Recension de Hockey : Challenging Canada’s Game – Au-delà du sport national, dirigé par Jenny Ellison et Jennifer Anderson

Publié le 2 avril 2019

Par Étienne Lapointe, candidat au doctorat en sciences des religions, UQAM

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Depuis la parution en 1993 de Hockey Night in Canada : Sport, Identities and Cultural Politics[1], la plupart des chercheur.e.s canadien.ne.s s’intéressant au hockey en tant que phénomène culturel ont cherché à déconstruire le mythe tenace qui fait de ce sport d’hiver le ferment de l’identité canadienne[2]. C’est dans cette perspective que s’inscrit Hockey : Challenging Canada’s Game – Au-delà du mythe national, un ouvrage collectif, bilingue et pluridisciplinaire dirigé par les historiennes Jenny Ellison et Jennifer Anderson. C’est en faisant appel à des chercheur.e.s issus d’horizons disciplinaires variées que les co-directrices espèrent explorer les différentes « experiences of class, gender, race/ethnicity, language, ability, sexual orientation, and region [3] » en lien avec la pratique du hockey.

Outre l’introduction signée par Ellison et Anderson, l’ouvrage est divisé en cinq parties composées de sept « documents[4] » et de quinze chapitres qui offrent un regard critique sur un aspect particulier du hockey. Ainsi, la première partie est consacrée aux origines et à l’histoire du hockey. Dans le premier chapitre, Andrew Holman est d’avis que l’étude historique du hockey pourrait servir à approfondir les connaissances sur la société canadienne notamment en regard des divisions régionales, linguistiques, raciales et de genre. En effet, selon lui l’histoire de ce sport d’hiver est le reflet de la volonté d’unir une population hétérogène à partir d’un phénomène culturel commun. Paul W. Bennett et Michael Robidoux quant à eux se montrent favorables à une révision du récit « créationniste » du hockey qui serait le reflet des rapports de domination en vigueur dans une société qui n’aurait pas su se défaire de son héritage colonialiste. En somme, ces trois auteurs proposent une révision des mythes fondateurs du hockey afin de mieux rendre compte de son apport à la complexité de la société canadienne.

La seconde partie pose un regard critique sur l’imaginaire de l’enfance et le hockey. En effet, celui-ci est souvent associé au monde de l’enfance en raison de son caractère ludique d’abord, mais aussi en tant qu’outil façonnant la personnalité. C’est dans cette perspective que Sam McKegney et Trevor Phillips abordent le roman de Richard Wagamese, Indian Horse, dans lequel le hockey est décrit autant comme un instrument de la colonisation du territoire canadien aux dépens des Premières Nations qu’un moyen de réappropriation culturelle et territoriale par celles-ci. Carly Adams et Jason Laurendeau retracent l’évolution de l’organisation du hockey mineur et des représentations du corps des enfants au cours du XXe siècle. Ils arrivent à la conclusion que le hockey contribue à l’éducation morale et citoyenne de la jeunesse tout en étant la prolongation des privilèges de classe d’une génération à l’autre. Enfin, l’historien Robert Rutherdale s’intéresse à la pratique extérieure du hockey qui constituerait un mythe à l’intérieur du mythe. Autrement dit, le caractère romantique de la pratique extérieure du hockey repose sur la nostalgie d’un passé idéalisé qui fait fi des changements historiques et culturels que le Canada a connus au cours des dernières décennies.

Dans la partie consacrée au hockey féminin, Julie Stevens s’intéresse aux Canadiennes qui participent à la diffusion du hockey et à sa pratique à l’extérieur du pays. La légitimité du hockey féminin est constamment remise en question en raison de la faiblesse des équipes nationales à l’exception de celles du Canada et des États-Unis. Conséquemment, des femmes passionnées par leur sport s’exilent afin de participer au développement de programmes de hockey à l’étranger qui visent d’abord à faire connaître le sport, et ensuite à relever le calibre de la compétition. Pour sa part, Denyse Lafrance Horning vise à donner de la visibilité aux femmes de tous âges qui jouent au hockey de manière récréative. Cet espace de sociabilité permet à de nombreuses femmes, issues d’univers différents, de partager une passion commune.

Les médias sont l’objet d’analyse privilégié des quatre chapitres qui forment la partie intitulée « Reporting Media ». Leur influence dans la diffusion du hockey et dans la construction des représentations symboliques qui lui sont rattachées n’est plus à démontrer. Ce sont les représentations de la masculinité qui attirent ici l’attention de la majorité des auteur.e.s. Dans un premier temps, l’historien Tobias Stark analyse la presse suédoise de 1920 à 2016. L’utilisation de sources étrangères offre un point de vue inusité en regard des représentations de la masculinité étroitement associées à la robustesse et à la violence par les journalistes suédois. Pour sa part, Kristi Allain se dit préoccupée par la « hockeyisation » des représentations de la masculinité émanant du curling, « l’autre sport national » d’hiver du Canada. Elle affirme que les médias ont été les principaux auteurs de ce phénomène d’homogénéisation des représentations véhiculées par le sport. Ceci pourrait avoir comme conséquence d’altérer l’imaginaire national en réduisant les types d’identités sportives.

