Musée canadien des civilisations : aux larmes citoyens !

Publié le 17 octobre 2012
Laurent Turcot

4 min

Citer

Citer cet article

APA

Turcot, L. (2012). Musée canadien des civilisations : aux larmes citoyens !. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=2319

Chicago

Turcot Laurent. "Musée canadien des civilisations : aux larmes citoyens !." Histoire Engagée, 2012. https://histoireengagee.ca/?p=2319.

Par Laurent Turcot, professeur en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)[1]

Version PDF
Musée canadien des civilisations. Crédit photo abdallahh.

Musée canadien des civilisations. Crédits : abdallahh.

Le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, a annoncé mardi en grande pompe la création, ou plutôt la transformation, du Musée canadien des civilisations en Musée canadien de l’histoire. Cette décision fait partie d’un programme qui vise à promouvoir l’histoire du Canada à la veille du 150e anniversaire de la Constitution de 1867. Comme historien, je ne peux, à première vue, que me réjouir de cette décision. L’histoire enfin financée, voilà qui permet de respirer un peu.

Il me semble pourtant qu’il faut, aujourd’hui plus que jamais, accueillir ces décisions avec une grande précaution. Faisons œuvre d’historiens du temps présent. Prenons un peu de recul, rétablissons le contexte dans lequel cette décision s’inscrit, mais plus important, tâchons de comprendre l’idée qui est derrière.

On a souvent insisté sur le fait que la politique du gouvernement conservateur, depuis qu’il est au pouvoir, est d’enlever le plus d’État possible pour les contribuables. Moins d’impôts, moins de bureaucratie, moins de subventions, chacun pour soi et que le meilleur gagne. À la lumière de la décision d’aujourd’hui, il n’en est rien. La transformation du Musée s’inscrit dans une tendance qui fait craindre le pire.

Petit retour en arrière

Rétablissons la chronologie. En juillet 2011, on fait remplacer les toiles d’Alfred Pellan par ceux de la reine Elizabeth II au ministère des Affaires étrangères. S’ensuivent les célébrations pour le jubilé de la reine. On décerne des médailles flanquées à l’effigie du chef de l’État (la reine) çà et là, on offre au souverain (la reine) un portrait de 100 000 $ aux frais des contribuables.

Puis, on annonce les célébrations, grassement financées, du 200e anniversaire de la guerre de 1812, « événement marquant dans l’édification de notre grand pays », peut-on lire sur le site Internet des célébrations, et plus loin, « la guerre de 1812 est à la source de la création des Forces armées canadiennes ». S’ensuivent une série de mesures qui amènent le Canada à se rapprocher de la mère patrie (ici la Grande-Bretagne). On va même jusqu’à proposer de partager des ambassades avec la Grande-Bretagne.

Toutes ces mesures ont souvent été analysées séparément, plusieurs n’y voyant que de la poudre aux yeux pour faire bondir l’opposition (ce qu’elle ne fait que très peu tant elle est désorganisée) pour s’attaquer à des problèmes de fond.

Insidieuse tentative de transformation

Pourtant, il s’agit ici d’un problème de fond. Le nouveau Musée ne visera pas seulement une meilleure compréhension de l’histoire canadienne, on affiche ouvertement l’idée qu’il servira à raconter l’histoire militaire, chose bizarre dans la mesure où Ottawa a déjà le Musée canadien de la guerre. Veut-on doubler les ressources sur cette thématique ? Sûrement pas.

Ce qui est ici proposé est une tentative insidieuse de transformer la manière de concevoir l’histoire. Les preuves abondent pour confirmer cette hypothèse. Les coupes sévères qui ont été opérées dans les organismes comme Parcs Canada, Bibliothèque et Archives Canada ou encore au Centre international d’études canadiennes, montrent que le gouvernement ne semble intéressé que par un type d’histoire : l’histoire militaire, celle qui sert une cause politique.

Visiblement, Ottawa, ou plutôt les conservateurs veulent donner LEUR vision de l’histoire. Où se trouve la pensée critique, où se trouvent les historiens reconnus ? Sont-ils à côté de James Moore ? Permettez-moi d’en douter.


[1] Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir le 17 octobre 2012. C’est avec l’accord de l’auteur que nous le reproduisons ici.