Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Étiquette : Mouvements étudiants Page 1 of 5

Le travail gratuit chez les étudiant·es aux cycles supérieurs : que peuvent nous apprendre les mouvements wages for ?

Camille Robert, doctorante et chargée de cours en histoire, Université du Québec à Montréal

Quand on m’a offert d’écrire un court essai sur la précarité, je venais tout juste de refuser une invitation à travailler, sans rémunération, comme consultante pour un musée. Avec un pas de recul, j’y ai vu l’occasion d’explorer une question qui me tiraille depuis plusieurs années, soit le travail gratuit des étudiant·es aux cycles supérieurs en histoire1. Je propose de l’examiner ici à la lumière de mes recherches sur le travail invisible des femmes et des luttes pour la rémunération du travail étudiant.

L’affaire Sir George Williams dans la presse étudiante universitaire*

Par Marie-Laurence Rho, UQAM

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Lendemain d’émeute, février 1969. Source : Archives de l’Université Concordia.

À l’hiver 1969, des étudiants antillais de passage à Montréal dans le cadre de leurs études ont occupé, avec leurs alliés blancs, le centre informatique de l’Université Sir George Williams à Montréal. Cette occupation a été orchestrée afin de protester contre des manifestations de racisme s’étant produites au sein même de l’université. Le présent article propose de questionner la façon dont a été reçue cette mobilisation anti-raciste par les étudiants universitaires des campus de la métropole dans le contexte des «années 68» où le militantisme étudiant est exacerbé, non seulement au Québec, mais à l’échelle globale également.

Mots clés : Montréal; les «années 1968»; militantisme; militantisme noir; Black Power; presse étudiante; mouvement étudiant; université

Les «années 68», période d’activisme politique ayant touché les campus universitaires de plusieurs villes du monde entre 1967 et 1969, incarnent un mouvement global dont les expressions locales s’inscrivent dans des contextes nationaux singuliers. Cet article vise justement à étudier l’un des épisodes du militantisme propre au mouvement soixante-huitard montréalais: l’affaire Sir George Williams. Nous tâcherons de montrer comment ce mouvement d’activisme s’inscrit dans le contexte militant québécois et montréalais des années soixante et comment son étude permet de complexifier le portrait du militantisme des «années 68» à Montréal.

Soulignons d’abord que les rares travaux en histoire qui se sont intéressés au phénomène des «années 1968» à Montréal intègrent, sans grande surprise, la dimension du militantisme pour les droits linguistiques[1]. Effectivement, dans le contexte montréalais des années 1960, un discours engagé, largement axé sur les droits linguistiques de la majorité francophone, se consolide. Avec l’émergence des mouvements sociaux de la décennie et l’affirmation d’un néo-nationalisme à l’échelle du Québec, la protection de la langue française mobilise plus que jamais une quantité significative de militants. À cet effet, selon Marc V. Levine, ce sont les institutions scolaires qui, dans le contexte montréalais de la fin des années soixante, deviennent la pierre angulaire du mouvement pour les droits linguistiques. En ce qui concerne les écoles primaires et secondaires, le libre choix des parents à envoyer leurs enfants à l’école en français ou en anglais commence à poser problème à la population francophone lorsque, dans la période d’après-Deuxième Guerre mondiale, l’arrivée d’un nombre croissant d’immigrants qui envoient majoritairement leurs enfants à l’école anglophone laisse présager la mise en minorité des francophones à Montréal[2]. À cet effet, pensons ici à l’épisode de la crise linguistique de Saint-Léonard, qui a mené à un affrontement autour de la question de la langue d’enseignement dans les écoles primaires de Saint-Léonard entre les parents francophones et les parents d’origine italienne de cette municipalité de l’île de Montréal. D’un autre côté, dans le cas des universités de la métropole ; le déséquilibre entre le nombre d’institutions anglophones (Sir George Williams et McGill) et francophone (Université de Montréal) pose la question de l’égalité des chances d’accès aux études supérieurs pour les francophones qui réclament la création d’une seconde université de langue française. C’est justement dans ce contexte que l’opération McGill français a mobilisé différents groupes d’étudiants et de travailleurs sur le campus de l’Université McGill, à l’hiver 1969, pour réclamer la conversion de cette institution anglophone et bourgeoise en une université populaire de langue française. Dans une moindre mesure, le mouvement d’occupation des cégeps de la région métropolitaine d’octobre 1968, bien qu’ayant été porteur de revendications allant au-delà du facteur linguistique, était lui aussi ancré dans une rhétorique nationaliste et anti-impérialiste assez critique des structures de pouvoir, fréquemment associées à l’élite anglo-saxonne.  Dans ce contexte, il apparaît essentiel de ne pas négliger le poids du militantisme pour les droits linguistiques à Montréal dans la consolidation du mouvement soixante-huitard, dont les action politiques sont principalement centrées autour des institutions scolaires de la métropole .

