Remédiation linguistique au Western Development Museum : réponse aux appels à l’action n° 43 et n° 67 de la Commission Vérité et Réconciliation

Publié le 6 février 2020
Kaiti Hannah

11 min

Par Kaiti Hannah

Note de l’autrice : Certaines parties de ce billet ont à l’origine été publiées sur WDM.ca. Elles sont reproduites avec l’autorisation des auteurs et du Western Development Museum (WDM). Le WDM est le musée d’histoire humaine mandaté par la province de la Saskatchewan.

Note du comité éditorial : Ce texte est d’abord paru sur Active History dans sa version originale anglaise. Nous vous en proposons une traduction, réalisée par notre équipe.

Construction du WDM de Saskatoon, le 18 février 1972
WDM George Shepherd Library 10-E(e)-8

Le langage est important. Les mots que nous choisissons d’utiliser dans notre interprétation historique doivent être inclusifs, précis, respectueux, actuels et significatifs. Le langage se transforme aussi avec le temps – ce qui était perçu comme une trame narrative acceptable par le passé ne l’est souvent plus aujourd’hui. À mesure que de nouvelles recherches sont publiées et que l’engagement et les attentes du public évoluent, les musées doivent adapter leurs approches d’interprétation du passé. Les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, parues en 2015, ont souligné le pouvoir que les mots et le langage ont sur la perception et la compréhension que nous avons du monde qui nous entoure, et la façon dont les mots influencent notre interaction et nos relations avec les autres.

De nombreuses personnes perçoivent les musées comme des lieux d’autorité historique, mais les musées ne sont pas neutres. L’ensemble des personnes qui participent à l’élaboration des expositions, des gens qui la soutiennent financièrement au personnel de recherche, des conservateurs et des conservatrices à l’équipe de conception de l’exposition, ont leurs propres préjugés et perspectives qui teintent le produit final, même si tous et toutes tentent de rester neutres. Le positionnement est inévitable, mais il doit être reconnu, et il peut être atténué par la collaboration avec divers groupes, en reconnaissant et en affirmant un large éventail de perspectives.

La reconnaissance de l’importance du langage, ainsi que la nécessité de reconnaître comment l’histoire évolue au fil du temps, a conduit le WDM à réaliser une évaluation systématique de toute la terminologie utilisée dans ses espaces publics.

Le WDM regroupe quatre musées en Saskatchewan (à Moose Jaw, à North Battleford, à Saskatoon et à Yorkton), alors que son siège social se situe à Saskatoon. Avec plus de 200 000 pieds carrés d’espace d’exposition intérieur, le WDM est physiquement l’un des plus grands musées du Canada. Cet espace n’est pas seulement rempli d’artefacts, mais aussi de milliers de panneaux, d’étiquettes d’artefacts, de panneaux interprétatifs et d’interprétations historiques. Certains panneaux ont été écrits aussi récemment que cette année, tandis que d’autres datent du début des années 1950. Le large éventail de dates dans la production des textes du musée signifie qu’il y a forcément des différences dans les choix des conservateurs et des conservatrices, mais aussi dans le langage et le ton utilisés.

Ce processus d’évaluation a été lancé en réponse au Inclusivity Report : Reconciliation and Diversity at the WDM (Rapport sur l’inclusivité : Réconciliation et diversité au WDM), publié en janvier 2019, et aux appels à l’action de la Commission de la vérité et réconciliation du Canada (CVR). Plus précisément, ce travail s’aligne sur l’appel à l’action n° 43 de la CVR :

Nous demandons aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux de même qu’aux administrations municipales d’adopter et de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre de la réconciliation.

Il s’aligne aussi sur l’appel à l’action n° 67 :

Nous demandons au gouvernement fédéral de fournir des fonds à l’Association des musées canadiens pour entreprendre, en collaboration avec les peuples autochtones, un examen national des politiques et des pratiques exemplaires des musées, et ce, dans le but de déterminer le degré de conformité avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de formuler des recommandations connexes.

