Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Étiquette : Décolonisation

Les congrès internationaux des écrivains et artistes noirs (1956 et 1959)

Par Adeline Darrigol, chercheuse associée au Laboratoire 3L.AM de l’Université du Maine

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Les participant.es au premier congrès de 1956.

Du 19 au 22 septembre 1956 s’est tenu à Paris le premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, sous l’initiative d’Alioune Diop, Directeur de la revue Présence Africaine[1]. C’est dans l’amphithéâtre Descartes de l’Université de la Sorbonne que s’est rassemblée une soixantaine de délégués venus d’Afrique, d’Amérique, de Madagascar et des Caraïbes. On notait la présence de personnalités telles que Richard Wright (États-Unis), Jean Price Mars (Haïti), Marcus James (Jamaïque), Jacques Rabemananjara (Madagascar), Aimé Césaire, Frantz Fanon et Édouard Glissant (Martinique), Léopold Sédar Senghor et Cheikh Anta Diop (Sénégal) ou Amadou Hampâte Bâ (Mali). Dans l’assistance, se trouvaient aussi de nombreux étudiants noirs résidant en France. La similitude de leur situation et l’identité de leur sort face à l’Occident liaient les participants. Ces points communs créaient une certaine fraternité entre eux. Dans son discours d’ouverture, Alioune Diop a affirmé : « l’événement dominant de notre histoire a été la traite des esclaves. C’est le premier lien entre nous […]. Noirs des États-Unis, des Antilles et du continent africain […], nous avons ceci d’incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres[2] ».

Decolonizing Dialectics, de George Ciccariello-Maher : recension

Par Philippe Néméh-Nombré, doctorant en sociologie à l’Université de Montréal

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Recension de : CICCARIELLO-MAHER, George. Decolonizing Dialectics. Durham, Duke University Press, 2017, 256 p.


« All I want for Christmas is white genocide. » Il n’en fallait pas plus pour heurter les sensibilités. La provocation de George Ciccariello-Maher a – trop – fonctionné. En décembre 2017, le professeur de politique et de global studies a présenté sa démission à l’Université Drexel; se jouant d’un concept imaginé et brandi au même titre que le « racisme anti-blanc » par une droite blanche et nationaliste qui met en garde contre une « menace » qui guetterait les États-Unis, son tweet datant du 24 décembre 2016 lui a valu harcèlement, attaques et menaces de mort, au point où la pression en serait devenue « insoutenable ». L’affaire, traitée principalement sous l’angle de la liberté académique et de la (re)montée en puissance de tendances suprémacistes, a fait grand bruit, notamment dans les médias nationaux. D’autant plus que le principal intéressé s’est assuré de consolider les oppositions en multipliant les sorties incisives et les propositions du même ordre.

Pourtant, s’il fallait encore s’en convaincre, ces apparitions répétées ont fait bien plus qu’assurer une trame narrative au feuilleton. Elles ont également permis de mettre en évidence l’intention intellectuelle et politique de Ciccariello-Maher d’en témoigner et de l’inscrire dans une continuité pour l’essentiel évacuée de la couverture médiatique : faire émerger les ruptures politiques, les investir et les situer dans un processus de (ré)arrangements d’identités, de luttes et de sociabilités. Une posture, finalement, qui correspond parfaitement au point de départ de son plus récent ouvrage, Decolonizing Dialectics. Dans ce livre, l’auteur actualise, articule et met justement à l’épreuve les potentialités libératrices d’une insistance sur les oppositions dynamiques et fécondes de même que sur la formation de solidarités oppositionnelles comme processus politique. En plus d’éclairer le caractère subversif des interventions publiques de Ciccariello-Maher, la réflexion fine qui y est proposée entend surtout permettre de penser – et de vivre – les luttes politiques radicales dans des paramètres qui favorisent leur déploiement. La proposition de Ciccariello-Maher est d’ancrer dans la pratique politique une révision et un dépassement des usages limitatifs de la pensée dialectique, une pensée qui s’intéresse essentiellement au mouvement dynamique entre oppositions conflictuelles. Celle-ci serait, selon lui, trop souvent mise au service de résolutions conservatrices et harmonieuses plutôt qu’à la mise en évidence souhaitable et nécessaire des divisions combatives, des indéterminations du conflit et des futurs radicaux imprédictibles (p. 6).

L’expérience subalterne : conscience et violence épistémologique dans l’écriture de l’histoire

Par Guillaume Tremblay, Université de Montréal

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Résumé

Cet article s’intéresse à l’usage du concept de subalternité en tant qu’objet, mais surtout en tant que catégorie d’analyse utile à l’écriture de l’histoire. Dans un premier temps, il sera question de présenter les origines historiographiques du concept et d’en exposer les principales caractéristiques telles qu’elles se définirent plus précisément à travers les travaux du collectif indien des Subaltern Studies. La seconde partie de l’article, en mobilisant des débats internes au groupe (l’action comme expression de la conscience vs la violence épistémologique), mais également des notions extérieures au groupe comme l’hégémonie (Gramsci) et l’aliénation (Memmi, Fanon), présentera une critique du concept en tant qu’outil pour l’étude et l’écriture de l’histoire. En définitive, l’article vise à montrer l’apport théorique et méthodologique du concept de subalternité dans le champ de l’histoire.

