché la guerre contre un «ennemi interne».

Boyer demanda au général Bazelais de prendre le contrôle de la Grand’Ans. Il s’adressa à ce dernier en ces termes : «ma résolution est que les opérations commencent sur tous les points, le 1er février prochain, et qu’elles continuent sans interruption, sans relâche, sous quelque prétexte que ce puisse être jusqu’à ce que l’insurrection soit éteinte et qu’il n’en reste aucune trace[25]». Il ordonna donc le démarrage d’une machine à réprimer l’insurrection de la Grand’Ans. Il exigea que les forces armées ne laissent pas même de traces de cette résistance afin d’empêcher que cela se reproduise ultérieurement. L’option coercitive fut le choix du gouvernement de Boyer pour approcher la résistance paysanne au lieu de l’adoption des mesures visant à satisfaire les revendications.

Le mouvement insurrectionnel a subi une répression de longue haleine jusqu’à sa défection. Les actions gouvernementales contre l’insurrection de la Grand’Ans étaient de grande rigueur; les forces armées avaient pour mission de mater l’insurrection par tous les moyens. Le président est rentré à Jérémie et a déclaré qu’il rétablissait l’ordre dans la Grand’Ans : «En janvier 1820, le général Boyer, président d’Haïti, entra à Jérémie. Il prit un communiqué pour dire que, en dépit du fait que Goman, Malfait et Malfou n’eurent pas été appréhendés, l’Armée réussissait à détruire les bandes de marrons qui “troublaient” l’ordre du pays[26]» (notre traduction). Le bilan était lourd : plusieurs centaines de prisonniers et de morts; les femmes et les enfants n’étaient pas épargnés[27]. Le régime est alors déterminé à étouffer toute critique, peu importe la forme qu’elle prend. Une armée de six régiments des troupes de ligne a été mobilisée pour traquer les rebelles, elle détruisit les maisons et les jardins situés sur le territoire occupé par les rebelles et encercla le Grand Doco de Goman[28].

Le parlement a été lui aussi la cible du gouvernement de Boyer, car il existait une certaine opposition qui y émergeait. Ainsi, «les députés Béranger, St-Laurent et St-Martin sont emprisonnés et exclus du parlement[29]» parce qu’ils critiquaient le régime. Ainsi, «on aura vu, avec Boyer, à quel point le pouvoir haïtien a horreur de la contestation, en niant la contradiction (l’opposition) qu’il vit comme une menace absolue et non comme une composante du système[30]». L’affaire Darfour l’illustre clairement. Darfour exprima ses opinions dans une pétition sur le mode de gestion du gouvernement de Boyer qu’il adressée au parlement. «Les pratiques coercitives se répandent contre tous les individus qui osent questionner cet État-marron. Un cas notoire est celui de l’Africain Félix Darfour qui fut emprisonné, jugé par un tribunal militaire et fusillé en 1822, sous le gouvernement de Boyer, pour avoir critiqué la discrimination coloriste de ce gouvernement[31]». La liberté d’expression, partie de la contestation, est étouffée par le pouvoir. Même des autorités parlementaires qui étaient les votantes du président élu au second degré n’étaient pas épargnées. Dans une telle situation, le pouvoir refusait toute contestation, comme en fait foi le fait qu’il étouffa tout esprit critique. Ces actions politiques s’inscrivent dans une logique dictatoriale, il s’agissait d’un autoritarisme présidentiel.

