Par tous les moyens nécessaires : l’assassinat de Constant Melançon, Acadien louisianais, par Toussaint, son esclave et camarade d’enfance

Publié le 29 mars 2018
Clint Bruce

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Bruce, C. (2018). Par tous les moyens nécessaires : l’assassinat de Constant Melançon, Acadien louisianais, par Toussaint, son esclave et camarade d’enfance. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=8061

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Bruce Clint. "Par tous les moyens nécessaires : l’assassinat de Constant Melançon, Acadien louisianais, par Toussaint, son esclave et camarade d’enfance." Histoire Engagée, 2018. https://histoireengagee.ca/?p=8061.

Par Clint Bruce, professeur adjoint à l’Université Sainte-Anne et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et transnationales (CRÉAcT)*

Le fleuve Mississippi près des terres de l’ancienne sucrerie de C. P. Melançon et Cie, situées sur la rive opposée. Photo de l’auteur.

Résumé

La version la mieux connue de l’histoire des Acadiens présente celle d’une petite nation francophone qui, déportée en masse par le pouvoir britannique en 1755, a beaucoup souffert et résiste encore à son assimilation. Sans que ce récit soit faux, la réalité est loin d’être aussi simple si nous considérons la Louisiane, où de nombreux Acadiens et leurs descendants sont devenus des maîtres esclavagistes. Afin d’élucider cette dimension de l’expérience acadienne en contexte états-unien, nous examinerons un incident survenu en 1858, à la veille de la guerre de Sécession : le meurtre de Constant Melançon, planteur d’ascendance acadienne, aux mains de Toussaint, un esclave créole qui avait grandi avec lui. Nous retracerons la destinée de la famille Melançon sur la « Côte des Acadiens », région sucrière sur le Mississippi, tout en mettant en lumière les pratiques de résistance qui se développent chez les personnes d’origine africaine tenues en esclavage.

Mots-clés

esclavage; Louisiane; Acadiens; résistance; plantations; sucre; presse francophone


L’état de l’esclavage étant purement passif, sa subordination envers son maître, et tout ce qui le représente, n’est susceptible d’aucune modification ni restriction, excepté ce qui peut porter ledit esclave au crime, en sorte qu’il doit à son maître un respect sans bornes et une obéissance absolue.

               – Code noir de Louisiane, 1806

Un temps lourd et chaud pèse sur ce lundi après-midi du mois de juillet. Après le bal du dimanche, divertissement hebdomadaire des esclaves des plantations de la paroisse Saint-Jacques en Louisiane, il faut reprendre les tâches qui s’imposent pendant que la canne à sucre pousse dans les champs : nettoyer les patates douces, cueillir les premiers épis de maïs qui mûrissent, veiller à l’entretien des bâtisses, des chemins et des levées, ces digues vouées à retenir les crues du Mississippi. Des inondations ont d’ailleurs déjà menacé la récolte de plusieurs plantations de la région[1]. De plus en plus sombres, d’épais nuages annoncent l’orage lorsque Toussaint, « nègre créole » âgé de 35 ans et né sur l’habitation des Melançon sur les rives du fleuve, voit surgir Constant. Son maître se met à l’accabler de reproches : il vient de découvrir des marchandises volées, croit-il, du magasin de Félix Melançon, un cousin éloigné. Ce méfait, d’une telle insolence, Toussaint va le payer.

Malgré des divergences dans les détails fournis par la presse de l’époque, ce qui se passe ensuite peut se résumer à une suite de faits simples. Constant a voulu attacher Toussaint pour lui infliger une correction. Il n’aura suffi que d’un instant d’inattention de la part du maître pour que l’esclave se saisisse d’un marteau avec lequel il frappe ce premier, qui tombe par terre. Au moment de s’enfuir, Toussaint remarque que Constant s’efforce de se relever : c’est alors qu’il revient sur ses pas pour lui asséner un coup mortel. Il se sauve. Un autre Noir court prévenir la famille et la traque est lancée. Désespéré, Toussaint se jette dans le Mississippi où il se noie dans les eaux du fleuve.

Les funérailles de Constant Paul Melançon, descendant d’Acadiens réfugiés en Louisiane au siècle précédent, ont lieu le lendemain, le 27 juillet 1858 : « Beaucoup de monde », lit-on comme description dans le journal de son beau-frère, Jean-Baptiste Ferchaud[2]. La population blanche se désole de la mort d’un concitoyen respecté aux mains d’un « nègre qui avait été élevé avec lui, et pour lequel il avait eu trop de bontés », selon un journal local[3]. Tandis que plusieurs s’indignent, d’autres sentent passer comme un frisson d’inquiétude…

Le Meschacébé, 31 juillet 1858.

Fait divers qui, à notre connaissance, n’a jamais été relevé par les historiens – bien qu’il ait provoqué pas mal de remous à l’époque –, la séquence d’événements que nous venons de décrire cumule plusieurs pratiques de résistance étudiées par les spécialistes de l’esclavage : le vol, l’emploi par Toussaint de sa force pour empêcher un acte de violence sur sa personne, le meurtre de son oppresseur qui avait autrefois été son camarade d’enfance, la fuite et enfin le suicide jugé préférable au lynchage ou à la sentence de mort. De tels recours ne sont pas sans rappeler l’un des plus célèbres discours de Malcolm X qui revendiquera, en empruntant à Jean-Paul Sartre une formule percutante, le droit fondamental de tous les Afro-Américains « d’être un être humain, d’être respecté en tant qu’être humain dans cette société, sur cette terre, en ce jour même – ce que nous avons l’intention de réaliser par tous les moyens nécessaires[4]. »

Passionnante et tragique étude de cas des dynamiques de l’univers esclavagiste aux États-Unis, l’assassinat de Constant Melançon par Toussaint présente pour nous un intérêt plus spécifique, et qui concerne de plus près la mémoire de l’Amérique francophone, notamment de l’héritage acadien. Bien entendu, la version la mieux connue de l’histoire de l’Acadie nous dépeint une petite nation francophone de paysans qui, déportés en masse par le pouvoir britannique en 1755, ont beaucoup souffert et ont résisté tant bien que mal à leur assimilation. Sans que ce récit soit faux, la réalité est loin d’être aussi simple si nous considérons la Louisiane : réfugiés dans cette colonie créole qui deviendra un État américain, de nombreux Acadiens et leurs descendants n’ont pas tardé à adopter l’esclavagisme. Si la chose est connue des historiens, elle ne fait pas partie du récit collectif acadien au Canada ni même en Louisiane, là où l’expérience acadienne a fondé l’identité cadienne (Cajun) revendiquée par Zachary Richard et tant d’autres.

À l’heure où le bagage mémoriel du Vieux Sud fait l’objet de vives contestations aux États-Unis, il nous semble urgent de revisiter cette dimension, parsemée de contradictions, de l’expérience acadienne. C’est à cette fin que nous retracerons la destinée de la famille Melançon sur la « Côte des Acadiens », région sucrière sur le Mississippi, et celle de personnes d’origine africaine tenues en esclavage jusqu’à la guerre de Sécession (1861-65)[5].

En outre, l’étude des récits dans la presse révèle les enjeux d’un tel incident dans les débats sur la question esclavagiste au XIXe siècle, ce que nous verrons dans un premier temps.

« Un autre maître assassiné » : du meurtre comme acte de résistance

Même en l’absence des statistiques fiables, les historiens s’entendent sur une relative fréquence d’affrontements individuels entre esclaves et figures de l’autorité blanche, menant parfois à la mort de l’un des deux partis. S’agissait-il de véritables actes de résistance? Dans quelle mesure, et par quels moyens, était-il possible de contester ou de miner de l’intérieur l’inhumanité du système esclavagiste? Ce sont là des questions qui ont fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières décennies.

Dans le sillage des travaux pionniers de Bauer et de Bauer, d’Aptheker, de Stampp ou encore de Blassingame, c’est Eugene Genovese qui, dans Roll, Jordan, Roll: The World the Slaves Made (1974), est venu poser les termes du débat actuel[6]. L’une de ses thèses repose sur une analyse des mécanismes de l’hégémonie de la classe dominante. Dans ce cadre-là, plusieurs comportements que d’autres ont qualifiés de « résistances au quotidien », destinés à affirmer l’humanité des victimes de l’esclavage et à rendre leur existence plus supportable, auraient en réalité agi comme des accommodements, susceptibles de renforcer le système au lieu de l’affaiblir. Pour Genovese, le meurtre, de même que le larcin et le suicide tomberaient dans la catégorie des gestes « prépolitiques et, au pire, apolitiques », à la différence de l’évasion ou des révoltes concertées. Même si le meurtre d’un maître ou d’un économe « marquait les limites au-delà desquelles les esclaves refusaient de se faire instruments de la volonté du maître » et que « de tels débordements déconcertaient et troublaient les Blancs », ces explosions de violence auraient tout de même contribué à confirmer le « pacte paternaliste » en vertu duquel, selon l’idéologiste esclavagiste, maîtres et esclaves auraient vécu dans une symbiose faite de responsabilités réciproques. Et cela d’autant plus que ces actes étaient souvent le fait de « bons nègres » qui, sauf abus ou châtiment perçu comme excessif, paraissaient accepter leur condition[7]. De toute évidence, Toussaint semble correspondre à ce cas de figure.

Parmi les critiques à l’égard des thèses de Genovese, on peut lui reprocher de faire abstraction, en limitant son analyse à l’espace de la plantation, de l’environnement discursif plus large[8]. Il faut rappeler le contexte mouvementé de la fin des années 1850, moment où la crise nationale sur « l’institution particulière » atteint son paroxysme. La Fugitive Slave Act (Loi des esclaves fugitifs) de 1850, très répressive à l’endroit des Noirs libres, avait semé l’indignation dans les États du Nord. À partir de 1854 avaient éclaté les conflits du « Kansas ensanglanté » (Bleeding Kansas), une série d’affrontements armés entre partisans et adversaires de l’introduction de l’esclavage dans les nouveaux territoires des États-Unis. Le massacre du Marais des Cygnes, en mai 1858, où un groupe d’abolitionnistes ont été exécutés de sang-froid, en marquait le point culminant – un événement survenu quelques semaines avant la mort de Constant Melançon. Les tensions s’exacerbaient depuis 1857, avec la décision Dred Scott c. Sandford de la Cour suprême, qui semblait fermer en définitive la citoyenneté aux personnes d’origine africaine. Les nuages qui amèneront la guerre de Sécession en 1861, après l’élection de Lincoln, commençaient à gronder à l’horizon.

Or, nous considérons avec James Oakes que « les conséquences de la résistance des esclaves furent cumulatives » : diffusés dans la sphère publique, de tels incidents auront exercé une influence déterminante sur le débat national portant sur l’esclavage et sur son éventuelle abolition[9]. Avec des centaines et des centaines d’autres perturbations, le meurtre de Constant Melançon a été couvert par des journaux locaux – dont plusieurs organes de langue française, ce qui rappelle le caractère francophone de la sphère publique en Louisiane jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle – avant d’être relayé par la presse du Nord. Le principal enjeu qui se dégage de ces récits concerne, comme de raison, la représentation du paternalisme patriarcal de l’univers des plantations, mythe fondateur de l’ordre esclavagiste.

Pour mieux cerner ce phénomène, nous avons repéré et examiné plus d’une douzaine d’articles consacrés à l’assassinat de Constant Melançon. Ce sont essentiellement des reproductions, parfois avec commentaires, de trois textes sources tirés de trois journaux louisianais : Le Messager de St-Jacques, hebdomadaire francophone, Le Vigilant de Donaldsonville, gazette bilingue, et le Coast Journal, également bilingue et de la même ville située à une dizaine de kilomètres de l’habitation Melançon. Leurs notices sont reprises par les journaux d’autres paroisses rurales (Le Meschacébé, Le Courrier des Opelousas) et de La Nouvelle-Orléans (L’Abeille de la Nouvelle-Orléans, Daily Picayune, Daily Delta) avant d’attirer l’attention du New York Tribune et des influents organes abolitionnistes The Liberator, de Boston, et The National Era, dirigé par Frederick Douglass. D’une version à l’autre, il se présente des différences très éloquentes quant à la résonance idéologique de cet incident, plus ou moins dramatisé.

