IL N’Y A PAS DE SOLIDARITÉ DANS UNE MÉRITOCRATIE : LA PRÉCARITÉ DANS LA PROFESSION D’HISTORIEN.NE AU CANADA

Publié le 2 juin 2021
Steven High

26 min

Un rapport de Steven High, vice-président de la Société historique du Canada

 « Nous aimons tous profondément ce que nous faisons….. Cet amour nous est enlevé par nos institutions, nos employeurs et nos administrateurs. Il est utilisé pour nous exploiter chaque fois que nous faisons du travail supplémentaire ou que nous soutenons les étudiants que nous enseignons, que nous corrigeons correctement les travaux même si nous ne sommes pas assez payés pour le faire, ou que nous mettons au point un plan de cours juste comme il faut même si on ne nous a donné qu’une semaine pour le faire. » – Le Dr Jeremy Milloy, table ronde de la SHC, janvier 2021 (traduction de la version anglaise originale qui a été publiée sur Active History)

« À tous les professeur.e.s titulaires et non titulaires qui ont et n’ont pas encore signé la lettre : faîtes votre part et agissez. Vous bénéficiez d’un système qui exploite systématiquement le travail des instructeur.trice.s précaires et des étudiant.e.s diplômés. Vous pouvez penser que cela n’a rien à voir avec vous, mais c’est bien le cas. Vous pouvez vous tourner les pouces et dire que c’est le département, mais vous êtes le département. Vous pouvez dire que c’est l’administration, mais vous êtes l’administration. Vous avez le pouvoir et la sécurité d’emploi, et la capacité de faire de vrais changements dans la vie de tant de gens. C’est à vous de l’utiliser » – La Dre Andrea Eidinger, table ronde de la SHC, mars 2021 (traduction de la version anglaise originale qui a été publiée sur University Affairs)

La Société historique du Canada doit reconnaître la précarité au sein de notre discipline pour ce qu’elle est : une forme de violence structurelle. Les structures « collégiales » au sein du monde universitaire engagent les professeur.e.s à temps plein dans un système qui, sans nous être attribuable, est fondamentalement injuste et exploiteur. 

Comme l’a montré Rob Nixon, la violence structurelle est une violence lente qui est normalisée à un tel point que beaucoup ne la reconnaissent même pas comme une violence. L’absence de prise en compte de la précarité dans nos universités a été favorisée par l’idée corrosive que nous vivons et travaillons dans une méritocratie : les « meilleur.e.s » candidat.e.s trouvent un emploi à temps plein. D’une part, l’intériorisation de l’idée de méritocratie a poussé de nombreux enseignant.e.s précaires et jeunes diplômé.e.s à la recherche d’un emploi à douter d’eux-mêmes. Si seulement ils ou elles avaient travaillé plus dur, publié plus, rencontré plus de gens : le résultat aurait pu être différent. D’autre part, la pensée méritocratique a servi à réconforter les personnes qui sont dans une position enviable : elle a effectivement dépolitisé la précarité et rendu la violence structurelle presque invisible aux autres. Il n’y a pas de solidarité dans une méritocratie.

C’est pourquoi le Precarious History Instructors Manifesto a été si important – il a brisé le silence qui entoure la précarité dans notre profession et a exigé que les professeur.e.s à temps plein, les directeurs et directrices de département et notre association professionnelle agissent.

PROGRÈS À CE JOUR

Après avoir approuvé le Manifeste lors de notre assemblée générale annuelle de juin 2020, l’Exécutif et le Conseil d’administration de la SHC ont commencé à mettre en œuvre son plan d’action. Je peux citer six actions spécifiques :

  • DONNÉES : Une nouvelle section sur les travailleur.euse.s précaires a été ajoutée à notre enquête auprès des directeurs et directrices de département, ce qui nous permettra de recueillir des données essentielles dans tout le pays. La section sur la précarité fera partie du sondage tous les trois ans à l’avenir (en plus des sections sur l’égalité, la diversité et l’inclusion ainsi que sur les étudiant.e.s diplômé.e.s), ce qui nous fournira des jalons sur une base régulière pour évaluer la situation et les progrès. Les questions sur la précarité sont les suivantes :

Au cours de l’année écoulée, quelle proportion des cours offerts dans votre département a été enseignée par :

  • des membres du corps professoral à temps plein (par exemple, professeur.e.s titulaires, ceux en voie d’agrégation, etc.) ;
  • des enseignant.e.s contractuel.le.s à temps plein (par exemple, les contrats d’un an en remplacement d’un congé sabbatique ou parental) ;
  • des chargé.e.s de cours à temps partiel ;
  • des étudiant.e.s au doctorat ou d’autres étudiant.e.s diplômé.e.s qui enseignent dans le cadre de leur programme ?

