Recension de l’ouvrage de Robyn Maynard, Policing Black Lives : State Violence in Canada from Slavery to the Present

Publié le 25 octobre 2018

Par Pierre Cras, historien, docteur en civilisation américaine et chargé d’enseignement à l’Institut Catholique de Paris (ICP)

Féministe intersectionnelle et intellectuelle, Robyn Maynard milite depuis une dizaine d’années au sein de la sphère activiste canadienne. Elle a notamment participé à la création du groupe militant « Montreal Noir » qui lutte contre le racisme envers les populations noires du Québec et est très engagée contre les violences policières et le profilage racial. Robyn Maynard est régulièrement invitée à s’exprimer sur ces problématiques dans nombre de médias locaux et nationaux.

Dans son dernier ouvrage publié fin 2017, Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present, elle analyse les éléments constitutifs d’une violence d’État envers les Noirs.es qui se manifeste à travers des dynamiques économiques, politiques, judiciaires et éducatives et contredit de facto le mythe tenace d’une société canadienne unie autour d’un idéal multiculturel. Source précieuse pour quiconque s’intéresse à la question afro-canadienne, Policing Black Lives vient combler un manque dans l’historiographie du pays qui, hormis de rares exceptions, n’a laissé que peu de place aux voix des Noirs.es. La démarche adoptée par l’auteure se situe à mi-chemin entre travail de recherche et manifeste militant. Robyn Maynard s’inscrit de ce fait dans la lignée de l’historienne Dorothy Williams qui, dès 1986, pointait déjà du doigt l’absence d’études universitaires canadiennes sur les spécificités de la question noire canadienne dans son livre Blacks in Montreal : 1628-1986.

Dans la première partie de Policing Black Lives, Robyn Maynard se penche sur la dévalorisation de l’individu noir et la négation de son existence à travers sa diabolisation, puis sa criminalisation. L’auteure remonte ainsi aux sources de l’esclavage dont elle établit le commencement en 1628; date à laquelle le premier individu noir réduit en esclavage, Olivier Le Jeune, débarque sur les rives de l’actuel Québec. L’auteure précise par ailleurs que l’absence d’une économie esclavagiste basée sur l’exploitation de plantations ne doit en aucun cas minorer la violence de ses pratiques ou son importance dans l’histoire du pays.

Le premier chapitre met à mal l’image d’Épinal du Canada comme une terre de liberté et but ultime des esclaves étasuniens en fuite à travers le réseau de solidarité du « chemin de fer clandestin » / Underground Railroad. Bien au contraire, les loyalistes blancs qui avaient émigré au Canada en compagnie de milliers d’esclaves après la Guerre d’indépendance américaine (1775-1783) ont renforcé la pratique de l’esclavage sur le territoire de la Nouvelle-Écosse. Les captures et reventes d’esclaves noirs en fuite n’étaient pas rares dans le Canada pré-Confédération et ont poussé certains fugitifs à retourner aux États-Unis par le biais du « chemin de fer clandestin inversé ».

Par ses recherches, l’auteure remet en cause les idées reçues au sujet du Canada tant anglophone que francophone. Elle déconstruit alors cette image prégnante de terre d’accueil à l’aura abolitionniste certaine et privilégiée par les esclaves étasuniens en fuite. De plus, Robyn Maynard renouvelle l’historiographie sur cette question et s’inscrit en faux contre l’idée véhiculée entre autres par la célèbre historien Marcel Trudel selon laquelle les propriétaires d’esclaves canadiens allaient jusqu’à « donner à leur esclavage un petit air patriarcal, un certain caractère familial » et au sein duquel, bien souvent « l’esclave ne se distingue pas du domestique et, en bien des cas, on le considère comme un enfant adoptif »[1].

Policing Black Lives et son auteure offrent, de plus, un regard alternatif sur l’importante historiographie consacrée au chemin de fer clandestin ou encore aux relations souvent décrites comme idylliques entre esclaves africains-américains et réseaux de solidarité abolitionnistes canadiens. Robyn Maynard adopte ici une démarche de déconstruction historique voisine de celle récemment mobilisée par Bryan Prince dans son article intitulé « The Illusion of Safety: Attempts to Extradite Fugitive Slaves from Canada », publié en 2016 dans l’ouvrage collectif A Fluid Frontier: Slavery, Resistance, and the Underground Raildroad in the Detroit River Boarderland.

