La grève étudiante au Moyen-Âge et l’émancipation des universités
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Oddo, A. (2012). La grève étudiante au Moyen-Âge et l’émancipation des universités. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=1727Chicago
Oddo Anthony. "La grève étudiante au Moyen-Âge et l’émancipation des universités." Histoire Engagée, 2012. https://histoireengagee.ca/?p=1727.Par Anthony Oddo, étudiant à la maîtrise en histoire de l’Université de Sherbrooke
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Suite aux évènements entourant la hausse des frais de scolarité au Québec et les nombreux et riches débats qui en résultent actuellement, il semble devenu impératif d’amorcer une profonde réflexion sur le sens à donner à cette contestation. Bien au-delà d’une simple opposition à une décision gouvernementale, c’est l’expression de groupes sociaux qui ont des convictions et qui défendent un modèle d’éducation, un modèle de société dans lequel ils prennent part et qu’ils contribuent à façonner.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux articles d’opinion émanant d’historiens se sont penchés sur une « histoire du mouvement étudiant » restant néanmoins attachés principalement au XXe siècle. Pour ma part, étudiant en histoire médiévale, je me suis questionné sur ma période qui voit tout de même l’apparition des universités et qui plus est du droit accordé aux étudiants de faire « sécession ». Il ne s’agit pas ici de refaire une histoire des universités et de l’éducation mais de tenter d’approcher les groupes sociaux qui ont participé à l’émergence des universités et à un certain modèle d’éducation, aux étudiants, aux professeurs, aux habitants des villes, aux représentants des pouvoirs temporel et religieux. Ainsi, le XIIIe siècle a été marqué par des luttes, parfois violentes, dont les conséquences intellectuelle, culturelle et sociale sont considérables et ont mené à la naissance d’établissements d’éducation supérieure encore présents aujourd’hui. Les motifs des luttes d’antan ne sont parfois pas si différents d’aujourd’hui. Ainsi l’étude du passé nous permet-elle de lutter contre nombre d’idées reçues et de faux jugements.
Dans le contexte actuel où un discours encore tenace envers les étudiants tente de les dissocier de l’institution dans laquelle ils étudient, à défaut de ne pas « rentrer dans le moule », c’est ici un non-sens au regard de l’histoire. L’universitas est l’émanation même de ces groupes d’étudiants et de professeurs et cette institution nait d’ailleurs d’un mouvement de contestation des maîtres et étudiants de Paris dès le début du XIIIe siècle.
En tant qu’historien, le parallèle peut créer un certain malaise entre les contestations étudiantes actuelles et celles d’il y a huit siècles. Cependant, si le contexte est certes bien différent, les motifs des contestations sont souvent fort similaires et nous oblige inévitablement à reconsidérer les acteurs y prenant part et au bout du compte, de s’obliger à un examen de conscience sur les racines des revendications des milieux étudiants. Cet article s’appuie principalement sur les travaux de Jacques Verger, Pierre Riché, Bruno Laurioux et Laurence Moulinier cités en détail dans la bibliographie.
Un groupe social distinct : la communauté des maîtres et des étudiants
Une des caractéristiques fondamentales dans la naissance des universités, c’est l’organisation corporative formée des maîtres et des étudiants dont la communauté est désignée justement par universitas (communauté). Il s’agit d’une longue mutation dans l’histoire de l’éducation en Occident qui a pris forme durant la « Renaissance intellectuelle » du XIIe siècle. La fin du siècle avait connu une situation anarchique dans la fondation des écoles et il devenait désormais impératif d’adopter des mesures précises dans l’amélioration de l’enseignement (séparation des disciplines, programmes bien définis, examen…). Cette période qualifiée de reformatio in melius (réforme et amélioration) a été mise en œuvre non pas par les autorités ecclésiastiques mais bien par les maîtres. Ces derniers pouvaient maintenant définir eux-mêmes le contenu de leurs enseignements. Ces libertas scolastica (libertés scolaires) sont des privilèges juridiques reconnus qui garantissaient une autonomie institutionnelle, une certaine forme de liberté intellectuelle, d’enseignement, de liberté de parole et de pensée.