Le régime de Boyer n’a donné aucune possibilité à la critique de s’exercer ou de s’exprimer. Cette critique était radicale et remettait en question tout le système politique et économique instauré après l’assassinat de Dessalines. Les porteurs de cette critique s’inspiraient d’une autre logique d’épreuve en ce sens qu’ils contestaient l’ordre établi en se référant à un autre modèle de société. Dans leur perspective, la liberté est constitutive du bien-être symbolisé après l’indépendance par l’accessibilité à la terre, seul moyen de production existant après 1804 et la petite production familiale paysanne; alors que l’État s’inscrit dans une logique de grande plantation. D’où la remise en question de ce modèle par les anciens captifs. Ainsi, dans la perspective de Boltanski, nous pouvons dire que la critique existante sur le régime de Boyer a été une critique révolutionnaire parce que le fondement même du régime était mis en cause. Le mouvement de Goman projeta un idéal de société s’opposant radicalement à la logique de gouvernement inspirée du projet colonial. Par ailleurs, le régime politique de Boyer a tout mis en œuvre pour empêcher cette contestation non seulement de s’exprimer, mais aussi d’avoir une incidence sur la réalité. En ce sens, le régime exerçait une domination simple, car la critique se trouve entravée; toute expression de critique, quelle que soit son origine, a été brutalement matée. Les parlementaires et les citoyens critiques ont été systématiquement traqués ainsi que le mouvement armé qui visait à chambarder l’ordre établi. En effet, le concept de domination simple du sociologue Boltansky nous a permis de catégoriser le mode de domination imposé par le gouvernement de Boyer face à la critique radicale du mouvement paysan de la Grand’Ans qui voulait un changement profond de l’ordre social et politique établi. Comment historiquement ce problème a-t-il évolué, le mode de domination et la prise en charge de la critique? Pour aborder cette question, nous considérons le régime de Michel Joseph Martelly (2011-2016) comme deuxième cas d’étude.

Le régime de Michel Joseph Martelly (2011-2016) : de la domination complexe

Avant d’étudier le régime de Martelly, nous estimons nécessaire de faire une brève contextualisation. Pour cela, nous allons essayer de cadrer le contexte sociopolitique qui, à la fois, précède et succède une date charnière dans l’histoire politique plus ou moins récente d’Haïti, à savoir 1986. Les acquis sociaux et politiques constituent les fruits de la grande résistance populaire menée contre le régime duvaliérien à ce moment-là.

Manifestation du 22 janvier 2016 – Bas Delmas (Crédit : Stephen William Phelps)
D’une contextualisation historique ante et post 1986

La période qui court de 1843 à 2011 comporte un grand fossé non seulement en termes de temporalité, mais aussi en raison des différents contextes politiques qui se sont succédé. Toutefois, quelques similitudes dans ces régimes politiques sont repérables. En ce sens, «[…] les formes de production et les formules de pouvoir, échafaudées sous Pétion et Boyer et mises en place durant la première moitié du XIXe siècle, portaient en elles-mêmes les germes d’un déséquilibre. Ce déséquilibre grandit durant les longs règnes de Soulouque (1847-1859) et Geffrard (1858-1867), deux gouvernements qui arrivent à se maintenir en renforçant le pouvoir de l’exécutif[32]». Ensuite, il existe une forme de relation entre l’occupation américaine de 1915-1934 et l’émergence du duvaliérisme dans le sens que les conséquences de la première ont contribué à la production de la dictature duvaliériste : «Parmi les conséquences les plus remarquables de cet impact figurent la modernisation dans certains aspects de la vie nationale, le renforcement des structures de la dépendance, un reconditionnement des forces sociopolitiques et l’implantation d’un système bâtard de “démocratie représentative” qui évolua sous l’effet de la crise socio-économique latente, vers le fascisme duvaliériste[33]». En effet, le régime duvaliérien n’est pas le fruit du hasard; il est donc un produit historique dont on peut bien retracer ses racines depuis le XIXe siècle, sous le régime de Boyer par exemple et dans l’occupation états-unienne comme Suzy Castor l’a clairement expliqué.

Le régime duvaliérien[34] a banni la critique et la contestation : «la première innovation du régime fut l’utilisation de la force brutale comme seul et suprême argument. Le pouvoir ne se contentait de faire observer les lois, mais aussi de soumettre toutes les volontés à l’omniprésence du maitre et de ses représentants. L’arbitraire remplaça la légalité et le droit de la force remplaça la force du droit[35]». On pourrait dire qu’il s’agit, dans une certaine continuité historique, d’un renforcement du modèle de gouvernement de Boyer. Le régime duvaliérien était un totalitarisme dans lequel la critique n’avait aucune chance de s’exprimer et la torture était le sort réservé aux opposants du régime. François Duvalier lui-même eut à dire en parlant de sa milice, les macoutes, que cette dernière : «n’a qu’une seule âme : Duvalier, ne connait qu’un seul chef : Duvalier, ne lutte que pour seul destin : Duvalier au pouvoir[36]». L’État duvaliérien a empêché toute forme de critique; une caractéristique typique de la domination simple. Comme toujours, le peuple haïtien résista contre ce régime et eut finalement gain de cause.

