Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Étiquette : Mouvements révolutionnaires Page 1 of 2

Algérie, une histoire de révolutions : discussion avec trois jeunes engagés

Discussion avec Islam Amine Derradji, Hiba Zerrougui et Amel Gherbi du Collectif des jeunes Algériens, et animée par Christine Chevalier-Caron

Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de m’entretenir avec trois doctorants impliqués au sein du Collectif des jeunes engagées dans le but de discuter des importantes mobilisations qui ont actuellement cours en Algérie et dans la diaspora algérienne. La première de ces trois personnes est Islam Amine Derradji, candidat au doctorat en sciences politiques à l’Université de Montréal. Ses travaux de recherche actuels portent sur les luttes et mouvements sociaux  en Algérie. La deuxième personne présente est Hiba Zerrougui, candidate au doctorat en sciences politiques à l’Université McGill. Ses recherches portent sur les mouvements de contestations, tant les émeutes que les mouvements de manifestation, et leurs effets sur les dynamiques internes d’un régime autoritaire. Elle a choisi d’étudier ces questions en Algérie, puisqu’il s’avère d’un cas complexe et où il y a eu historiquement beaucoup de mouvements de contestation. La troisième participante à la discussion est Amel Gherbi, doctorante en études urbaines au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS-UCS). Formée en sciences humaines et sociales, ses travaux portent sur les enjeux de mobilité internationale ainsi que d’hospitalité  urbaine et régionale. Depuis quelques mois, elle milite aussi au sein du Collectif des jeunes engagés et participe activement au Forum citoyen d’Algérien.ne.s à Montréal. Vu cette implication militante commune, nous avons d’abord décidé de discuter du Collectif et des mobilisations dans la diaspora. Ensuite, il a surtout été question des luttes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie depuis les années 1950 afin de réfléchir au mouvement actuel à la lumière de celles-ci.

Christine : D’abord, ce collectif, Islam, en es-tu à l’initiative?

Islam : Je ne suis pas à l’initiative, mais je fais partie des premiers signataires d’un appel diffusé dans les médias, dans lequel nous voulions interpeller les Algériennes et les Algériens sur la nécessité d’un changement de système.  Nous n’avions pas d’emblée l’idée de nous organiser ou de nous structurer en collectif. Nous avions le sentiment que la situation politique et économique était inquiétante et qu’il fallait que des actions soient entreprises pour sortir du statu quo. On appelait la jeunesse à s’engager, à s’impliquer davantage dans la chose publique et on invitait les algérien.nes à écrire une nouvelle page de l’histoire collective. En cela, on joignait nos voix à celles de militant.e.s et d’intellectuelles qui avaient multiplié ce genre d’appels par le passé. Les premières mobilisations nous ont toutefois surpris par leur ampleur. Elles nous ont confortés dans la justesse de nos lectures. Elles nous ont encouragées à nous constituer en force de proposition, pour tenter de peser dans les débats qui engageaient l’avenir du pays.  La réaction des personnes qui nous ont écrit, comme Amel par exemple, nous a également incités à nous structurer et envisager des actions. C’est vraiment comme ça que nous avons  commencé. Amel milite d’ailleurs dans plusieurs collectifs.

Le passé québécois en ruines circulaires

Par Vincent Lambert

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L’Oldsmobile du Québec manquerait-elle sempiternellement la sortie vers l’Histoire, pour reprendre les mots de l’auteur ? Crédit Thomas Hawk (Flickr).

De la Révolution tranquille, nous avons certainement gardé des manières d’éclairer dans son ensemble «notre grande aventure», comme disait le chanoine Groulx. Une aventure que les modernes ont généreusement déglorifiée, pour la bonne raison qu’ils voulaient y voir un peu plus clair. Ces lignes interprétatives, on les retrouve ici et là, encore dernièrement dans Le Roman sans aventure d’Isabelle Daunais, dans tel essai de Mathieu Belisle sur la tradition religieuse (ou son absence?) au Québec, deux relectures qui s’appuient sur des idées de Pierre Vadeboncœur avancées dans les années 1950-1960. C’est également à Vadeboncœur que revient Jonathan Livernois dans Remettre à demain. Essai sur la permanence tranquille au Québec. Je voudrais m’y attarder ici, d’abord pour expliciter une certaine vision du passé québécois, la caricaturer en quelque sorte, histoire de chercher aussi ce qu’elle pourrait laisser à l’ombre.