Les premiers statuts de l’université de Paris en 1215, rédigés par Robert de Courçon, légat du pape Innocent III, mentionnent explicitement la universitas magistrorum et scolarium (communauté des maîtres et des étudiants). Le caractère corporatif est donc fondamental dans la naissance des universités tout comme le sont aussi à la même époque les métiers urbains qui s’organisent en corporations, adoptant leurs statuts qui leur garantissent le monopole de leur activité. Les maîtres et les étudiants sont donc reconnus comme un groupe distinct.
Pour l’universitas, les statuts garantissent le monopole de l’enseignement supérieur en réglementant les horaires des cours, la tenue des examens, les matières à enseigner, la remise des diplômes ou encore la désignation d’un recteur.
D’un point de vue juridique, l’université constitue une personne morale autour d’un serment mutuel (conjuratio) entre maîtres et étudiants. La solidarité est ainsi fondamentale au sein de la communauté où l’entraide fraternelle et la charité font partie des comportements à adopter et à respecter sous peine parfois de sanctions.
Au début du XIIIe siècle, l’université n’est pas encore organisée de manière très structurée et elle est plutôt composée de plusieurs communautés éducatives établies en différents lieux. Souvent, on retrouve des étudiants avec un maître qui enseigne dans sa propre maison. Les étudiants peuvent y être logés et nourris en échange d’une somme d’argent. Pour les étudiants les plus pauvres, des domus (maisons ou collèges) sont créés et les accueillent gratuitement en plus de l’obtention d’une petite bourse hebdomadaire. Un des plus célèbres collèges parisiens est celui de Robert de Sorbon, maître en théologie séculier, chanoine de Cambrai, dont la fondation se situe entre 1254 et 1257. D’autres formes d’accueil et d’hébergement existaient comme des pensions payantes, appelées halls en Angleterre.
Ce groupe des étudiants se concentre dans des quartiers distincts et les membres partagent leur vie ensemble, leur travail, leurs loisirs. Lors des cérémonies communes entre étudiants et maîtres, un fort sentiment d’unité et d’autonomie se manifeste et face auquel toute autorité extérieure, tant religieuse que laïque, n’est pas toujours la bienvenue. Cela est renforcé par le fait qu’une grande majorité des étudiants et des maîtres sont d’origine étrangère à la ville et répugnent à être dirigés par les autorités locales. Les étudiants se regroupent d’ailleurs en nations. Ils bénéficient parfois de puissants soutiens d’anciens élèves qui ont accédé à des postes de renom. La communauté forme donc un groupe soudé et prêt à la défense de ses intérêts et privilèges.
La défense des statuts et les grèves étudiantes
Les privilèges acquis progressivement par les communautés d’étudiants et de maîtres ne leur font pas toujours bonne presse et la population des villes tend à les percevoir comme un groupe de privilégiés.
Tout commence en 1200 dans une taverne où suite à une rixe entre des étudiants et des officiers royaux, plusieurs écoliers furent tués. Philippe Auguste, roi de France, dans un diplôme de la même année assure sa protection envers les étudiants. Le statut clérical des écoliers leur permettait aussi de ne relever que de la justice ecclésiastique. La bienveillance du roi de France leur accorde les bases d’une certaine autonomie qui ira en se concrétisant les années à venir. Le diplôme de Philippe Auguste finit ainsi :
Afin que ces décisions soient soigneusement gardées et renforcées à perpétuité dans la stabilité du droit, nous avons ordonné que notre prévôt et le peuple de Paris confirment par serment qu’ils observeront en toute bonne foi ces choses vis-à-vis des écoliers.
Ce début d’émancipation n’alla pas sans froisser les autorités religieuses locales comme l’évêque et le chancelier du chapitre de Notre-Dame qui avaient autorité sur les écoles parisiennes.