Après 1986, le dechoukage se met en place. Il s’agit d’un mouvement du peuple pour éliminer toute trace de la dictature duvaliériste, c’est le déracinement de tout ce qui représente et symbolise le duvaliérisme : la chasse aux tontons macoutes[37], la profanation de la tombe de François Duvalier, l’attaque contre la statue du «marron inconnu» symbole du régime et celle de Christophe Colomb jeté à la mer, le remplacement du drapeau noir et rouge par celui bleu et rouge[38]. La chute du régime en 1986 marque une nouvelle ère dans l’histoire politique du pays : celle de la démocratie. Les grandes revendications du peuple sont donc cristallisées dans la constitution de mars 1987 qui symbolise cette rupture : «[…] une constitution dont les éléments essentiels et les axes expriment le refus le plus entier du duvaliérisme et la volonté d’établissement d’un État démocratique de droit[39]». Les deux premiers points du préambule de la Constitution nous donnent une idée du nouveau modèle d’État projeté. Ainsi, il est écrit respectivement : «Le peuple haïtien proclame la présente constitution : 1. pour garantir ses droits inaliénables et imprescriptibles à la vie, à la liberté et la poursuite du bonheur; conformément à son acte d’indépendance de 1804 et à la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. 2. Pour constituer une nation haïtienne socialement juste, économiquement libre, et politiquement indépendante». Le vote de cette constitution marque une volonté de rompre avec le despotisme ainsi que l’esclavagisme en même temps qu’elle reconnait pour la première fois le créole comme langue officielle et dépénalise le vaudou[40].

Rituel d’ouverture de la mobilisation du 22 janvier 2016 à Port-au-Prince, Carrefour Saint-Jean Bosco (Crédit : Stephen William Phelps)

Néanmoins, après le départ du régime, le pouvoir n’a pas été rendu au peuple. De 1986 à 1991, des conflits ont éclaté et le pays a connu plusieurs gouvernements successifs jusqu’à la première élection démocratique du 16 décembre 1990, organisée par le gouvernement d’Ertha Pascal Trouillot, donnant Jean Bertrand Aristide comme président élu. Entre 1985 à 1991, ce dernier, l’une des figures symboliques de la lutte contre la dictature duvaliériste, a été victime de plusieurs tentatives d’assassinat dont la plus marquante est celle du 11 septembre 1988 en pleine célébration d’une messe à l’église Saint-Jean Bosco sis dans un quartier populaire de Port-au-Prince[41]. Durant cette même période, plusieurs massacres ont eu lieu également dans le monde rural : Liancourt, Brocozelle, Marchand-Dessalines, Piatre… Ces conflits ont causé plusieurs dizaines de morts et la destruction des champs ainsi que du bétail des paysans. Le plus sanglant a été celui de Jean Rabel en juillet 1987 où 300 paysans furent massacrés[42]. Ainsi, le pouvoir militaire antipopulaire était encore de mise après la chute du régime.

Le 16 décembre 1990 marque la première grande élection libre et démocratique par laquelle un président est élu démocratiquement par le peuple. Malgré ce contexte, c’est la vigilance populaire qui fait échec au coup d’État de l’ancien chef des tontons macoutes Roger Lafontant dans la nuit du 6 au 7 janvier 1991 : «Ce coup d’État échoue grâce à une insurrection populaire; une foule en furie se livre à une chasse systématique contre les Tontons macoutes et les partisans de Roger Lafontant[43]». Cette victoire populaire représentait pour l’oligarchie rétrograde et les pays impérialistes un danger. En ce sens que le peuple redevient un acteur politique important qui décide de son destin; l’élection de Jean Bertand Aristide a traduit la réelle volonté du peuple haïtien de prendre sa souveraineté. En conséquence, Jean Bertrand Aristide fut victime d’un coup d’État le 29 septembre 1991 qui, en réalité, signifia le refus du projet populaire de reprise de l’idéal révolutionnaire de 1804, tel qu’inscrit dans le préambule de la constitution de 1987.

