L’assurance-maladie à l’époque de la Grande Dépression : Une analyse historique de la Commission Montpetit

Publié le 10 avril 2023

Par Alain Saint-Victor, historien

Rapports de la Commission, 1933 (Crédit : BANQ numérique)

La Commission Montpetit

En décembre 1932, sous la présidence de l’économiste Édouard Montpetit, la Commission des assurances sociales de Québec soumet son septième et dernier rapport au gouvernement du premier ministre Taschereau. L’objectif des commissaires est de faire des recommandations au gouvernement quant au modèle d’assurance-maladie-invalidité qui doit être adopté dans la province. Il y est mentionné que « l’assurance sociale existe [déjà][1]» au Québec et qu’elle est libre contrairement à celles qui existent dans certains pays européens. Pour le gouvernement, une comparaison entre les deux modèles d’assurance s’avérait nécessaire. Avant même d’effectuer les recommandations en vue de procéder à une législation, la Commission a décidé de faire une étude comparative du système qui existe au Québec avec les systèmes européens.

Au départ, il s’agit pour la Commission de centrer la discussion sur l’assurance maladie autour de la question de l’obligation ou pas du régime de l’assurance maladie. En aucun cas dans le rapport, il n’est fait mention d’étatiser le système de santé. La question centrale qui a orienté les débats lors des audiences était de voir si l’assurance maladie obligatoire était une option et sinon comment adopter une assurance basée sur la médecine privée qui puisse répondre aux attentes d’une partie de la population.

Débats  

Pour mieux comprendre les recommandations de la Commission, il faut analyser les audiences qui se sont déroulées au cours de son mandat. Dans un mémoire[2] présenté à la Commission, le vice-président du Collège des Médecins et Chirurgiens de la Province de Québec, le Dr. L.-F. Dubé, prend clairement position contre « [l]’étatisme et [l]e collectivisme[3]» auxquels, à son sens, les assurances sociales pourraient mener. S’il est d’accord, en principe, sur l’existence des assurances médicales, il précise les conditions à partir desquelles les médecins doivent y adhérer. Pour lui, la pratique médicale ne peut exister sans le respect des trois principes fondamentaux qui déterminent la profession, soit la liberté de choix et de thérapie du médecin; le secret professionnel, qui ne doit être violé sous aucun prétexte; et enfin les frais médicaux qui doivent être l’objet d’entente seulement et directement entre le médecin et l’assuré.

Dubé développe tout au long de son mémoire ces trois principes, qu’il considère comme les fondements de l’exercice de la profession médicale. Il remarque que la qualité même des soins dépend du premier principe, le libre choix. Mais, il estime que « le libre choix exclut toute tarification limitative[4]. » Il suggère donc à la Commission « d’établir, pour la profession médicale, un tarif minimum » avec lequel les caisses [chargées de collecter l’argent des assurés] doivent s’ajuster. Il prend soin d’ajouter que « le médecin reste libre de prendre plus[que le tarif minimum] s’il le juge bon, le malade reste libre de consulter le médecin qui prend plus, s’il juge bon de compléter la différence des tarifs[5]. »

Dans le même ordre d’idées, Dubé explique que le libre exercice de la médecine, dont, pour lui, dépend la qualité des soins, « exclut le tiers-payant et toutes les modalités du tiers-payant[6]. » Il fait la différence entre ce qu’il appelle le contrôle du malade et celui du médecin. Pour Dubé, le médecin ne peut être soumis à aucun contrôle. Selon lui, la question du tiers-payant ne se réduit pas simplement à une question de modalités de paiement : « La question n’en est pas une de gros sous, il s’agit de savoir si notre liberté professionnelle pourra s’accommoder de l’inévitable contrôle technique inhérent à l’institution du tiers-payant et si la médecine sociale n’aboutira pas à une médecine pour pauvres[7]. »  

Dubé voit dans ce système de tiers-payant le mal qui menace l’existence même de la profession médicale qui devrait rester « digne et libérale »et non pas se transformer en une organisation collective de soins « où la personnalité du médecin disparaît comme celle du malade.[8] »

Les positions du Dr. Dubé sont en fait similaires à celles de ses collègues au Collège des médecins. Le deux décembre 1932, Dubé signe un mémoire collectif beaucoup plus succinct dans lequel ses collègues du Collège et lui font état des dangers que peut représenter pour la profession médicale le système des assurances sociales.

