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Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

L’assurance-maladie à l’époque de la Grande Dépression : Une analyse historique de la Commission Montpetit

Par Alain Saint-Victor, historien

Rapports de la Commission, 1933 (Crédit : BANQ numérique)

La Commission Montpetit

En décembre 1932, sous la présidence de l’économiste Édouard Montpetit, la Commission des assurances sociales de Québec soumet son septième et dernier rapport au gouvernement du premier ministre Taschereau. L’objectif des commissaires est de faire des recommandations au gouvernement quant au modèle d’assurance-maladie-invalidité qui doit être adopté dans la province. Il y est mentionné que « l’assurance sociale existe [déjà][1]» au Québec et qu’elle est libre contrairement à celles qui existent dans certains pays européens. Pour le gouvernement, une comparaison entre les deux modèles d’assurance s’avérait nécessaire. Avant même d’effectuer les recommandations en vue de procéder à une législation, la Commission a décidé de faire une étude comparative du système qui existe au Québec avec les systèmes européens.

Au départ, il s’agit pour la Commission de centrer la discussion sur l’assurance maladie autour de la question de l’obligation ou pas du régime de l’assurance maladie. En aucun cas dans le rapport, il n’est fait mention d’étatiser le système de santé. La question centrale qui a orienté les débats lors des audiences était de voir si l’assurance maladie obligatoire était une option et sinon comment adopter une assurance basée sur la médecine privée qui puisse répondre aux attentes d’une partie de la population.

Débats  

Pour mieux comprendre les recommandations de la Commission, il faut analyser les audiences qui se sont déroulées au cours de son mandat. Dans un mémoire[2] présenté à la Commission, le vice-président du Collège des Médecins et Chirurgiens de la Province de Québec, le Dr. L.-F. Dubé, prend clairement position contre « [l]’étatisme et [l]e collectivisme[3]» auxquels, à son sens, les assurances sociales pourraient mener. S’il est d’accord, en principe, sur l’existence des assurances médicales, il précise les conditions à partir desquelles les médecins doivent y adhérer. Pour lui, la pratique médicale ne peut exister sans le respect des trois principes fondamentaux qui déterminent la profession, soit la liberté de choix et de thérapie du médecin; le secret professionnel, qui ne doit être violé sous aucun prétexte; et enfin les frais médicaux qui doivent être l’objet d’entente seulement et directement entre le médecin et l’assuré.

Cheminement historique de l’institutionnalisation de l’anti-haïtianisme dominicain (1929 -2015)

Par Emmanuel Prezeau, département d’histoire, Institut d’études et de recherches africaines d’Haïti (IERAH), Université d’État d’Haïti (UEH)

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Considérées comme les deux ailes d’un même oiseau, les Républiques Dominicaine et d’Haïti partagent une seule île et devraient chercher des stratégies pour arriver à une cohabitation paisible et complémentaire. Séparée par un peu plus de 300 km de frontière, la République Dominicaine a un niveau de vie considérablement plus élevé que celui d’Haïti, ce qui fait d’elle l’une des premières destinations des Haïtiens.nes fuyant la pauvreté. Pour pallier ce problème de migration les dirigeants dominicains ont mis sur pied un ensemble de stratégies en vue d’empêcher l’intégration des Haïtiens.nes, et la propagation de leur culture dans la société dominicaine. Parmi ces stratégies, figure l’adoption et la publication de l’arrêt TC/0168-13 en 2013 dont le but est de dénationaliser les Dominicains d’origine haïtienne et le lancement de la construction, le 20 février 2022, d’un mur de 170km par le gouvernement dominicain le long de la frontière avec Haïti, en vue de stopper la migration clandestine des Haïtiens.nes fuyant l’insécurité et la misère. Ainsi, cet article propose de mettre en lumière le cheminement historique de l’institutionnalisation de l’anti-haïtianisme en République Dominicaine entre 1929 et 2015.

L’anti-haïtianisme a commencé à être propagé parmi les classes populaires qu’à partir de la période d’industrialisation sucrière et de la culture de la canne, au début du 20e siècle[1]. Ainsi, la propagation de l’anti-haïtianisme crée un sentiment de rejet de l’un et de l’autre peuple chez certains groupes nationalistes dans les deux républiques. Il faut noter qu’en République Dominicaine des actes racistes anti-haïtiens ont été recensés tout au long du 20e siècle, surtout après la délimitation frontalière de 1929. Ces actes de répressions racistes débutent avec le massacre des Haïtiens.nes et de certains Dominicains.nes noirs.es en octobre 1937. Notons aussi les déportations massives en violation des droits humains vers la fin des années 1990. Ainsi, en décembre 1999, les deux gouvernements ont signé un accord sur les mécanismes de rapatriement. Mais malgré cela, au début des années 2000, l’anti-haïtianisme prend une autre dimension. Durant les deux premières décennies du 21e siècle, les Dominicains.nes ont non seulement continué avec les déportations massives ne respectant pas les droits humains, mais aussi des ressortissants.es haïtiens.nes ont été victimes de violences organisées, tués.es ou chassés.es de la République Dominicaine. Puis, dans l’idée d’extrémiser de plus en plus l’anti-haïtianisme et de l’institutionnaliser, un arrêt a été soumis par la présidence dominicaine et adopté par le tribunal constitutionnel en septembre 2013, dénationalisant environ 250 000 Dominicains.nes d’origine haïtienne qui ont acquis la nationalité dominicaine depuis 1929.