C’est une transition importante pour saisir l’évolution de la critique et son mode de prise en charge dans l’histoire politique récente d’Haïti. Il faut retenir qu’avec la «pacification» du pays et le désarment des paysans par l’impérialisme états-unien lors de l’occupation de 1915-1935, la classe paysanne avait été marginalisée dans l’arène politique, les mouvements populaires cessant alors d’être des luttes armées. Les luttes populaires se mènent désormais dans les villes, principalement dans la capitale, et deviennent de plus en plus «pacifiques». La prise du pouvoir se fait à travers les «élections», il n’y a plus une armée comme acteur déterminant dans la prise du pouvoir, car cette dernière a été démantelée. Néanmoins, la dépendance du pays est renforcée, l’impérialisme états-unien joue un rôle important dans les élections du pays. Une telle contextualisation est fondamentale pour saisir les nouvelles conjonctures post-1986. En effet, face à cette nouvelle réalité, comment les contestations contre le régime de Martelly ont-elles été articulées?

Contestations du régime de Martelly

Michel Joseph Martelly est «élu» président d’Haïti en 2011. Son régime n’a pas été épargné par la contestation. Le président lui-même est issu d’une élection douteuse qui a suscité des contestations. Une minorité de parlementaires s’opposaient au régime. Il y avait le G-6 (groupe des six sénateurs opposants au régime) au niveau du Sénat. Des organisations sociales et politiques de la société exprimaient leur opposition au pouvoir. Ces contestations prendront diverses formes dans les années subséquentes.

Si le régime de Boyer avait fait face à des mouvements armés, dans le cas de Martelly les revendications ont pris d’autres formes : pétitions, marches, manifestations, grèves, sit-in, etc. Les revendications étaient nombreuses. Elles étaient articulées autour des questions comme : la vie chère, l’augmentation du prix des produits pétroliers, la nationalité du président, la réalisation des élections législatives et la mise en place d’un conseil électoral, la corruption, le népotisme, etc. Il s’agissait d’une opposition plurielle qui a duré jusqu’à la fin du mandat de Martelly en février 2016. À force de ne pas voir satisfaites ses revendications, l’opposition s’est radicalisée jusqu’à exiger la démission de Michel Joseph Martelly à la présidence du pays.

En réalité, comment le régime a-t-il géré les mouvements contestataires? Le régime a mobilisé la force coercitive tout comme l’avait fait le régime de Boyer ou celui des Duvalier. Malgré les répressions, l’exercice de la critique, sous diverses formes, était possible. Car, un nouveau contexte national et international l’a empêché d’agir avec autant de rigueur comme au temps de Boyer. Donc, il a été obligé de considérer certaines revendications et de faire des concessions. La Constitution du pays a incorporé la critique comme un droit sous forme de liberté d’expression ainsi que par d’autres voies telles que la liberté de manifestation.

Mode de gestion de la contestation

La police nationale d’Haïti a fait des vagues d’arrestations lors des mobilisations populaires contre le régime. Ce titre apparu dans Le Nouvelliste traduit bien le but de cette contestation : «L’opposition dans les rues pour la libération des prisonniers politiques et le départ de Martelly[44]». Cet article affirme, «quelques milliers de personnes ont gagné les rues de la capitale jeudi pour réclamer la libération des prisonniers politiques et le départ du président Martelly et l’organisation d’élections anticipées». Les manifestations de rue constituaient donc une forme de protestation populaire pour que les militants et le peuple haïtien en général expriment leur grief contre le pouvoir en place.