Mais l’influence du mémoire du Dr. Dubé sur le corps médical sera en définitive de courte durée. Quelques mois après la publication de son mémoire, il fut critiqué de manière fort sarcastique par le Dr. J.-E. Desrochers, lui-même signataire du mémoire collectif. Dans un article publié dans L’Action médicale[9], le Dr. Desrochers passe en dérision l’un après l’autre les différents arguments présentés par son collègue et prend nettement parti en faveur de l’assurance médicale. Il ne voit dans le mémoire de Dubé qu’« un coup d’épée dans l’eau», affirmant que l’auteur ignore totalement les conditions «dans lesquelles fonctionne en cette province l’Assurance-Médicale-Invalidité[10]», et il rappelle que l’assurance ne touchera en fait qu’une catégorie restreinte de gens. Cette précision a vraisemblablement pour objectif de rassurer plusieurs médecins inquiets du fait que les assurances sociales ne transforment, dans les faits, la médecine en une pratique basée sur le collectivisme.

Toutefois, si le mémoire du Dr. Dubé a eu peu d’impact (il n’est pas cité dans le rapport des commissaires), il n’en demeure pas moins que les idées qui y sont développées sont commentées et reprises par d’autres médecins. Ainsi Louis Roux reprend les principaux arguments du Dr. Dubé tout en les nuançant. Son article paru dans l’Action médicale[11] au mois de juillet 1933 fait une analyse critique des propositions de Dubé avec l’intention manifeste de concilier les recommandations des Commissaires avec les préoccupations de Dubé.

L’idée d’une possible étatisation de la médecine inquiétait beaucoup de médecins avant même la parution du rapport de la Commission. Aussi était-il nécessaire de différencier l’assurance sociale (en ce qui a trait à la médecine) telle que proposée par les commissaires et l’étatisation de la médecine. Le Dr. L.-P. Dorval prend soin de montrer la différence irréductible de ces deux pratiques : l’étatisation, explique-t-il, conduit « à l’insouciance, l’indolence, la négligence, qui s’insinuent lentement dans la vie du médecin […] paralysent les efforts qui ont fait jusqu’ici le progrès et les succès de la médecine moderne», alors que la socialisation de la médecine « crée entre les divers groupes intéressés une interdépendance […] avantageuse [quant à] l’entente cordiale [existant parmi] les éléments qui composent l’organisation de l’Assurance Sociale.[12]»

Aussi de 1932 à 1933, année de la parution du dernier rapport, la plupart des médecins acceptaient-ils l’idée d’établir au Québec l’Assurance-Maladie-Invalidité. Ils étaient arrivés à la conclusion, au terme de débats souvent houleux, que cette assurance n’était nullement désavantageuse, qu’elle concernait une certaine frange de la population et que le risque de « tomber » dans une forme d’étatisation de la médecine était pratiquement inexistant. Du moins cette impression se dégage-t-elle d’un texte paru dans la très respectée L’Union médicale du Canada[13] en janvier 1933. Le Dr. Albert LeSage y résume en cinq points les positions qu’il pense être celles de l’ensemble du corps médical. Il précise que les médecins de la province sont d’accord sur le principe de l’assurance maladie, mais effectue quelques précisions qui révèlent l’inquiétude des médecins non seulement au sujet de leur autonomie professionnelle, mais également en ce qui a trait à leurs intérêts financiers. Il met particulièrement l’accent sur le fait que« seule la classe moyenne […] doi(t) bénéficier de l’assurance-maladie », que le principe de la liberté de choix des médecins doit être observé et que les intérêts de ces derniers ne doivent pas être lésés au profit des assurés.

Les médecins n’interviennent pas seulement dans les débats de façon individuelle, les associations médicales prennent également position. Le Dr. Gérin-Lajoie représentant de l’Association médicale du Québec prend la parole lors de la journée d’audiences du 15 octobre 1932 pour mettre en avant les positions de l’Association quant à la forme que l’assurance maladie doit adopter dans la province. D’entrée de jeu, il affirme que les membres de l’Association sont d’avis que l’assurance « doit couvrir la totalité des frais de maladie, c’est-à-dire ceux qu’entraînent les soins du médecin et de la garde-malade, l’hospitalisation, l’emploi des produits pharmaceutiques et les soins du dentiste[14].» Il précise que cette assurance, dont l’association voit la nécessité, ne doit bénéficier qu’à la classe moyenne parce que « c’est la classe qui, dans les conditions normales, est capable de payer les dépenses ordinaires de la vie[15]». Par conséquent, il propose, au nom de l’Association, que l’assurance soit obligatoire pour cette classe, et que la classe dite indigente devrait continuer à se faire soigner par l’Assistance publique.