Ce n’est qu’en 1215 que l’université de Paris obtient ses premiers statuts et dans lesquels, pour la première fois, on reconnaît officiellement aux étudiants le droit de faire sécession (droit de grève) si leurs privilèges sont bafoués.
Ce ne sera vraiment qu’en 1229 et suite à un nouvel incident sanglant que les étudiants vont mettre leur droit de sécession en pratique. Lors du Carême de 1229, suite à des altercations avec des étudiants dans le faubourg Saint-Marcel, les sergents royaux sont intervenus violemment, faisant plusieurs morts et blessés dans les rangs des étudiants. L’université, n’obtenant ni la justice de l’évêque ni celle du roi, décide de se mettre en grève. Les grévistes, maîtres et étudiants, quittent Paris pour Orléans, Angers et Oxford. Deux années ne négociations furent nécessaires pour ramener le calme et surtout faire revenir les maîtres et les étudiants à Paris.
L’intervention du pape Grégoire IX mettra un terme au conflit par la promulgation de la bulle Parens scientiarum (Paris, mère des sciences) le 13 avril 1231. Cette bulle, considérée comme l’acte fondateur définitif de l’université, confirme et élargit aussi ses privilèges. Pour mieux en prendre toute la mesure, les extraits suivants viennent confirmer les libertés fondamentales que l’on retrouve dans de nombreuses universités qui ont pris pour modèle celle de Paris.
Si par hasard la taxation des loyers vous est retirée ou si une offense ou un tort grave vous sont faits, comme l’assassinat ou la mutilation de l’un d’entre vous – ce qu’à Dieu ne plaise – si après avertissement, réparation ne vous est donnée dans les quinze jours, il vous sera permis de suspendre les cours jusqu’à l’obtention d’une réparation appropriée. Et s’il arrive que l’un de vous soit emprisonné indûment – Dieu vous en protège – si l’injustice ne cesse pas après un avertissement, arrêtez les cours si vous le jugez opportun.
Un autre extrait très intéressant pour le contexte actuel : « Nous interdisons en outre qu’un étudiant soit arrêté pour dette, puisque cela est interdit par des décisions canoniques et légitimes. »
Enfin, ce dernier extrait révèle tout autant la défense d’un bien commun chez les maîtres et étudiants et la compréhension de l’autorité pontificale :
Comme les maîtres et les étudiants, accablés de dommages et d’offenses, s’étant mutuellement prêtés serment, se sont retirés de Paris en anéantissant les études, ils paraissent moins défendre leur propre cause que la cause commune : considérant le besoin et le profit de l’Église tout entière nous voulons et mandons que après confirmation des privilèges des maîtres et étudiants de Paris par notre cher fils dans le Christ… illustre roi de France, et après fixation des amendes des gens coupables envers eux, ils poursuivent librement leurs études à Paris, sans apporter le moindre délai à leur retour, ce qui nuirait à leur réputation.
Suite à ce mouvement de sécession massif, de nombreux maîtres et étudiants avaient alors quitté Paris, l’appui de la papauté à la cause de l’université donna un élan décisif au rayonnement à venir de cette institution. L’université de Paris au XIIIe siècle est synonyme de bouillonnement intellectuel sans précédent dans l’histoire du Moyen-Âge. À côté d’elle, Oxford et Bologne, sans oublier bien sûr les universités méridionales comme Montpellier et Toulouse, connaissent le même développement mais à des degrés différents. Les facultés des arts deviennent, notamment à Paris et Oxford, de véritables facultés de philosophie toutes orientées sur les commentaires d’Aristote. On y enseigne aussi la grammaire, la dialectique, la médecine, le droit, dans certains cas les sciences arabes (astronomie, géométrie, optique), et évidemment la théologie. En parallèle au développement de ces universités européennes se tisse un réseau de maîtres de renom enseignant d’une université à l’autre comme Pierre d’Espagne (futur Jean XXI), Pierre Grosseteste, Roger Bacon, Albert le Grand, Thomas d’Aquin et Pierre Lombart et dont les œuvres monumentales ne cessent encore aujourd’hui d’alimenter la recherche. Autour de ces universités se développent des quartiers d’où émergent de nombreuses écoles, pensions, salles de classe, collèges (collège du Trésorier, d’Abbeville, des Bons-Enfants d’Arras, Merton College, University College, Cambridge).