Robyn Maynard s’intéresse également à la période qui a suivi l’abolition de l’esclavage au Canada (1834) et qui a vu l’instauration de la ségrégation sur le territoire. À l’instar des États-Unis, le Canada a ainsi progressivement et légalement restreint les déplacements de la population noire nouvellement libre. Cette pratique de confinement s’est également assortie de l’élaboration de catégorisations ethno-raciales aux implications sociales et politiques. On assiste ainsi, dans le cas de la population d’ascendance africaine, à un glissement ontologique depuis le statut légal d’esclave, à celui de « noir », qui obéissait à un déterminisme biologique. La ségrégation raciale de la communauté noire canadienne prit ensuite forme au XIXe siècle à travers l’existence d’écoles séparées particulièrement présentes en Ontario, en Alberta et en Nouvelle-Écosse. La dernière école ségréguée — qui était située en Nouvelle-Écosse  — ne fermera ses portes qu’en 1983.

La dernière partie de ce premier chapitre, particulièrement riche en sources historiques, revient sur deux formes de mise à l’écart des populations noires qui cherchaient à fuir l’esclavage et les lynchages des États-Unis aux XIXe et XXe siècles: les contrôles migratoires et la criminalisation des individus. Dans cette section, l’auteure revient notamment sur les liens anciens qui unissent la notion de criminalité à la représentation des Noirs.es dans l’inconscient collectif. Elle argue ainsi que le premier exemple de cette association est intimement lié à l’esclavage: les esclaves en fuite étant les premiers criminels dont l’image fut largement diffusée sur tout le territoire. Robyn Maynard aborde également la question de la menace sexuelle permanente et latente que représentaient les hommes noirs canadiens, régulièrement dépeints comme des « violeurs potentiels » et des êtres hypersexués qu’il fallait empêcher de circuler librement à l’aide de lois spécifiques[2].

Les lois contre la prostitution ont constitué à ce titre une part importante du processus de criminalisation systémique. Bien qu’il soit difficile d’établir précisément le nombre exact de femmes noires qui furent réellement travailleuses du sexe, il est significatif que les arrestations sur la voie publique pour ce type d’activités touchaient proportionnellement beaucoup plus les femmes noires que les femmes blanches. À titre d’exemple, entre 1864 et 1873, les femmes noires ne constituaient que 3% de la population totale de la ville d’Halifax, mais représentaient cependant 40% des femmes incarcérées pour prostitution supposée[3]. Selon l’auteure, de telles mesures visaient également à limiter l’accès à l’espace public des populations noires du Canada sous couvert d’une lutte contre la criminalité empreinte de considérations afférentes aux « pathologies » de la Blackness [4].

Le deuxième chapitre, intitulé The Black side of the mosaic: Slavery, racism, capitalism and the making of contemporary Black poverty, aborde un aspect plus économique de la problématique de la violence d’État. Comme le précise l’auteure, l’adoption d’idéaux multiculturalistes a masqué les inégalités sociales et économiques qui séparent les afro-descendants.es canadiens.es du reste de la population. Robyn Maynard débute son analyse par un rappel historique et mentionne le « mythe national »[5] entretenu depuis les années 1960-1970. Ce dernier consiste en la création d’une mythologie basée sur l’idée d’égalité de droits humains entre les citoyens.nes canadiens.nes sans distinction d’âge, de genre, de religion ou d’appartenance ethnique. Elle rappelle ainsi que le Canada se reconnaît légalement comme une nation « multiculturelle » depuis 1971, mais que cette définition auto-attribuée ne tient plus dès lors que l’on se penche sur les conditions de vie des Afro-Canadiens.nes.

Malgré cette volonté officielle d’ouverture et de dialogue, les Afro-Canadiens.nes demeurent parmi les populations les plus pauvres du Canada et font face à de multiples formes de discrimination à l’embauche, au logement, à la scolarisation, ainsi que salariales et professionnelles dans le service public. L’auteure montre, à travers ce chapitre, que les discussions actuelles sur le racisme à l’encontre des populations noires nord-américaines ont tendance à se concentrer sur les brutalités policières et moins sur d’autres formes de violences structurelles qu’elle juge beaucoup plus insidieuses. Par les propos tenus dans ce chapitre, l’auteure déconstruit méthodiquement le mythe tenace et largement diffusé d’un multiculturalisme canadien irrémédiablement positif et exempt de tout défaut.

Selon Maynard, l’adoption d’une politique multiculturaliste qui « gommait » les différences et par la même occasion les inégalités potentielles entre citoyens.nes. canadiens.nes. n’a pas eu les effets escomptés. Bien au contraire, cette politique aurait accentué les écarts entre populations blanches et noires en participant de l’invisibilisation des particularismes sociaux et de l’expérience historique des Afro-Canadiens.nes.

