Tuer l’Indien dans l’enfant : les pensionnats autochtones et le rôle de John A. Macdonald

Publié le 5 novembre 2019

Affiche par Sean Carleton et texte par Crystal Gail Fraser.

Traduction par Laure Henri

On a souvent célébré John A. Macdonald (1815-1891) pour son rôle en tant que l’un des « Pères de la Confédération » au Canada. Élu premier ministre à deux reprises (1867-1873 et 1878-1891), Macdonald a fait face à d’importants obstacles dans son entreprise d’édification du nouveau Dominion du Canada. La création d’une nation était une lourde tâche et Macdonald y a joué un rôle déterminant sur plusieurs plans, que ce soit dans la négociation de l’entrée des nouvelles provinces dans la Confédération, la construction du réseau ferroviaire, la domestication de l’Ouest « sauvage » ou encore l’encadrement de projets d’immigration de très grande envergure. Il est toutefois moins reconnu qu’en tant que premier ministre, Macdonald a également agi à titre de surintendant général des Affaires indiennes. Il a donc participé de manière active à la mise en œuvre d’un système destructeur qui avait pour objectif de « tuer l’Indien dans l’enfant », soit le système de pensionnats indiens. Cette affiche permet de souligner le double rôle joué par Macdonald, qui a été à la fois bâtisseur d’une nation et architecte d’un génocide commis contre les peuples autochtones.

Dans le cadre d’un vaste et continuel projet de colonisation de l’Ouest canadien, les immigrant·e·s des années 1870, qui sont devenu·e·s certain·e·s des premiers colons canadiens, ont graduellement dépossédé les peuples autochtones de leurs terres ancestrales. Malgré le fait que des législations adoptées par le gouvernement canadien (telle que la loi sur les Indiens de 1876) avaient déjà permis d’altérer les systèmes de gouvernance des Autochtones, d’accroître le pouvoir qu’exerçait le gouvernement sur leurs réserves et de démanteler et de criminaliser leurs pratiques culturelles, Macdonald souhaitait intensifier l’ingérence du gouvernement dans les vies de ces peuples afin d’accélérer la colonisation. Pour ce faire, il somme son ami Nicholas Flood Davin d’enquêter sur le succès des programmes d’assimilation aux États-Unis, et particulièrement sur le recours à des pensionnats pour les enfants autochtones. Davin est très impressionné par les politiques américaines d’« assimilation agressive » que permettaient ces pensionnats, ce qui l’amène à déposer en 1879 le Report on Industrial Schools for Indians and Half-Breeds, aussi connu sous le nom de Rapport Davin. Au début des années 1880, suivant la recommandation formulée par Davin, Macdonald entreprend donc de mettre sur pied des pensionnats autochtones afin d’aider à l’éradication du soi-disant « problème indien » du Canada. En 1883, tandis que les premières écoles étaient inaugurées sur les territoires de ce qu’on nomme aujourd’hui l’Alberta et la Saskatchewan, Macdonald défendait son projet à la Chambre des communes :

Lorsque l’école se trouve sur une réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont des sauvages; il est entouré de sauvages, et bien qu’il puisse apprendre à lire et à écrire, ses habitudes, son développement et sa manière de penser restent indiens. Il est, simplement, un sauvage qui sait lire et écrire. On m’a fortement recommandé, en tant que chef de ce département, de préserver le plus possible les enfants indiens de l’influence parentale, et la seule façon d’y arriver serait de les envoyer dans des écoles de formation industrielles et centralisées, dans lesquelles ils pourront acquérir les habitudes et les modes de pensées des hommes blancs.

Le démantèlement des familles autochtones par la séparation forcée était au cœur du programme de Macdonald. Le fait de retirer les enfants de leurs communautés permettait de rompre efficacement les liens qui les unissaient à leurs terres ancestrales, et ceci était fait dans l’espoir que les pensionnats encourageraient l’assimilation des enfants et les prépareraient à contribuer à la société capitaliste et colonisatrice qui était en train de se mettre en place au Canada. En somme, le premier premier ministre du Canada a instauré, soutenu et défendu le système génocidaire canadien des pensionnats indiens.

Alors qu’en 2017, les Canadiens et Canadiennes célébraient cent cinquante ans de colonialisme en terre autochtone, il est important de se rappeler que la mise sur pied des pensionnats n’était pas plus une erreur qu’un acte d’exception. En vigueur de 1883 à 1996, le système des pensionnats indiens était une attaque méticuleusement orchestrée contre le mode de vie des peuples autochtones, un système qui a bénéficié du soutien de l’une des figures les plus célébrées au Canada : John A. Macdonald.

Biographies

Sean Carleton est activiste, artiste et éducateur. Il habite à Calgary en Alberta, sur le territoire du Traité no 7.

Crystal Gail Fraser est une femme issue de la communauté Gwichya Gwich’in et doctorante au Département d’histoire et d’études classiques de l’Université de l’Alberta, qui se situe sur le territoire du Traité no 6. Ses recherches doctorales portent sur les manières par lesquelles les peuples autochtones ont répondu aux problèmes posés par les pensionnats autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest au cours des décennies de l’après-guerre.


Pour en savoir plus

Merasty, Joseph Auguste. The Education of Augie Merasty : A Residential School Memoir, avec l’aide de David Carpenter, Regina, University of Regina Press, 2015.

Milloy, John S. A National Crime : The Canadian Government and the Residential School System, 1879 to 1986, 2e éd., Winnipeg, University of Manitoba Press, 2017.

Note : Les photographies des pensionnats sont dans le domaine public et proviennent du fonds Residential Schools : Photographic Collections, conservé à Bibliothèque et Archives Canada.

De droite à gauche : Pensionnat indien Washakada (Saskatchewan, vers 1885, PA-182246); pensionnat indien Metlakatla (Colombie-Britannique, vers 1890, C-015037); pensionnat indien Sainte-Anne (Ontario, vers 1945); pensionnat indien Saint-Paul (Manitoba, vers 1901, PA-182251); pensionnat indien Fort Resolution (Territoires du Nord-Ouest, date inconnue, PA-042133); pensionnat indien Kamloops (Colombie-Britannique, vers 1950, PA-207641).