Le texte du Messager fournit le récit le plus développé. Selon celui-ci, les soupçons à propos du vol commis au magasin de Félix Melançon « s’éta[nt] portés sur le nègre Toussaint, appartenant à M. Constant P. Melançon », ce dernier « fut bientôt convaincu de la culpabilité de son esclave » et l’aurait ordonné de se rendre à la sucrerie dans l’après-midi. Le journal précise : « L’intention de M. Melançon était de mettre les fers à son esclave et de lui infliger une correction, afin de le forcer à déclarer ce qu’il avait fait des marchandises volées. » D’après le Vigilant, c’est plutôt avec une corde qu’il aurait voulu l’attacher. Les deux versions concordent quant au premier mouvement d’agression de Toussaint. Lorsque Constant se retourne, Toussaint prend un marteau de forge – « caché dans ses vêtements », précise Le Messager – et lui assène soit un coup sur la tête (Le Messager), soit deux (Le Vigilant). Constant se serait écroulé sur le sol[10].

St. James Store, le magasin général de Félix Melançon, au tournant du XXe siècle (Photo gracieuseté de Renee Richard).

C’est à ce moment que des divergences s’introduisent. Le récit du Vigilant confère au meurtre une préméditation accrue : Toussaint aurait d’abord chassé deux autres esclaves présents sur les lieux et il serait ensuite revenu afin de « s’acharn[er] sur sa victime, frappant avec son marteau et des merrains et perches à boucauts qui se trouvaient à portée, tant qu’il parut rester à l’infortuné un souffle de vie. » Manifestement, il s’agit d’un retournement des outils de la sucrerie – des outils de travail de Toussaint – contre le maître esclavagiste.

Dans les récits du Messager et du Vigilant, les rôles et les gestes de deux autres Noirs sont relatés de sorte à suggérer leur dévouement à leur maître. Selon le Vigilant, « M. Melançon était à sa sucrerie avec un vieux nègre, qui ne travaille plus, et un petit nègre, lorsque Toussaint arriva. » Ce portrait montre Constant en digne patriarche esclavagiste, le bon Blanc qui protègerait ses vieux serviteurs et transmettrait à la jeune génération d’esclaves leur métier et leurs devoirs. Ensemble, ils formeraient une seule et même famille constitutive de la société esclavagiste.

Suivant cette même logique, Toussaint, en rompant avec le système, se poserait également en ennemi de ces autres Noirs fidèles. Toujours dans le Messager, nous pouvons lire :

Le vieux nègre qui revenait avec la corde, voulut venir au secours de son maître; mais Toussant le menaça de le tuer ainsi que le jeune nègre, s’ils faisaient un pas en avant. Les deux nègres se sauvèrent, le vieux allant annoncer à la maison le crime qui venait d’être commis, le petit se cachant dans les cannes, à un endroit d’où il pouvait tout voir.

Il ne nous appartient pas ici de confirmer ou de contester cette version ou les autres versions des faits. Il est toutefois important de souligner à quel point leur narration tend à isoler Toussaint des autres de sa classe, et à suggérer l’adhésion entière de ces derniers à l’esclavagisme paternaliste du Vieux Sud.

Les allusions à la relation entre Toussaint et Constant viennent accentuer l’idéal d’une cohésion familiale au sein de la communauté plantationnaire. Le Messager identifie Toussaint comme un « jeune nègre créole, né et élevé sur l’habitation » – le terme créole signifiant qu’il était du pays, parlait le français (et le créole louisianais) et partageait avec ses maîtres les mêmes assises culturelles. Chez les Melançon, il aurait bénéficié d’une telle confiance que Constant « ne songea ni à se munir d’armes, ni même à emmener son frère qui se trouvait chez lui ». Le Vigilant abonde dans le même sens en faisant observer « [qu’]il n’aurait dû avoir rien à craindre de ce nègre qui avait été élevé avec lui, et pour qui il avait eu trop de bontés. » Pour qui sait lire, et pour qui connaît le contexte, l’implication saute aux yeux : Constant, le maître, et Toussaint, l’esclave, se connaissent depuis toujours, ayant passé leur enfance ensemble.

À quelques détails près, les journaux s’entendent sur la fuite et la mort de Toussaint : il se serait sauvé à cheval et, lorsque les chiens ont été mis sur sa trace – rappelons que le dressage de chiens pour la chasse aux Noirs a constitué une pratique courante jusqu’au milieu du XXe siècle – il se serait jeté dans le Mississippi. Vraisemblablement, l’orage qui a éclaté quelques minutes plus tard aurait emporté son corps[11].

Annonce dans le Courrier des Opelousas, 17 mai 1856.

Or, c’est plutôt le troisième récit, celui du Coast Journal, unique texte source en anglais, qui a été reproduit dans les journaux abolitionnistes du Nord. Cette version renchérit sur la portée symbolique du geste du meurtrier, jusqu’au mélodrame. Ici, le nom de Toussaint est absent. Il est présenté sous les qualificatifs de negro (nègre), de slave (esclave), de scoundrel (scélérat) et enfin de murderer (meurtrier). La différence principale réside toutefois dans l’attribution d’un métier à Toussaint : il aurait été forgeron – « a blacksmith, it seems » –, et Constant lui aurait ordonné de forger ses propres fers. C’est à l’instant où son maître se serait penché pour vérifier ceux-ci que Toussaint l’aurait frappé avec le marteau – « a huge blacksmith’s hammer ». Ces détails, carrément contredits par les articles en langue française, rapprochent davantage l’assassinat de Constant du modèle hégélien de la dialectique du maître et de l’esclave : la dépendance de l’oppresseur à l’égard de l’opprimé joue à l’avantage de ce dernier dans la mesure où le travail qu’on exige de lui développe son éventuelle supériorité. La pesanteur du marteau souligne sa force physique, fruit de son asservissement figuré par les fers qu’il refuse désormais de porter.

Pourquoi la nouvelle – un fait divers, à vrai dire – de l’assassinat d’un Blanc aux mains d’un Noir aurait-elle été récupérée par la presse antiesclavagiste?

Pour les journaux du Sud, l’intention est claire : le récit d’un tel crime véhicule une mise en garde, une exhortation à la vigilance. Pour les journaux abolitionnistes comme le National Era et le Liberator, l’enjeu se situe ailleurs. Au lieu de dresser une dichotomie morale entre les maîtres blancs, qui seraient « les méchants », et les « bons » Noirs esclaves, on opte plutôt pour critique systémique. L’idée est de montrer que, contrairement à la vision édulcorée d’une saine hiérarchie traditionaliste promue par les apologistes de l’esclavage, les injustices relevant de l’ordre esclavagiste – son inhumanité fondamentale – font naître des excès de violence dont les victimes sont blanches autant que noires. Il s’agit aussi d’illustrer que les personnes maintenues dans la servitude ne sont pas heureuses de leur sort et que certaines d’entre elles pourraient être prêtes à prendre tous les moyens nécessaires pour s’en venger. Cette conviction ressort on ne peut plus clairement dans le titre de la rubrique que le Liberator consacre à de tels faits divers : « Southern Atrocities and Horrors » (« Atrocités et horreurs du Sud »). Entre des articles portant des intitulés tels que « A Negro Rebellion » (« Une révolte nègre ») et « A Family Poisoned by a Negro Child » (« Une famille empoisonnée par une enfant nègre »), il y a celui sur Constant Melançon : « Another Master Murdered[12] » (« Un autre maître assassiné »).

De là, il découle que tout questionnement sur le caractère intrinsèquement politique ou non de ces faits devient caduc, car leur récupération dans la sphère publique leur confère automatiquement un sens éminemment politique.

Jusqu’ici, nous avons affaire à une histoire purement américaine, à quelques détails près : Toussaint aurait pu être n’importe qui parmi les 4 millions d’esclaves qu’il y avait à cette époque aux États-Unis, alors que Constant aurait pu être un agriculteur esclavagiste quelconque. De notre point de vue, la pertinence de ce récit réside plutôt dans son ancrage spécifique, plus particulièrement en ce qui concerne la destinée des Acadiens et de leurs descendants. En cela, nous poursuivons des voies ouvertes par Carl Brasseaux, cet historien des Acadiens louisianais et des Cadiens pour qui l’exploration franche de la vie louisianaise, dont l’esclavagisme et la violence populaire faisaient partie, se trouve au cœur de sa démarche. Si ses travaux novateurs et magistraux, qui sont pourtant lus et respectés, n’ont pas nécessairement modifié l’imaginaire collectif acadien, nous jugeons bon à notre tour de mettre à contribution l’approche microhistorique, dans laquelle la biographie des individus prend une valeur exemplaire au regard des réalités sociales[13]. Dans la suite de ce texte, il s’agira donc de nous servir de l’assassinat de Constant Melançon par Toussaint comme d’un prisme à travers lequel se diffractent les forces historiques et les dynamiques sociales qui ont préparé, en quelque sorte, l’après-midi tragique du 26 juillet 1858. Dans ce jeu d’antagonismes se donne à lire la trajectoire d’une histoire partagée entre Acadiens et Africains, entre déportés et victimes de la traite transatlantique.

Africains et Acadiens en Louisiane créole

La présence africaine remonte aux premières années de la Louisiane française, soit à 1718-1719, en même temps que la fondation de La Nouvelle-Orléans dont 2018 marque le tricentenaire[14]. Bambaras, Mandingues, Fons, Yorubas, Minas, Chambas, Ibos et Kongos, les victimes de la traite négrière et leurs descendants assurent – par leur travail, par leur participation aux alliances et aux conflits armés avec les peuples autochtones et par leurs connaissances en matière d’agriculture, d’artisanat et de médecine traditionnelle – la survie de cette chétive colonie au carrefour des Antilles et de la Nouvelle-France. En 1763, au moment où la guerre de Sept Ans prend fin et que la Louisiane est cédée à l’Espagne, la population asservie d’origine africaine représente la majorité (56 %) des habitants[15].

L’organisation sociale de la Louisiane créole, fondée sur une hiérarchie raciale à trois castes (Blancs libres, libres de couleur et esclaves), présente un contraste marquant avec l’Acadie des XVIIe et XVIIIe siècles. La relative égalité socioéconomique en Acadie donnera lieu à une légende dorée : « Là, le plus riche était pauvre, et le plus pauvre vivait dans l’abondance », chantera Longfellow. L’archéologue Marc Lavoie évoque plutôt « des exploitations où la culture mixte était pratiquée par des familles élargies, des maisonnées comprenant des employés ou des groupes de famille ». Toujours est-il, comme le fait valoir Noami Griffiths, que « le faible peuplement ainsi que la relative uniformité du mode de vie militaient contre l’émergence de barrières sociales[16] ».

Autant les réseaux familiaux et le travail coopératif contribuent à une solidarité collective, sentiment renforcé par la neutralité acharnée des Acadiens de la Nouvelle-Écosse sous le régime anglais, à partir de 1710-1713, autant le commerce avec la Nouvelle-Angleterre, qui relie l’Acadie aux Antilles, joue un rôle indispensable. Parmi les ancêtres paternels de Constant Melançon se trouve l’aïeul Pierre Melançon (v. 1632-v. 1720). Né en Angleterre de parents protestants et parfaitement bilingue, celui-ci a résidé à Boston avant de s’établir pour de bon en Acadie, où, avec son frère Charles, il a trafiqué avec les Bostonnais. Territoire périphérique, l’Acadie coloniale faisait tout de même partie des circuits du monde atlantique. L’esclavagisme n’y était pas totalement inconnu, d’ailleurs, puisque plus de 200 personnes tenues en esclavage travaillaient à l’île Royale (Cap-Breton)[17].