Les autorités ont même procédé à l’arrestation d’un député en fonction parce qu’il exprimait une divergence avec la présidence. Tout cela n’arrivait pas à éteindre le souffle de la critique. Au contraire, le régime a été forcé de libérer les «prisonniers politiques». Ce qui est intéressant à souligner, c’est que le régime continue de se justifier face à l’opinion publique. Ainsi, les porte-paroles sont toujours présents dans les émissions de radio et de télévision ainsi que sur les réseaux sociaux pour défendre le pouvoir et justifier les moindres actions qu’il a posées. Par exemple, le porte-parole de la présidence, l’ancien journaliste Lucien Jura, a déclaré à Radio Vision 2000 le 27 août 2012 à propos de la mise en place d’un Conseil Électoral Permanent qui a suscité beaucoup de controverses : «“Cette invitation du chef de l’État témoigne de son esprit d’ouverture afin de prendre en compte les préoccupations des chefs des partis”, dit M. Jurat ajoutant qu’il s’agit d’une démarche du premier mandataire de la nation visant la mise en place d’un État de Droit dans le pays[45]». Il s’agit donc d’un impératif de justification des actions du pouvoir et une tentative pour rassurer les opposants, en d’autres termes, le porte-parole veut créer une bonne perception du pouvoir dans l’opinion face aux diverses contestations qu’il devait confronter. L’impératif de justification s’est donc aussi imposé au pouvoir.

Avec l’aggravation de la crise politique, le président est obligé de faire des consultations et des négociations avec l’opposition. Un premier accord est signé entre le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et les partis politiques le 14 mars 2014. Cette tentative n’a pas contribué vraiment à apaiser la situation de tension. Au contraire, ce dialogue entamé à la conférence épiscopale d’Haïti sous le leadership du cardinal Shibly Langlois a fait l’objet de plusieurs critiques. Le gouvernement a alors essayé d’autres initiatives. Il a en effet mis en place une commission consultative chargée d’organiser le dialogue avec l’opposition. En décembre 2014, une rencontre est organisée entre le gouvernement et des partis politiques de l’opposition. L’opposition a exigé la démission du gouvernement; ce que le président a dû concéder. En conséquence, le 13 décembre 2014 le gouvernement de Laurent S. Lamothe a remis sa démission. Il faut souligner que certains acteurs de l’opposition réclamaient la démission du président et n’étaient donc pas satisfaits d’une simple démission du gouvernement qui semblait être une stratégie de la présidence pour sauvegarder le pouvoir.

Un dernier aspect des contestations est celui des élections. Le régime de Martelly a organisé en 2015 des élections pour renouveler le parlement ainsi que la présidence. Ces élections ont été contestées par divers secteurs de la société, lesquels dénonçaient des fraudes. Lors des élections présidentielles du 25 octobre 2015, Jovenel Moïse, le dauphin du régime aurait été en tête avec 32,76 % des voix et Jude Célestin en deuxième avec 25,29 %. Les élections[46] du 9 août (pour le renouvellement du corps législatif) et du 25 octobre 2015 (pour la présidence) ont été largement contestées. Le second tour des élections devait être organisé le 24 janvier 2016. Presque tous les secteurs de la société ont dénoncé le résultat et ont réclamé l’annulation des élections[47]. Jude Célestin, qui était en deuxième position, a déclaré qu’il n’allait pas participer au second tour.

Face à la force de la contestation, le pouvoir est obligé de créer le 22 décembre 2015 une commission indépendante d’évaluation électorale (CIEE) pour évaluer les élections et faire des recommandations au gouvernement. Le travail de cette dite commission n’est pas parvenu à baisser la tension de la contestation. Entre temps, le mandat du président était au bord de son terme prévu le 7 février 2016. Sous l’effet des contestations, Michel Joseph Martelly quitte le pouvoir malgré son désir de le garder après le 7 février 2016. Pour combler le vide présidentiel[48], les pouvoirs exécutif et législatif s’accordent à installer Jocelerme Privert, président du Sénat d’alors, comme président provisoire, et ce, en attendant l’organisation de nouvelles élections[49].

Le président provisoire Jocelerme Privert, après consultation auprès des différents acteurs de la société, a créé une commission indépendante et de vérification électorale (CIEVE) par arrêté présidentiel le 28 avril 2016. Le rapport d’évaluation de la commission[50], révélant qu’il y avait des irrégularités et des fautes graves dans les élections présidentielles, a été soumis au pouvoir exécutif le 29 mai 2016. Les élections allaient être reprises avec un nouveau conseil électoral. Ainsi, tout ce processus, de la mise en place d’un pouvoir de transition jusqu’à l’annulation des élections et la mise en place d’un nouveau conseil électoral, a été possible grâce à la puissance de la contestation.