Pour l’illustrer, allons par le raccourci plein d’humour d’une image prosaïque : l’Oldsmobile du Québec manquerait sempiternellement la sortie vers l’Histoire, la voie rapide, et pendant que le reste de l’humanité peut aller du point A au point B, nous, nous errons dans des quartiers aux célèbres noms de rue (d’anciens politiciens, d’anciens écrivains, peut-être) dans l’espoir, admis ou non, d’une pancarte heureuse : par là, le Monde. Tel que Livernois le raconte, le passé québécois est une sorte de rêve circulaire inachevé où, en ouvrant une porte pour le quitter, vous y entrez de nouveau, et ainsi de suite à intervalle régulier, depuis l’échec des Rébellions. Être Québécois, de génération en génération, ce serait donc «vivre en dehors de l’Histoire, tournant en rond, sans début ni fin[1]» comme des «Sisyphes laurentiens». L’Histoire, on peut vouloir y entrer ou en sortir. J’imagine un Ukrainien ou un Syrien prendre un billet d’avion pour le Canada, cette terre hors du temps, sans affres – «Le Canada, c’est tellement loin que ça pourrait ne pas exister», disait Borges – et débarquer dans une Province où les gens souhaiteraient bien, de leur côté, une «entrée dans l’Histoire et une sortie de la permanence.» Au début du 19e siècle, les Européens traversaient l’Atlantique pour se rendre aux limites de la civilisation, là où le bois recommence (un monde sans eux…) et que trouvaient-ils? Des écrivains rêvant d’un pays où l’on pouvait dire, comme Cicéron de retour d’Athènes : «Partout où l’on va, on marche sur l’Histoire.»

Au-delà des faits : la Grande Noirceur et la Révolution tranquille en tant que mythistoires. Entretien avec Alexandre Turgeon

Par Marie-Andrée Bergeron et Vincent Lambert

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Victoire du Parti libéral de Jean Lesage aux élections de 1962. Source : Source : Archives de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ).

Victoire du Parti libéral de Jean Lesage aux élections de 1962. Source : Archives de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ).

Vous vous intéressez à la notion de mythistoire. Quelle est la part du mythe et de l’histoire dans notre perception de la Révolution tranquille?

Le mythe est souvent présenté comme le parfait contraire de l’histoire ou de la réalité. Combien de titres contiennent l’expression « mythes et réalités » et je ne sais combien d’autres variantes! À mon sens, c’est plus complexe que cela. C’est à cette fin que j’utilise la notion de mythistoire, soit la représentation d’un objet donné qui relève, d’une part, du domaine de la fiction, du folklore ou des légendes, mais qui, d’autre part, s’enracine dans le tangible, l’avéré ou l’empirique. Dans cet esprit, il serait possible de reprendre ainsi votre question : quelle est la part du faux et du vrai dans notre perception de la Révolution tranquille? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, au fond. C’est une question qui est tout sauf simple. Pour répondre à cette question, je vous dirais qu’il faut explorer le rapport entre ce qui s’est passé – les faits – et comment on raconte ce qui s’est passé – ce qui concerne autant le travail des journalistes, sur le vif, que celui des historiens, des décennies, voire des siècles plus tard le cas échéant.

15 février 2016 : commémoration des 50 ans de la mort de Camilo Torres, pionnier de la théologie de la libération

Par Mauricio Correa, doctorant en histoire à l’Université de Sherbrooke et collaborateur pour HistoireEngagee.ca

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Représentation de Camilo Torres en couverture arrière de la revue OCLAE, no 38, 1970.

Représentation de Camilo Torres en couverture arrière de la revue OCLAE, no 38, 1970.

Le 15 février 2016 marque les 50 années de la mort du prêtre guérilléro Camilo Torres Restrepo. Figure importante de la théologie de la libération, ce dernier est sans aucun doute un symbole significatif de la radicalisation et du brassage idéologique qui ont caractérisé l’Amérique latine des années soixante, tout particulièrement suite à la victoire de la révolution cubaine de janvier 1959 sous la direction de Fidel Castro et d’Ernesto (Che) Guevara. Certes, les mouvements de guérillas ont été un moyen de lutte répandu dans la région pendant la Guerre froide. Ces luttes armées ont mis en évidence la persistance d’importantes contradictions sociales et économiques, mais elles ont également exprimé le désir de changements et exacerbé le processus de radicalisation de plusieurs secteurs sociaux : ouvriers, paysans, femmes, étudiants, et intellectuels ont en effet été influencés par cette vague révolutionnaire et contestataire.

À cette époque, même l’Église catholique vit des tensions polarisantes. Le concile Vatican II et les conférences épiscopales de Medellín (1968) et Puebla (1979) sont l’expression de l’expérience catholique de ces processus de radicalisation de la société à l’intérieur de la dynamique de la Guerre froide. La théologie de la libération est un bon exemple d’un phénomène politico-social et culturel particulier à l’Amérique latine où la lecture des problèmes sociaux latino-américains s’élabore à partir d’une perspective marxiste juxtaposée à la doctrine sociale de l’Église catholique de «l’option préférentielle pour les pauvres». Ce courant catholique n’est pas monolithique. Il va de la résistance pacifique jusqu’à l’appui et à la participation à la lutte armée. Les prêtres vivent des processus de conversion aux courants idéologiques du moment sans abandonner la foi en l’évangile.

L’historien derrière la console : Assassin’s Creed : Unity. Entrevue avec Laurent Turcot

Marc-André Robert, doctorant en histoire à l’Université Laval

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Laurent Turcot.

Laurent Turcot.

Laurent Turcot est professeur d’histoire au département des sciences humaines de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Spécialiste de l’histoire moderne canadienne et européenne (16e au 19e siècle), plus particulièrement de l’histoire sociale et culturelle de cette période, il a récemment collaboré, à titre d’historien consultant, à la production du jeu vidéo Assassin’s Creed : Unity, de la compagnie française Ubisoft, volet d’une série très populaire campé cette fois dans l’époque de la Révolution française de 1789. Il vient de faire paraître un ouvrage tiré de cette expérience inusitée, coécrit avec son collègue français l’historien Jean-Clément Martin, aux éditions Vendémiaire : Au cœur de la Révolution : les leçons d’histoire d’un jeu vidéo (2015). HistoireEngagée a sollicité sa réflexion autour de l’enjeu des multiples visages de l’historien et de l’engagement de ce dernier dans la diffusion de l’histoire.

MAR : Au fil des récentes années, le développement de la franchise de jeu vidéo à succès Assassin’s Creed, dans laquelle les joueurs incarnent des assassins prenant part à divers événements historiques importants de notre histoire, a vu la compagnie française Ubisoft s’en remettre de plus en plus aux historiens professionnels (professeurs et chercheurs) pour les aider à garantir une « validité » et une « précision » historiques aux éléments narratifs des jeux. Par exemple, en 2013, le professeur Jean-Pierre Le Glaunec de l’Université de Sherbrooke a ainsi contribué à l’expansion du quatrième chapitre de la série, Freedom Cry, en tant que spécialiste de l’histoire d’Haïti et de l’esclavage. À l’instar de l’expérience vécue entre le professeur Le Glaunec et Ubisoft, qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec cette compagnie de sur leur plus récent opus, Assassin’s Creed : Unity, qui revisite le Paris de la Révolution française de 1789 ? Comment les producteurs vous ont-ils approché ?

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