Cependant, c’est au cours du « Grand Dérangement » – expression qui désigne les pérégrinations de la population acadienne à la suite des expulsions en masse perpétrées par les autorités britanniques dès 1755 – qu’une bonne partie des Acadiens va connaitre des sociétés véritablement esclavagistes. Le Maryland, où sont déportés de Grand-Pré les arrière-grands-parents de Constant Melançon, Alexandre Melançon et Osite Hébert, compte 44 539 personnes tenues en esclavage sur 153 564, soit 29 % de sa population[18]. Un autre groupe de réfugiés qui suivra jusqu’en Louisiane le chef de guérilla Joseph Broussard dit Beausoleil, en 1765, séjournera d’abord à Saint-Domingue. Dans l’île à sucre, les horreurs de l’exploitation servile s’exhibent au quotidien.

Les réalités de l’esclavage devaient susciter des réactions complexes et contradictoires chez les Acadiens. Tout porte à croire que plusieurs entrevoyaient déjà, du fond de leur triste exil, les avantages matériels que la main-d’œuvre de ces Africains, eux aussi déportés, procurait à leurs maîtres.

Désireux de refaire leur vie, environ 3 000 Acadiens et Acadiennes, dispersés de part et d’autre de l’Atlantique, s’installent en Louisiane espagnole entre 1764 et 1785, s’y rendant par vagues successives. L’un des foyers de peuplement acadien, autour du poste de Cabanocé sur le Mississippi, sera appelé « la Côte des Acadiens », en amont de la « Côte des Allemands » déjà colonisée par des fermiers germanophones qui ont tôt fait d’adopter la langue française. La Côte des Acadiens regroupe deux districts, Saint-Jacques et l’Ascension, qui composent pour un temps le comté d’Acadie.

Le comté d’Acadie et la rivière des Acadiens sur une carte de 1806. Barthélémy Lafon et Charles Picquet, Carte générale du territoire d’Orléans comprenant aussi la Floride occidentale et une portion du territoire du Mississippi. Source : Library of Congress.

« Saint-Jacques fut fondé et peuplé par des agriculteurs et des planteurs, et l’esclavage se répandit dès ses commencements[19] », affirme une historienne locale. En grande majorité, ces pionniers fondateurs sont acadiens. En moins d’une génération après l’arrivée des premiers réfugiés, 57 % des ménages exploitent le travail de personnes privées de liberté – 240 individus résidant chez 73 familles blanches. Il importe de souligner qu’à ce moment-là l’esclavagisme s’est implanté davantage chez les Acadiens, dont les chefs de ménage sont propriétaires d’esclaves dans une proportion de 62 %, que chez leurs voisins créoles d’origine française ou allemande[20].

Qu’en est-il des conditions de vie de ces 240 captifs d’origine africaine de St-Jacques? À ce stade, ils composent une minorité (22 %) dont la plupart sont minoritaires aussi au sein des familles blanches : en moyenne, les ménages à esclaves comptent 7,1 personnes libres et 3,3 personnes asservies[21]. Vingt-trois d’entre elles vivent seules avec leurs maîtres, ce qui est le cas de la personne que « possède » Joseph Melançon, fils d’Alexandre et grand-père de Constant. Outre l’entretien indispensable des chemins et des levées, beaucoup sont affectés au travail des champs, avec des résultats manifestes : en 1779, les ménages à esclaves ont engrangé 1,78 fois plus de maïs par personne que les familles sans esclaves[22]. Aussi les esclaves s’occupent-ils de leurs maîtres, en faisant la cuisine et les tâches ménagères, en allaitant les bébés et en surveillant les enfants, tout en leur transmettant des parcelles de leur patrimoine culturel africain. Bien entendu, dans les sombres recoins de cette intimité entre dominés et dominants se nouent des relations sexuelles, souvent forcées, liaisons desquelles naissent des enfants[23].

Regroupements des personnes tenues en esclavage sur la Côte des Acadiens, 1779.

C’est au gré des contacts avec les autres Louisianais, Noirs et Blancs, aux origines diverses, que, sans oublier leurs racines en Acadie, les Acadiens deviennent des Créoles louisianais, c’est-à-dire des gens qui, nés en Louisiane, font partie intégrante de cette société francophone, plus tard bilingue, structurée par l’esclavagisme et par la racialisation concomitante. De plus, l’originalité du groupe ethnique connu de nos jours sous le nom de Cadiens (Cajuns) résulterait en grande partie de transferts culturels à base africaine. C’est cet aspect fondamental que souligne James H. Dormon :

Il ne peut y avoir de doute que tout ce que nous considérons comme constituant le folklore des Cadiens, leur musique, leur cuisine et, dans un sens plus large, leurs traditions populaires, ont subi l’influence évidente des Afro-Américains, et tout particulièrement des traits culturels afro-antillais qui furent absorbés par la sous-culture cadienne grâce aux contacts entre ces groupes[24].

Se poursuivant jusqu’au XXe siècle, ce processus d’ethnogenèse avait débuté dans le creuset créolisant de l’univers esclavagiste. Au même moment se développe, chez les esclaves noirs et chez d’autres déclassés de la société coloniale, une culture de la résistance.

Dans les années 1780, les gens d’origine africaine de la Côte des Acadiens auraient entendu les exploits de Jean Saint-Malo, le chef d’une bande d’esclaves marrons, ou fugitifs. Retranchés dans les bayous et ciprières derrière La Nouvelle-Orléans, les marrons de l’intrépide Saint-Malo entretiennent des réseaux d’échange et de renseignements avec les esclaves des plantations. Après sa capture, en 1784, et sa pendaison sur la place publique, sa mémoire fonde la légende d’un héros populaire[25]. Le marronnage de Saint-Malo trouve des échos dans les exploits d’autres fugitifs. À l’époque de Constant Melançon, les journaux donnent des nouvelles de Wild Henry, « nègre marron devenu célèbre à Lafourche par son audace et la terreur qu’il inspirait aux habitans [sic] ». Octave Johnson, tonnelier qui s’enfuit d’une plantation de St-Jacques pendant la guerre de Sécession, nous a laissé la description d’un campement d’une trentaine de marrons, niché dans les marais. Après plus d’un an de clandestinité, Johnson rejoindra l’armée fédérale en 1863 pour combattre le Sud esclavagiste[26].

Negroes hiding in the swamps of Louisiana, William Ludwell Sheppard et James L. Langridge, Harper’s Weekly, 10 mai 1873. Source : Library of Congress.

L’année suivant la pendaison de Saint-Malo, en 1785, certains auraient appuyé et peut-être aidé le Noir libre Philippe, évadé de prison, qu’une patrouille découvre non loin de Saint-Jacques, « et avec lui une bande de nègres marrons toute bien armée[27] ». Pendant quelques jours, ses partisans mènent des raids sur les fermes et plantations de la région. Même si Philippe est tué, les Blancs craignent l’insurrection générale. Selon Brasseaux, l’incident représente un tournant pour les Acadiens, qui, désormais, adhèrent farouchement à la suprématie blanche[28].

L’heure de la révolution va bientôt sonner à travers le monde atlantique : la France proclame l’égalité des citoyens en 1789 et, dès 1791, la Révolution haïtienne met cet idéal à l’épreuve de l’esclavagisme raciste. En 1794, l’esclavage est aboli dans les colonies françaises. Les esclaves et les libres de couleur de la Louisiane espagnole ont vent de ces développements, et ils trouvent des alliés dans la population blanche. En 1795, « des Jacobins de Louisiane de toutes les races et nationalités », dit Gwendolyn Midlo Hall, tentent d’organiser une insurrection à la Pointe-Coupée avant d’être dénoncés[29]. À Saint-Jacques, où le père de Constant Melançon, Joseph Melançon fils (1788-1833), passe son enfance sur la ferme familiale, les autorités songent à des mesures pour restituer aux habitants « leurs tranquillités dont ils étaient privés depuis les fâcheuses nouvelles qu’ils avaient apprises de la révolte préméditée au poste de la Pointe-Coupée[30] ». La méfiance grandit, les visites des patrouilles s’intensifient.

Vendue aux États-Unis en 1803, la Louisiane devient le 18e État de la jeune république en 1812. Pendant cet interrègne, il se produit de profondes transformations. Sur le plan démographique, l’afflux de nouveaux habitants anglo-américains est contrebalancé par l’arrivée de plus de 12 000 réfugiés de l’ancienne Saint-Domingue, devenue Haïti en 1804. Face aux vents révolutionnaires qui soufflent depuis la Caraïbe, le gouvernement louisianais adopte, en remplacement du Code noir de Louisiane (1724) promulgué sous Louis XV, un nouveau Code noir (1806); celui-ci vise à limiter l’introduction de Noirs étrangers, d’une part, et à sévir contre toute atteinte à l’ordre esclavagiste, d’autre part[31].

Or, le pire cauchemar des classes dominantes se réalise le 8 janvier 1811 : un contingent de plus de 200 personnes asservies et libres de couleur de la Côte des Allemands saisissent des armes, attaquent leurs maîtres et marchent sur La Nouvelle-Orléans, brûlant les champs sur leur passage[32]. Réprimée sans quartier, la révolte de 1811 résonnera dans la mémoire locale lors des tentatives de rébellion ailleurs aux États-Unis, comme celles, plus célèbres, de Denmark Vesey en Caroline du Sud (1822) ou de Nat Turner en Virginie (1831).

Ces événements marquent une contradiction qui ira en s’amplifiant : à l’époque où la population servile est de plus en plus redoutée, la dépendance de l’économie louisianaise à son égard ne fera que s’accroître.

La famille Melançon de Louisiane, au cœur de l’empire du sucre

Si « le coton est roi » dans le Vieux Sud, en Louisiane le sucre est empereur. C’est au tournant du XIXe siècle, entre les révoltes de 1795 et de 1811, que s’implante l’industrie sucrière[33]. Celle-ci amènera des transformations majeures sur les plans économique et démographique[34]. L’exploitation de la canne étant vorace de main d’œuvre, l’esclavagisme se généralise dans les régions créoles et acadiennes. Vers 1810, il y a des esclaves dans 56 % des ménages acadiens de la région des Attakapas, autour de l’actuelle Lafayette – une expansion drastique par rapport aux 3 % de 1790 –, et dans 82 % et 79 % des ménages de St-Jacques et de l’Ascension, respectivement[35]. Tant et si bien que la population réduite à l’esclavage en viendra à représenter une majorité écrasante sur la Côte des Acadiens : en 1850, 70 % des habitants de St-Jacques (7 751 sur 11 098), 68 % à l’Ascension (7 266 sur 10 752) – 2,2 esclaves pour chaque personne libre. Comme le souligne Damian Alan Pargas dans son étude de trois régions sudistes en marge de la culture du coton, « les personnes en esclavage dans la paroisse St-Jacques vivaient dans des plantations toujours plus étendues et toujours plus riches au cours du XIXe siècle[36].

La position septentrionale de la Louisiane par rapport aux autres zones sucrières pose des problèmes auxquels des innovations remédieront progressivement. Les années 1820 voient l’adoption d’une variété plus résistante aux gels, la canne à rubans. D’autres solutions sont d’ordre technologique : le moulin à vapeur, puis, pour rendre moins précaire l’étape du traitement du jus de canne, l’évaporateur à effets multiples, inventé en 1846 par le chimiste louisianais Norbert Rillieux, un homme de couleur. Sans que la Louisiane ne rivalise avec l’industrie cubaine ou brésilienne, c’est assez pour structurer des secteurs entiers de l’économie, pour fonder des fortunes familiales et des groupes d’intérêt politique, et, il va sans dire, pour régir la vie de milliers d’ouvriers captifs.