Pour les membres du corps professoral à temps plein

  • dans quelle mesure ces membres du corps professoral de votre département enseignent-ils des cours dépassant leur charge?

Pour les enseignant.e.s contractuel.le.s à temps partiel seulement

  • Comment la charge d’enseignement qui leur est confiée se compare-t-elle à celle des professeur.e.s agrégé.e.s ou en voie d’agrégation ?
  • Comment leur salaire se compare-t-il par rapport à celui d’une nouvelle embauche de professeur.e. adjoint.e au département ?

Pour TOUS les enseignant.e.s contractuel.le.s (y compris les enseignant.e.s contractuel.le.s à temps pleinet/ou les chargé.e.s de cours)

  • Ces enseignant.e.s sont-ils syndiqué.e.s dans votre département ?  Si oui, quel est le nom de leur syndicat ? Ce syndicat est-il le même que celui qui représente les professeur.e.s permanent.e.s ?
  • S’il n’y a pas de syndicat, votre département tient-il compte de l’ancienneté ou du droit de premier refus dans l’attribution des cours ?
  • Sont-ils éligibles aux fonds de développement professionnel ou aux concours internes de recherche ?
  • Ces enseignant.e.s ont-ils accès à un soutien à la recherche ?
  • Ces enseignant.e.s ont-ils accès au service de soutien aux conférences ? 
  • Ces enseignant.e.s ont-ils accès au soutien à la notation d’examens au même niveau accordé aux membres du corps professoral à temps plein ?
  • Ces enseignant.e.s partagent-ils des bureaux et/ou l’équipement nécessaire à l’enseignement en ligne pendant les semestres où ils et elles enseignent ?
  • Est-ce que ces enseignant.e.s figurent dans le site Web de votre département ?
  • Dans quelle mesure les enseignant.e.s non permanent.e.s de longue date sont-ils pris en compte dans la détermination des offres de cours ?
  • Existe-t-il un échelon permettant aux enseignant.e.s non permanent.e.s d’être promu.e.s à l’interne au rang de professeur.e permanent.e ?

Autres questions

  • Quel est le montant approximatif qu’un.e chargé.e de cours reçoit par cours ?
  • Les aides-enseignant.e.s et adjoint.e.s à la recherche sont-ils syndiqué.e.s dans votre département ?  Si oui, quel est le nom de leur syndicat ? Ce syndicat est-il le même que celui qui représente les professeur.e.s permanent.e.s ?
  • Dans quelle mesure les étudiant.e.s diplômé.e.s acquièrent-ils une expérience d’enseignement en enseignant des cours individuels ?

Les informations recueillies dans le cadre du sondage de la SHC seront évaluées et partagées. Elles feront l’objet d’un article dans Intersections et seront présentées à la réunion de tous les directeurs et directrices de département de l’année en cours.

  • IDENTIFICATION : Nous n’identifions plus les personnes qui présentent lors de notre réunion annuelle par leur affiliation institutionnelle.
  • FRAIS D’INSCRIPTION : La SHC a supprimé les frais d’inscription à la réunion annuelle de cette année (maintenant reportée) pour les historien.ne.s en situation précaire et les étudiant.e.s. J’espère que cela suscitera une réévaluation à plus long terme de nos structures de frais, d’autant plus que les frais d’inscription au congrès sont très élevés. Les étudiant.e.s et les personnes en situation précaire qui participent à notre réunion annuelle devraient payer, tout au plus, une somme symbolique.
  • HONORAIRES : Des honoraires ont été accordés aux historien.ne.s précaires qui présentaient des tables rondes disciplinaires de la SHC au cours de la dernière année, une pratique qui devrait se poursuivre.
  • PLAGIAT : L’Exécutif de la SHC a mis à jour la politique du Fonds juridique de la SHC, qui a toujours couvert les cas de plagiat, afin de permettre un examen accéléré des demandes des membres et un mécanisme d’avancement du soutien financier dans les cas où le membre est en situation précaire. Nous avons également rendu le Fonds juridique plus visible sur notre site web. Il a été utilisé cette année pour la première fois depuis les années 1990.
  • REPRÉSENTATION : Une proposition a été élaborée pour modifier nos règlements afin de garantir que les historien.ne.s précaires soient représentés au Conseil de la SHC et qu’ils reçoivent un soutien financier supplémentaire pour leur service à la profession.
TROUVER UNE SOLUTION POLITIQUE AU PROBLÈME