Cet essor spectaculaire ne va pas sans créer de nouvelles tensions face aux tentatives d’ingérence des autorités religieuses et laïques. L’autonomie tant défendue par les maîtres séculiers et les étudiants va montrer ses limites. L’arrivée des ordres mendiants, notamment des Dominicains et des Franciscains, et l’obtention de chaires au sein même de l’université firent venir à eux de nombreux étudiants fascinés par la qualité de l’enseignement et la vie évangélique des frères. Cependant, les frères mendiants, dépendant encore de leur ordre, furent dénoncés par les maîtres séculiers qui leur reprochaient de ne pas participer à la solidarité universitaire et de ne pas défendre les privilèges et l’autonomie de l’institution. Cette crise interne dans laquelle les maîtres séculiers, notamment Guillaume de Saint-Amour, qui voulurent chasser les Mendiants en dehors de l’université est la première d’une série qui anima tout le Moyen-Âge. Il serait trop long ici de détailler ces évènements mais les XIVe et XVe siècles furent marqués par de nombreuses grèves étudiantes qui avaient pour motifs la défense des privilèges et de l’autonomie de l’université. La défense de son exemption fiscale a été un des motifs les plus importants dans le déclenchement des grèves qui duraient parfois plusieurs mois comme ce fut le cas de 1443 à 1445. L’autonomie judiciaire de l’université est remise en cause sous Charles VII en 1446, au profit du Parlement de Paris, débouchant sur des émeutes et des grèves. En 1453, un étudiant du nom de Raymond de Mauregart est tué par des sergents du Châtelet et s’en suit une fois de plus une grève de plusieurs mois.
Des comportements qui se perpétuent
Cette description certes très sommaire des premières grèves étudiantes au sein des universités médiévales se veut un moyen de lutter contre l’ignorance et certains discours qui remettent en question la légitimité de la contestation étudiante actuelle. Ce bref rappel historique nous fait prendre conscience que la défense d’un bien commun est un combat perpétuel mais non moins légitime. Bien au contraire, l’université s’est façonnée non pas au départ comme une institution comme telle mais comme l’expression d’une solidarité entre maîtres et étudiants. C’est cette solidarité qui a été reconnue par les plus hautes autorités tant laïques que religieuses en accordant une certaine autonomie et de nombreux privilèges ainsi que le droit de faire sécession. La naissance de l’université, comme institution désormais, prend racine dans ces mouvements de contestation et de prise de parole. Les statuts de 1215 et de 1231 mentionnés ci-haut sont la résultante d’une prise de position pour la défense d’un modèle d’enseignement qui a maturé durant longtemps.
L’université émane de ce groupe des maîtres et étudiants et en devient indissociable. Ce lien organique se perpétue maintenant depuis des siècles et si l’université du XIIIe siècle n’a évidemment plus rien à voir avec l’université d’aujourd’hui, la volonté de défendre les droits acquis est toujours bien présente.
Pour en savoir plus
Chartularium Universitatis Parisiensis. Tome 1. Paris, Delalain, 1889.
LAURIOUX, Bruno et Laurence MOULINIER. Éducation et cultures dans l’Occident chrétien. Du début du douzième au milieu du quinzième siècle. Paris, Éditions Messene, 1998, 189 p.
RICHÉ, Pierre et Jacques VERGER. Des nains sur des épaules de géants. Maîtres et élèves au Moyen-Âge. Paris, Tallandier, 2006, 351 p.
VERGER, Jacques. L’essor des universités au XIIIe siècle. Paris, Cerf, 1997, 148 p.
VERGER, Jacques. Les universités au Moyen-Âge. Paris, Presses universitaires de France, 1973, 214 p.
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