La situation de Joseph Melançon fils, père de Constant, correspond à ces développements. En 1809, lorsqu’il épouse à l’âge de 20 ans Constance Leblanc (1794-1856), qui a à peine 15 ans et qui est également de St-Jacques, il est un cultivateur relativement modeste, aidé par le travail des quatre personnes qu’il tient en esclavage[37]. Tout indique des ambitions chez Joseph et Constance, à commencer par la famille nombreuse qu’ils ont ensemble – 14 enfants au total – et par la volonté de s’adjoindre d’autres ouvriers asservis. Le Créole L’Éveillé, 30 ans, fera l’objet d’un don de la mère de Joseph en 1817. Peu après, ce sont surtout de jeunes femmes créoles qui rejoignent l’habitation Melançon : Arthémise, 14 ans, et Joséphine, 8 ans, suivies d’Esther, 28 ans, et de son fils Zéphyrin, 9 ans. Le couple Melançon connaît bien ces derniers, car Constance a grandi avec Esther qui faisait la cuisine chez sa mère[38]. À n’en pas douter, il s’agit d’une stratégie visant à augmenter le nombre de travailleurs à son atelier et, du coup, la valeur de ses avoirs. Hormis les tâches attribuées aux femmes, l’utilité de celles-ci réside, aux yeux du planteur-capitaliste, dans leur fécondité[39]. Au cours des années 1820, d’autres femmes et quelques hommes seront achetés.

Quand Joseph Melançon fils quitte ce monde en juin 1833, encore dans la force de l’âge lorsqu’il succombe à une épidémie de choléra, il laisse à son épouse et à leurs dix enfants vivants :

Une habitation établie en sucrerie, située dans cette paroisse, sur la rive droite du fleuve Mississippi, à vingt-trois lieues environ de la Nouvelle-Orléans, composée de sept arpens de face au fleuve, sur la profondeur de quatre vingts arpens, et courant sur des lignes parallèles, bornée par en haut par la propriété de Mr Hypolite Boudreau, et par en bas par celle de Mr Onézime LeBlanc, ensemble [avec] les bâtisses, barrières, circonstances et dépendances […].

Constance et ses sept enfants mineurs vivent sur la propriété avec 30 « nègres » et « négresses », leurs esclaves. Parmi les jeunes se trouve Toussaint, qui a environ 9 ans lorsque Constant perd son père[40].

« Sugar Industry Scenes (Harvesting the Cane) » (détail), Alfred W. Waud et J. L. Langridge. Source : Alfred R. Waud Collection, Historic New Orleans Collection.

Toussaint et Constant ont à peu près le même âge. Certes, il serait abusif d’avancer l’hypothèse de futurs « frères ennemis » – quoique rien n’exclut la possibilité de liens de parenté – ou d’évoquer la notion d’« amitié » vu les rapports de pouvoir entre eux. Toutefois, on peut imaginer sans peine que les deux garçons, petit esclave et futur maître, forment le noyau d’un groupe de camarades de jeu sur l’habitation Melançon. Parmi les enfants tenus en esclavage, Narcisse a lui aussi leur âge, tandis que Norbert, fils d’Arthémise, et Benjamin ont celui d’Irma, la petite sœur de Constant. Tout en suscitant l’admiration des frères cadets de Constant – futurs partenaires de la Société C. P. Melançon & Co. –, peut-être que la petite troupe se plaisait à taquiner jusqu’à l’affolement Marguerite, la grande sœur de Constant, et Thérèse, « négresse créole de quatorze ans »[41]. C’est une reconstitution plausible parmi d’autres à partir d’une documentation morcelée[42].

Aussi étrange que puisse paraître semblable idylle d’enfance en pays esclavagiste, ce scénario n’a rien d’exagéré. Le célèbre urbaniste Frederick Law Olmsted est surpris d’observer en Virginie « squads of negro and white boys together, pitching pennies and firing crackers in complete fraternization ». À l’instar de bien d’autres, Frederick Douglass ignore totalement son état servile dans sa prime enfance, et rappellera : « the first seven or eight years of a slave-boy’s life are about as full of sweet content as those of the most favored and petted white children of the slaveholder. » Ce n’est que plus tard, vers l’adolescence, que les exigences des rôles sociaux et du statut racial font éclater cet espace de « fraternisation[43] ». Et il va sans dire que beaucoup d’enfants en esclavage n’ont pas connu de tels ménagements.

Un réveil particulièrement brutal attend les victimes de l’esclavage dans l’empire du sucre. Le travail des champs implique des tâches ardues et la machinerie sucrière pose des dangers de blessure. Pendant la roulaison, c’est-à-dire pendant la saison de la récolte à la fin de l’automne, les journées peuvent durer 18 heures. Solomon Northup, dont l’autobiographie Twelve Years a Slave (1855 [1853]) a récemment fait l’objet d’un film de Steve McQueen (2013), décrit les rigueurs de la sucrerie où il s’est vu confier le rôle de commandeur pendant sa captivité en Louisiane :

Du début de la période de fabrication du sucre jusqu’à sa fin, le broyage et l’évaporation ne cessent ni de jour ni de nuit. On m’a donné un fouet, avec l’instruction de l’appliquer à quiconque s’autoriserait la moindre oisiveté. Si je négligeais de respecter cette consigne à la lettre, un autre fouet allait s’abattre sur mon dos. En plus de cela, c’est à moi qu’il revenait d’appeler et de congédier les équipes de travail aux heures convenues. Privé d’heures de repos régulières, je n’arrivais qu’à me ménager quelques instants de sommeil à la fois.

En Louisiane comme ailleurs, les esclaves opposent des résistances quotidiennes au rythme qu’on veut leur imposer. L’historien économique Richard Follett signale plusieurs tactiques à cet effet : ralentissement du travail, sabotage, maladies feintes, marronnage temporaire, autant de stratégies pour atténuer les excès d’un régime impitoyable. Puisque les planteurs doivent assurer une assiduité extraordinaire pendant la roulaison, les heures supplémentaires sont rémunérées et l’ardeur à l’ouvrage fait l’objet de récompenses. Ces conditions donnent lieu à des négociations qui, en accordant aux esclaves de minces prérogatives en tant qu’agents économiques, minent la fiction de leur statut de « propriété[44] ».

Les Noirs captifs chez la famille Melançon sont capables d’affirmer comme les autres leur agentivité, jusqu’au rejet de leur condition. Au printemps 1845, Bouca (ou Bouka), maître-sucrier de la plantation, prend la fuite. Âgé de 35 ans, ce « mulâtre américain », mais bilingue, a sur la jambe droite une brûlure qui témoigne des dangers des engins de la sucrerie. L’annonce que Mme Melançon fait publier dans le Daily Picayune suggère qu’il aurait été aidé par un Blanc – « enticed away by a white man ». Cette mention, qui tend à nier l’autonomie de Bouca, est très parlante dans la mesure où le « problème » de la connivence entre Noirs esclaves et complices blancs y sera pour beaucoup dans les réactions au meurtre de Constant. Il n’y a plus de traces de Bouca dans les documents relevant de la plantation : à l’évidence, il a pu continuer sa vie ailleurs, peut-être en se fondant dans le décor urbain de La Nouvelle-Orléans, peut-être en rejoignant un État libre[45].

Annonce parue dans le Daily Picayune, 30 mars 1845.

Et pourtant, malgré ces résistances multiformes, le système « fonctionne », rappelle Follett, et l’industrie sucrière se développe bon train. Vers le milieu des années 1840, la Louisiane totalise 742 exploitations sucrières dans 19 paroisses, pour une production annuelle de 204 913 000 livres[46].

À l’instar des autres régions de la « ceinture du sucre », la paroisse St-Jacques se caractérise par des iniquités vertigineuses, fruit de la main-d’œuvre des masses asservies. Au sommet de la pyramide sociale trône la haute élite plantocrate, composée de Créoles comme le richissime Valcour Aimé, propriétaire de la St. James Refinery, et le très influent André Bienvenu Roman, par deux fois gouverneur de l’État (1831-1835, 1839-1843); ou encore d’ambitieux Anglo-américains comme John Burnside pour qui triment près de mille individus sur cinq plantations[47]. L’aristocratie sucrière entretient un va-et-vient constant avec La Nouvelle-Orléans, mène une vie mondaine étincelante – compensation d’une existence harassée sans répit par les affaires – et envoie ses enfants étudier au Collège Jefferson ou au couvent du Sacré-Cœur, prestigieuses institutions locales.

Il y a peu de Louisianais d’origine acadienne parmi les grands planteurs du XIXe siècle, malgré l’adoption de l’esclavagisme parmi les premiers Acadiens de St-Jacques. Vers 1850, il y a dans la paroisse 509 propriétaires d’esclaves, dont 176 (35 %) ayant un patronyme acadien. En moyenne, moins d’esclaves demeurent et travaillent chez ces derniers (9,9 par exploitation) que chez les autres esclavagistes de St-Jacques (18 par exploitation). Les patronymes acadiens comptent pour près de la moitié des propriétaires de 20 à 50 esclaves (18 sur 38), catégorie qui correspond aux « petites » plantations, exploitations agricoles plus grandes qu’une simple ferme. L’habitation Melançon se situe au milieu de cette tranche, avec 35 ouvriers captifs. Parmi les grands planteurs disposant de plus de 51 esclaves, les noms acadiens se font rares (3 sur 39)[48].

Ces disparités sont-elles le signe de la particularité ethnique des Louisianais blancs d’origine acadienne? Soyons clairs : il serait hasardeux à l’extrême de parler d’une «  identité acadienne », ou cadienne à cette époque. En contexte louisianais, celle-ci est un construit discursif survenu plus tard, postérieur à la guerre de Sécession puis réarticulé tout au long du XXe siècle. La situation en 1850 suggère néanmoins la persistance d’une différenciation socioéconomique au sein de la société créole, différenciation qui reflète jusqu’à un certain point une stratification sociale en fonction des origines.

Toutefois, cette stratification, déjà en germe à l’ère coloniale, offre des leviers de mobilité sociale aux Blancs louisianais de souche acadienne, d’où des choix de vie qui riment à beaucoup d’égards avec une accélération de leur intégration ethnique. En témoigne le mariage de Constant Melançon en 1855 avec Élodie Fabre, fille de feu Joseph Fabre, planteur et magistrat, et d’Amélie Perrette. Jusque-là, la tendance chez les Melançon favorise fortement l’endogamie entre partenaires d’ascendance acadienne. Non seulement la famille Fabre, d’origine française, est-elle nettement plus riche que celle de Constant, mais Élodie a grandi entourée de conforts dans une maison ornée de meubles en acajou. Sur les 75 individus tenus en esclavage par son père – contre 30 chez les Melançon vers 1836 – non moins de 12 personnes sont affectées au service domestique. Il y a Arthémise, Charlotte et Margueritte qui confectionnent de somptueux repas créoles et, lors des promenades, la famille se laisse conduire par Spencer, cocher au teint clair, également « bon domestique[49] ».

À l’époque où et Constant et Élodie perdent leurs pères, au milieu des années 1830, tout indique une baisse des fortunes chez les Fabre. Considérons l’état des personnes qui travaillent sous la contrainte pour eux. L’âge moyen des adultes (12 ans et plus) se montre beaucoup plus élevé chez les Fabre que chez les Melançon – 38,3 ans et 27,6 ans, respectivement – et plusieurs ouvriers agricoles ont une infirmité : parmi la dizaine d’hommes originaires d’Afrique, Pierre, Baptiste Congo et Coacore souffrent d’une hernie, Pompée est « infirme » et Victor « a du mal dans les mains ». La description de quelques autres signale des comportements de résistance, car les Américains George et William ont été marrons tandis que l’Africain Julien est carrément qualifié de « marroneur[50] ». Il se dégage de la documentation le double portrait d’une fortune établie, mais pâlissante, d’un côté, et d’une étoile qui monte, de l’autre côté : celle des fils Melançon.