L’intervention de Gérin-Lajoie montre clairement à quel point l’Association s’inquiète de devoir prendre en charge les personnes qui ont de la difficulté à payer les frais médicaux. Parmi ces personnes, on trouve non seulement les « indigents » (si l’on tient compte de la définition de l’indigence donnée en 1940 par la loi de l’Assistance publique, une bonne partie de la population québécoise durant la période de la grande crise en fait partie[16]), mais aussi les travailleurs agricoles qui, aux yeux du Dr. Gérin-Lajoie, représente une classe difficile à considérer comme « une classe d’assurés sociaux[17]». Dans les faits, l’Association ignore si cette classe paysanne, qui « retire sa subsistance de son travail, [qui a] ses produits, sa nourriture[18] » peut défrayer les coûts de l’assurance-maladie.

Pour l’Association, trois parties sont à considérer dans l’assurance maladie : a) « l’État, ou la commission que l’État autorise à administrer le système; b) l’assuré; c) la profession médicale, les hôpitaux, etc., qui fournissent leurs services à l’assuré[19]. » Elle reprend également pour l’essentiel les idées du Dr Dubé concernant le rapport entre le médecin et son patient, sauf que contrairement à Dubé, l’Association propose que le médecin rende « des comptes à l’État […] et que celui-ci paie les honoraires[20]. » 

Un autre problème préoccupant pour le corps médical est celui lié à l’abus de l’assurance-maladie : comment savoir quand le patient recouvre la santé ou encore s’il fait semblant d’être malade pour prolonger son congé de maladie? Dans sa déposition[21] à la Commission, le Dr Lesage explique qu’en Allemagne beaucoup de gens abusent du système en continuant à se déclarer malades alors qu’ils sont guéris. Ce manque de confiance envers les gens pauvres est récurrent dans les dépositions faites à la Commission.

Les demandes et les revendications devenaient plus élaborées et plus précises à mesure que d’autres parties intervenaient dans les audiences de la Commission. Dans un mémorandum soumis à la Commission par la « Fédération » (des sociétés médicales de la province[22]), plusieurs points concernant l’assurance-maladie sont abordés. Le mémorandum précise que le rôle de l’État est de « former des cadres dans lesquels devront se mouvoir les différents organismes nécessaires au fonctionnement de l’assurance : légiférer mais laisser l’exécution à ces organismes qui devront eux-mêmes s’affranchir des procédés d’une hiérarchie bureaucratique[23]». Il réclame également l’assurance obligatoire « pour tous les travailleurs dont le salaire est inférieur au total de revenus suffisants pour parer aux risques de la maladie[24]. »  Il demande que la classe aisée soit exclue des assurances sociales parce qu’il considère injuste que cette classe bénéficie « des services de la profession médicale à des taux réduits. » 

Pour parer aux abus, le mémorandum recommande « un délai de carence et un ticket modérateur », le premier devrait s’établir sur cinq jours « pour les prestations en espèces (versement de l’indemnité); les prestations en nature (soins médicaux) devant être payés (sic) dès le début de la maladie »; le ticket modérateur est un moyen de « contrôle naturel des relations entre médecins et assurés, ces derniers doivent contribuer dans une proportion de 10 à 20% aux prestations pour soins médicaux. » En ce qui concerne la rémunération du médecin, le mémorandum précise que le système du tiers-payant est préférable à celui du paiement direct entre patient et médecin. Ici encore le manque de confiance envers les gens qui perçoivent un salaire modeste est manifeste : « Dans notre pays où l’imprévoyance règne, du moins chez les petits gagne-pain qui relèvent des assurances sociales, les montants alloués pour le paiement des honoraires pourraient être détournés de leurs fins[25]. »

Le contexte social

Tous ces débats autour de la Commission Montpetit s’inscrivent dans un contexte social difficile, celui de la Grande Crise. Pour mieux situer historiquement les positions du corps médical, il faut procéder à une analyse surtout des idées dominantes de l’époque, en particulier celles de l’Église catholique qui mène une lutte acharnée contre la montée du socialisme et des revendications sociales. Il est nécessaire aussi d’analyser les propositions que les tenants du pouvoir mettent en avant pour une sortie de crise.

