Des universités de classe mondiale? Pour qui et pourquoi?

Publié le 2 mai 2012
Martin Lavallée

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Lavallée, M. (2012). Des universités de classe mondiale? Pour qui et pourquoi?. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=1775

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Lavallée Martin. "Des universités de classe mondiale? Pour qui et pourquoi?." Histoire Engagée, 2012. https://histoireengagee.ca/?p=1775.

          Par Martin Lavallée, étudiant à la maîtrise en histoire à l’UQÀM

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Pancarte contre la marchandisation de l’université aperçue lors de la manifestation nationale contre la hausse des droits de scolarité le 22 mars 2012 (Crédit photo : Pascal Scallon-Chouinard)

Dans le débat qui fait toujours rage sur la hausse des droits de scolarité, un aspect important de l’enjeu de cette hausse est peu discuté sur la place publique, malgré le fait qu’il semble que cet aspect soit fondamental pour le gouvernement de Jean Charest. En effet, de l’aveu même de notre gouvernement, un des enjeux de cette hausse des droits de scolarité consiste à permettre aux universités québécoises d’atteindre un niveau de ‹‹classe mondiale››. Par contre, notre gouvernement est avare de détails sur ce qu’il entend par là. Il nous semble pourtant indispensable de connaître les objectifs qu’il vise afin de légitimer cette hausse qui semble, à première vue, injustifiable lorsqu’on sait qu’elle affectera l’accessibilité de certains étudiants québécois. Qu’est-ce qu’une université de classe mondiale? Pour qui et pourquoi?

Définition d’une université de rang mondial

 Dans un rapport de la Banque mondiale publié en 2009 (Le défi d’établir des universités de rang mondial), sont définis les piliers fondamentaux devant mener à une nouvelle économie mondiale du savoir et le rôle indispensable que sont appelées à jouer les études supérieures dans cette nouvelle économie. En effet, l’enseignement supérieur a un rôle central à jouer dans les quatre piliers à atteindre, notamment dans la ‹‹formation d’un capital humain fort›› et pour ‹‹contribuer à un système d’innovation national efficient››.

Une université de rang mondial devra pouvoir remplir ces fonctions, notamment en mettant l’accent sur la recherche de pointe et en ‹‹produisant des diplômés hautement qualifiés›› très demandés sur le marché du savoir. Ces scientifiques et ces chercheurs sont ceux qui publient dans les meilleures revues scientifiques. Telle est la définition que donne la Banque mondiale d’une université de rang mondial. Une université de ce calibre met l’accent sur la recherche et non plus sur l’enseignement, car l’objectif est désormais de ‹‹produire un capital humain››, comme des scientifiques et des professionnels jugés indispensables. En somme, il s’agit d’une université au service du développement et de la croissance au sein d’une nouvelle économie du savoir, plutôt qu’un lieu dans lequel le savoir et l’enseignement de la personne humaine sont valorisés. Ce processus dans lequel les professeurs d’université se consacrent de plus en plus à la recherche au détriment de l’enseignement – qui est de plus en plus dispensé par des chargés de cours – est d’ailleurs déjà entamé dans nos universités à l’heure actuelle. Dans son petit ouvrage, Je ne suis pas une PME, Normand Baillargeon explique très bien la mise en place au Québec d’une université où la recherche se fait de plus en plus au service de l’économie et de l’entreprise privée.

Un point à retenir est que ne se proclame pas université de rang mondial qui veut. Comme le souligne le rapport lui-même, ‹‹le statut d’élite est plutôt conféré par le monde extérieur sur la base d’une reconnaissance au niveau international››. À cet égard, ce qui est intéressant mais inquiétant de constater est que parmi les vingt premières universités de classe mondiale telles que classées par THES et SJTU en 2008, toutes sont des universités techniques, technologiques ou économiques de langue anglaise, à l’exception de l’Université de Tokyo, qui dispense toutefois de nombreux programmes en anglais. Ainsi, nous avons un bref aperçu du critère qui définit et détermine l’idéal à atteindre pour qui veut ériger une université de classe mondiale.

Dans un monde qui se mondialise sur la base du marché néolibéral et dans lequel la langue anglaise est la langue uniformisante, les universités de rang mondial sont évidemment des universités qui répondent aux besoins du marché du savoir et qui le font en anglais. Dans ce contexte, une université prestigieuse comme la Sorbonne, qui dispense un enseignement en français et qui se concentre sur les arts et les humanités, ne peut évidemment prétendre appartenir au club sélect des établissements de classe mondiale.

Le rôle du gouvernement

Un aspect important du rapport de la Banque mondiale met l’accent sur le rôle indispensable des gouvernements nationaux dans la mise en place des universités de rang mondial. Entre autres, le gouvernement doit s’assurer d’un financement public adéquat visant à répondre aux coûts élevés entraînés par ‹‹la mise en place des infrastructures de recherche de pointe››. Ici, le lien entre la hausse des droits de scolarité et le besoin accru de ressources afin de répondre aux exigences mondiales est flagrant. Dans un contexte où notre gouvernement est lourdement endetté et n’est pas en mesure de financer nos universités, les hausses des droits aux étudiants québécois visent à répondre aux besoins financiers accrus pour la ‹‹recherche de pointe›› et pour favoriser le recrutement des meilleurs étudiants étrangers au sein de la concurrence qui se met en place entre les universités du monde. Tout ce processus vise ensuite à faciliter l’accréditation de la ‹‹prestigieuse›› appellation d’‹‹université de classe mondiale››.

La question est de savoir si les étudiants québécois sont prêts à payer davantage uniquement pour que leurs universités soient reconnues internationalement par une minorité d’individus se basant sur les critères d’un marché mondial néolibéral et pour répondre aux besoins des entreprises privées. Dans le débat actuel sur la hausse des droits de scolarité, cet enjeu fondamental mérite d’être davantage discuté.

Plusieurs intervenants et commentateurs se sont récemment demandé comment il se faisait que notre gouvernement renonce aussi sèchement aux objectifs qu’avait fixés le rapport Parent en 1964, objectifs qui visaient éventuellement à rendre l’éducation gratuite pour les étudiants québécois du primaire à l’universitaire. La réponse à cette question est simple : si le système d’éducation préconisé par le rapport Parent visait, lui aussi, à répondre aux exigences du monde du travail de la société moderne, il visait également et surtout à répondre à des critères philosophiques humanistes inspirés, notamment, du personnalisme dans lequel l’épanouissement de la personne humaine devait se faire au sein du système éducatif. C’est ce qui motivait les commissaires à préconiser la gratuité pour tous afin que chaque personne puisse avoir accès à ce système perçu comme le lieu de prédilection pour lui permettre de s’épanouir. Les études supérieures telles que préconisées par les grandes instances mondiales à l’heure actuelle sont influencées uniquement par une philosophie néolibérale mettant l’accent sur le marché mondial, la concurrence et l’économie comme voies du progrès. C’est évidemment cette dernière voie que préconise le gouvernement Charest.

Le problème, c’est de savoir si la population québécoise est en accord avec l’orientation donnée à sa société et à son système d’éducation par notre gouvernement, orientation qui n’émane visiblement pas d’elle, mais plutôt d’une élite mondialisée qui poursuit ses propres objectifs.