Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Recension de l’ouvrage de Mary Anne Poutanen : Une histoire sociale de la prostitution : Montréal, 1800-1850

Une histoire sociale de la prostitution | les éditions du remue-ménage

Amélie Dufresne, candidate au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal

Le présent ouvrage, publié en 2021, offre une traduction française de Beyond Brutal Passions : Prostitution in Early Nineteenth-Century Montreal parue en 2015. Cette édition arrive à un point nommé, puisque la pandémie de la COVID-19 a considérablement aggravé les inégalités sociales, y compris la marginalisation des travailleuses du sexe[1]. Cette publication permet d’enrichir notre compréhension de la prostitution hétérosexuelle à Montréal pour la première moitié du XIXe siècle. Mary Anne Poutanen y analyse principalement les interactions des femmes justiciables avec leurs familles, la société et les représentants de la justice. À l’instar de plusieurs autres historiennes étudiant le travail du sexe, l’autrice se penche sur les femmes accusées de prostitution pour retracer leurs parcours, et non simplement sur les lois ou les positions morales de la société face à ce commerce. L’agentivité des femmes accusées de prostitution tient une place centrale dans cet ouvrage. L’historienne soutient en effet que le comportement sexuel jugé hors norme de ces femmes était, en fait, l’expression de leur agentivité qui se voyait réprimée par leur famille, leurs voisins et les policiers. Grâce à l’utilisation de sources très variées telles que des documents d’archives judiciaires, des recensements, des journaux, des registres paroissiaux et la base de données du programme de recherche en démographie historique, l’autrice parvient à construire une histoire de la prostitution qui se concentre principalement sur les femmes, la sexualité et le pouvoir judiciaire.

« Pas d’histoire, les femmes! » Réflexions critiques d’une historienne de l’accouchement

À propos du livre de Denis Goulet, Chronologie de l’histoire de l’obstétrique-gynécologie au Québec. [1]

Par Andrée Rivard, chargée de cours à l’Université du Québec à Trois-Rivières, chercheuse associée à la Chaire Claire-Bonenfant – Femmes, Savoirs et Sociétés

Le titre de ce texte reprend à quelques mots près celui d’un ouvrage de l’imparable Micheline Dumont, pionnière de l’histoire des femmes au Québec.[2] Il m’arrive de retourner à ses écrits lorsque j’ai besoin d’inspiration et quand je veux retrouver du courage pour, comme elle, continuer à « faire » l’histoire des femmes et la mettre en valeur dans un contexte qu’il m’arrive de trouver désespérant.

Cette réflexion est destinée à montrer, par un exemple représentatif, la persistance de la vision masculine du monde en histoire et à en souligner les effets sur la profession historienne et la société.

 

Présentation

L’ouvrage dont il est question dans cette note critique est celui de Denis Goulet, Chronologie de l’histoire de l’obstétrique-gynécologie au Québec, publié en 2017 par l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ) pour souligner ses 50 ans. Goulet était alors professeur associé et chargé d’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal et professeur associé au département d’histoire de l’UQAM. Il a à son actif un nombre impressionnant de travaux relatifs à l’histoire de la médecine dont plusieurs livres portant sur l’histoire des hôpitaux, des facultés de médecine, des spécialités médicales et autres sujets connexes.

Les prescriptions normatives sur la sexualité féminine dans les pages du magazine Filles d’Aujourd’hui : déconstruction d’un discours tenace

Catherine Dumont-Lévesque, Université de Sherbrooke

La récente vague de dénonciations d’agressions sexuelles dans l’espace médiatique soulève plusieurs questionnements dans notre société, notamment sur la difficulté des survivantes à prouver devant la justice et devant l’opinion publique les abus subis. Le fait que la parole des femmes qui dénoncent soit systématiquement remise en question laisse supposer qu’il existe un réel problème à reconnaître qu’elles ne sont pas responsables de ce qui leur est arrivé. Cette polémique révèle qu’on s’attend toujours des femmes à ce qu’elles se comportent selon un idéal de pureté, faute de quoi, elles s’exposent de manière inévitable aux abus. Comme l’explique la journaliste et autrice E.J. Graff, le viol est toujours largement conçu comme une chose qui arrive aux femmes qui provoquent un homme et qui se montrent « trop » attirantes.[1] L’étude des chercheures Amy Grubb et de Emily Turner à propos de ce qu’elles appellent les « mythes du viol » révèle aussi que la responsabilité d’un viol ou d’une agression sexuelle est souvent attribuée aux survivantes elles-mêmes lorsque ces dernières dénoncent ce qu’elles ont subi.[2] Comme le démontrent ces autrices, le phénomène appelé « victim-blaming » a fait l’objet de nombreuses études féministes dans les dernières années, car ce dernier n’est pas anecdotique mais, au contraire, largement répandu. Cette tendance générale à faire porter le chapeau aux survivantes possède des racines historiques qui sont liées à deux choses : la représentation du désir féminin comme étant suspect et la pureté comme étant intrinsèque à l’expérience de la féminité. Cette récente prise de parole par les survivantes et la résistance rencontrée par leurs propos démontrent qu’il existe un réel malaise dans notre société à voir les femmes exprimer leur sexualité (et à en réclamer le contrôle). Les vives réactions suscitées par les nombreux témoignages dans l’espace public traduisent également l’idée selon laquelle les femmes sont entièrement responsables du désir qui est projeté sur elles, mais n’en éprouvent pas elles-mêmes. Si l’on souhaitait réellement faire l’histoire de ce discours qui oblitère le désir féminin, il faudrait remonter au moins jusqu’à la première moitié du 19e siècle au Québec. Pour cet article, j’ai choisi de présenter une partie des recherches que j’ai réalisées pour mon mémoire de maîtrise, et pour lequel j’ai étudié une revue québécoise pour adolescentes publiée dans la décennie 1980.