En 1962, l’adoption au Canada de l’Immigration Act a entériné légalement cette volonté de neutralité à but égalitariste en supprimant expressément toutes les références à l’appartenance ethnique et aux origines géographiques des aspirants.es à la citoyenneté canadienne. Puis, en 1967, un système basé sur l’attribution de points reposant sur des critères tels que le niveau d’instruction, l’âge et les langues parlées, fut mis en place afin de sélectionner les migrants les plus aptes à apporter leur contribution économique au pays. Maynard mentionne le double discours qui fut mis en place à partir de 1971 et encourageait publiquement les minorités migrantes à conserver leur identité culturelle tout en poursuivant d’un autre côté une entreprise de confiscation et de destruction des territoires des premiers peuples notamment à Attawapiskat.

À l’occasion du deuxième chapitre, l’auteure s’intéresse aux conséquences du « capitalisme racial »[6] qui a accompagné l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Elle revient sur la mise en place de différents programmes gouvernementaux destinés à favoriser l’attribution d’emplois à durée déterminée à des minorités, et en particulier ceux des individus caribéens et africains. Elle cite l’exemple du Caribbean Domestic Scheme (CDS) et du Caribbean Seasonal Agricultural Workers Program (SAWP), deux programmes instaurés après la Seconde Guerre mondiale et qui permirent aux femmes noires de faire leur entrée sur le marché du travail en qualité de domestiques. L’auteure souligne que cette orientation professionnalisante était basée sur un postulat racial qui reproduisait les structures de subordination économique, politique et sociale déjà éprouvées pendant l’esclavage (à savoir des femmes noires travaillant en tant qu’employées de maison au service de familles blanches).[7]

Robyn Maynard s’intéresse ensuite à l’emploi précaire des hommes caribéens à travers le SAWP. Cette entente fut mise en place entre les gouvernements canadien, jamaïcain, barbadien et trinidadien à partir de 1966. Destiné à pallier le manque de main-d’œuvre du secteur de l’agriculture, le SAWP ne proposait à ses participants qu’un contrat à durée limitée sans possibilité d’acquérir la citoyenneté par la suite, ainsi que des conditions de travail régulièrement dénoncées pour leur précarité et leur dangerosité [8].

Dans le troisième chapitre, elle fait état de la situation de tension permanente entre le système judiciaire et carcéral canadien et les populations afro-descendantes du pays. Robyn Maynard ouvre sa réflexion par le lieu commun selon lequel le fait que les Noirs.es sont effectivement victimes de profilage racial non en raison de leur appartenance ethnique, mais bel et bien de leur propension plus élevée que la moyenne à exercer des activités illicites. Cette interprétation des faits est questionnée par le truchement d’une observation de l’origine historique de ce processus. Elle avance que l’histoire de la surveillance, l’incarcération et le contrôle policier racialisé remontent une fois de plus à l’esclavage. Lors de cette période, tout individu noir visible dans l’espace public était suspect, car potentiellement un esclave en fuite. C’est le XIXe siècle qui vit la quintessence de ce processus de criminalisation et d’incarcération massive des individus d’ascendance africaine, et dont les traces sont encore perceptibles dans le Canada d’aujourd’hui sous des désignations langagières différentes — on parle désormais de thugs ou de gangsters[9] — selon Robyn Maynard.

C’est ensuite la récurrence de ces pratiques de profilage discriminatoire au Canada qui est analysée. La démonstration s’appuie sur une étude menée dans les années 1990 par l’anthropologue Frances Henry. À l’occasion de celle-ci, Henry a interrogé 134 caribéens.es vivants à Toronto et a permis de démontrer que la totalité de ces individus avait au moins une fois fait l’expérience du « harcèlement policier »[10]. Robyn Maynard cite ensuite une autre enquête menée en 2003 auprès d’étudiants.es et qui révéla qu’un tiers des étudiants.es noirs.es, malgré un casier judiciaire vierge, étaient régulièrement arrêtés.es par les forces de police contre seulement 4% des étudiants.es blancs.hes. 23% de ces mêmes étudiants.es afro-descendants.es avaient dû subir une fouille au corps alors que seuls.es 5% d’étudiants.es blancs.hes ont fait l’expérience de ce traitement[11]. L’auteure mentionne alors le fait que ces opérations policières ont pour but selon elle de contrôler et restreindre la liberté de circulation des individus noirs dans l’espace public canadien.