Au début des années 1930, toute une série d’articles paraît dans la presse, illustrant à quel point les discussions sur les causes de la grande crise et sur les différentes propositions pour résoudre cette crise occupaient une place primordiale dans la grande presse de l’époque. Ces discussions ont eu certainement des répercussions sur la Commission et ont influencé les décisions à prendre quant à l’élaboration de l’assurance sociale dans son ensemble, y compris celle qui touche la maladie.

Il est intéressant de remarquer en premier lieu comment des auteurs d’articles, particulièrement des médecins, en toute apparence bien intentionnés, font des recommandations pour éduquer le peuple en ce qui a trait à la prévoyance et à l’hygiène. C’est ainsi que le Dr Adrien Plouffe préconise avec force « l’enseignement de l’hygiène au peuple », qu’il faut lutter contre « l’apathie effarante de certains parents canadiens-français [qui] somnolent dans une négligence proverbiale […] s’enlisent dans un entêtement qui ferait sortir hors de ses gonds le plus patient des médecins hygiénistes [et que] nos braves compatriotes comprennent moins l’importance de l’hygiène dentaire et de l’hygiène en général que les autres races[26]. »

Dans un autre article publié dans L’Action médicale, le peuple est invité à comprendre les principes d’hygiène et de la médecine préventive, à les incorporer dans leur manière de vivre : « Cet apanage de connaissance doit devenir la propriété commune du peuple, possession inaliénable sur laquelle il dirigera son attention et appliquera ses efforts en vue de corriger les erreurs de son gouvernement physique[27]. » En pleine crise économique où une bonne partie de la population trouve à peine de quoi survivre, ces idées peuvent paraître saugrenues. Elles permettent toutefois de comprendre la perception de la crise par un secteur de la petite bourgeoisie et la façon dont ce secteur essaie de culpabiliser ceux-là mêmes qui en sont victimes et qui en portent le fardeau. Pour plusieurs journalistes et médecins, la situation difficile dans laquelle se trouve la classe ouvrière est le résultat de son ignorance et de son manque d’éducation. Selon eux, la solution passe par l’école : non seulement le peuple doit être éduqué pour prendre soin de son corps, mais aussi pour apprendre à épargner : « De même que la science de l’hygiène s’occupe uniquement des phénomènes médicaux d’ordre général, ainsi l’Hygiène Économique envisagera les affinités entre les groupements divers, et non pas seulement, les besoins économiques nettement délimités des individus[28]».

Outre ce souci d’apprendre au peuple le « savoir-vivre », parmi les autres propositions visant à enrayer durablement la crise, il y a « le retour à la terre ». Une série d’articles traite de la nécessité d’encourager « nos fils de cultivateurs[29] » qui sont dans les villes de retourner à la terre. À travers le Canada, « le retour à la terre » est encouragé par le plan Gordon qui propose une « augmentation du budget provincial de colonisation[30]». L’Association catholique de la jeunesse canadienne-française (ACJC) publie une chronique dans le Devoir qui porte sur la nécessité de réhabiliter les terres abandonnées avant de considérer d’établir des colons sur d’autres terres[31].

Il est évident que le nombre croissant de chômeurs dans les villes fait peur aux tenants du pouvoir et à la petite bourgeoisie qui se sentent dépassés par la crise. L’agriculture est perçue comme un exutoire. Elle n’est certes pas une réelle solution à la crise, mais elle est un moyen pour l’État de réduire le nombre de chômeurs dans les villes et permettrait théoriquement « au plus grand nombre de produire les nécessités de la vie [et ainsi d’éviter aux autorités] de construire des prisons pour contenir toute cette jeunesse qui ne sait que faire de sa vie[32]».

Certes, plusieurs textes, écrits surtout par les membres du clergé, dénoncent « les abus du capitalisme[33]», le contrôle de la politique par le capital, la cupidité et l’exploitation des travailleurs, mais tout cela est perçu sous l’angle de la dégénérescence morale. Pour une partie du clergé du moins, les seules solutions possibles à cette crise passent par la générosité et la moralité chrétienne[34].