La naissance d’une race (1919) : incursion dans la pensée racialiste bioculturelle de Lionel Groulx

Page titre de la naissance d'une race 1919

Par le collectif 4000, Université de Montréal1

Résumé : Certains écrits de l’historien Lionel Groulx ont fait polémiques dès leur parution en raison de leur caractère présumément raciste. Depuis, les controverses à ce sujet semblent sans fin. Comment sortir de cette impasse tant politique qu’historiographique ? Cet article, après avoir passé en revue les principales études consacrées au problème, propose une solution théorique. Plutôt que de chercher à évaluer si la doctrine du prêtre-historien est raciste, il veut, plus modestement, mais surtout plus précisément, apprécier comment l’un de ses textes, La naissance d’une race (1919), peut être inséré à l’intérieur de la pensée racialiste des XIXe et XXe siècles. L’article conclut que La naissance d’une race se rattache expressément à un racialisme bioculturel classique.

Mots-clés : Lionel Groulx, Race, Racialisme, Canadiens-français, Historiographie, Discours


La pensée de Lionel Groulx a été qualifiée de raciste dès 19222. L’accusation fait depuis figure de serpent de mer. Elle plonge régulièrement dans un certain embarras les institutions qui ont hérité des traces de la vague commémorative alimentée autour du prêtre-historien durant le premier mandat du Parti Québécois3. On a ainsi vu récemment à Montréal, dans la foulée du réveil du suprémacisme blanc et, conséquemment, du combat antiraciste, resurgir des propositions visant à débaptiser la station de métro Lionel-Groulx4. Ce genre de demandes a suscité une nouvelle levée de boucliers de la part d’acteurs qui entendent défendre la mémoire d’une figure intellectuelle majeure du nationalisme canadien-français5. Nous sommes donc devant un autre épisode de la difficile gestion d’un « héritage controversé6 », débat mémoriel qui ne semble pas près de s’éteindre en raison de sa charge émotive et de la teneur même des écrits de Lionel Groulx, qui offrent amplement matière à polémique. Car, d’une part, ce dernier manipulait bel et bien le champ notionnel issu du racisme, mais, d’autre part, il n’en a jamais fait un outil de propagande haineuse non plus que, pour reprendre les mots de l’historien Pierre Anctil, « l’unique rationalité de sa pensée politique et sociale7 ».

Comment explorer le sujet de la race chez Groulx en gardant la tête froide ? La distinction entre racisme et racialisme proposée notamment par Tzvetan Todorov8, dans un livre qu’il faisait paraître en 1989, permet d’étudier la manipulation par Groulx du concept de race sans pour autant avoir à traiter la question de son racisme éventuel. En effet, Todorov fournit une généalogie du racialisme comme doctrine de la pensée raciale. Groulx étant un intellectuel, nous proposons de procéder dans ce texte à une séparation des idées et des comportements, tout en reconnaissant que nous laissons ainsi en suspens le problème crucial du rapport entre intellectualité et pratique. Notre propos se bornera, dans le cadre de cet article, à établir que le cadre idéologique employé par l’abbé dans l’un de ses premiers livres d’histoire (La naissance d’une race, paru en 1919) était racialiste.

Du documentaire au théâtre, note sur deux évènements où l’histoire lesbienne et queer est au-devant

Fallon Rouillier, Candidat.e à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal

Source : www.pleurerdansdouche.com et ALQ, Fonds; Affiches AHLA, 198.

Alors que la pièce de théâtre Ciseaux, créée et mise en scène par Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau, mobilise l’archive au théâtre, le documentaire Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui. 40 ans plus tard, réalisé par Dominique Bourque, Johanne Coulombe et Julie Vaillancourt, constitue en soi un précieux document d’archives. Ces deux initiatives, bien qu’empruntant des perspectives différentes, ont retenu l’attention car elles abordent l’histoire lesbienne et queer dans la sphère culturelle.

La pièce Ciseaux, en salle au théâtre Espace Libre, du 15 novembre au 3 décembre 2022, met en scène des moments marquants de l’histoire LGBTQ2IA2+ à Montréal selon une perspective féministe, portée par deux « lesbo-queer woke », tandis que le documentaire Amazones d’hier, lesbiennes d’aujourd’hui. 40 ans plus tard présenté le 19 novembre 2022 dans le cadre du 35e festival Image+Nation, retrace l’histoire du lesbianisme politique à Montréal.

Source : www.pleurerdansdouche.com et ALQ, Fonds; Affiches AHLA, 198.

Le travail gratuit chez les étudiant·es aux cycles supérieurs : que peuvent nous apprendre les mouvements wages for ?

Camille Robert, doctorante et chargée de cours en histoire, Université du Québec à Montréal

Quand on m’a offert d’écrire un court essai sur la précarité, je venais tout juste de refuser une invitation à travailler, sans rémunération, comme consultante pour un musée. Avec un pas de recul, j’y ai vu l’occasion d’explorer une question qui me tiraille depuis plusieurs années, soit le travail gratuit des étudiant·es aux cycles supérieurs en histoire1. Je propose de l’examiner ici à la lumière de mes recherches sur le travail invisible des femmes et des luttes pour la rémunération du travail étudiant.

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