Il est ensuite question de la « guerre contre la drogue » menée au Canada. À l’instar des États-Unis, le Canada n’a pas inscrit sa guerre contre la drogue dans une dynamique d’éradication des dangers de santé, mais dans une volonté de répression à l’encontre de la communauté noire[12]. Sont ainsi rapportés les propos de l’ancien préfet de police Bill McCormack, lorsqu’il déclarait au journal Toronto Star en 1990 que l’épidémie de drogue était particulièrement vivace parmi la communauté jamaïcaine, notamment composée de « racailles » qui « trimballaient des Uzi » et « faisaient usage de leur accent pour se dissimuler parmi d’honnêtes travailleurs », tandis qu’ils « vendaient cette drogue mortelle qui transformait les enfants en voleurs »[13].

À ces déclarations publiques s’ajoutaient également la mise en place de programmes de formation policière — parmi lesquels l’« Opération Pipeline »[14]  créée à la fin des années 1980 — qui ont parachevé le lien entre criminalité liée à la drogue et profilage racial d’individus décrits comme portant des dreadlocks, faisant partie de la population caribéenne et résidant dans des quartiers défavorisés[15]. La guerre contre la drogue s’est également inscrite dans le cadre d’une politique conservatrice qui visait à renforcer les arrestations et inculpations pour délits liés de près ou de loin à la vente et la consommation de drogues.

Cette politique canadienne menée par les premiers ministres Jean Chrétien (1993-2003) et Paul Martin (2003-2006) a conduit à l’augmentation de façon drastique l’incarcération des afro-descendants.es sur une même période. L’apogée de cet enfermement de masse sera atteint après l’élection du premier ministre conservateur Stephen Harper (2006-2015); la population carcérale noire a augmenté à ce moment de près de 70%. Par ailleurs, Robyn Maynard affirme que ce même accroissement coïncide avec l’augmentation d’investissements de capitaux dans le secteur pénitentiaire. L’auteure insiste particulièrement sur le fait que les facilités fiscales concédées à ce sujet par le gouvernement canadien ont été rendues possibles au détriment des secteurs sociaux, de l’enseignement et de la santé.

Ce chapitre entre en résonance avec les travaux récents de l’activiste des droits civiques Michelle Alexander et en particulier de son ouvrage The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, qui fait le point sur le contrôle exercé sur les Africains-Américains.es. par l’institution carcérale. À travers les opérations anti-drogues menées à l’échelle institutionnelle et l’incarcération qui s’en suit, la population noire — en particulier masculine — se voit criminalisée en masse et maintenue dans une citoyenneté de seconde zone depuis l’abolition de l’esclavage en 1865.

Les chapitres quatre et cinq sont dédiés à la question de l’intersectionnalité, puisque la problématique spécifique de la violence d’État envers les femmes noires y est abordée. Le quatrième chapitre se concentre particulièrement sur les parcours de six femmes noires, Majiza Philip, Sharon Abbott, Jacqueline Nassiah, Audrey Smith, Stacy Bonds et Chevranna Abdi, ayant toutes été victimes à leur façon de violences policières. Le but visé ici  consiste à parer l’invisibilité médiatique de ce type d’incidents liés au profilage racial des femmes afro-descendantes au Canada — bien que cette question ait été régulièrement évoquée et dénoncée à partir des années 1980 par les militantes de divers groupes, notamment le Black Action Defence Committee ou le Women’s Coalition Against Racism and Police Violence.

La question de la « misogynoir » est mise en avant dans le cinquième chapitre. Ce terme désigne la forme particulière de discrimination intersectionnelle qui frappe et stigmatise les femmes noires, en particulier aux États-Unis et au Canada. Robyn Maynard analyse ici les mécanismes étatiques qui contribuent à l’instauration d’un rapport entre institutions et femmes afro-descendantes basé sur une violence protéiforme, certes moins « spectaculaire » que les actions policières sur la voie publique, mais tout aussi criminalisantes. À cet effet, elle cite l’action des pouvoirs et agents publics – incarnés par les forces de police, de douane ou encore les membres des services sociaux – qui s’exprime quotidiennement à travers un rapport de force visant à débusquer les fraudes aux aides sociales.

L’auteure met en exergue cette tentative de contrôle sur les femmes noires canadiennes en avançant que les coupes budgétaires massives de ces dernières années, à la fois de la part des gouvernements fédéraux et provinciaux, ont durement touché les populations les plus démunies. Les premiers secteurs concernés par cette réduction des dépenses furent ceux des programmes d’aides financières dont beaucoup de femmes noires monoparentales ont été bénéficiaires. Dans le contexte de durcissement socio-économique, les fraudes aux allocations sont devenues intimement associées aux femmes noires par le truchement des médias qui ont largement relayé cet archétype de la « welfare queen » aux États-Unis.