En outre, l’article n° 15 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule :

1. Les peuples autochtones ont droit à ce que l’enseignement et les moyens d’information reflètent fidèlement la dignité et la diversité de leurs cultures, de leurs traditions, de leur histoire et de leurs aspirations. 2. Les États prennent des mesures efficaces, en consultation et en coopération avec les peuples autochtones concernés, pour combattre les préjugés et éliminer la discrimination et pour promouvoir la tolérance, la compréhension et de bonnes relations entre les peuples autochtones et toutes les autres composantes de la société.

En réponse au Rapport sur l’inclusivité du WDM, ce processus donne suite à la recommandation n° 5 : « Élaborer et mettre en œuvre un plan de renouvellement des expositions dans tous les lieux de la GDE afin d’accroître la diversité globale et l’inclusivité des histoires racontées. » Le rapport a été rédigé par la conservatrice du WDM, Mme Elizabeth Scott, Ph. D., et publié en 2019 dans le but de documenter les domaines dans lesquels le musée pourrait s’améliorer et de recommander des moyens d’apporter ces améliorations.

L’usage d’un langage approprié dans les textes et les récits présentés par les musées est un élément important de la défense des droits des Autochtones, de la lutte contre les préjugés, de l’élimination de la discrimination et de la promotion de l’empathie. L’évaluation du langage utilisé est une étape vers l’objectif de la réconciliation que le WDM a choisi de franchir, en corrigeant les déséquilibres qui sont apparus dans ses galeries au cours de nombreuses décennies. Nous avons constaté, au cours de nos évaluations, que certains textes des expositions avaient mal vieilli, étaient inexacts ou privilégiaient une version coloniale linéaire de l’histoire.

Ce projet se déroulera en deux phases. La première, actuellement en cours, est la remédiation linguistique. Ce processus consiste à examiner le langage et le contenu des expositions actuelles, à s’assurer qu’elles sont appropriées et à y apporter des modifications si nécessaire. La deuxième phase – le renouvellement – consistera à examiner quelles histoires sont sous-représentées ou absentes de nos expositions et à déterminer comment les inclure, en partenariat avec les communautés. La partie importante du processus de renouvellement consistera à s’assurer que les histoires sous-représentées soient intégrées dans les galeries du musée et que cela donne un résultat qui va au-delà du symbolisme.

Il est important de noter que ce processus ne pourra jamais être achevé. Le langage et la terminologie sont fluides et en constante évolution. En tenant compte de cette réalité, les musées doivent être prêts à mettre régulièrement à jour les récits, les textes, les messages et les contenus qu’ils présentent. L’objectif du WDM est de s’assurer que tout le langage utilisé, aujourd’hui, soit approprié, en reconnaissant que des changements ou la répétition du processus pourraient être nécessaires à tout moment.

Dans le cadre de la phase de remédiation linguistique, nous avons développé une méthode d’évaluation des panneaux, sur la base de critères tels que :

  • L’urgence de procéder aux changements nécessaires;
  • Le caractère inclusif ou exclusif des perspectives présentées;
  • L’identification d’individus et la représentation des Autochtones comme des individus;
  • La reconnaissance de la diversité des nations autochtones;
  • Le caractère approprié et inclusif du langage utilisé pour les personnes avec handicap;
  • L’évaluation générale du ton utilisé.

