Revisiter la révolte des travailleurs et des travailleuses de Winnipeg

Publié le 30 mai 2019

Affiche de David Lester
Essai du Graphic History Collective
Traduction* : Benoit Marsan (révision : Adèle Clapperton-Richard)

Au mois de janvier 2017, le Graphic History Collective (GHC) a lancé Remember | Resist | Redraw: A Radical History Poster Project, un projet destiné à offrir une perspective artistique et critique aux conversations entourant Canada 150. Le projet a continué en 2018 et 2019, et est toujours en cours aujourd’hui.

Au mois d’avril dernier, le collectif a fait paraître la dix-neuvième affiche, réalisée par David Lester. Cette affiche vient souligner le centenaire de la grève générale de Winnipeg de mai et juin 1919, l’une des plus importantes de l’histoire du Canada.


En 1919, 35 000 ouvriers et ouvrières de Winnipeg, au Manitoba, territoire du Traité #1 (1871) et terre natale de la Nation Métisse, ont mené une grève générale de six semaines du 15 mai au 26 juin. Provenant de divers horizons, ils et elles ont arrêté toute production pour réclamer des salaires plus élevés, le droit à la négociation collective et plus de pouvoir pour la classe laborieuse. Cent ans plus tard, la grève générale de Winnipeg demeure l’une des plus grandes et des plus importantes de l’histoire du Canada.

Celle-ci s’inscrit dans la longue histoire du conflit colonial, du développement capitaliste et de la lutte des classes dans l’Ouest canadien. Au début des années 1900, un certain nombre d’hommes d’affaires déterminés, dont plusieurs avaient participé aux efforts violents du gouvernement canadien pour déposséder les communautés autochtones de leurs terres en 1869-1870 et en 1885, se sont établis dans l’ouest pour continuer l’industrialisation du pays. Au fil du temps, ils ont façonné le développement de Winnipeg selon leurs intérêts de classe. La ville devint de plus en plus divisée, avec les capitalistes dressés contre les travailleurs et les travailleuses.

La situation s’est aggravée pendant et après la Première Guerre mondiale. Beaucoup d’ouvriers sont partis sur les champs de bataille d’Europe tandis que les capitalistes restaient chez eux et tiraient profit de l’industrie militaire. Les soldats espéraient bénéficier d’une société plus égalitaire et démocratique à leur retour. Au lieu de cela, ils ont été confrontés au chômage et à l’inflation. L’indifférence des patrons face aux conditions de vie de la classe ouvrière, l’absence de la reconnaissance syndicale et du droit à la négociation collective ont également attisé le mécontentement. Lorsque les ouvriers du bâtiment et les métallurgistes de Winnipeg ont fait la grève le 1er mai, d’autres syndicats de la ville ont décidé de se joindre à eux pour une grève de solidarité.

Le conflit a débuté avec 11 000 travailleuses et travailleurs syndiqué·e·s , mais le nombre de grévistes a rapidement augmenté pour atteindre 35 000, quand des milliers de travailleuses et de travailleurs non syndiqué·e·s ont alors quitté leur poste. Beaucoup d’entre eux et elles étaient des femmes et de nouveaux·elle·s immigrant·e·s vivant dans le nord de la ville. Au moment où la ville s’est arrêtée, où les téléphones se sont tus, où les tramways se sont immobilisés et où les lumières se sont éteintes, la classe ouvrière de Winnipeg a démontré le pouvoir et le potentiel de la solidarité.

Mais les divisions existaient encore. Ainsi certains grévistes ont renforcé la notion de suprématie blanche en mettant de l’avant leurs droits en tant que loyaux citoyens blancs, anglo-saxons et britanniques. Les grévistes ont également échoué à établir des liens avec les luttes d’autres groupes dépossédés et exploités, telle que la communauté Anishinaabe de la Première Nation Shoal Lake 40, qui subissait une importante confiscation de ses terres en raison de la construction de l’aqueduc de Winnipeg. Ce fut donc une occasion manquée d’établir des relations solidaires entre différents groupes pour lutter, gagner et ne laisser personne pour compte.