De son côté, l’affaire Sir George Williams, dont il sera question ici, s’inscrit dans le militantisme pour les droits civiques à Montréal plutôt que dans la foulée des revendications pour les droits linguistiques. Or, à notre avis, ce mouvement d’occupation peut et doit faire également partie des événements pris en compte dans le chantier historiographique du mouvement soixante-huitard montréalais. C’est en ce sens que cet article, en incluant les militants de Sir George Williams à une étude de cette période de l’histoire de la métropole, permet de faire la lumière sur des dimensions encore inexplorées par l’histoire des «années 68» à Montréal.

Salaire critique : sur la rémunération des stages et le salaire étudiant avec George Caffentzis

Par Annabelle Berthiaume, doctorante en travail social, Université McGill

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George Caffentzis lors de la conférence du 9 novembre 2017. Crédit photo : Pierre-Luc Junet.

Pour une troisième année maintenant, des comités autonomes s’organisent sur différents campus collégiaux et universitaires à travers le Québec et donnent un nouveau souffle au mouvement étudiant. Les Comités unitaires sur le travail étudiant, les CUTE, défendent la reconnaissance et la rémunération de l’activité étudiante. À plus court terme, les CUTE revendiquent la fin des stages non rémunérés, qui occupent toujours une place considérable dans les domaines traditionnellement féminins (l’enseignement, les soins, les arts, la culture). Ainsi, sans nier la pertinence d’exiger la gratuité scolaire, les CUTE proposent d’aller plus loin en politisant l’activité étudiante et en revendiquant un salaire et des conditions d’études convenables afin d’améliorer son accessibilité. En rupture avec la stratégie dominante du mouvement étudiant des dernières années, les militant.e.s des CUTE réactualisent la revendication du salaire étudiant, inspiré.e.s des féministes de la Campagne internationale pour un salaire au travail ménager (Wages for Housework de 1972 à 1977)[1] et des syndicalistes étudiant.e.s de l’Union nationale des étudiants de France (en phase avec le principe de l’étudiant comme jeune travailleur intellectuel inscrit dans la Charte de Grenoble de 1946).

C’est dans cette perspective que George Caffentzis, un des militants à l’origine de la campagne Wage for Students à New York en 1975 et professeur de philosophie retraité à la University of Southern Maine, est venu donner son appui à la campagne des CUTE dans le cadre d’une conférence l’an dernier. À la veille de la journée internationale des stagiaires du 10 novembre, une soirée discussion intitulée « De la chambre à coucher à la salle de classe, lutter contre l’exploitation étudiante » proposait un regard historique et actuel sur les différentes facettes de l’exploitation étudiante, en la liant à celle des femmes, des personnes assistées sociales, des artistes et autres personnes qui sont aussi affectées par la multiplication des formes de travail gratuit. Durant la soirée, le public a également eu l’occasion d’entendre Kay Dickinson, militante au sein du groupe londonien Precarious Workers Brigade, coautrice de Training for Exploitation et professeure en études cinématographiques à l’Université Concordia ainsi que Christina A. Rousseau chercheuse indépendante et chargée de cours à l’Université Trent sur la campagne Wages for Housework et Wages Due Lesbians en Italie et au Canada[2].

Sur une histoire engagée du mouvement étudiant

Par Daniel Poitras

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Compte-rendu de THEURILLAT-CLOUTIER, Arnaud. Printemps de force. Une histoire engagée du mouvement étudiant au Québec (1958-2013). Montéral, Lux éditeur, 2017, 496 p.


Dans la vague des « célébrations » du 50e anniversaire de Mai 68, le livre d’Arnaud Theurillat-Cloutier tombe à point. Jusqu’ici, en fait de synthèse, il fallait s’accommoder du livre pamphlétaire et à droite de Marc Simard[1], qui n’avait pas pris le soin lui, d’admettre sa posture idéologique (et peut-être surtout, générationnelle). Rien de tel avec le livre qui nous intéresse ici. Bien sûr, devant un titre comportant l’expression histoire engagée, l’historien est naturellement porté à affûter ses couteaux, tout paré qu’il est à séparer le grain de l’ivraie – ou la science de la non-science. Il flaire déjà l’anachronisme, le contrefactuel, la décontextualisation, l’abstraction, la causalité indue, la téléologie ou tout ce qui tombe plus ou moins dans son radar disciplinaire. Comment considérer un livre d’histoire qui respecte les usages de la discipline et qui est aussi un livre engagé dont l’ambition est non seulement d’offrir une synthèse, mais qui propose également d’actualiser près d’un demi-siècle de militance étudiante? Avec quels critères en rendre compte : ceux de la discipline historique ou ceux – beaucoup plus difficiles à établir et qui, au fond, échappent largement au présent –, de la pertinence d’un travail pour les combats d’aujourd’hui et de demain? La question se pose encore plus vivement lorsqu’il s’agit d’un livre portant sur un mouvement social dont le propre est de vouloir marquer et changer l’histoire. Devant un tel objet, la personne historienne est doublement interpellé.e, dans sa science et dans son présent. Et c’est encore plus le cas si la personne a, elle-même, comme l’auteur du présent ouvrage, participé directement, comme militant (en 2005 et 2012), au mouvement social dont il traite.

« Ceux qui font les révolutions à moitié » : un militantisme par procuration

Par Camille Robert, étudiante au programme court de 2e cycle en pédagogie de l’enseignement supérieur de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), membre étudiante du Centre d’histoire des régulations sociales (CHRS) et collaboratrice pour HistoireEngagee.ca[1]

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Scène tirée du film Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau (2017). Source : KFilms Amérique.

J’ai été de celles et ceux qui ont participé aux mobilisations de 2012. Lorsqu’on m’a invitée à visionner Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau pour livrer mes impressions à Dustin Segura (Urbania), j’ai tout de suite accepté. Ce nouveau film de Mathieu Denis et Simon Lavoie, connus pour Laurentie (2011), se déroule quelques années après le printemps étudiant. La révolution à moitié, c’est la grève de 2012, qui apparaît tout au long du film sous forme de fragments d’images, de sons, de souvenirs. Les quatre protagonistes poursuivent la lutte sociale à leur manière, dans la semi-clandestinité et en s’enivrant de citations révolutionnaires.

Pour les actrices et acteurs des luttes sociales, les récits qui en sont construits ont quelque chose d’étrange, sorte de dédoublement, de projection imparfaite, décalée. Je m’attendais, dans cette mesure, à ce que cette représentation cinématographique post-grève ne colle pas parfaitement à la réalité. Les critiques ont, jusqu’à présent, parlé d’un film qui abordait la suite de 2012 sans complaisance. D’entrée de jeu, Ceux qui font les révolutions à moitié ne se revendique pas comme un film politique. Il parvient, toutefois, à capitaliser sur un contexte politique en le vidant de sa substance et de son sens.

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