Tandis que Toussaint et les autres jeunes Noirs de l’habitation Melançon doivent se résigner à leur sort d’esclaves, les fils cadets de Constance se préparent, avec l’appui de leur frère aîné Joseph (né en 1813), à prendre leur place au sein de l’élite créole de St-Jacques. Cela suppose une éducation qui leur permette de faire leur chemin dans la société américaine. En 1843-1844, cinq des frères Melançon – Constant, les jumeaux Camille et Ozémé-Simon (nés en 1829), Phlégie-Robert (né en 1831) et Pierre-Ernest (né en 1832) – étudient au St. Xavier College de Cincinnati, institution jésuite. Alors que Constant rentre à St-Jacques, ses frères poursuivent leur éducation à Mount Saint Mary’s College, au Maryland – ce même État où leurs arrière-grands-parents avaient été déportés. Leurs camarades de classe proviennent de tous les États et de plusieurs pays d’Europe et d’Amérique latine. C’est à Phlégie, doué pour les mathématiques, qu’il revient de continuer dans la voie de l’érudition. En 1861, au moment où la guerre éclate, il décroche son diplôme de médecine de l’Université de Louisiane à La Nouvelle-Orléans, la future Tulane University[51].

Le retour de Constant à St-Jacques coïncide peu ou prou avec l’évasion de Bouca. Bien qu’il soit tentant d’y voir la cause, en toute probabilité il était déjà décidé que Constant reviendrait prendre les rênes de la plantation. Aussitôt rentré, c’est lui qui détient la responsabilité financière de transactions signées par son grand frère Joseph. D’ailleurs celui-ci a l’intention de faire fortune ailleurs, dans la paroisse St-Landry, où, avec sa famille, il s’établit comme planteur; leur frère Marcellin (né en 1818) fera de même, ainsi que leur sœur Irma et son mari. En 1850, Ozémé, Camille et Ernest sont de retour en Louisiane, ces deux derniers ayant accepté de prêter main-forte à Constant et à leur mère, toujours propriétaire de l’habitation. Les trois frères y résident avec Constance, cinq de leurs sœurs, et leur grand-mère Marie-Josèphe LeBlanc, qui, née au moment de l’arrivée des premiers Acadiens en Louisiane, s’éteindra l’année suivante, à 85 ans[52].

Vers cette époque, 35 personnes sont prisonnières de la famille Melançon et travaillent pour son bien-être financier et son confort matériel. Il y a 8 femmes ayant entre 14 et 60 ans, ainsi que plusieurs enfants. Zulime élève son fils Victorin et son bébé Francis; Phine, son fils Noël; Roze, ses filles Auzile et Caroline; Louison, son fils Périn. Parmi ces gens qui sont presque tous Créoles de la Louisiane, 24 sont de sexe masculin, dont 17 ont entre 12 et 63 ans; leur âge moyen est de 30 ans. Les artisans et travailleurs des champs qui font rouler l’habitation par la sueur de leur front sont surtout Abraham, Ben, Calvin, Germain, Jean-Baptiste, Julien, Michel, Narcisse, Norbert et bien sûr Toussaint, qui a 27 ans. Ces ouvriers et ouvrières ont affaire tous les jours à Constant, car c’est lui l’économe (overseer)[53], c’est-à-dire l’agent responsable de la gestion de l’habitation et de sa main d’œuvre.

L’économe d’une plantation esclavagiste est chargé « du bien-être et de la supervision des nègres; de l’entretien des terres, du bétail et de l’équipement de la ferme; du plantage, de la culture et de la récolte des productions agricoles et vivrières; et de nombreuses autres responsabilités associées à la gestion d’une entreprise agricole commerciale[54]. » « Symbole de l’autorité des Blancs », rappelle Follett, sa fonction, dont la priorité est de faire régner la discipline, est reconnue pour sa difficulté. De passage à St-Jacques, le journaliste irlandais William Howard Russell brosse le portrait de l’économe du gouverneur Roman, « a sharp-looking Creole, on a lanky pony, whip in hand ». Sur les 93 économes de la paroisse en 1850 – dont un tiers (31) portent un nom de famille acadien – 49 (ou 53 %) travaillent pour un de leurs parents et résident sur l’habitation familiale. De ceux-ci, près de la moitié (23) sont des employés de leur mère veuve, à l’instar de Constant[55].

La Société C. P. Melançon et Cie naît en janvier 1853 lorsque quatre frères Melançon – Constant, Phlégie, Ozémé et Ernest – s’associent, à parts égales, « pour l’exploitation et la culture en sucre » de l’habitation qu’ils viennent d’acheter de leur mère Constance, pour la somme de 33 000 $. Les statuts de la société stipulent que « le sieur Constant Paul Mélançon sera seul chargé de la direction et de la conduite des travaux de l’habitation. » Il est également convenu que chacun des partenaires versera 3 000 $ pour « l’achat d’esclaves qui devront être employés sur ladite habitation[56]. »

« Sugar Industry Scenes (Crushing the Cane) » (détail), Alfred W. Waud et J. L. Langridge. Source : Alfred R. Waud Collection, Historic New Orleans Collection.

Aussitôt l’entreprise constituée, huit jeunes hommes sont achetés de George Davis, trafiquant d’esclaves de La Nouvelle-Orléans. Cette acquisition illustre le fonctionnement du marché interne de l’esclavage aux États-Unis. Âgés de 18 à 24 ans, ces « nègres américains » – qui ont tous des noms anglophones, composés d’un prénom et d’un nom – proviennent sans doute du « Haut Sud », soit de Virginie ou d’un État voisin. Ils ont donc été, selon les expressions consacrées, « sold down South » ou « sold down the river » (le Mississippi), sort redouté par les Noirs d’avant la guerre. Le forgeron Archer Turner, seul à exercer un métier, « vaut » beaucoup plus que les autres – 2100 $ contre 1250 $[57]. À Toussaint est attribuée, vers la même époque, la « valeur » de 1400 $. En 1854, à la faveur d’une partition des personnes qui « appartiennent » toujours à Constance, Constant Melançon devient officiellement propriétaire de Toussaint.

Les débuts de la Société correspondent à l’apogée de l’industrie sucrière en Louisiane. La production bondit de 321 934 boucauts (ou hogshead, des tonneaux d’environ 1000 livres) en 1852 à 449 324 boucauts – presque 500 millions de livres de sucre brut ou raffiné[58] – en 1853, année record jusqu’en 1861. C. P. Melançon et Cie, qui bénéficie d’une machine à vapeur pour le broyage de la canne, se situe, avec 210 boucauts en 1853, parmi les petits producteurs, 33e des 85 exploitations de la paroisse. Sa progression s’aligne peu ou prou sur la courbe de la production de St-Jacques et de l’ensemble de l’État. Toutefois, le rude hiver de 1856, précédé d’un ouragan dévastateur, aura un impact catastrophique sur la récolte des Melançon, qui verront leur rendement chuter à une quantité quasi nulle (3 boucauts). Tout porte à croire que ce revers plongera l’entreprise dans une précarité financière telle que l’assassinat de Constant par Toussaint sonnera le glas de la Société C. P. Melançon et Cie[59].

Variation de la production sucrière, 1849-1861, en pourcentage.

Pour l’instant, cependant, l’avenir semble sourire aux seigneurs blancs de l’empire du sucre.

Au lieu de se contenter de gérer l’habitation, Constant Melançon s’intéresse de près au progrès des techniques sucrières, plus exactement aux procédés d’extraction et de clarification du jus de canne. Il s’applique notamment à mettre à l’essai des innovations proposées par les scientifiques. Dès 1845, il collabore avec un autre sucrier de St-Jacques pour perfectionner l’emploi du bisulfite de chaux dans le processus hasardeux de la réduction du jus, découverte du chimiste belge Louis-Henri-Frédéric Melsens qui était demeurée jusque-là infructueuse hors laboratoire. Leur méthode se fait adopter à travers l’État. Quelques années plus tard, Constant conduit une expérience réussie avec un autre additif chimique, exploit réalisé devant le gouverneur Roman et d’éminents planteurs de St-Jacques. L’une des nécrologies soulignera que « c’est grâce à son intelligente industrie que nos planteurs voient aujourd’hui leurs sucres bruts classés parmi les plus beaux produits du monde entier[60] ».

À ces triomphes de sa vie professionnelle vient s’ajouter le bonheur sentimental. Le 7 mai 1855, devant l’autel de la somptueuse église St-Jacques, il prend la main d’Élodie Fabre, sa cadette d’une dizaine années. Orpheline de père comme Constant, elle donnera naissance à leur fils Charles, le 25 mai 1856, et à leur fille Amélie, le 13 octobre 1857. Ce printemps de la jeune famille doit consoler Constant du décès de sa mère, qui meurt quelques jours seulement après la naissance de son second enfant. Désormais, il est patriarche de la famille Melançon à St-Jacques.

L’église St-Jacques (St-Jacques, Louisiane), inaugurée en 1841, où ont eu lieu les noces de Constant Melançon et d’Élodie Fabre, en 1855, et les funérailles de Constant, en 1858. Photo de l’auteur.

Cette floraison de détails et le récit qu’ils nous autorisent à reconstruire nous confrontent à une injustice historiographique flagrante : Toussaint, lui, reste dans l’ombre, disséminé dans quelques rares traces documentaires. Il transperce cette obscurité de manière fracassante lorsque, par cette après-midi crevant de chaleur du 26 juillet 1858, il ôte la vie à Constant, dans l’explosion d’un geste de suprême révolte et de refus total de l’impuissance à laquelle son statut d’esclave veut le contraindre.

Ayant pris acte de la signification politique de ce meurtre par rapport aux débats à l’échelle nationale, nous constatons également qu’il aura provoqué des réactions vives et violentes dans son environnement immédiat et, indirectement, ailleurs en Louisiane.

La réaction immédiate, à St-Jacques et ailleurs

À quelques pas du fleuve, le magasin tenu par Félix Melançon se situait en amont de l’habitation de C. P. Melançon et Cie, près de la limite de la paroisse de l’Ascension, là où le Mississippi se détend après avoir esquissé, ayant franchi Donaldsonville, une courbe des plus prononcées. Aujourd’hui, les deux rives de ce secteur sont reliées par le Sunshine Bridge, un pont immense duquel l’automobiliste peut prendre conscience de la densité des usines pétrochimiques qui disputent le paysage aux champs de canne. Nous sommes au cœur d’une zone au sinistre surnom de Cancer Alley (Couloir du cancer) qui témoigne d’une espérance de vie écourtée par des polluants omniprésents. Au XIXe siècle, le commerce de Félix Melançon servait de halte aux steamboats qui avaient révolutionné le transport fluvial. Point d’embarquement et de débarquement, c’était donc un lieu de rassemblement, et son propriétaire était connu de tous[61].

Emplacement approximatif du magasin de Félix Melançon, non loin de la plantation de C. P. Melançon et Cie. Détail de Norman’s Chart Of The Lower Mississippi River, par Adrien Persac, Nouvelle-Orléans, B. M. Norman, 1858. Source : David Rumsey Map Collection, Stanford University.

À vrai dire, le vol de marchandises qu’il venait de subir, fin juillet 1858, « pour une valeur assez considérable » d’après le Messager, tombait mal. Quelques semaines plus tôt, sa femme Mélodie (Dugas) était morte en couches, et le bébé avec elle. Du coup, Félix se retrouvait père veuf de quatre enfants mineurs[62].

Si la perte de son stock rajoutait à ce malheur un revers financier, pour d’autres Blancs de St-Jacques, c’était un affront jeté au visage de l’ordre établi. Au fond, le vrai problème n’était pas que des « nègres » aient commis un vol, mais plutôt que le motif de ce vol venait de ce qu’ils puissent trouver, parmi certains éléments de la population blanche, des complices avec qui échanger leur butin contre des produits convoités – notamment des spiritueux. Pour la classe esclavagiste, ce trafic entre esclaves et Blancs constituait un vrai fléau. En plus des excès de conduite chez les Noirs ivres, ce commerce risquait de fragiliser l’édifice social jusque dans ses fondements puisqu’il démentait l’idéologie d’une société blanche unie autour des mêmes intérêts, d’une part, tout en permettant aux esclaves d’exercer une autonomie économique qui échappait au monde clos de la plantation, d’autre part[63].