C’est un début. Pour créer la volonté politique nécessaire à un véritable changement, la Société historique du Canada a organisé une série de tables rondes en trois parties sur la précarité afin d’éduquer nos membres sur ces enjeux, de s’attaquer collectivement au problème et de reconnaître comment plusieurs d’entre nous sommes impliqués dans ce système injuste.  Il s’agissait d’une étape nécessaire pour politiser davantage la précarité au sein de la discipline. Fondamentalement, il s’agit d’un problème structurel plutôt que d’une sorte de défaillance individuelle.  Il fait également partie d’une détérioration plus large des relations de travail dans les universités canadiennes.

À cette fin, la série de tables rondes a commencé par une nouvelle recherche entreprise par Chandra Pasma, du Syndicat canadien de la fonction publique, et auteur de Contract U : Contract faculty appointments at Canadian universities (2018) qui a partagé certaines des principales conclusions des données recueillies auprès de 78 universités canadiennes couvrant la période de 2008 à 2017. Il existe des données au niveau départemental pour 71 universités, vous pouvez probablement trouver des statistiques pour votre département d’histoire sur la base de données du SCFP. Cette recherche nous permet de mieux comprendre l’ampleur et la portée du problème, en nous offrant un cadre politique à travers lequel nous puissions comprendre et parler de la précarité au sein de notre discipline.

De nombreux panélistes ont parlé de la nécessité pour les travailleur.euse.s précaires de s’organiser. Le problème fondamental de la précarité, selon le Dr Jeremy Milloy, n’est pas un problème d’offre et de demande ou un problème de formation, mais un problème de pouvoir, un problème d’exploitation. Le Dr David Tough nous a également encouragés à nous attaquer aux divisions structurelles au sein de nos départements et de notre profession qui rendent certaines personnes jetables ou invisibles. Le Dr Godefroy Desrosiers-Lauzon a mis en évidence les limites politiques de la création d’alliances, soulignant le besoin urgent de s’organiser de manière autonome. Les syndicats ont un siège à la table et font partie de la solution. L’histoire montre que l’action collective est le moteur du changement progressif. 

La douleur, le mal, et oui, la colère, si puissamment communiqués par les travailleur.euse.s précaires lors des tables rondes proviennent des conditions matérielles de la précarité mais aussi d’un profond sentiment de trahison. La vie qu’ils mènent n’est pas celle dont ils avaient rêvée ou pour laquelle ils ont été formés. Et beaucoup d’entre eux ont subi des micro-agressions dégradantes qui n’ont fait qu’aggraver leur situation, les aliénant de leur département et de leur profession en général. Cela va du refus d’être indiqué comme enseignant sur les sites Internet de départements aux conseils « amicaux » donnés dans les couloirs, selon lesquels ils ne devraient pas parler de ces questions car cela pourrait nuire à leur carrière.

Le Dr Ian Mosby a vécu dans la précarité pendant huit longues années jusqu’à ce qu’il obtienne un poste menant à la permanence. Les sentiments d’échec et d’inquiétude faisaient partie de son quotidien. Il en a fait les frais, tout comme les « cruautés subtiles » liées au fait qu’on lui demandait de créer de nouveaux plans de cours lorsqu’il postulait à un emploi. Pour sa part, Catherine Murton Stoehr a remis en question la normalisation de l’inégalité au travail. La « réduction des préjudices universitaires » n’a que trop tardé. