Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Conflit sur les droits de pêche mi’kmaq en Nouvelle-Écosse : un problème juridique et politique

Par David Bigaouette, doctorant en histoire à l’Université de Montréal, et Benjamin Pillet, diplômé du doctorat en science politique de l’Université du Québec à Montréal

Fin 2020, le ton monte entre pêcheurs allochtones et mi’kmaq (première nation de Sipekne’katik) en Nouvelle-Écosse. Ces tensions découlent du lancement unilatéral d’une pêche de subsistance autoréglementée de la part des Mi’kmaq et sont caractérisées par des violences de la part de pêcheurs allochtones autant sur les quais qu’en mer : blocages de convois, manifestations, destruction de matériel de pêche et des prises, incendies de propriétés, intimidations et insultes racistes.

Les pêcheurs allochtones reprochent aux Mi’kmaq de nuire à la conservation de la ressource (opinion non confirmée par les spécialistes du sujet)[1], et insistent pour que le gouvernement canadien applique les lois et règlements qui encadrent l’industrie. Ils affirment également que la pêche de subsistance mi’kmaque est économiquement injuste envers les pêcheurs non-autochtones.

La réponse gouvernementale tombe au printemps 2021 : les pêcheurs autochtones doivent être soumis aux règles qui encadrent la pêche commerciale. Le gouvernement stipule ainsi que les droits issus de traités sont assujettis aux lois canadiennes, dans ce cas-ci pour des raisons de conservation.

Face à cette réponse, les pêcheurs mi’kmaq continuent de défendre leur droit ancestral de pêche reconnu par des traités du XVIIIe siècle (1752, 1760 et 1761) ainsi que par l’article 35 de la Loi constitutionnelle et par l’arrêt Marshall de 1999. Entamer une pêche de subsistance autoréglementée est la voie choisie par la nation mi’kmaque de Sipekne’katik pour mettre fin au statu quo du non-respect des promesses énoncées dans les traités.

L’histoire des pensionnats de l’Ouest est une histoire québécoise

Par Catherine Larochelle, membre du comité éditorial de la revue HistoireEngagée.ca

Le passage de l’identité canadienne-française à l’identité québécoise au tournant de la Révolution tranquille et dans le contexte des décolonisations a été un prétexte parfait pour enterrer le plus profondément possible l’histoire partagée de la province francophone avec l’Ouest du pays. Au même moment, le recentrement de l’histoire dite nationale à l’intérieur des frontières provinciales a accentué ce phénomène, de sorte qu’aujourd’hui, une bonne part de la population éduquée depuis cette époque ne fait pas le lien entre le Québec et la colonisation de l’Ouest.

Si les médias commencent à parler des pensionnats établis au Québec au 20e siècle, trop souvent encore, lorsqu’on évoque le rôle joué par les “Québécois” dans des tragédies comme celles de Kamloops, dans les pensionnats de l’Ouest, on reçoit ce genre de réponses:

  • “C’était le fédéral” (comme si la population québécoise n’élisait pas des députés fédéraux qui participaient au gouvernement … rappelons-nous Hector-Louis Langevin)
  • “C’était l’Église et l’Église a aussi opprimé la population canadienne-française” (comme si les religieux et religieuses n’étaient pas canadiens-français… rappelons-nous Albert Lacombe)
  • “On a subi tout autant le joug britannique. Les Français étaient amis avec les Autochtones” (comme si la volonté d’éliminer ces populations n’avait pas commencé au 17e siècle… rappelons-nous le récit de l’âge d’or de la Nouvelle-France).

Du haut de sa tribune populaire, Mathieu Bock-Côté écrivait précisément ceci il y a quelques jours.

Et pourtant.

L’histoire des pensionnats de l’Ouest est une histoire québécoise. L’histoire du génocide canadien est une histoire québécoise.

Le barrage hydroélectrique et le manteau de fourrure

Clarence Hatton-Proulx, doctorant en histoire et en études urbaines à l’Institut national de la recherche scientifique & Sorbonne Université

Photographie: Pleupleloup, N/d, Couche de soleil du la route de la Baie-James. CC BT-SA 2.0.

