Notre terre : 150 ans de colonialisme

Publié le 24 septembre 2019

Affiche et texte de Lianne Marie Leda Charlie
Traduction de Marie-Laurence Rho

Au mois de janvier 2017, le Graphic History Collective (GHC) a lancé Remember | Resist | Redraw: A Radical History Poster Project, un projet destiné à offrir une perspective artistique et critique aux conversations entourant Canada 150. Le projet a continué en 2018 et 2019, et est toujours en cours aujourd’hui.

Réalisée par Lianne Marie Leda Charlie, l’affiche qui a lancé la série offre un regard critique du colonialisme au Yukon.

« Nous considérons toujours que le Yukon est notre terre », ont écrit les peuples autochtones du Yukon dans Together Today for Our Children Tomorrow (Ensemble aujourd’hui pour nos enfants demain), un document réalisé par le Conseils des Indiens du Yukon (aujourd’hui Conseil des Premières Nations du Yukon) et soumis au premier ministre Pierre Elliott Trudeau en 1973. Le document décrit une série de réclamations adressées par les peuples autochtones du Yukon aux gouvernements fédéral et territorial au sujet du mauvais traitement infligé aux personnes, à la terre, à l’eau et aux animaux. Pour remédier à ces mauvais traitements, les Autochtones du Yukon ont invité les gouvernements coloniaux pour négocier leurs revendications territoriales. Aujourd’hui, 11 des 14 Premières Nations du Yukon sont autonomes et ont signé des accords de revendications territoriales avec les gouvernements du Yukon et du Canada en vertu de l’Accord-cadre définitif, un traité moderne.

En vertu de l’Accord-cadre, les Premières Nations du Yukon disposent maintenant de divers pouvoirs administratifs et législatifs sur les terres visées par cette réglementation. Alors que la Loi sur les Indiens et le gouvernement territorial détenaient autrefois le contrôle sur la citoyenneté, l’éducation, la santé et la justice; ces secteurs tombent à présent sous la juridiction des Premières Nations. Dans la politique autochtone contemporaine, certains considèrent cette concession de droits comme une victoire sans précédent. Nombreux sont ceux qui célèbrent l’Accord-cadre définitif pour avoir permis d’étendre, de façon significative, une série de pouvoirs de juridiction aux Premières Nations du Yukon. Cependant, les négociations avec l’État colonial ainsi que la signature de revendications territoriales et d’accords d’autonomie gouvernementale ont coûté cher aux Premières Nations. Dans le cadre de l’accord, le Canada a inclus une clause « céder, libérer et abandonner » (le texte exact apparaît sur mon affiche), ce qui signifie qu’en échange du fait que l’État accorde aux peuples autochtones certains pouvoirs et droits législatifs sur les terres visées par l’accord (8% du territoire), les Premières Nations doivent quant à elles « céder, libérer et abandonner » leurs droits sur le reste de leurs terres ancestrales. On réfère dorénavant à ce territoire comme aux terres non régies par l’accord, celles-ci étant en grande partie régies par l’État. Ce territoire est cartographié, arpenté, nommé, renommé, divisé, miné, vendu, loué, développé, visité, exploré et revendiqué par les colons.

L’accord-cadre définitif est donc une arme (coloniale) à double tranchant. Il garantit aux peuples autochtones le contrôle local sur des questions importantes, mais il cède également une grande partie de nos terres à l’État colonial qui les vend à des développeurs et à des compagnies qui y extraient des ressources naturelles. La population, la terre, l’eau et les animaux continuent donc d’être menacés par le colonialisme et l’expansion du capitalisme. Sur papier, une grande partie de nos terres et de nos cours d’eau a été cédée à l’État colonial. Toutefois, comme le montre mon affiche, dans nos cœurs, nos corps et nos gestes quotidiens, nous considérons toujours, à l’instar des peuples autochtones du Yukon de 1973, que le Yukon est notre territoire. En continuant d’y vivre et d’y travailler, tel que représenté par la femme qui déchire la peau d’orignal sur mon affiche, nous affirmons notre existence, en tant que peuple autochtone, face à 150 ans de colonialisme au Canada (toujours en cours).

Lianne Marie Leda Charlie est une descendante du peuple Tagé Cho Hudän (peuple de la Grande Rivière), qui parle le tutchone du Nord. Elle est la petite-fille de Leda Jimmy de Little Salmon River et Big Salmon Charlie de Big Salmon River, du côté paternel, et de Donna Olsen du Danemark et Benjamin Larusson d’Islande du côté maternel. Elle est née à Whitehorse au Yukon. Ses parents sont Luanna Larusson et Peter Charlie. Lianne est enseignante en sciences politiques au Yukon College de Whitehorse. Elle est présentement candidate au doctorat en politique autochtone à l’Université de Hawai`i à Monoa.

Pour en savoir plus

Alcantara, Christopher. Negotiating the Deal: Comprehensive Land Claims Agreements in Canada. First Edition. Toronto: University of Toronto Press, Scholarly Publishing Division, 2013.

Coulthard, Glen Sean. Red Skin, White Masks: Rejecting the Colonial Politics of Recognition. Minneapolis: University of Minnesota Press, 2014.

Irlbacher-Fox, Stephanie. Finding Dahshaa: Self-Government, Social Suffering, and Aboriginal Policy in Canada. Vancouver: UBC Press, 2009.

Nadasdy, Paul. Hunters and Bureaucrats: Power, Knowledge, and Aboriginal-State Relations in the Southwest Yukon. Vancouver: UBC Press, 2003.