Recommandations de la Commission Montpetit

Toute cette conjoncture influence grandement l’orientation des débats quant aux formes d’assurance maladie qui doivent être adoptées. Et même si ces débats sont dominés par la petite bourgeoisie et le clergé, ils donnent l’occasion de remettre en question une certaine idéologie de la pratique médicale qui considérait la maladie comme relevant uniquement de l’individu. Dans le contexte de la crise, la perception d’une responsabilité sociale de la maladie devenait de plus en plus manifeste. Il était devenu impossible aux classes dominantes de ne pas en tenir compte. Une réforme de la pratique médicale s’imposait. Pour les tenants du pouvoir, la question était de savoir comment y procéder sans pour autant « tomber » dans le collectivisme ou l’étatisme, en d’autres mots, sans léser les intérêts du secteur privé.

La Commission Montpetit fournit la réponse à ces problèmes. Dans leurs recommandations, les commissaires reconnaissent que toutes les assurances sociales, « en retour d’une cotisation, imposée ou non, protègent l’assuré contre certains risques comme la maladie, l’invalidité,l’accident, la vieillesse et le chômage[35]». Ils suggèrent que le régime obligatoire soit introduit au Québec – mais graduellement, parce qu’on devrait « tenir compte du caractère du canadien français qui est individualiste et qui ne se détermine que lentement à subir une évolution sociale[36]». Ils recommandent « de recourir à la liberté subsidiée avant d’atteindre à l’obligation[37]. »

Entre temps, ils suggèrent d’établir l’assurance maladie sur le modèle de la Société nationale d’hospitalisation, c’est-à-dire en donnant d’abord à l’assuré uniquement des soins médicaux (sans prestations en argent), ce qui permettrait de limiter le nombre de jours passés en maladie; ensuite, en donnant la possibilité d’alléger l’assistance publique des frais médicaux pris en charge par la Société.

Cette « solution de milieu[38]», malgré les inquiétudes qu’elle souleva initialement auprès de certains membres du corps médical, s’inscrit dans la logique du système privé. D’une part, elle permet aux systèmes d’assurances privées de prendre en charge les ouvriers incapables de s’assurer eux-mêmes, mais suffisamment rémunérés pour ne pas avoir accès à l’assistance publique. D’autre part, en incluant une partie de la classe ouvrière (celle capable de payer), elle donnerait l’impression que la pratique médicale était devenue plus accessible aux classes défavorisées.

Conclusion

Dans le contexte de la Grande Crise, la Commission Montpetit s’inscrit dans le mouvement de réformes sociales qui eut lieu dans les pays industrialisés. Au Québec comme ailleurs au début des années 1930, une grande partie de la population se trouve dans une situation très précaire. Dans la province, les formes prises par l’assurance-maladie avaient connu une certaine évolution de la fin du 19e siècle jusqu’à la fin des années 1920, évolution caractérisée surtout par un contrôle croissant du secteur privé sur le système de santé. Ce système, qui d’ailleurs n’offrit une couverture médicale qu’à une infirme partie de la population, était devenu totalement inefficace dans les années 1930. Une réforme s’avérait nécessaire.

Le gouvernement Taschereau, en confiant à la Commission Montpetit le mandat d’effectuer une étude comparative entre certains programmes sociaux européens et ceux du Québec avec pour objectif de faire des recommandations pour l’élaboration d’une loi sur l’assurance-maladie, semble reconnaître, par ce fait même, la nécessité de la réforme. Toutefois, celle-ci prit forme dans un contexte de débats souvent houleux et de pressions sociales importantes. La conception dominante au début du 20e siècle qui considère la cause de la maladie comme relevant uniquement de l’individu est ébranlée; la réforme devrait prendre en considération des caractéristiques sociales de la maladie et proposer des solutions qui en tiendraient compte.

Cependant, si les audiences de la Commission donnèrent lieu à des débats qui laissaient voir la nécessité d’une réforme du système de santé, ces discussions étaient dominées essentiellement par les membres du corps médical et ceux de la petite bourgeoisie, dont les intérêts étaient concrètement attachés au système de la médecine libérale. Tout cela orienta la réforme du système de santé vers une consolidation de la médecine libérale, qui cette fois-ci, en offrant une certaine couverture médicale à une partie de la classe ouvrière, se présentait comme le système qui pouvait offrir efficacement des soins médicaux au plus grand nombre. Cette approche de la pratique médicale, renforcée par les recommandations de la Commission, allait dominer le système de santé au Québec jusqu’au début des années 1960.

Pour en savoir plus

Bernard Vigod, Taschereau, (Québec, Les éditions du Septentrion, 1996).

Yvan Rousseau, « Le commerce de l’infortune : Les premiers régimes d’assurance maladie au Québec 1880-1939 », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 58, no. 2 (2004), p. 45.