L’auteure rappelle par ailleurs que cette campagne de dénigrement systématique et d’ostracisation des femmes noires s’est violemment manifestée en Ontario au début des années 1990. En effet, un rapport fédéral émis à l’époque et dont l’absence de véracité est aujourd’hui attestée faisait mention d’une fraude massive aux allocations orchestrée par des réfugiés.es somaliens.nes, majoritairement des femmes. Ces dernières furent dès lors régulièrement dépeintes dans les médias et par des politiciens.nes comme des individus sans vergogne passés maîtres dans l’art de la confusion et qui s’attachaient à « piller le fragile système d’aides sociales » du pays[16].

La situation des femmes noires transgenres et la misogynoir-transphobie qu’elles subissent au quotidien est l’objet du reste du chapitre qui s’inscrit ainsi dans un renouveau de l’historiographie africaine-américaine (au sens large) marquée par la question de l’intersectionnalité. Maynard explique notamment qu’elles sont plus souvent associées, lors des contrôles policiers sur la voie publique, aux travailleuses du sexe que les autres femmes. Une étude américaine réalisée en 2011 montre que 41% des femmes noires transgenres interrogées ont déjà été interpelées et/ou ont été arrêtées suite à une suspicion de prostitution contre 7% des femmes transgenres non-racisées[17]. Par ailleurs, l’auteure précise que la criminalisation de la prostitution ne prévient pas les femmes noires transgenres de devenir travailleuses du sexe en raison des discriminations scolaires et à l’embauche qu’elles subissent et qui les empêchent d’accéder à un emploi légal. Pour finir, le cinquième chapitre revient sur le profilage racial des femmes noires en tant que passeuses de drogue ou « mules ». Ce profilage touche, selon Robyn Maynard, tout autant les femmes caribéennes immigrées que les femmes noires citoyennes canadiennes qui reviennent de vacances.

C’est finalement la problématique de l’incarcération des femmes noires et son rôle dans la reproduction des structures d’oppressions basées sur un postulat genré qui est abordée. À titre d’exemple, l’auteure évoque le fait que les détenues noires enceintes sont obligées de réaliser des travaux de force tandis que les détenues blanches à un stade de grossesse similaire ne sont pas soumises à cette obligation. De plus, les détenues noires transgenres sont plus sujettes à subir des violences sexuelles et physiques en prison en raison d’une négation de leur changement de sexe — et de leur envoi dans des pénitenciers correspondants à leur nouveau genre — par les institutions judiciaires et carcérales.

On notera d’ailleurs que cette question de l’incarcération des femmes noires américaines a d’ores et déjà été traitée par l’universitaire Catherine Fisher Collins en 1997 à l’occasion de son ouvrage publié chez McFarland The Imprisonment of African American Women: Causes, Experiences and Future Implications. En revanche, le travail de Catherine Fisher Collins se concentre uniquement sur les Etats-Unis et non sur le Canada; Robyn Maynard fait donc partie des pionnières dans ce domaine.

Quant à la question de la régulation étatique des frontières et en particulier des pratiques entérinées par le Canada à l’encontre des migrants d’ascendance africaine, elle constitue l’objet du sixième chapitre. L’enjeu de cette partie vise à démontrer qu’en dépit de son histoire pluriséculaire, la population africaine-canadienne est encore aujourd’hui soumise à la remise en question récurrente de son appartenance nationale et, de ce fait, est maintenue dans une position d’altérité permanente. Une fois encore, Robyn Maynard s’inscrit en faux contre l’image d’Épinal d’un gouvernement canadien qui accueillerait à bras ouverts les réfugiés.es du monde entier. Elle avance en effet que le statut légal de réfugié est de plus en plus difficile à obtenir et affirme que le nombre de réfugiés.es admis.es au Canada a chuté de 30% entre 2006 et 2012[18].

Dans le cas particulier des migrants.es/réfugiés.es d’origine africaine subsaharienne et caribéenne, l’auteure précise que ces derniers doivent faire face à des formes particulières de (dé)placement de populations profondément liées aux héritages croisés de « la traite négrière transatlantique, la colonisation et, plus récemment, de la mondialisation néolibérale »[19]. Les populations afro-descendantes immigrées au Canada feraient l’objet de peines de « détention » arbitraires et dont la durée n’est pas aussi arrêtée que celle des peines d’emprisonnement de détenus de droit commun.

Toutefois, les individus immigrés au Canada et placés dans des centres de détention subissent des traitements similaires à ceux du système carcéral « classique » et qui incluent placement en cellules d’isolement, port d’uniformes et fouilles au corps régulières[20].