En somme, nous avons constaté la transformation de la critique sous le régime de Martelly. Contrairement à la période de Boyer, elle n’a pas pris la forme de mouvements armés. Elle est une critique corrective ou réformiste[51] qui s’exprimait à travers des marches, manifestations, sit-in, notes de presse… Ce fut globalement un mouvement pacifique. Elle ne mettait pas en question le fondement de la société et ne proposait pas une nouvelle forme d’organisation sociale, politique et économique. À chaque fois que le pouvoir réagit aux critiques, il est non seulement obligé de se justifier et, souvent,il recule sur certaines décisions. Le régime parvient même à intégrer des critiques pour assurer sa survie. Donc, au sens de Luc Boltanski, nous pouvons conclure que cette critique dite réformiste a fait face à une domination complexe sous le régime de Martelly puisque l’on constate que ce dernier a toujours dû se justifier et intégrer la critique même si c’est dans la logique de la détourner de son but et de conserver le pouvoir.

Conclusion

Nous avons étudié l’évolution de la critique et de la domination en étudiant deux régimes politiques, celui de Boyer et celui de Martelly. La théorie de Luc Boltanski nous permet de saisir l’évolution de la critique et son mode de prise en charge par l’État en Haïti. À partir d’une étude de cas basée sur deux régimes politiques, nous avons montré, dans un premier temps, que la critique a pris la forme du mouvement armé, pour ensuite évoluer vers d’autres formes de mouvements plus pacifiques dans un second temps. Par conséquent, nous avons vu que la critique a été une critique révolutionnaire sous Jean-Pierre Boyer. Elle contestait le système socioéconomique et politique établi après la Révolution. Cependant, puisque la critique a été entravée et qu’elle ne pouvait donc pas s’exprimer, nous concluons que le régime de Jean-Pierre Boyer a exercé une domination simple.

La période post-86 a marqué une nouvelle ère dans l’histoire politique d’Haïti. Après le départ du régime duvaliérien, le conflit entre l’oligarchie militaire a provoqué plusieurs gouvernements successifs jusqu’à ce que le gouvernement provisoire d’Ertha Pascal Trouillot organisât des élections libres et démocratiques que gagna Jean Bertrand Aristide. Ce contexte marqua, avec la constitution de 1987, un nouveau départ dans la politique du pays qui a garanti la liberté d’expression. La critique a subi une certaine transformation dans ses expressions. Elle ne prend plus la forme de la lutte armée comme cela se faisait sous Boyer et après. La justification des actes s’impose aux acteurs. Ainsi, on voit le régime se justifier à travers ses porte-paroles. Dans ce contexte, la critique a évolué en critique réformiste. Le régime politique de Michel Joseph Martelly a, d’une certaine façon, incorporé la critique, ce qui explique qu’il y a eu presque systématiquement des changements dans les décisions du régime à cause de la force de la critique. Cette dernière peut être définie comme une critique réformiste parce qu’elle ne conteste pas le fondement du «système» et donc, ce dernier n’est pas mis en cause par une proposition d’alternative claire qui viserait à le remplacer. C’est ce qui explique son intégration au régime. Ainsi, nous avons montré qu’Haïti est passé d’un modèle de domination simple avec Boyer à un modèle de domination complexe avec le régime de Martelly.

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[1] Étudiant au doctorat en sociologie à l’École d’études sociologiques et anthropologiques de l’Université d’Ottawa, membre du Collectif de recherche sur les migrations et les racismes (COMIR), du Groupe de recherche et d’appui au développement des collectivités territoriales (GRAD) et  de Cercle d’étude en littérature gramscienne (CELG).

[2] Jean Casimir, Haïti et ses élites : l’interminable dialogue de sourds, Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’Haïti, 2009.

[3] «[I]l mettra au point l’armature légale du nouvel État (code civil, code de procédure civile, code rural, code pénal, code de commerce, etc.) qui intègre et complète l’œuvre législative de T. Louverture» (Claude Moïse, Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti [Tome I] : la faillite des classes dirigeantes, Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 1997, p.60).

[4] On fait référence ici à la dictature duvaliériste qui a pris fin en 1986.