Cet article vise à analyser les discours sur la sexualité et la contraception chez les adolescentes québécoises durant la décennie 1980, par l’entremise du magazine Filles d’Aujourd’hui.[3] Force est de constater que ce qu’on peut lire dans cette revue tend toujours à effacer les besoins sexuels des jeunes femmes, tout en les responsabilisant face à la contraception, cette dernière réalité étant nouvelle pour cette génération de jeunes. À l’époque, Filles d’Aujourd’hui constitue une source d’informations inédite (et substantielle) sur les méthodes de contraception, le cycle menstruel et le fonctionnement des organes génitaux. Toutefois, ce qu’on y lit n’est pas entièrement en rupture avec les discours de la période qui précède l’avènement de la pilule contraceptive. Qu’il s’agisse de la modestie encouragée face à la sexualité ou de l’absence de représentations du désir féminin, les jeunes femmes sont toujours mises en garde contre les pulsions sexuelles des hommes et on considère qu’elles doivent attendre d’être plus âgées avant d’expérimenter les relations sexuelles.

« South Side Girls. Growing up in the Great Migration » : re/penser le discours sur la jeunesse féminine noire

Samia Dumais, étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal

Le nord des États-Unis symbolise l’affranchissement et l’émancipation pour de nombreux Afro-Américain·e·s. Plus de 190 000 Noir·e·s s’établissent à Chicago lors de la Première Grande Migration afin d’échapper aux tensions raciales qui sévissent dans les États du Sud, mais aussi pour trouver des emplois suite à l’industrialisation de nombreuses métropoles du Sud. L’arrivée massive des Afro-Américain·e·s ne passe pas inaperçue dans le paysage urbain de la ville et chamboule la société blanche chicagoane. L’impact de la Grande Migration sur la reconfiguration des familles afro-Américaines et sur les rôles de genre sont des thématiques qui ont été abordées par de nombreux historien·ne·s. Toutefois, peu se sont penché·e·s sur l’expérience individuelle des acteurs·ices de cette migration. L’historienne Marcia Chatelain, enseignante à l’Université de Georgetown et spécialiste de l’histoire afro-américaine , remédie à cette invisibilisation dans son ouvrage South Side Girls : Growing Up in the Great Migration, paru en 2015 aux éditions de la Duke University Press.

Cette monographie spécialisée décortique les tensions raciales et les changements socio-économiques liés à la Première Grande Migration, entre 1910 et 1940, mais porte une attention particulière au vécu des jeunes afro-américaines. Chatelain se penche sur la construction du discours de la jeunesse féminine noire par les adultes ainsi que les répercussions institutionnelles et individuelles de ce dernier. Plutôt que de suivre les interprétations de nombreux intellectuel·le·s···· qui dépeignent ces filles comme vulnérables et assujetties, l’autrice démontre les stratégies développées par et pour elles au sein de diverses institutions. Chatelain explique que l’absence des jeunes filles noires dans l’historiographie de la Première Grande Migration peut être attribuée à la fausse croyance selon laquelle les filles ne sont pas présentes dans les archives, ou bien que leur expérience ne soit pas pertinente dans le cadre temporel étudié. L’autrice pallie ce manque grâce aux nouveaux « outils analytiques » (p.5) qui proviennent de divers champs historiques tels que l’histoire des femmes afro-américaines et l’histoire de l’enfance. L’analyse de Chatelain est teintée des travaux de l’historienne Darlene Clark Hine sur les stratégies employées par les femmes noires pour évoluer dans la sphère publique malgré l’existence de traumas profonds et de pensées intrusives chez ces dernières (p.6). Considérant que l’identité et l’existence des jeunes filles noires sont un danger pour leur sécurité dans les États du Sud, les théories de Clark Hine sont essentielles dans l’analyse de Chatelain.

Qui sont ces filles ?

