Chris Robertson(Affiche), Lorene Oikawa (Texte), Florence Prévost-Grégoire (Traduction)
Au premier regard,
la photo sur cette affiche semble être le simple cliché d’un groupe de
travailleurs (le grand-père de l’artiste est l’homme avec des lunettes au
centre de la première rangée). Cette image est pourtant unique parce qu’elle
est une des rares photographies d’hommes Canado-Japonais qui, en 1942, ont été
retirés de leurs familles et ont été forcés de travailler sur des projets
d’autoroutes à travers le Canada. 2017 marque le 150e anniversaire
de la Confédération canadienne, elle marque aussi le 75e
anniversaire de l’internement des Canado-Japonais·es.
En 1942, le
gouvernement canadien identifie 22 000 Canado-Japonais·es (dont plus de 75%
étaient citoyen·ne·s canadien·ne·s) comme « étranger ennemi ». En
réponse à l’attaque du Japon sur Pearl Harbor en 1941, le Canada déclare la
guerre au Japon. Peu de temps après, le gouvernement relocalise des Canadien·ne·ss
d’origine japonaise qui vivent sur la côte ouest vers des camps d’internements situés
dans des régions éloignées de la Colombie-Britannique et d’autres endroits au
pays. La GRC ferme aussi des écoles canado-japonaises et des journaux de langue
japonaise. Afin de payer l’internement, le gouvernement saisit et vend les
terres, les propriétés et les possessions des Canado-Japonais·es et cela, sans
l’autorisation des propriétaires et à une fraction de leur valeur d’origine.
Dans la période
avant l’internement, les gens de descendance japonaise, comme les Autochtones
et les autres groupes racialisés, font face à beaucoup de racisme. Vers la fin
du 19e siècle, la main-d’œuvre bon marché motive l’embauche de
travailleurs japonais. On attire les travailleurs en leur faisant croire qu’ils
feront un coup d’argent et auront d’excellentes conditions de vie. Ils viennent
donc travailler dans l’industrie de la pêche, de l’exploitation minière, de la
foresterie et dans la construction de chemins de fer. Avec l’argent qu’ils économisent,
ils se lancent dans l’agriculture ou en affaires. Malgré leur contribution,
plusieurs colons blancs voient en eux une menace. Le gouvernement canadien implante
donc plusieurs politiques racistes, incluant la restriction de l’immigration
japonaise et du droit de vote des Canado-Japonais. Lorsque le Canada déclare la
guerre au Japon, il n’est pas difficile de convaincre les Canadien·ne·s que les
gens d’origine japonaise sont des « étrangers ennemis » qui devraient
être internés et même déportés.
Le 16 janvier 1942,
le Canada crée une « zone protégée » d’une largeur de 100 miles sur
la côte ouest de la Colombie-Britannique. Un mois plus tard, à partir du 26
février, les Canado-Japonais·e·s sont forcé·e·s de quitter leurs maisons à
moins de 24 heures d’avis. On dit aux familles qu’elles peuvent prendre avec
elles deux valises, mais elles ne sont pas informées de la longueur de leur
séjour. Près de 8000 personnes sont détenues au parc Hastings avant d’être
envoyées dans des camps d’internement dans les villes fantômes de la
Colombie-Britannique entre mars et septembre 1942.
Dans les camps,
plusieurs familles vivent dans des tentes ou dans des cabanes construites avec
des matériaux inadéquats. Plusieurs se retrouvent sans l’homme de la famille
alors que ce dernier est envoyé ailleurs pour construire des autoroutes en
Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario. Les hommes qui prennent la
parole pour dénoncer l’injustice dont ils sont victimes, notamment ceux qui
organisent des arrêts de travail dans les camps, comme Geiki, sont envoyés dans
des camps de prisonniers à Angler en Ontario. Certaines familles, pour rester
ensemble, sont envoyées dans des fermes de betteraves à sucre en Alberta et au
Manitoba où on manque de main-d’œuvre.