Mots clés

subalternité; subaltern studies group; sujet; conscience; violence épistémologique; hégémonie; aliénation

Introduction

Au bout du petit matin, cette ville plate – étalée…

Et dans cette ville inerte, cette foule criarde si étonnamment passée à côté de son cri comme cette ville à côté de son mouvement, de son sens, sans inquiétude, à côté de son vrai cri, le seul qu’on eu voulu crier parce qu’on le sent sien lui seul ; parce qu’on le sent habiter en elle dans quelque refuge profond d’ombre et d’orgueil, dans cette ville inerte, cette ville à côté de son cri de faim, de misère, de révolte, de haine, cette foule si étrangement bavarde et muette[1].

C’est en 1939 qu’Aimé Césaire, poète martiniquais, publie son Cahier d’un retour au pays natal. Imposante et nécessaire prise de parole, cri de révolte du sujet colonial confiné à un mutisme contre nature, ce puissant poème résonnera jusqu’en France métropolitaine, trouvant au passage écho dans les confins d’un empire colonial vacillant. L’œuvre de Césaire s’enrichira au fil des décennies qui suivront, mais déjà, avant même les indépendances qui marqueront l’Afrique et l’Asie, avec ce poème-fleuve, il préfigure les grandes lignes des études postcoloniales qui se développeront dans le dernier tiers du siècle. Altérité, aliénation, hybridité, tout s’y trouve ; et en filigrane de tous ces autres concepts : la subalternité.

Super-héro.ïnes africain.es de Marvel à Comic Republic : politiques internationales de décolonisation des images et imaginaires (1934 – 2016)*

Par Pierre Cras, docteur et chargé de cours en civilisation américaine et cinéma à l’Université Paris III – Sorbonne Nouvelle et collaborateur pour HistoireEngagee.ca

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Les « African Avengers ».

Résumé

Qu’on se le dise : les super-héro.ïnes noir.es ont non seulement du livrer bataille à la fois contre des hordes de super-méchants machiavéliques, mais aussi contre des ennemis encore plus insidieusement glissés au cœur de leur quotidien comme le racisme, l’exclusion ou encore l’oppression systémique induite par des dynamiques coloniales et impérialistes. Qu’elles et qu’ils soient originaires du continent africain, de sa diaspora ou afro-descendant.es, les super-héro.ïnes en question se sont graduellement vu attribuer – en sus de leur qualité de bienfaiteurs de l’humanité – un statut de résistant.es dont le combat s’inscrit à l’aune des luttes sociales et culturelles du monde réel.

Mots clés

super-héros ; marvel ; comic cepublic ; décolonisation ; altérité ; wakanda ; Jide Martin ; Roye Okupe ; guardian prime ; avengers africains


Introduction

C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres. L’heure de nous-mêmes a sonné.

Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez, 24 octobre 1956.

Lorsqu’il rédige la lettre de rupture à l’encontre du Parti Communiste Français (PCF), d’où est issue cette citation, le poète et homme politique martiniquais Aimé Césaire exprime sa volonté d’éloignement vis-à-vis d’une idéologie qu’il juge trop empreinte de « fraternalisme ». Ce dernier, empruntant à la fois au paternalisme et à la fraternité, porterait selon lui atteinte à une véritable politique de convergence des luttes qui aurait su combiner les revendications particulières des peuples colonisés et celles du Parti Communiste.

Cette revendication par la séparation d’Aimé Césaire s’inscrit dans un contexte international de Guerre froide et de décolonisation au sein duquel l’écho des velléités d’indépendance des pays/états colonisés est de plus en plus prégnant. Cette vague d’indépendances qui connaît son apogée durant la décennie 1960 possède non seulement un caractère politique, mais également culturel. L’indépendance prônée par Césaire et incarnée par l’aphorisme « l’heure de nous-mêmes a sonné » sied assurément à un certain nombre de disciplines artistiques et culturelles au sein desquelles les populations colonisées se réapproprient leur image et livrent au monde leur propre vision de leurs combats, de leur condition et de leur existence.

Les congrès internationaux des écrivains et artistes noirs (1956 et 1959)

Par Adeline Darrigol, chercheuse associée au Laboratoire 3L.AM de l’Université du Maine

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Les participant.es au premier congrès de 1956.

Du 19 au 22 septembre 1956 s’est tenu à Paris le premier Congrès international des écrivains et artistes noirs, sous l’initiative d’Alioune Diop, Directeur de la revue Présence Africaine[1]. C’est dans l’amphithéâtre Descartes de l’Université de la Sorbonne que s’est rassemblée une soixantaine de délégués venus d’Afrique, d’Amérique, de Madagascar et des Caraïbes. On notait la présence de personnalités telles que Richard Wright (États-Unis), Jean Price Mars (Haïti), Marcus James (Jamaïque), Jacques Rabemananjara (Madagascar), Aimé Césaire, Frantz Fanon et Édouard Glissant (Martinique), Léopold Sédar Senghor et Cheikh Anta Diop (Sénégal) ou Amadou Hampâte Bâ (Mali). Dans l’assistance, se trouvaient aussi de nombreux étudiants noirs résidant en France. La similitude de leur situation et l’identité de leur sort face à l’Occident liaient les participants. Ces points communs créaient une certaine fraternité entre eux. Dans son discours d’ouverture, Alioune Diop a affirmé : « l’événement dominant de notre histoire a été la traite des esclaves. C’est le premier lien entre nous […]. Noirs des États-Unis, des Antilles et du continent africain […], nous avons ceci d’incontestablement commun que nous descendons des mêmes ancêtres[2] ».

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