Yves Vaillancourt, L’évolution des politiques sociales au Québec, 1940-1960, (Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1988), p. 70.

Martin Petitclerc, « De la médecine libérale mutualiste à la médecine sociale coopérative », Les IIIe Rencontres européennes MGM Paris 2005, p. 74 à 76.

Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert, François Ricard, Histoire du Québec contemporain, le Québec depuis 1930, tome II, (Montréal, Boréal, 1989).

Alvin Finkel, Social Policy and Practice in Canada, (Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, 2006).

Dennis Guest, Histoire de la sécurité sociale au Canada, (Montréal, Boréal, 1993).

François Baillargeon, « La crise de la médecine libérale et le débat sur les assurances sociales au Québec de 1925 à 1945 à travers les pages du journal l’Action médicale », mémoire de maîtrise, Département d’histoire, Université du Québec à Montréal, 2009.


[1] Province de Québec, Commission des Assurances sociales de Québec, Septième rapport, Publié par ordre de l’Honorable Ministre du Travail, 1933, p. 39.

[2] L.F. Dubé, Les Assurances Sociales et les Médecins praticiens, Mémoire présenté    à la Commission des Assurances Sociales, Montréal, le 3 décembre 1932.

[3] Ibid., p. 31

[4] Ibid., p. 5.

[5] Ibid., p. 8.

[6] Ibid. p. 8. Rappelons que le tiers-payant est un organisme qui paie totalement ou partiellement les sommes dues par l’assuré au médecin ou aux établissements de soins. 

[7] Ibid., p. 10.

[8] Ibid., p. 11.

[9] Dr. J.-E. Desrochers, « Réponse au Mémoire du Dr. Dubé », L’Action Médicale, Montréal, mars 1933, p. 41 à 42.

[10] Ibid. p. 41.

[11] Louis Roux, « Les assurances Sociales d’après le Docteur L.F. Dubé », L’Action Médicale, Montréal, juillet 1933, p. 121 à 123.

[12] Dr. L.P. Dorval, « Socialisation versus Étatisation », L’Action Médicale, Montréal, juillet 1932, p. 353 à 354.

[13] Albert LeSage, « Les médecins et l’assurance maladie », L’Union Médicale du Canada, Montréal, janvier 1933, Tome LXII, n°1, p. 15 à 17.

[14] Commission des Assurances sociales de Québec, Procès verbal, Séance du 15 octobre 1932, p. 9.

[15] Ibid. p. 10.

[16]  Yves Vaillancourt, op. cit. p. 106.

[17] Commission des Assurances sociales de Québec, Procès verbal, Séance du 15 octobre 1932, p. 13.

[18] Ibid. p. 13.

[19] Ibid. p. 23.

[20] Ibid. p. 24.

[21] Commission des Assurances sociales de Québec, Procès verbal, Séance du 15 octobre 1932, Déposition du Dr Lesage.

[22] « Mémorandum de la ‘Fédération’ sur les assurances sociales » L’Action médicale, octobre 1932, p. 400-401.

[23] Ibid. p. 400.

[24] Ibid.

[25] Ibid. p. 401.

[26] Adrien Plouffe, « Éduquons le peuple », L’Action médicale, Montréal, octobre 1933, p. 176.

[27] « Prévoyance, Assurances sociales, Médecine préventive », L’Action Médicale, Montréal, août 1932, Vol. VIII, n°8, p. 361.

[28] Dr. J.-A. Mireault, « Prévoyance et assurances sociales », L’Action médicale, Montréal, juillet 1932, p. 342.

[29] Albert Rioux, « Nos fils de cultivateurs », Le Devoir, 21 novembre 1933.

[30] « Le retour à la terre », Le Devoir, 13 septembre 1933.

[31] Adrien Gratton, « La terre qui meurt », Le Devoir, 14 septembre 1933.

[32] Albert Rioux, « Un programme », Le Devoir, 14 septembre 1933.

[33] R.P. Chagnon, « Les abus du capitalisme », Le Devoir, 15 novembre 1933.

[34] Chronique de l’A.C.J.C., « Crise économique ou crise morale », Le Devoir, 22 novembre 1933.

[35] Province de Québec, « Commission des Assurances sociales de Québec, Septième rapport », Publié par ordre de l’Honorable Ministre du Travail, 1933.

[36] Ibid. p. 317.

[37] Ibid.

[38] Ibid. p. 319.