Juste avant la fin
de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement force les Canado-Japonais·es à
déménager dans l’est du Canada ou à retourner au Japon. Des 4000 qui acceptent
de retourner au Japon, près de la moitié était née au Canada. Alors que la
guerre se termine officiellement en 1945, le gouvernement attend jusqu’en 1949
pour permettre aux Canado-Japonais·es de revenir sur la côte ouest. Cela dit,
rien n’attend les Canado-Japonais·es dans l’ouest. Ils et elles doivent
recommencer à zéro.
Des années après la
reconstruction de leur communauté, plusieurs Canado-Japonais·es ont commencé à
partir de 1980 à s’organiser officiellement
pour obtenir réparation. En 1988, le gouvernement fédéral offre finalement
des excuses officielles pour ses actions durant la guerre et promet qu’une
telle chose ne se reproduira plus jamais.
Pourtant, après le
11 septembre 2001, plusieurs Canado-Japonais·es ont une impression de déjà-vu
alors qu’ils et elles voient les musulman·ne·s se faire étiqueter de « terroristes »
et ce, sans preuve à l’appui. L’augmentation de l’intolérance envers les
immigrant·e·s et la hausse de l’islamophobie au Canada et partout sur la
planète sont inquiétantes alors que le discours utilisé est similaire à ce qui
a été dit à propos des Canado-Japonais·es en 1942. Cela est inacceptable.
Aujourd’hui, la communauté canado-japonaise continue de s’exprimer contre le
racisme et de travailler avec d’autres communautés pour partager leur histoire
et prévenir de nouvelles injustices.
Texte sur l’affiche :
Le retrait forcé et l’emprisonnement de Canadien·ne·s
d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale constituent une autre
série d’événements profondément racistes de l’histoire du Canada. Quelque 22
000 citoyen·ne·s et résident·e·s canadien·ne·s ont été forcé·e·s de quitter
leur domicile de la côte ouest du Canada, sans aucune accusation ni procédure
officielle, et ont été exilé·e·s dans des camps situés dans des régions
éloignées de la Colombie-Britannique et d’autres régions du pays. De plus, le gouvernement
fédéral a dépouillé ces citoyen·ne·s de leurs biens et de leurs terres, puis a
fait pression pour qu’ils et elles acceptent la déportation ou l’exil dans l’est
après la fin de la guerre. Soixante-quinze ans se sont écoulés depuis que le
Canada a qualifié les Canadien·ne·s d’origine japonaise « d’étrangers
ennemis ». Nous célébrons le 75e anniversaire pour faire la lumière sur
ces évènements et honorer les survivant·e·s.
Biographies
Chris Robertson est un graveur qui consacre son travail à raconter sa propre histoire et à partager les
choses qui lui tiennent à cœur et à permettre aux gens, par le biais de la
gravure, de partager leurs histoires et de donner aux autres le pouvoir de
créer. C’est ce qu’il considère comme vital pour le futur et
le plus aidant pour la communauté locale et ailleurs.
Lorene Oikawa est une activiste qui parle et écrit
des histoires sur ses passions, les droits humains et son héritage culturel. Elle
est une yonsei, Canadienne de quatrième génération, dont la famille a migré du
Japon dans les années 1800 et en 1906.
Pour en savoir
plus
Adachi, Ken. The Enemy That Never Was:
A History of the Japanese Canadians. Toronto: McClelland and
Stewart, 1976.
Enomoto, Randy, ed. Honouring
Our People: Breaking the Silence. Burnaby, BC: Greater Vancouver
Japanese Canadian Citizens’ Association, 2017.
Miki, Roy. Redress:
Inside the Japanese Canadian Call for Justice. Vancouver: Raincoast
Books, 2004.
Price, John. Seventy Five Years is Long
Enough. Victoria, BC: University of Victoria, Centre for Asia-Pacific
Initiatives, 2016. https://www.uvic.ca/research/centres/capi/assets/docs/MMP_Price_Working_Paper_v2.pdf.
Roy, Patricia. The
Oriental Question: Consolidating a White Man’s Province, 1914-41.
Vancouver: UBC Press, 2003.
Stanger-Ross, Jordan, Nicholas Blomley, and The
Landscapes of Injustice Research Collective. “‘My land is worth a million
dollars’: How Japanese Canadians contested their dispossession in the 1940s.” Law and History Review 35, no. 3 (August 2017):
711-751.
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