La volonté institutionnelle canadienne de criminalisation des populations migrantes d’ascendance africaine a également donné naissance à l’adoption de mesures de répression spécifiques. Dans la pratique, ces dernières se sont traduites par la mise en place en 1994-1995 d’une législation particulière, surnommée « Criminals First »[21]. Selon cette législation, les migrants.es résidant de façon permanente dans le pays, qui  auraient commis une infraction, sont soumis.es à une « double peine » et ne bénéficient pas d’une réhabilitation quelconque. Ils et elles doivent d’abord purger une peine de prison au sein d’un établissement pénitentiaire canadien avant d’être détenus.es en centre de détention spécialisé, puis expulsés.es par la suite.

Dans le reste de ce chapitre, elle revient plus en profondeur sur le manque de prise en charge légale et d’encadrement institutionnel des jeunes femmes noires migrantes accompagnées d’enfant(s) en bas âge. Afin d’étayer son analyse, Robyn Maynard se penche sur le cas de deux femmes — Mavis Baker et Herle — qui ont été considérées par une partie de l’opinion publique et le gouvernement canadien comme des « menaces » à l’équilibre de la nation, et ce pour deux raisons. La première émane d’une peur des institutions envers la menace d’une immigration illégale massive qui ne pourrait être régie par des lois et/ou contrôlée par le gouvernement et donnerait potentiellement lieu à un choc civilisationnel. La seconde raison, plus insidieuse car relevant de l’imaginaire collectif, est liée aux préjugés et stéréotypes qui entourent la sexualité et la fécondité des femmes noires qui menacerait le fragile équilibre démographique canadien.  Toutes deux immigrées canadiennes de longue date, Mavis Baker et Herle ont subi à la fois rejets administratifs, campagnes de dénigrement publiques à l’encontre de leur fécondité jugée trop importante, et propos diffamatoires envers leurs utilisations respectives de la pratique des « bébés-passeports »[22].

Cette question de la surveillance étatique des afro-descendants.es en Amérique du Nord fait écho aux recherches de la sociologue Simone Browne qu’elle livre dans Dark Matters: On the Surveillance of Blackness, publié en 2015 aux presses de l’Université de Duke. Quant à la problématique du contrôle de la sexualité et la fécondité des femmes noires américaines, les conclusions dégagées par Robyn Maynard prolongent les travaux exposés par l’ouvrage séminal de Dorothy Roberts publié en 1997: Killing the Black Body: Race, Reproduction and the Meaning of Liberty.

Le livre se clôt avec deux chapitres dédiés respectivement au système d’aide sociale à l’enfance et au système scolaire canadien que l’auteure appréhende comme un appareil d’État soumit à des biais idéologiques majeurs à l’encontre des étudiants.es afro-descendants.es. Ces deux dernières parties de l’ouvrage offrent une lecture croisée des difficultés systémiques rencontrées par la jeunesse noire canadienne. Le chapitre sept décrypte le contrôle d’État exercé par des services sociaux qui « bouleversent, restructurent et règlementent la vie des familles noires »[23]. À travers l’évocation du placement des enfants en foyers vétustes et inadaptés, du profilage ethnique/économique des services d’aide à l’enfance chargés de déterminer les familles « à risque » et de la répression exercée par ce même système envers les mères célibataires racisées ayant commis des délits mineurs. Robyn Maynard analyse les mécanismes qui conduisent à un démantèlement historique de la cellule familiale afro-descendante au Canada.

La problématique relative à la déshumanisation du système scolaire envers les élèves et étudiants.es noires.es est l’objet du huitième chapitre. Tandis que les études sont largement valorisées dans le discours public canadien qui met régulièrement en lumière leur caractère sociabilisant et leur apport inestimable à la formation des jeunes esprits, un nombre important d’institutions scolaires sont aujourd’hui encore insuffisamment financées et les personnels enseignants ne bénéficient que de peu de reconnaissance en plus de ne pas jouir de revenus suffisants.

Ce manque de moyens généralisé et d’encadrement par les plus hautes instances de l’État se répercute également sur les élèves – en particulier d’ascendance africaine – qui fréquentent lesdits établissements. En effet, selon Robyn Maynard, ces mêmes élèves sont rapidement confrontés à « l’humiliation, au préjudice moral et à la violence psychologique »[24] au sein de l’institution scolaire. Par ailleurs, l’auteure compare les pratiques de sanction, de surveillance constante et de criminalisation du système scolaire à celles pratiquées de façon similaire par les centres de détention pénitentiaire.

Le facteur principal sur lequel repose cette affirmation de Robyn Maynard tire sa source de la présomption de culpabilité subie par les élèves afro-descendants. Nombre d’idées de stéréotypes sont en effet associées à la jeunesse noire en général et ont ancré dans l’imaginaire collectif l’idée selon laquelle cette dernière a été régulièrement exclue de la « conception de pureté et de vulnérabilité enfantines »[25].