[5] Après la chute du régime duvaliérien en 1986, les mouvements de contestation ne cessent pas, on peut citer entre autres des mouvements des années 1986-1996. Il y avait aussi beaucoup de contestation lors de la présidence de Jean Bertrand Aristide (février 2001-février 2004). Néanmoins, il n’a pas terminé son mandat contrairement à Martelly. Son dauphin Jovenel Moïse, issu d’un processus électoral contesté, a hérité de ces contestations qui allaient plus tard être relancées. Toutefois, à notre avis, la prise en charge de la contestation lors de ce régime est différente de celle de l’administration de Martelly malgré la continuité approximative du régime.

[6] Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Éditions Gallimard, 1999.

[7] Ibid., p.46.

[8] Les auteurs parlent d’épreuve de force lorsque la détermination des puissances est définie par le niveau de force. Ici la morale n’est pas prise en compte, c’est la force qui l’est; et une épreuve légitime est déterminée par un jugement de la justesse de l’ordre et la grandeur des protagonistes selon ce qu’ils représentent en termes de légitimité. Ibid.

[9] Luc Boltanski, De la critique : Précis de sociologie de l’émancipation, Paris, Éditions Gallimard, 2009.

[10] Ibid.

[11] Ibid., p. 176.

[12] Ibid., p.179.

[13] Ibid.

[14] «D’un côté, on fait confiance aux institutions, on “croit” en elles. Comment faire autrement puisque sans leur intervention, l’inquiétude sur ce qui est ne pourrait que croitre avec les risques de discorde, de violence ou au moins d’éparpillement dans les langages privés que cela suppose. Mais, d’un autre côté, on soupçonne que ces institutions ne sont que des fictions et que seuls sont réels les êtres humains qui les composent, qui parlent en leur nom et qui, étant dotés d’un corps, de désirs, de pulsions, etc. ne possèdent aucune qualité particulière qui permettrait de leur faire confiance. Je propose de voir dans cette tension une contradiction indépassable, qui est en quelque sorte au fondement de la vie sociale commune, que j’appellerai la contradiction herméneutique», Luc Boltanski, «Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination», Luc Boltanski, «Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination», op. cit., p. 28.

[15] Op. cit., p.179.

[16] Ibid.

[17] Ibid.

[18] Jean Fouchard, Histoire d’Haïti : 1804-1990, T. II, Port-au-Prince, Henri Deschamps, 2017, p.86.

[19] Michel Hector, Crises et mouvements populaires en Haïti, Port-au-Prince, Presses Nationales d’Haïti, 2006, p.119.

[20] Jn Anil Louis-Juste, «Akawo, Goman, Desalin :twa lidè disparèt, yon pwojè parèt», dans DESALINYEN Potvwa Desalinyen ak Desalinyèn yo, Ochan pou yon desalinyen liberaté :Jn Anil Louis-Juste, Port-au-Prince : ASID, [2008] 2010, pp. 28-32.

[21] Ibid., p.31 (traduction de l’auteur). Définitivement, il semble que la trahison incorpore le répertoire des stratégies de l’oligarchie pour mater les résistances populaires. On se rappelle que sous l’occupation de 1915-1934 les deux principaux dirigeants du mouvement paysan contre l’occupation ont été victimes de trahison.

[22] Thomas Madiou, Histoire d’Haïti. Tomes VI (1819-1826), Port-au-Prince, Éditions Henri Descamps, 1988.

[23] HECTOR, Michel (2004). «État et Société en Haïti de 1806 à 1843», dans Itinéraires CREHSO, No 1, p.22.

[24] Op. cit., p.86.

[25] Ibid., p.7.

[26] Michel Rolph Trouillot, Ti dife boule sou istwa Ayiti, Delmas, Edisyon KIK, 1977, p.8.

[27] Op. cit.

[28] Territoire de refuge de Goman et ses lieutenants situant au sommet du massif de la Hotte

[29] Claude Moïse, Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti (Tome I) : la faillite des classes dirigeantes, Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 1997, p.69.

[30] Ibid., p.65.

[31] Leslie Péan, Aux origines de l’État marron en Haïti (1804-1860), Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2009, p.19.