Chatelain démontre que son ouvrage s’inscrit dans les Girlhood Studies grâce à une question posée dans son introduction : est-ce qu’un âge particulier peut délimiter la fin de la jeunesse et le passage à l’âge adulte chez les jeunes filles noires? De nombreuses historiennes telles que Rachel Devlin et Miriam Brunnell-Forman (p.181) se sont penchées sur la construction de l’imaginaire de la jeunesse féminine aux États-Unis. Cet imaginaire est créé culturellement et varie constamment selon les composantes identitaires qui transforment l’expérience de l’agente historique. Chatelain définit les jeunes filles noires à travers trois variantes : les discours législatifs provenant des représentant·e·s de la protection de l’enfance, l’âge de consentement (qui varie entre 14 et 18 ans dépendamment des États) et les rapports de présence scolaire obligatoires.  Les protagonistes de l’ouvrage de Chatelain ont donc 18 ans ou moins, ne sont pas mariées et dépendent de leurs parents ou d’institutions encadrantes afin de subvenir à leurs besoins (p.14). Chatelain reconnaît toutefois qu’elle ne croît pas à l’existence d’une définition rigide sur la jeunesse féminine noire, particulièrement sur la question de l’âge de consentement.

Les promesses de la Première Grande Migration sur le vécu des jeunes filles noires : scolarisation, revendications et déceptions

Les raisons qui poussent les familles afro-américaines du Sud à migrer vers le Nord sont variées. Or, Chatelain précise qu’il serait faux de croire que l’expérience des jeunes filles noires dans le Sud n’est pas prise en considération dans la décision de partir. Au contraire, c’est parfois une mauvaise expérience qui motive la bulle familiale à migrer. Chatelain donne un exemple concret de ce constat grâce à un article de journal publié au sein du très populaire Chicago Defender. L’archive datant de mai 1910 révèle les conditions précaires des jeunes filles noires dans le Sud des États-Unis ; une nounou de seulement 10 ans est emprisonnée après avoir supposément empoisonné un bébé de 3 mois et un bambin de 2 ans (p.7). Cet exemple illustre les limites des réglementations législatives pour les filles, qui se retrouvent jugées sévèrement en dépit de leur jeune âge. À la lumière de cet article, Chatelain déduit trois problématiques qui provoquent la migration : les jeunes afro-américaines qui vivent dans les états sudistes n’ont pas d’encadrement scolaire, elles intègrent le monde du travail à un jeune âge et elles se retrouvent dans des situations d’extrême vulnérabilité, délaissées par des institutions censées les protéger (p.7).

Les quatre chapitres de South Side Girls guident lea lecteur·ice à travers l’expérience migratoire des jeunes filles noires et de leurs familles, qui espèrent que le Nord leur procurera les conditions nécessaires à l’épanouissement et à la sécurité des Afro-Américain·e·s.  La recherche de Chatelain se distingue par la réinterprétation de sources variées afin que l’expérience et la voix des filles transparaissent davantage. Outre la présence de photos des actrices à l’étude qui humanisent l’argumentaire de Chatelain, la voix des Afro-Américaines transparaît dans divers milieux de la société chicagoane. Un exemple est la Amanda Smith Industrial School for Colored Girls. Chatelain utilise l’autobiographie de la directrice de cette institution, Amanda Smith, afin d’observer comment l’expérience de vie de cette dernière contribue à la création d’un discours propre sur la jeunesse féminine noire ; discours qui sera par la suite enseigné aux jeunes filles (p.39). Chatelain utilise des articles du Chicago Defender pour démontrer l’agentivité des Afro-Américaines lors de la Grande Dépression. Pourtant, ces articles méprisent les revendications des jeunes afro-américaines et mettent l’accent sur les opportunités qu’elles ratent à travers l’agitation qu’elles causent dans la ville (p.124,126,127). Lorsqu’il est question des déceptions des jeunes filles face à leurs attentes suite à la migration, Chatelain réinterprète les réponses des Afro-Américaines grâce aux entrevues réalisées par Edward F. Frazier dans son ouvrage The Negro Family publié en 1932(p.150).

South Side Girls est rédigé d’une main de maître par son autrice, qui fait preuve d’une incroyable habileté à faire parler ses sources pour fournir un récit poignant sur l’expérience des jeunes filles migrantes à Chicago. Chatelain laisse toute la place à la perspective des jeunes filles noires sur ces institutions plutôt que de se lancer dans des interprétations empiriques qui auraient pu invisibiliser la particularité de leur expérience. South Side Girls est donc un ouvrage versatile, qui s’inscrit dans divers champs historiographiques : l’histoire des filles, l’histoire des migrations et l’histoire des Afro-Américain·e·s.

Ta jupe est trop courte: sors de l’église… ou plutôt la classe

Par Mat Michaud, University of Glasgow

Je ne choquerai personne en disant que les sociétés occidentales ont, aujourd’hui et par le passé, tenté de contrôler l’apparence des femmes. Il est cependant plus difficile de convaincre que la rhétorique derrière cette gestion corporelle au 21e siècle ressemble presque en tout point à celle mise en œuvre par l’Église catholique québécoise du 19e siècle. Depuis plus d’une semaine déjà, l’actualité québécoise est traversée par cette seconde tentative d’élèves du secondaire de provoquer un changement quant à l’application des codes vestimentaires dans leur école. Cet évènement, et plus particulièrement la mise en exergue des codes adressés aux adolescentes, m’offre une occasion parfaite pour dresser les ressemblances entre ce mouvement et la gestion des corps des femmes par l’Église catholique il y a plus de 100 ans.

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