Selon l’auteure, une autre explication possible de la violence ressentie par les élèves noirs et racisés relève du caractère spécifique de l’histoire canadienne sur ce sujet. Par exemple, bien qu’elle ait été déclarée illégale en 1954 par la Cour Suprême, la pratique de la ségrégation scolaire était toujours d’actualité au XXe siècle. Dans les années 1950 et 1960, les écoles dites « intégrées » utilisaient des entrées, sorties et toilettes séparées pour les élèves blancs et noirs[26] et reprenaient ainsi les structures destinées à promouvoir la ségrégation et in fine la suprématie blanche.

Enfin, Robyn Maynard aborde l’existence du « canal école-prison » qu’elle définit comme la propension de l’institution scolaire à faire passer ses élèves – en particulier noirs –depuis les salles de retenue des écoles aux cellules des prisons. Elle décrit par ailleurs le climat de tension et d’hostilité qui règne dans les écoles, collèges et lycées de Québec et de Toronto suite à la mise en place progressive de structures destinées à surveiller et discipliner les élèves.

Depuis 2008, avec le lancement du programme du School Resource Officer (SRO), de plus en plus d’établissements se sont dotés de caméras de surveillance, de gardiens.nes chargés.es du maintien de l’ordre, ou appliquent encore des mesures de confinement semblable à celles pratiquées par l’institution carcérale. À la suite de l’adoption de ce programme, les élèves noirs ont vu leur taux d’expulsion et de punition augmenter de façon significative, parachevant ainsi le lien unissant écoles et prisons, mais également entre élèves et prisonniers qui subissent tous deux, chacuns.nes à leur échelle, une discrimination d’ordre systémique.

Robyn Maynard conclut — un peu trop rapidement — le chapitre et fait le point sur les formes de résistances possibles qui permettraient d’échapper à la reproduction de ces dynamiques criminalisantes, nocives au développement personnel et professionnel des élèves afro-descendants, et qui donnent  la plupart du temps lieu à un abandon des études de la part de ces mêmes élèves ou à des résultats scolaires médiocres.

Parmi ces stratégies de résistances évoquées furtivement par l’auteure, le fait d’adopter des habits et un langage alternatifs est l’une des plus intéressantes. Cette volonté de contre-discours a notamment conduit nombre d’élèves afro-descendants.es à fonder et / ou rejoindre des clubs scolaires qui œuvrent contre la discrimination et l’injustice envers les autres élèves. Bien que ce passage consacré à la naissance d’une culture alternative noire en milieu scolaire de Policing Black Lives soit succinct, il n’en demeure pas moins important. Robyn Maynard établit ici une continuité historiographique avec le travail de R. Patrick Solomon — Black Resistance in High School: Forging a Separatist Culture (1992) — sur le même sujet.

À la fois très sourcé — comme en atteste sa riche bibliographie —, rigoureux dans son contenu et fluide dans son écriture, l’ouvrage de Robyn Maynard déconstruit de façon méthodique et réfléchie un certain nombre de poncifs associés à l’expérience afro-canadienne, dont l’importance est souvent oblitérée par celle de son voisin étasunien. A ce titre, nous pouvons dire que l’ouvrage de Robyn Maynard reprend et prolonge les réflexions diverses initiées par des universitaires telles Dorothy Williams, Simone Brown ou Frank Mackey.

Policing Black Lives répond d’autre part à une double demande. Il comble tout d’abord les lacunes inhérentes à l’historiographie afro-canadienne qui envisage bien souvent la seule histoire de l’esclavage comme part fondatrice de l’expérience noire au Canada. Le livre de Robyn Maynard répond ensuite à un besoin de considérer l’histoire des populations afro-descendantes du Canada sous un angle d’approche intersectionnel. L’histoire afro-canadienne, tout comme son homologue étasunien, s’écrit désormais à l’aune d’approches croisées qui ne peuvent plus minorer — volontairement ou non — les discriminations croisées subies par les femmes noires, les individus transgenres ou encore ceux en situation de handicap. Il ressort de cette volonté palpable de Policing Black Lives un sentiment de richesse et de variété des thèmes abordés qui ne peut que réjouir les lecteurs et lectrices qui souhaitent en apprendre davantage sur la condition noire au Canada.

Mais c’est également cette richesse thématique foisonnante qui constitue la principale « faiblesse » de l’ouvrage qui peut étouffer son lectorat sous un flot d’informations et de questionnements qui semblent presque déborder de leurs propres cadres historiographiques. De plus, on regrettera que certaines problématiques au demeurant fort intéressantes (à l’instar des stratégies de résistance des élèves noirs en milieu scolaire) ne soient que brièvement évoquées alors qu’elles gagneraient à être aussi développées que les autres.