La sociologue Cheryl MacDonald propose les résultats d’une enquête menée auprès de joueurs de hockey de niveau Midget AAA dans le dessein d’approfondir la connaissance quant à leurs représentations de l’homosexualité et du genre. En conclusion, elle affirme que l’homophobie, bien qu’en régression, est tout de même largement plus présente dans les milieux du hockey que dans la société en général. Enfin, Courtney Szto et Richard Gruneau quant à eux proposent une étude en « ethnic sports media » en s’intéressant à Hockey Night in Canada (HNIC) Punjabi offerte par la CBC depuis 2008. Selon les auteur.e.s, HNIC Punjabi constitue un outil d’intégration culturelle mis sur pied par la communauté pendjabie elle-même alors que le hockey servait auparavant d’instrument d’assimilation.

La dernière partie a pour titre « Rethinking the Pros » et est la seule section réservée à ce groupe de hockeyeurs qui tient habituellement le haut du pavé de la recherche scientifique. Dans un premier temps l’historien Andrew Ross se penche sur la première mouture de la National Hockey League Players’ Association (NHLPA) qui aura brièvement existé à la fin des années 1950. L’auteur démontre le retard du hockey professionnel en matière de relations de travail par rapport aux autres sports nord-américains en argumentant sur l’intériorisation du discours des propriétaires par les joueurs professionnels. L’historien Laurent Turcot revient pour sa part sur la saga ayant opposé Eric Lindros et les Nordiques de Québec alors que le jeune prodige avait refusé de se rapporter à l’équipe québécoise qui en avait fait son tout premier choix au repêchage de 1991. Turcot relate ce drame sportif en le replaçant dans son contexte politique particulier – l’après Meech -, qui a, sans l’ombre d’un doute, participé à la politisation de l’affaire. Enfin, Nathan Kalman-Lamb se penche sur les représentations raciales chez d’anciens joueurs de hockey professionnel avec lesquels il a mené des entrevues semi-dirigées. Il conclut de ces entretiens qu’il est difficile, voire impossible pour ces anciens joueurs de reconnaître la présence du racisme parce que cela entre en contradiction avec l’idéal du multiculturalisme canadien. Or, cet idéal d’égalité raciale et culturelle est manifestement illusoire lorsque l’on constate l’ambivalence dont font preuve les ex-professionnels interviewés sur cette question. Autrement dit, malgré un discours officiel prétendant faire du hockey l’expérience canadienne par excellence, Kalman-Lamb conclut que l’imaginaire du hockey demeure imprégné de colonialisme blanc.

De manière générale, on ne peut que saluer la démarche de Jenny Ellison et Jennifer Anderson qui ont rassemblé un imposant contingent de spécialistes du hockey issus d’horizons disciplinaires aussi variés que les aspects abordés. Alors que le hockey professionnel est habituellement le centre d’intérêt de bien des chercheur.e.s universitaires et détient une part importante des publications scientifiques sur le sport au Canada, les recherches sur le hockey amateur ou récréatif ainsi que sur le hockey féminin rassemblées ici sont un apport significatif à la connaissance. Par contre, on notera l’absence d’une partie sur le public qui assiste au spectacle qu’est le hockey tant au niveau communautaire et amateur que professionnel. À la rigueur, un chapitre aurait été bienvenu sur cet aspect, car sans spectateurs, le hockey n’est plus tout à fait un spectacle. Et s’il attire autant l’attention, s’il soulève autant les passions, c’est bien en raison de son caractère spectaculaire.

L’impression qu’on retire de la lecture de Hockey : Challenging Canada’s Game – Au-delà du sport national, c’est la volonté des codirectrices et des collaborateur.trice.s de décoloniser le savoir sur le hockey. En effet, il appert encore trop souvent que l’identité nationale soit le thème privilégié des recherches sur le hockey, mais une identité nationale qui réfère soit aux Québécois francophones ou au « old stock Canadians » pour reprendre les mots de l’ancien premier ministre canadien Stephen Harper. Si le hockey est le reflet de l’histoire, de l’identité et de la culture canadiennes, force est d’admettre que de nombreux individus ne peuvent s’y reconnaître, car ils et elles ne figurent pas dans l’imaginaire et la mémoire collective associés au hockey.


[1] Richard S. Gruneau et David Whitson, Hockey Night in Canada: Sport, Identities and Cultural Politics, Toronto, University of Toronto Press, 1993, 312 p.

[2] Les ouvrages, surtout littéraires et populaires, qui alimentent ce mythe sont nombreux tout comme le sont, plus récemment en raison d’un accroissement de la recherche académique, ceux qui l’analysent et le déconstruisent. Ce n’est pas le lieu ici d’en dresser une liste, je renvoie tout de même le lecteur et la lectrice à l’ouvrage de Michael Buma, Refereeing Identity: The Cultural Work of Canadian Hockey Novels, Montreal and Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2012, 336 p.

[3] Jenny Ellison et Jennifer Anderson, « Introduction: Challenging Hockey » dans Jenny Ellison et Jennifer Anderson (dir.), Hockey: Challenging Canada’s Game – Au-delà du sport national, Ottawa, University of Ottawa Press, 2018, p. 1?15.

[4] Chacun de ses documents offre un témoignage sur un joueur (Maurice Richard, Joe Malone par exemple) ou sur un aspect (hockey féminin, hockey autochtone) qui ajoute à la diversité des sujets abordés tout en donnant un ton un peu moins académique à l’ouvrage.