Dans le placard de ma grand-mère, j’ai trouvé un beau manteau de fourrure, entre les chapeaux à froufrous et une machine à coudre Singer. De la fourrure de castor canadien français. Ce manteau m’a planté devant un cruel dilemme moral. Le porter revenait à célébrer de manière ostentatoire la domination des humains sur le monde animal. Mais j’hésitais à le mettre dans le sac poubelle avec les autres reliques poussiéreuses du garage. Parce que les castors qui avaient donné leur peau pour ce manteau avaient déjà rendu l’âme. Puisque le mal était fait, pourquoi ne pas faire œuvre utile de ce manteau, chaud et réconfortant, particulièrement durable et résistant ? À l’ère du polyester cheap, ça m’a fait réfléchir.

Le dilemme du manteau de fourrure, c’est un peu celui de l’énergie dans le Québec contemporain. Sujet rébarbatif pour la plupart, la question énergétique a été la source récente de deux productions culturelles remarquables par leur esprit de vulgarisation qui n’évacue pas la complexité et la contradiction. La première est J’aime Hydro, une pièce de théâtre documentaire de Christine Beaulieu et Annabel Soutar à grand succès qui a ensuite été publiée sous forme de livre chez Atelier 10. Elle explore le cheminement intellectuel de Christine Beaulieu autour de la place d’Hydro-Québec dans la société québécoise, partant d’un désintérêt pour ce sujet pour mener vers une érudition et un intérêt contaminant.[1] La seconde, Transmission, est une baladodiffusion de Radio-Canada qui raconte le voyage à la baie James par Annie Desrochers et trois de ses garçons.[2]

À leur façon, ces deux œuvres posent la question suivante : que faire de l’héritage hydroélectrique québécois? Car celui-ci est inconfortable. Comme le manteau de fourrure, il repose sur la dépossession territoriale des Autochtones et le bouleversement de systèmes écologiques. Mais, comme le manteau de fourrure, il reste relativement durable et nous maintient au chaud. L’hydroélectricité, c’est aussi un objet sentimental, dont on ne se débarrasse pas sans pincement au cœur. Elle fait partie de l’identité québécoise, de ses contradictions et de ses déchirements.

Quand J’aime Hydro commence, Christine Beaulieu ne semble pas particulièrement préoccupée par la question énergétique : elle est informée des dégâts environnementaux causés par la construction des barrages de La Romaine, situation qui la perturbe sur le moment mais qu’elle oublie ensuite. Quand Annabel Soutar lui propose un projet de théâtre sur la question, Christine Beaulieu ne se sent pas apte à mener une telle enquête dont l’envergure semble écrasante pour une profane. Le déclic vient finalement quand elle comprend la force du le lien qui unit Hydro-Québec et le projet nationaliste québécois, dont le Premier ministre René Lévesque a été le moteur pour l’un comme pour l’autre. Si Hydro-Québec a un jour rendu les Québécois·es francophones « maîtres chez nous », impossible pour Christine Beaulieu de rester indifférente. Pas d’amour sans dépendance.

L’existence d’Hydro-Québec dépend de la construction de nouvelles installations électriques : dans la pièce, on appelle ça le complexe du castor. Les nouveaux projets sont justifiés par des projections d’évolution éternellement croissante de la demande en électricité et de son prix de vente. Les responsables d’Hydro-Québec mettent en avant l’exportation de l’électricité renouvelable québécoise vers l’Ontario et le nord-est des États-Unis, censée remplacer des sources d’énergie carbonées dans leur mix électrique. Les surplus produits viendraient aussi répondre aux quelques pics de consommation annuels qui obligent Hydro-Québec à importer de l’électricité des territoires voisins à des coûts faramineux. 

Christine Beaulieu, éclairée par l’avis des expert·es qu’elle consulte pour former son opinion, remet en question cette position. Premièrement, elle estime que l’efficacité énergétique des bâtiments est une solution importante pour répondre à la hausse de la demande sans nécessiter de construction supplémentaire. C’est surtout par la rénovation du cadre bâti que passe l’efficacité énergétique puisqu’une meilleure isolation permet de réduire les inefficacités de chauffage. Mais, surtout, son argumentation se base sur une conception d’un futur technologiquement sophistiqué qui ne fera plus de place à l’hydroélectricité rendue obsolète. L’avenir énergétique est fait de nanotechnologies, de fusion nucléaire et de microcentrales collées sur les fenêtres des maisons, pas de grosses turbines et de barrages dépassés.