La grève générale de Winnipeg a duré six semaines mais s’est soldée, dans l’immédiat, par une défaite. Les employeurs et les représentants de l’État ont réprimé la grève de façon à la maîtriser, à affaiblir les grévistes et à diviser la classe ouvrière entre elle. Ils ont qualifié les grévistes « d’ennemis étrangers » et « d’immigrés radicaux », nombre d’entre eux ont même été arrêtés sous des accusations douteuses et menacés de déportation. Le 21 juin, jour connu sous le nom de « Samedi Sanglant », les autorités ont réprimé violemment le mouvement. Des gendarmes spéciaux et la Gendarmerie royale du Nord-Ouest ont attaqué les grévistes et leurs partisans et partisanes au cours d’une manifestation pacifique. La grève a pris fin quelques jours plus tard le 26 juin. Les événements du « Bloody Saturday » témoignent que pour écraser la résistance au développement capitaliste et à l’expansion coloniale, l’État n’a pas peur de se couvrir les mains de sang. En fait, moins de 35 ans ont séparé l’attaque lancée par l’État contre les grévistes de Winnipeg et la répression violente exercée contre les communautés Métisses, Cries, Assiniboines et Saulteaux du Nord-ouest en 1885.

À l’occasion du 100e anniversaire de cet événement, il est utile de revenir sur cette révolte ouvrière pour présenter aux nouvelles générations ses nombreuses leçons toujours actuelles. Bien que la grève générale de Winnipeg se soit soldée par une défaite, ce ne fut pas un échec. Dans les années qui ont suivi, bon nombre de militantes et de militants et des groupes politiques ont utilisé les leçons de cette grève et poursuivi la lutte pour un autre futur à Winnipeg et ailleurs. Comprendre le pouvoir de la classe ouvrière et de la grève permet d’établir de nouvelles solidarités et contribue à redynamiser nos efforts pour construire un monde meilleur.

David Lester est un guitariste de rock underground avec son duo Mecca Normal. Il est l’auteur et l’illustrateur de The Gruesome Acts of Capitalism et de la nouvelle graphique The Listener. Il a aussi contribué à plusieurs projets du «Graphic History Collective» dont Drawn to Change: Graphic Histories of Working-Class Struggle, Direct Action Gets the Goods: A Graphic History of the Strike in Canada, and 1919: A Graphic History of the Winnipeg General Strike. Il travaille présentement à la réalisation d’une biographie graphique sur Emma Goldman.     davidlesterartmusicdesign.wordpress.com.

Le Graphic History Collective est un groupe d’artistes, d’écrivains et d’écrivaines s’intéressant à la bande dessinée, à l’histoire et au changement social. Nous réalisons des projets accessibles d’éducation populaire sur les racines historiques des problèmes sociaux contemporains. Nos bandes dessinées montrent que vous n’avez pas besoin d’une cape et d’un collant de super héros pour changer le monde.  www.graphichistorycollective.com.

*La traduction a été rendue possible grâce à une initiative de La Sociale, collectif de diffusion libertaire à Montréal. Pour la version française : asociale@colba.net.

Pour en savoir plus :

Bumsted, J.M. The Winnipeg General Strike of 1919: An Illustrated History. Winnipeg, MB: Watson & Dwyer, 1994.

Graphic History Collective, and David Lester. 1919: A Graphic History of the Winnipeg General Strike. Toronto: Between the Lines, 2019.

Heron, Craig, ed. The Workers’ Revolt in Canada, 1917–1925. Toronto: University of Toronto Press, 1998.

Horodyski, Mary. “Women and the Winnipeg General Strike of 1919.” Manitoba History, no. 11 (Spring 1986): 28–37.

Penner, Norman, ed. Winnipeg 1919: The Strikers’ Own History of the Winnipeg General Strike. 2nd ed. Toronto: James Lorimer, 1975.

Perry, Adele. Aqueduct: Colonialism, Resources, and the Histories We Remember. Winnipeg, MB: ARP Books, 2016.

Toews, Owen. Stolen City: Racial Capitalism and the Making of Winnipeg. Winnipeg, MB: ARP Books, 2018.