[32] Michel-Rolph Trouillot, Les racines historiques de l’État duvaliérien, Delmas, C3 Éditions, 2016, p.32.

[33] Suzy Castor, L’occupation américaine d’Haïti, Port-au-Prince, CRESFED, 1988, p.213.

[34] François Duvalier 1957-1971; Jean Claude Duvalier 1971-1986

[35] Gérard Pierre-Charles, Radiographie d’une dictature. Haïti et Duvalier, Port-au-Prince, Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2013, p.99.

[36] François Duvalier, 1969 cité par Laënnec Hurbon, Comprendre Haïti, Essai sur l’État, la nation, la culture, Port-au-Prince/Paris, Éditions Henry Deschamps et Éditions KARTHALA, 1987, p.13.

[37] «Les macoutes [milice de l’État duvaliérien] sont recrutés, non seulement dans la classe moyenne et la bourgeoisie (en particulier à partir de 1971, sous la dictature de Duvalier fils), mais surtout dans les classes populaires», Ibid.

[38] Laënnec Hurbon, Pour une sociologie d’Haïti au XXIe siècle. La démocratie introuvable, Paris, Éditions Karthala, 2001.

[39] Ibid., cit., p.67,

[40] Ibid.

[41] Ibid.

[42] Op. cit.

[43] Op. cit., p.71.

[44]https://lenouvelliste.com/article/137612/lopposition-dans-les-rues-pour-la-liberation-des-prisonniers-politiques-et-le-depart-de-martelly, publié le 30 octobre 2014, consulté en ligne le 11 décembre 2018.

[45] https://radiotelevision2000.com/home/?p=20364, publié le 27 août 2012, consulté en ligne le 5 aout 2020.

[46] «Le premier tour des élections législatives s’est déroulé le 9 août 2015. Ces élections, réalisées sur fond de violences et de perceptions de fraudes ont donné lieu à de graves dénonciations (candidats, partis politiques, société civile…). […] Le 25 octobre 2015 eurent lieu le premier tour de l’élection présidentielle et le second tour des législatives, ainsi que les élections locales. Contrairement à la journée électorale du 9 août, celle
du 25 octobre s’est relativement déroulée dans le calme. Cependant, presque tous les candidats et certains observateurs ont dénoncé les irrégularités graves qu’ils auraient observées. Les résultats issus desdites élections ont été rejetés par les candidats, sauf celui du pouvoir qui en arrivait en tête», Commission indépendante d’Évaluation et de Vérification électorale, 2016, p. 7.

[47] «Suite à la montée des actes de violence le 22 janvier 2016, le CEP a dû convoquer, en urgence, la presse pour annoncer l’annulation du second tour de la présidentielle, prévu pour le 24 janvier. Dans son communiqué # 113 publié à ce sujet, le CEP a expliqué que face à la détérioration de l’environnement qui pèse sur le processus électoral, celui-ci a décidé de sursoir aux opérations électorales devant mener à la tenue du scrutin», Ibid.

[48] «Cependant, la non-application des recommandations de la CIEE a conduit à une aggravation de la situation, notamment la dissolution du CEP et une vacance présidentielle, lorsque le 7 février 2016 le mandat du Président Michel Martelly parvint à sa fin. Pour garantir la continuité
institutionnelle, un accord fut signé le 5 février 2016 entre le pouvoir exécutif, représenté par le président Joseph Michel Martelly, et le pouvoir législatif représenté par le sénateur Jocelerme Privert, Président du Sénat de la République, et le député Cholzer Chancy, Président de la chambre des Députés», Commission indépendante d’Évaluation et de Vérification électorale, 2016, p. 8.

[49] «Le 14 février 2016, le sénateur Jocelerme Privert, ancien président du Sénat, fut élu Président de la République par l’Assemblée nationale (élection au second degré)», Ibid., p.8.

[50] «[…] L’analyse des résultats montre que les élections présidentielles étaient entachées d’irrégularités, de négligences, de fautes professionnelles graves et/ou de fraudes», Ibid., p. 17.

[51] Luc Boltanski, «Institutions et critique sociale. Une approche pragmatique de la domination», Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], #08 | 2008, mis en ligne le 1er décembre 2010.