Épisode 3: Silences, paroles et témoignages. Une lecture décoloniale des féminicides*

Par le Collectif – Voix silencieuses –

Pour écouter le podcast: https://soundcloud.com/polytechnique1989/esilence-paroles-et-temoignage?fbclid=IwAR3bCpn-nmX-9wkJH0OJRW4GmVkiUSN9cVIQc1rtRUhhGx9xLZhk8BX1W7U

Dans ce troisième podcast inédit qui a pour titre « Silence, Paroles et témoignage ». Nous partons du premier podcast sur Polytechnique : pourquoi est-ce si difficile d’en parler, trouver les mots, comprendre, rendre compte ? Puis, avec le deuxième podcast, nous constatons que la violence et les rapports de pouvoir, dans un contexte encore et toujours marqué par des rapports coloniaux, justifie le fait que – malheureusement – certaines vies comptent plus que d’autres. Dans le troisième balado, donc, en partant des conclusions des deux premiers, nous nous intéressons aux mécanismes de confiscation et de reprise de la parole. Qui est légitime pour parler ? Pourquoi est-ce souvent les mêmes qui sont entendus ? Pourquoi certaines paroles restent inaudibles ? Pour questionner les effets – mais aussi l’autorité – des témoignages dans la construction du récit, vous entendrez Célia Romulus, doctorante en science politique à l’Université de Queens, qui travaillent sur la question des récits post-conflits, et Annie O’Bomsawin Bégin, enseignante de philosophie au Cégep de Saint- Jérôme et membre de la communauté des Abénakis d’Odanak.

Ce 3ème épisode nous permet donc de comprendre les effets des violences structurelles et systémiques sur la parole et la construction des récits. Ainsi, Celia Romulus, Annie O’Bomsawin-Bégin et Emmanuelle Walter expliquent comment des témoignages existent déjà dans différents espaces discursifs sans qu’ils ne soient nécessairement écoutés ou entendus. Enfin, nos invitées nous montrent également comment le silence peut être porteur d’action et de résilience selon les contextes.

Nous remercions les éditions Mamamélis pour les droits des extraits issus de l’ouvrage Sister Outsider. Essais et propos d’Audre Lorde. Sur la poésie, l’érotisme, le racisme, le sexisme. Des textes traduits de l’américain par Magali C. Calise, Grazia Gonik, Marième Hélie-Lucas et Hélène Pour en 2003.

Nous remercions aussi Véronique Hébert d’avoir cédé gracieusement les droits sur sa magnifique pièce de théâtre « Oka ».

Ce projet a été réalisé par le collectif -Voix Silencieuses-

Montage technique : David Cherniak

Musique : Alexandra Negru

Voix Off: Margo Ganassa

Graphisme : Carl-Vincent Boucher – www.facebook.com/CRL.B.Design –

*Les podcasts du collectif ont été réalisés dans le cadre de la semaine de commémoration organisée l’année dernière pour les 30ans de l’attentat. Et le chantier sur l’antiféminisme du reqef a contribué financièrement.

La colonisation n’a pas apporté la civilisation*

Par Jade Almeida, doctorante en sociologie à l’Université de Montréal, chroniqueuse à Néoquébec, et coresponsable du dossier Imaginations, existences et spatialités noires en (ré)émergences

« Attention, l’histoire des NoirEs ne débute pas avec l’esclavage, parce que c’est vraiment, la borne temporelle qui semble débuter l’expérience noire, et c’est ce que l’on met constamment de l’avant avec le mois de l’histoire des NoirEs, y compris dans les milieux scolaires, on va commencer avec l’esclavage et ça va arriver à Obama, ou à la limite à Black lives Matter, donc on a l’impression que l’expérience noire ce sont des chaînes. (…) L’idée pernicieuse, sous-entendue avec ce type de bornes c’est que finalement avant l’esclavage, il n’y avait rien, on a découvert les NoirEs avec l’esclavage et l’expérience noire a débuté avec les chaines, et il y a l’idée que la colonisation a apporté la civilisation ».

Cette citation est tirée d’une chronique de Jade Almeida à l’émission Néoquébec à quelques jours du début du mois de l’histoire des NoirEs. Elle nous y livre des réflexions et une critique sur la temporalité, ainsi que sur l’épistémologie eurocentrique qui marquent la discipline historique et la manière dont l’histoire est enseignée. Mettant de l’avant des exemples concrets, elle démontre comment la chronologie eurocentrique mène à l’invisibilisation de tout ce qui se passe à l’extérieur de l’histoire occidentale, et nous fournit des pistes de réflexion incontournables pour renverser cette tendance dominante.

*Originalement publié le 12 février 2019

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