Chacune de ces catégories peut obtenir une note de zéro à cinq. Une note de zéro signifie que le critère n’est pas applicable. Une note d’un est excellente, alors qu’une note de cinq est mauvaise. Plus la note attribuée est élevée, plus la problématique est grande et plus urgents sont les changements nécessaires. Nous avons constaté que les panneaux les plus problématiques n’étaient pas ceux qui utilisaient une terminologie dépassée, mais plutôt ceux qui négligeaient ou tendaient à effacer des perspectives historiques importantes. Par exemple, un panneau du WDM de Saskatoon sur le vote des femmes en Saskatchewan indique que « Le gouvernement du Premier ministre Walter Scott a accordé le droit de vote aux femmes en Saskatchewan le 14 mars 1916. » Cependant, seules certaines femmes ont obtenu le droit de vote à cette époque. Les Autochtones, les personnes d’origine asiatique, les personnes incarcérées et les femmes avec handicap n’étaient toujours pas éligibles. Ce panneau tend à effacer les luttes des femmes marginalisées et à généraliser l’expérience des femmes blanches non handicapées.

No Vote – No Voice
Panneau affiché dans la gallerie du WDM de Saskatoon

Ce panneau comprend également une citation de la loi sur les élections fédérales, stipulant « Aucune femme, aucun idiot, aucun fou ou criminel ne doit voter » et se contentant de présenter le tout seul, sans contexte. Ce que sous-entend cette déclaration, dans le contexte du panneau, c’est que les femmes méritaient le droit de vote et qu’elles en ont été injustement privées, mais que « le[s] idiot[s], le[s] fou[s] et le[s] criminel[s] » se sont vu refuser le droit de vote à juste titre et que l’inclusion des femmes dans ce groupe était absurde. Compte tenu des convictions eugénistes de certaines suffragettes canadiennes célèbres, dont Emily Murphy et Nellie McClung, cette citation brosse un tableau assez troublant des gens qui méritent ou ne méritaient pas le droit de vote.

Ce panneau, particulièrement, devra fort probablement être refait. Il a été écrit il y a au moins 20 ans, et notre compréhension de l’histoire et des perspectives marginalisées a depuis changé. Ce cas n’est pas qu’un exemple de l’évolution des préférences au fil du temps; il illustre aussi la façon dont les recherches en histoire et les récits historiques reconnus évoluent avec la publication de nouvelles études, comme « Facing Eugenics », d’Erika Dyck, et « A Great Revolutionary Wave », de Lara Campbell. Les travaux de Sarah Carter sur la participation des femmes au colonialisme, « Imperial Plots », remettent également en question les conceptions populaires de la féminité blanche dans les prairies canadiennes.

Il est important pour nous de mettre à jour nos textes, ou à tout le moins de prendre conscience des enjeux et des nuances dont ne témoignent pas nos panneaux. Ces évaluations du langage nous donnent l’occasion de prendre des décisions actives sur le contenu que proposent les musées. Choisir de ne pas changer les panneaux n’est pas une action passive par défaut, mais plutôt une décision consciente de laisser les choses telles qu’elles sont.

Chaque panneau et chaque étiquette, à l’intérieur comme à l’extérieur, dans chacun des quatre sites du WDM a été photographié, inventorié et évalué à l’aide de notre méthode. C’est un long processus, mais il est important de faire preuve de minutie et d’avoir une compréhension holistique du contenu proposé par le musée. Le suivi des évaluations et des notes se fait à l’aide d’une base de données, et nous avons pu compléter le processus à la fin de l’année 2019.

Les évaluations étant terminées, nous commençons à réécrire les panneaux identifiés comme prioritaires et à avancer dans tout ce qui nécessite de la révision. Cela prendra plusieurs années, et il faudra encore plus de temps pour modifier les récits généraux proposés par le musée et faire place à une plus grande diversité de perspectives. Les consultations communautaires et l’établissement de relations permettront de garantir que les informations et les interprétations sont à la fois exactes et respectueuses. Nous avons hâte de créer davantage de partenariats et de partager la gestion de ce travail avec les communautés dans la poursuite de cet objectif.

Kaiti Hannah est conservatrice adjointe au bureau central du WDM, à Saskatoon, et titulaire d’une maîtrise en histoire publique de la Western University. L’autrice souhaite remercier la conservatrice du WDM, Mme Elizabeth Scott, Ph. D., pour son aide dans le cadre de cet article.