Dans ce climat, une fraction non négligeable de la classe dominante a l’impression que l’appareil judiciaire est en train de faillir à sa tâche. Par conséquent, une réaction violente va surgir : les comités de vigilance, c’est-à-dire des regroupements de citoyens armés qui préconisent des mesures extrajudiciaires pouvant aller jusqu’au lynchage.

C’est la mort de Constant Melançon qui va mettre le feu aux poudres. Quelques jours après les événements du 26 juillet, Le Meschacébé annonce :

Il règne en ce moment une grande exaspération à St-Jacques. Un Comité de Vigilance s’y est formé, à l’effet de mettre un terme au trafic illégal que font certains marchands avec les nègres, et principalement à la vente en détail du whiskey. […] L’horrible mort de M. Constant P. Mélançon a contribué pour une grande part à l’irritation de nos voisins de St-Jacques.

Et son rédacteur de s’indigner : « la tombe de Constant Melançon, notre ami et notre concitoyen, frappé par un esclave, ivre peut-être de whiskey—cette tombe est à peine fermée et crie : Justice et Vigilance[64]! »

Avec une cinquantaine d’hommes de St-Jacques, le comité de vigilance se met, en août et septembre 1858, à parcourir la paroisse. Ils mettent à sac des magasins, effectuent des fouilles chez leurs concitoyens et, parfois, surprennent des trafiquants en flagrant délit. Le premier banni est un Noir libre, Gabriel. Deux Blancs récalcitrants, Paul Rome et Adolphe Guillaume, sont goudronnés et emplumés tous nus, puis mis à la dérive sur le Mississippi dans une pirogue, avec l’interdiction expresse de remettre les pieds à St-Jacques. La tenancière d’un magasin, la veuve Perrin, est également expulsée. Ces menées ne tardent pas à dresser les commerçants de St-Jacques contre les planteurs. Frappé d’interdit, le marchand Paul LeBlanc, ayant d’abord opposé une résistance physique, se soumet par crainte que son refus ne déclenche une bataille armée entre les deux camps[65].

Les actions du comité de St-Jacques, en 1858, vont inspirer celles, plus notoires, des comités des Attakapas, région autour de l’actuelle ville de Lafayette. Mouvement en faveur d’une « justice » extralégale par la pointe de l’épée, la vigilance trouve un défenseur de premier ordre en la personne d’Alexandre Barde. Journaliste et écrivain, cet immigré français laissera, à titre de témoignage justificatif, une chronique précieuse, son Histoire des comités de vigilance aux Attakapas (1861). Le combat final entre les vigilants et les « bandits », en septembre 1859, se livrera pour prévenir trois périls, selon Barde : « Invasion de la Paroisse! Pillage et Massacre! Révolte des Nègres[66]! » Ces craintes s’inscrivent pleinement dans l’intensification de la crise nationale sur l’esclavage. Ralliant plusieurs éminents citoyens, dont l’ancien gouverneur Alexandre Mouton, d’une famille acadienne, la vigilance aura semé de profondes divisions au sein de la société louisianaise.

Peu à peu, la situation se calme, mais, entre-temps, celle de la Société C. P. Melançon et Cie va de mal en pis. L’entreprise ayant déjà contracté une hypothèque suite à la récolte désastreuse de 1856, Élodie Melançon et ses beaux-frères, les partenaires de feu son mari, vont s’embourber dans d’autres prêts qu’ils n’arriveront pas à rembourser. Fin 1859, ils décident de tout vendre. La communauté des personnes tenues en esclavage – 30 à ce moment-là – sera dispersée. Plusieurs jeunes hommes, Américains et Créoles, resteront avec les nouveaux propriétaires de l’habitation, J. Ménélas Wèbre et G. Alfred Wèbre. Abraham, 56 ans, ainsi que sa famille composée de Zulime, 40 ans, et de ses trois enfants, partiront à St-Landry avec l’aîné des Melançon, Joseph. Augustin, Créole de 24 ans, ira travailler chez l’ex-gouverneur Roman. D’autres, plutôt âgés, vivront chez Ursin et Éloi Melançon : Phine, 49 ans; William, 59 ans; et Jean-Baptiste, né en Afrique au tournant du siècle[67].

« Slaves for Sale. A Scene in New Orleans ».

Tout cela – nous ne craignons pas de l’avancer – est l’œuvre de Toussaint. Qui plus est, ses anciens compagnons prolongeront son geste de révolte, semble-t-il. En octobre 1860 – alors que plusieurs sudistes agitent déjà la torche sécessionniste dans l’éventualité où Lincoln remporte les élections qu’il finira effectivement par gagner, le 6 novembre – l’ancienne sucrerie Melançon, achetée par les Wèbre, passe au feu. Les soupçons se dirigent sur les cinq esclaves qui se sont évadés la même nuit[68].

Conclusion : pour une mémoire intégrée autour du fait acadien

Cette étude de cas et les dynamiques sociohistoriques qu’elle relève s’ouvrent sur un vaste horizon de questionnements quant à la nature intersectionnelle des phénomènes d’oppression. Est-ce que les Acadiens, en tant que peuple, cessent d’être des victimes de la colonisation anglaise parce qu’ils ont asservi des Noirs? Est-ce que les Noirs cessent d’être des victimes de l’esclavage atlantique parce que l’esclavage était une pratique répandue en Afrique noire? Que faire d’ailleurs des violences à l’intérieur d’une communauté opprimée, notamment à l’encontre des femmes[69]? Plus globalement, pourquoi la mémoire des peuples tend-elle à omettre les aspects moins reluisants de leur histoire? Et comment défendre l’héritage d’une culture minoritaire, peut-être à la survie précaire, sans passer sous silence les injustices du passé?

Si nous nous sommes attardés sur l’univers louisianais de Toussaint et de Constant Melançon, c’est moins pour tâcher de répondre à ces grandes questions que pour éclairer un angle mort de la mémoire acadienne.

La cinéaste néo-brunswickoise Monique LeBlanc consacre un épisode d’une série documentaire sur la présence acadienne aux États-Unis, au fait racial en Louisiane. Acadie black et blanc (2015) apprend au public canadien que les Acadiens louisianais ont eu des esclaves, que des Noirs louisianais ont des origines acadiennes et que, malgré cela, ils ont subi le racisme des Cadiens blancs. Le film est touchant et efficace, mais laisse de côté une question : pourquoi, dans les années 2010, est-ce une révélation? Pourquoi s’étonne-t-on au Canada que des sudistes blancs, francophones ou non, aient possédé des esclaves et aient endossé le racisme?

À partir de la fin du XIXe siècle, la conscience historique acadienne s’organise autour du souvenir du Grand Dérangement qui est un récit victimaire, et aussi un récit de renaissance collective et de résilience contemporaine. Dans sa version traditionnelle, le « grand récit » de l’Acadie a été incarné par la figure d’Évangéline, héroïne éponyme du poème de Longfellow (1847). Vierge mariale, Évangéline est une innocente, comme toutes les victimes de la Déportation selon le discours nationaliste en Acadie. Si le personnage est périmé, le récit de l’héritage qu’elle structure perdure – et le désir de cet héritage, qui est aussi un vecteur de l’identité, cadre mal avec l’esclavagisme des Acadiens et Louisianais d’origine acadienne.

En Louisiane, où l’aspect purement victimaire a cédé au mythe d’une résilience tout américaine, l’éthos égalitaire de l’ancienne Acadie s’est réarticulé après la guerre de Sécession. Ce qui va marquer le souvenir des Cadiens, ce sont surtout les conditions généralisées de pauvreté et de marginalisation des francophones qui dureront deux à trois générations. Dans ce contexte, l’appropriation louisianaise du personnage de Longfellow, au tournant du XXe siècle, aura permis une redéfinition de l’imaginaire collectif : « Évangéline blanchissait les Cadiens en leur donnant une ascendance définitivement blanche en même temps que la romance pastorale et les mœurs paisibles et douces excluaient tout rapport avec l’esclavage », écrit Joseph Yvon Thériault[70].

À travers tout cela, le souvenir du fait esclavagiste aura subi une curieuse entorse : les rudes traitements réservés à plusieurs Acadiens déportés dans les colonies du Sud auront donné lieu à une légende selon laquelle des Acadiens auraient été vendus comme esclaves! C’est faux, mais cela n’aura pas empêché la romancière Antonine Maillet de faire de l’héroïne de Pélagie-la-Charrette, prix Goncourt 1979, une esclave acadienne qui quitte la Géorgie, et de dépeindre des Acadiens vendus à l’encan à côté des Noirs. Encore une fois : cela est faux[71].

La réponse se trouve aussi dans la vision que les Cadiens (blancs) ont projetée, et continuent de projeter, du passé acadien en Louisiane. Le Monument acadien de Saint-Martinville, localité fortement associée à la figure d’Évangéline, en donne une illustration saisissante. Les recherches de l’anthropologue Marc David ont mis en relief le contentieux mémoriel dans cette petite ville travaillée par des tensions raciales. La solution : le Monument acadien dit très peu de l’esclavage tandis que l’African-American Museum, juste à côté, dé-créolise fortement l’expérience locale. En évitant le thème des relations interraciales, on a donc opté pour une mémoire ségréguée[72].

Il se trouve que même la reconnaissance des injustices de l’esclavage tend à maintenir ce cloisonnement. Jetons un bref coup d’œil sur le discours d’un militant franco-louisianais, l’avocat Warren Perrin. Pendant près de 25 ans, ce dernier a mené une campagne pour faire reconnaître par la couronne britannique les torts infligés aux Acadiens au XVIIIe siècle. En 2003, ses efforts pour obtenir « des excuses de la reine » ont abouti à une proclamation royale désignant le 28 juillet comme journée annuelle de commémoration du Grand Dérangement. Cette victoire remportée, M. Perrin a fait publier un ouvrage d’histoire populaire dans lequel il inscrit son combat dans la continuité de la résistance menée par son aïeul, Joseph Broussard dit Beausoleil. L’esclavage apparaît peu – enfin, un peu, mais peu – dans ce récit du héros acadien et de sa progéniture (des planteurs de sucre). Mais ce n’est pas là le problème fondamental. En fait, l’esclavage est signalé, à deux reprises, comme un crime contre l’humanité auquel peut se comparer le Grand Dérangement. Dans ce cadre, des excuses offertes par divers gouvernements aux descendants des victimes de la traite négrière constitueraient autant de précédents à une reconnaissance de la Déportation[73]. L’histoire des Afro-Américains et celle des Acadiens déportés sont ainsi placées en parallèle – ce qui veut dire qu’elles ne se touchent pas. Et pourtant, elles se sont heurtées et entrelacées en Louisiane francophone.

Revisiter le passé répond à des besoins présents et pressants. En Louisiane et à travers le Sud, l’héritage esclavagiste est contesté. Après la relocalisation de quatre monuments à La Nouvelle-Orléans[74], des débats se sont élevés sur la statue, à Lafayette, du général confédéré Alfred Mouton, fils d’un gouverneur et petit-fils d’un Acadien de Grand-Pré, tous des planteurs. Le gommage de l’esclavagisme acadien permet une dissociation par rapport aux enjeux actuels de la justice raciale, ce qui n’a rien pour favoriser une véritable réconciliation.

En Acadie, le désir se manifeste de créer une société accueillante, diversifiée et inclusive. Dans la mesure où la Louisiane cadienne fait partie intégrante de l’imaginaire de la diaspora, où des liens avec la Louisiane sont cultivés à différents niveaux, les violences qui fondent cette culture ne doivent pas être évitées. Après tout, les premiers esclavagistes acadiens, arrivés dans un pays esclavagiste dont ils adoptent les us en matière de hiérarchie raciale, étaient nés à Grand-Pré, à Port-Royal, à Beaubassin ou encore dans les terres d’exil des colonies américaines.

Notre but, disons-le, n’est pas de démanteler la mémoire acadienne à coups de découvertes archivistiques. Cela ne rimerait à rien. Mais il nous semble impératif d’articuler l’acte de résistance étudiée dans les pages précédentes, à une résistance historiographique à l’oubli et à l’effacement d’autres souffrances. Il y a beaucoup à gagner à restituer au passé toute sa densité humaine, faite de contradictions et d’ambiguïtés jusque-là non résolues.

Il est temps de façonner une mémoire lucide et intégrée. Il est temps de faire connaissance avec Toussaint, l’assassin révolté au prénom révolutionnaire.

Pour en savoir plus

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« Le Comité de Vigilance ». Le Courrier des Opelousas (25 septembre 1858), p. 1.

« Les comités de St-Jacques ». Le Courrier des Opelousas (25 septembre 1858), p. 1.

« Procédés pour la fabrication du sucre. Perfectionnements ». Courrier des Opelousas (16 octobre 1858), p. 1.

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*Publié le 29 mars 2018, ce texte a été mis à jour par l’auteur le 7 avril 2020.


[1] « Effects of the Flood on the Crops », The Daily Delta, 1er juillet 1858.

[2] Jean Baptiste Ferchaud Diary, 1850-1940, Manuscripts Collection 769, Louisiana Research Collection, Howard-Tilton Memorial Library, Tulane University, New Orleans.

[3] « Assassinat à St-Jacques », Le Courrier des Opelousas, 14 août 1858.

[4] Sauf indication contraire, toutes les traductions de textes anglais sont de moi. Malcolm X, By Any Means Necessary: Speeches, Interviews, and a Letter, New York, Pathfinder Press, 1970, p. 35-67.

[5] Je tiens à remercier Shane LeBlanc, greffier de la paroisse St-Jacques en Louisiane, pour son aimable assistance pendant mon voyage de recherche en décembre 2017.

[6] Raymond A. Bauer et Alice H. Bauer, « Day to Day Resistance to Slavery », The Journal of Negro History, vol. 27, no 4, octobre 1942, p. 388-419; Hebert Aptheker, American Negro Slave Revolts, New York, International Publishers, 1943, 418 p.; Kenneth M. Stampp, The Peculiar Institution: Slavery in the Old South, New York, Vintage Book, 1956, 436 p.; Eugene D. Genovese, Roll, Jordan, Roll. The World the Slaves Made, New York, Vintage Books, 1974, 823 p.

[7] Eugene D. Genovese, Roll, Jordan, Roll…, p. 598 et 643.

[8] Pour mieux cerner ce débat historiographique sur la résistance au quotidien, voir, entre autres, Lawrence W. Levine, Black Culture and Black Consciousness, New York, Oxford University Pres, 1977, 522 p.; James C. Scott, Weapons of the Weak. Everyday Forms of Peasant Resistance, New Haven et Londres, Yale University Press, 1985, 389 p.; Walter Johnson, « Agency: A Ghost Story », dans Richard Follett, Eric Foner et Walter Johnson, dir., Slavery’s Ghost: The Problem of Freedom in the Age of Emancipation, Baltimore, The John Hopkins University Press, 2011, p. 8-30.

[9] James Oakes, « The Political Significance of Slave Resistance », History Workshop, vol. 22, no 1, automne 1986, p. 97.

[10] Malheureusement, nous n’avons pas repéré les éditions originales des journaux, devenues rarissimes, dans lesquels ont été publiés les articles-sources. Nous avons trouvé ceux-ci reproduits dans plusieurs autres journaux, dont Le Meschacébé, du 31 juillet 1858, de même que L’Abeille de la Nouvelle-Orléans/New Orleans Bee, du 3 août 1858.

[11] Le suicide chez les esclaves, nous le savons bien, représente l’une des pratiques de résistance les plus anciennes et les mieux documentées. À en croire Junius P. Rodriguez, la seule agression physique sur la personne d’un maître blanc pouvait être considérée comme un suicide prémédité, car ce « crime » entraînait ordinairement une sentence de mort. Junius P. Rodriguez, Encyclopedia of Slave Resistance and Rebellion. 1: A-N. Westport, Greenwood Press, 2007, p. 335-336.

[12] The Liberator, 17 septembre 1858.

[13] Carl A. Brasseaux, The Founding of New Acadia: The Beginnings of Acadian Life in Louisiana, 1765-1803, Bâton-Rouge, Louisiana State University Press, 1987, 229 p.; Carl A. Brasseaux, Acadian to Cajun: Transformation of a People, 1803-1877, University Press of Mississippi, 1992, 280 p.; Jill Lepore, « Historians Who Love Too Much: Reflections on Microhistory and Biography », Journal of American History, vol. 88, no 1, juin 2001, p. 129-144.

[14] C’est à Ouidah (Bénin) que quelques 451 Africains captifs sont embarqués en novembre 1718 sur L’Aurore et le Duc du Maine, premiers vaisseaux négriers à parvenir en Louisiane. Pour une liste de tous les voyages connus de bateaux négriers vers la Louisiane pendant le régime français, voir Gwendolyn Midlo Hall, Africans in Colonial Louisiana: The Development of Afro-Creole Culture in the Eighteenth Century, Bâton-Rouge, Louisiana State University Press, 1992, p. 381-397. D’ailleurs son ouvrage nous sert de référence principale en ce qui concerne l’esclavage à l’époque coloniale et l’expérience de la population d’origine africaine.

[15] Gwendolyn Midlo Hall, Africans in Colonial…, p. 279

[16] Henry Wadsworth Longfellow, Évangéline : Conte d’Acadie, Paris, Librairie de Ch. Meyrueis, Éditeur, 1864, p. 20; Marc Lavoie, Les Acadiens et les Planters des Maritimes : une étude de deux ethnies, de 1680 à 1820, thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2002, p. 332; Naomi E. S. Griffiths, From Migrant to Acadian: A North American Border People, 1604-1755, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2004, p. 182.

[17] Andrew Clark Hill, Acadia: The Geography of Early Nova Scotia to 1760, Londres, The University of Wisconsin Press, 1968, p. 179-185, p. 260-261; Michael B. Melanson, Melanson~Melançon: The Genealogy of an Acadian Family, Dracutt, Lanesville Publishing, 2004, p. 21-27 et 39-41; John Mack Faragher, A Great and Noble Scheme: The Tragic Story of the Expulsion of the French Acadians from Their American Homeland, New York, W.W Norton & Co., 2005, p. 62 et 69; Kenneth Donovan, « Slaves and Their Owners in Île Royale, 1713-1760 », Acadiensis, vol. 25, no 1, automne 1995, p. 3-32.

[18] Calcul effectué à partir des données dans « An Account of the Number of Souls in the Province of Maryland, in the Year 1755 », Gentleman’s Magazine, no 34, juin 1764, p. 261. Gregory A. Wood, A Guide to the Acadians in Maryland in the Eighteenth and Nineteenth Centuries, Wheaton, Gateway Press, 1995, p. 166-168.

[19] Lillian C. Bourgeois, Cabanocey: The History, Customs and Folklore of St. James Parish, Gretna, Pelican Publishing Co., 1957, p. 38.

[20] Autrement formulé, tandis que les Acadiens représentent 76 % des chefs de ménage (97 sur 128) en 1779, ils forment 82 % des propriétaires d’esclaves (60 sur 73). Archivo General de Indias – Papeles Procedentes de Cuba (AGI-PPC), Legajo 192 : 334-336.

[21] Si nous faisons abstraction des ateliers de Michel Cantrelle et de François Croizet, officiers coloniaux et planteurs bien établis chez qui résident 25 et 23 personnes en esclavage, cet écart se creuse davantage : une moyenne par ménage de 2,7 esclaves contre 7,26 personnes libres.

[22] Les historiens ne s’entendent pas sur l’unité de mesure représentée par les chiffres donnés par Michel Cantrelle, responsable de ce recensement. Ce sont soit des demi-boisseaux, soit des boisseaux… ou peut-être des quarts de boisseaux! Notons que le maïs, ainsi que le riz se substituent au blé cultivé en Acadie, mais qui pousse mal en Louisiane.

[23] Carl A. Brasseaux, The Founding of…, p. 195-196.

[24] James H. Dormon, The People Called Cajuns: An Introduction to an Ethnohistory, Lafayette, Center for Louisiana Studies, 1983, p. 50.

[25] La réputation de Saint-Malo est attestée au XIXe siècle par une complainte en langue créole, « Ouarra Saint-Malo » (dans George Washington Cable, « Creole Slave Songs », The Century Magazine, vol. 31, no 6, avril 1886, p. 807-828), dont la strophe suivante (traduite par nous) rappelle la crainte qu’il avait suscitée chez les Blancs et l’admiration qu’il avait inspirée chez les autres : « Ils l’ont accusé de préparer un complot/Pour trancher le cou à tous les Blancs/Ils lui ont demandé de nommer ses complices/Mais pauvre Saint-Malo ne leur a rien dit! ». Gilbert C. Din, «  »Cimarrones » and the San Malo Band in Spanish Louisiana », Louisiana History, vol. 21, no 3, 1980, p. 237-262; Gwendolyn Midlo Hall, Africans in Colonial…, p. 201-236.

[26] Le Courrier des Opelousas, 14 octobre 1854; John W. Blassingame, dir., Slave Testimony: Two Centuries of Letters, Speeches, Interviews, and Autobiographies, Bâton-Rouge et Londres, LSU Press, 1977, p. 394-395.

[27] AGI-PPC, Legajo 198A : 455-458, Judice à Miró, 13 novembre 1785.

[28] Carl A. Brasseaux, The Founding of…, p. 193-195.

[29] Gwendolyn Midlo Hall, Africans in Colonial…, p. 373.

[30] AGI-PPC, Legajo 31 : 461, Cantrelle à Carondelet, 23 avril 1795.

[31] « Code noir » (7 juin 1806), dans Louis Moreau Lislet, Digeste général des actes de la législature de la Louisiane, passés depuis l’année 1804 jusqu’en 1827, inclusivement, et en force de loi à cette dernière époque, suivi d’un appendix et d’une table des matières, La Nouvelle-Orléans, Benjamin Levy, 1828, p. 220-249.

[32] Ibrahima Seck, Bouki Fait Gombo: A History of the Slave Community of Habitation Haydel (Whitney Plantation), Louisiana, 1750-1860, La Nouvelle-Orléans, University of New Orleans Press, 2014, p. 112-113.

[33] L’introduction définitive de la canne à sucre remonte à 1795, grâce aux efforts d’Étienne de Boré, un Créole des Illinois et le premier maire de La Nouvelle-Orléans américaine, qui met au point une technique de granulation, en collaboration avec son beau-frère Jean-Noël d’Estrehan – chez qui aura lieu le procès des chefs de la rébellion de 1811.

[34] John C. Rodrigue, Reconstruction in the Cane Fields: From Slavery to Free Labor in Louisiana’s Sugar Parishes, 1862-1880, Bâton-Rouge, LSU Press, 2001, p. 10.

[35] Les propriétaires d’esclaves sont minoritaires dans les paroisses de l’Assomption (30 %) et de Lafourche (12 %), qui comprennent néanmoins d’importantes zones de culture sucrière où l’esclavagisme domine. Carl A. Brasseaux, The Founding of…, p. 196.

[36] Dans la plus importante paroisse sucrière, Ste-Marie – St-Jacques étant la deuxième – ce chiffre monte à 72 % (3 847 sur 13 697). Dans la paroisse des Tensas, plus au nord, le rapport esclaves/libres est de 8,4 pour 1. J. D. B. DeBow, Statistical View of the United States: embracing its territory, population – white, free colored, and slave – moral and social condition, industry, property, and revenue; the detailed statistics of cities, towns and counties; being a compendium of the seventh census, to which are added the results of every previous census, beginning with 1790, in comparative tables, with explanatory and illustrative notes, based upon the schedules and other official sources of information, Washington, Beverley Tucker, Census Printer, 1854, p. 242 et 248; Damian Alan Pargas, The Quarters and the Field: Slave Families in the Non-Cotton South, Gainesvilles, University Press of Florida, 2010, p. 36.

[37] Diocese of Baton Rouge Catholic Church Records. Volume 3 (1804-1819), Bâton-Rouge, Diocese of Baton Rouge Department of Archives, 1982, p. 621; Michael B. Melanson, Melanson~Melançon: The…, p. 123; Recensement fédéral des États-Unis, 1810.

[38] En 1817, Marie-Josèphe LeBlanc, veuve Joseph Melançon père, cède quatre esclaves et des bêtes à cornes à son fils Joseph et à deux beaux-fils, moyennant une rente viagère. Paroisse St-Jacques, Conveyance Record 5, 1816-1817, no 45, p. 693-696.

[39] Richard Follett, The Sugar Masters. Planters and Slaves in Louisiana’s Cane World, 1820-1860, Bâton-Rouge, LSU Press, 2005, p. 55-66.

[40] Cour des preuves de la paroisse St-Jacques (CP-SJ), no 456, Copy of the Process Verbal of the Inventory of the Estate of the Late Joseph Melançon, Jun., 10 janvier 1836.

[41] CP-SJ; Melanson~Melançon: The…, p. 21-27, 39-41.

[42] Marie J. Schwartz signale que, même dans les meilleurs cas, des amitiés durables entre enfants blancs et noirs, n’en renforçaient pas moins « l’idée selon laquelle les Noirs devaient servir les Blancs et que ces premiers occupaient une position inférieure dans la société du Sud », et cela jusque dans leurs jeux où « les enfants slaves apprenaient à obéir, les enfants esclavagistes à commander. » Marie Jenkins Schwartz, Born in Bondage: Growing Up Enslaved in the Antebellum South, Cambridge, Harvard University Press, 2000, p. 94.

[43] Frederick Law Olmsted, A Journey in the Seaboard Slave States with Remarks on Their Economy, New York, Dix & Edwards, 1856, p. 113; Frederick Douglass, My Bondage and My Freedom, New York et Auburn, Miller, Orton & Mulligan, 1855, p. 40; Jeff Forret, Race Relations at the Margins. Slaves and Poor Whites in the Antebellum Southern Countryside, Bâton-Rouge, LSU Press, 2006, p. 35-39; Damian Alan Pargas, The Quarters and the Fields: Slave Families in the Non-Cotton South, Gainesville, University Press of Florida, 2011, coll. « New Perspectives on the History of the South », 274, p. 84-85.

[44] Solomon Northup, Twelve Years a Slave: Narrative of Solomon Northup, a Citizen of New-York, Kidnapped in Washington City in 1841, and Rescued in 1853, from a Cotton Plantation Near the Red River, in Louisiana, New York, Miller, Orton & Mulligan, 1855, p. 194; Richard Follett, The Sugar Masters…, p. 142. Pour un survol du régime de travail en milieu sucrier et une évaluation de son impact sur le mode de vie des ouvriers en esclavage à St-Jacques, voir aussi Damian Alan Pargas, The Quarters and the Fields…, p. 54-62.

[45] Daily Picayune, 30 mars 1845.

[46] Pierre A. Champomier, Statement of Sugar Made in Louisiana in 1844, La Nouvelle-Orléans, 1845, p. 10.

[47] William Kauffman Scarborough, Masters of the Big House: Elite Slaveholders of the Mid-Nineteenth-Century South, Bâton-Rouge, LSU Press, 2003, p. 137.

[48] Il va sans dire, en ce qui concerne toute distinction en fonction des origines ethniques, que le patronyme n’offre qu’un indice très imparfait que les historiens retiennent tout de même, faute d’autres marqueurs « d’acadianité ». Recensement fédéral des États-Unis, 1850, Slave Schedule, paroisse St-Jacques. Je suis reconnaissant envers Cody Donaldson, assistant de la CRÉAcT, pour le temps qu’il a consacré au tri de ces données.

[49] CP-SJ, no 310, Inventaire des biens de feu Joseph Paul Fabre, 12 février 1836; CP-SJ, no 456. Pour une étude des indices de la mobilité sociale chez une autre famille d’origine acadienne, voir William Riehm et Robin White, « Reconstructing a Material Culture through the Language of an Acadian Planter: An Examination of the 1848-1851 Plantation Journal, Elie Landry Estate Record Book », Louisiana History, vol. 58, no 1, hiver 2017, p. 38-58.

[50] CP-SJ, no 310, Inventaire des biens…; CP-SJ, no 456.

[51] The Calendar of the St. Xavier College, Cincinnati, Ohio, for the Academical Year 1843-44, Cincinnati, Xavier University, 1844, p. 12; The Calendar of the St. Xavier College, Cincinnati, Ohio, for the Academical Year 1844-45, Cincinnati, Xavier University, 1845, p. 6; « Distribution of Premiums in the Literary Department of St. Xavier College », Catholic Telegraph, vol. 14, no 28, 17 juillet 1845, p. 219; The Daily Delta, 19 juillet 1846, p. 2; Stanford Emerson Chaillé, Historical Sketch of the Medical Department of the University of Louisiana: Its Professors and Alumni, from 1835 to 1862, La Nouvelle-Orléans, Bulletin Book and Job Office, 1861, 18 p.

[52] Transferts de propriété – paroisse Saint-Jacques (TP-SJ), livre 24, 1846-1848, p. 67-68; Recensement fédéral des États-Unis, 1850, paroisses St-Jacques, St-Landry et Assomption (Louisiane), comté de Frederick (Maryland); « État des habitants accadiens établis sur les deux rives du fleuve », septembre 1769, AGI-PPC, Legajo 187A : 214-227; Diocese of Baton Rouge Catholic Church Records. Volume 7 (1848-1852), Bâton-Rouge, Diocese of Baton Rouge Department of Archives, 1987, p. 365.

[53] Recensement fédéral des États-Unis, Slave Schedule, 1850; Actes originaux de la paroisse St-Jacques (AO-SJ), vol. 19, 1853-1854, livre 2, no 155, p. 449-454.

[54] William Kauffman Scarborough, The Overseer. Plantation Management in the Old South, Bâton-Rouge, LSU Press, 1968, p. xi.

[55] Scarborough signale trois classes d’économes dans le Vieux Sud : les fils de famille se destinant à une carrière de planteur, les gestionnaires professionnels et, moins réputés, des économes amateurs itinérants. William Kauffman Scarborough, The Overseer. Plantation…, p. 5. William Howard Russell, My Diary North and South, Boston, T.O.H.P. Burnham, 1863, p. 262; Richard Follett, The Sugar Masters…, p. 123. Les chiffres sur les économes de St-Jacques sont tirés du Recensement fédéral des États-Unis de 1850, Population Schedule et Slave Schedule.

[56] Registre des hypothèques – paroisse Saint-Jacques (RH-SJ), livre H, no 295, p. 285; AO-SJ, vol. 18, 1853-1854, livre 1, no 111, p. 30-31.

[57] RH-SJ, livre H, no 296, p. 286.

[58] Avant la guerre il n’y a pas beaucoup de raffineries en Louisiane et la vaste majorité du produit des plantations est transformé en sucre brut (brun) ou en mélasse. E. J. Forstall, « Louisiana Sugar », DeBow’s Review, vol. 1, no 1, janvier 1846, p. 53-56.

[59] Données tirées des rapports annuels de P. A. Champomier, Statement of the Sugar Crop Made in Louisiana. Nous remercions le personnel de la Hill Memorial Library à LSU ainsi que Sean Benjamin de la Louisiana Research Collection de l’Université Tulane, de nous avoir facilité l’accès à ces documents. Au sujet des conditions très défavorables de 1856-1857, voir l’introduction de P. A. Champomier dans Statement of the Sugar Crop of Louisiana of 1856-57, La Nouvelle-Orléans, Cook, Young & Co., 1857, p. ix-xii.

[60] Henri-Louis-Frédéric Melsens, Nouveau procédé pour l’extraction du sucre de la canne et de la betterave, Bruxelles, Deltombe, 1849. 30 p.; « Procédés pour la fabrication du sucre. Perfectionnements », Courrier des Opelousas, 16 octobre 1858, p. 1; « Melançon’s Certificate », Daily Picayune, 7 novembre 1854, p. 4; « Nécrologie : Constant P. Melançon », Le Démocrate de la Pointe-Coupée, 14 août 1858, p. 1.

[61] Frank M. Cayton, Landings on All the Western and Southern Rivers and Bayous, Showing Location, Post-Offices, Distances, &c., St-Louis, Woodward, Tiernan & Hale, 1881, p. 28.

[62] RH-SJ, livre K, no 259, p. 337; Diocese of Baton Rouge Catholic Church Records. Volume 9 (1858-1862), Bâton-Rouge, Diocese of Baton Rouge Department of Archives, 1989, p. 386.

[63] Voir Alex Lichtenstein, « “That Disposition to Theft, with Which They Have Been Branded”: Moral Economy, Slave Management, and the Law », Journal of Social History, vol. 21, no 3, printemps 1988, p. 413-440.

[64] « Comité de Vigilance à St-Jacques », Le Meschacébé, 14 août 1858, p. 1; « Les comités de St-Jacques », Le Courrier des Opelousas, 25 septembre 1858, p. 1.

[65] Idem.; « Les comités de… ».; « Louisiana Intelligence », New Orleans Daily Crescent, 17 août 1858, p. 2; « Difficulties in the Parish of St. James », Daily Picayune, 1er septembre 1858, p. 3; « Vol et vente de whiskey aux nègres », Le Meschacébé, 18 septembre 1858, p. 1; « Le Comité de Vigilance », Le Courrier des Opelousas, 25 septembre 1858, p. 1; « Encore le whiskey », Le Meschacébé, 30 octobre 1858, p. 1.

[66] Alexandre Barde, Histoire des comités de vigilance aux Attakapas, Saint-Jean-Baptiste, imprimerie du Meschacébé et de l’Avant-Coureur, 1861, p. 10 et 400.

[67] RH-SJ, livre I, no 375, p. 275-277, et no 461, p. 381-385; RH-SJ, livre J, no 46, p. 43, no 83, p. 78-80, et no 151, p. 159-167; Recensement fédéral des États-Unis, 1860, Slave Schedule, paroisse St-Landry.

[68] Daily Picayune, 15 octobre 1860, p. 1. En vérité, les allégeances politiques sont plus complexes que ce portrait éclair ne permet de le montrer. Les planteurs de sucre, et ceux de St-Jacques tout particulièrement, sont, bien que farouchement esclavagistes, massivement opposés à la sécession pour des raisons liées aux besoins de leur industrie. Ce n’est qu’après la formation des États confédérés d’Amérique qu’ils se porteront à la défense du projet sécessionniste.

[69] Il a été reproché à Blassingame, par exemple, de tenir pour une forme d’autonomie positive la non-intervention des maîtres lorsqu’un homme esclave battait sa femme. Voir George P. Rawick, « Some Notes on a Social Analysis of Slavery: A Critique and Assessment of The Slave Community », dans Al-Tony Gilmore, dir., Revisiting Blassingame’s The Slave Community: The Scholars Respond, Westport, Greenwood Press, 1978, p. 21-22.

[70] Joseph Yvon Thériault, Évangéline : contes d’Amérique, Montréal, Québec Amérique, 2013, p. 317.

[71] Carl A. Brasseaux, “Scattered to the Wind”: Dispersal and Wanderings of the Acadians, 1755-1809, Lafayette, University of Southwestern Louisiana, 1991, p. 15; Antonine Maillet, Pélagie-la-Charrette, Montréal, Leméac, 1979, 351 p.

[72] Marc David, « The Acadian Memorial As Civic Laboratory: Whiteness, History, and Governmentality in a Louisiana Commemorative Site », Museum Anthropology Review, vol. 4, no 1, 2010, en ligne.

[73] Warren A. Perrin, Acadian Redemption: From Beausoleil Broussard to the Queen’s Royal Proclamation, Opelousas, Andrepont Publishing, 2004, p. 109 et 113.

[74] Voir Clint Bruce, « Le crépuscule des idoles de bronze », Astheure, 25 mai 2017, en ligne.