Malgré ces quelques réserves, le livre de Robyn Maynard est déjà, à n’en pas douter, une référence incontournable en la matière pour ses qualités et son apport à la question noire canadienne et plus généralement celle du racisme qui vise les populations afro-descendantes sur place. L’auteure nous livre ici un essai à la fois suffisamment érudit pour susciter l’intérêt de spécialistes en Black studies et/ou de militants.es aguerris.es à ces questions, mais qui sait également rester accessible et qui peut être appréhendé par un public plus large.

 

Pour en savoir plus

Ouvrage recensé :

MAYNARD, Robyn, Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present, Black Point: Fernwood Publishing, 2017, 244 p.

Références :

ALEXANDER, Michelle, The New Jim Crow: Mass Incarceration in the Age of Colorblindness, New York: The New Press, 2012, 338 pp.

BROWNE, Simone, Dark Matters: On the Surveillance of Blackness, Durham: Duke University Press, 2015, 224 p.

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[1] Citation tirée de l’ouvrage de Marcel Trudel, L’Esclavage au Canada Français. Histoire et conditions de l’esclavage, Les Presses Universitaires Laval, 1960, 432 p. et reprise dans la recension de Jean Hamelin publiée dans la Revue d’histoire de l’Amérique française, Volume 14, N° 4, mars 1961, p. 605.

[2] Robyn Maynard, Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present, Black Point: Fernwood Publishing, 2017, p. 41.

[3] Ibid., p. 46.

[4] Le concept de « Blackness » peut se définir comme l’ensemble des caractéristiques qui constituent l’expérience afro-descendante commune à un groupe de population (noire). Pour en savoir plus, on pourra consulter Milan Hrabovsky, “The Concept of « Blackness » in Theories of Race, Asian and African Studies, Volume 22, N° 1, 2013, pp. 65-88.

[5] Robyn Maynard, op.cit, p. 50.

[6] Ibid., p. 57.

[7] Pour en savoir plus sur cette question, on consultera Barrington Walker, The History of Immigration and Racism in Canada: Essential Readings, Toronto: Canadian Scholars Pr., 2008.

[8] Ces dernières sont encore d’actualité aujourd’hui à travers le « Seasonal Agricultural Worker Program », successeur du SAWP qui vit 787 employés déportés entre 2001 et 2011 à cause d’empoisonnements ou blessures graves nécessitant une intervention chirurgicale. De plus, les employés caribéens ou mexicains de ce programme étatique n’ont pas le droit de se syndiquer et travaillent entre 12 et 15 heures par jour pour un salaire dérisoire.

[9] Termes dont il convient de rappeler ici le caractère hautement péjoratif car associant les individus concernés, selon une logique essentialiste, à l’idée de criminalité, d’oisiveté et au manque d’intelligence / d’instruction.

[10] Robyn Maynard, op.cit., p.88.

[11] Ibid., p.89.

[12] Ibid., p.92.

[13] On pourra d’ailleurs noter que ces déclarations possèdent deux buts politiques généralement affiliés aux partis populistes. Elles servaient tout d’abord à instiller la méfiance envers une potentielle menace dissimulée au cœur des institutions et des populations méritantes (problématique de l’ennemi intérieur qui corrompt son environnement). Ces propos permettaient ensuite de trier – par effet dialectique – « le bon grain de l’ivraie », autrement dit d’effectuer un clivage marqué par une dualité manichéenne entre le « bon » jamaïcain honnête travailleur et le « mauvais » jamaïcain foncièrement malhonnête et armé jusqu’aux dents.

[14] Cette opération a été instaurée par la Drug Enforcement Administration et visait à favoriser les contrôles routiers des individus suspectés de vendre et / ou consommer des substances illicites. Ce programme de formation policière fait aujourd’hui l’objet d’une remise en cause de son postulat initial; l’Opération Pipeline aurait banalisé, voire légalisé, le recours au profilage racial à l’encontre de certaines populations en particulier (Jamaïcains, Haïtiens, Colombiens, Nigérians…).

[15] Robyn Maynard, op.cit.,p. 95.

[16] Ibid., p. 133.

[17] Ibid., p. 139.

[18] Ibid., p. 162.

[19] Ibid., p. 163.

[20] Ibid., p. 165.

[21] Ibid, p. 173.

[22] Ibid., p. 181.

[23] Ibid., p. 206.

[24] Ibid., p. 209.

[25] Ibid., p. 210.

[26] Ibid., p. 213.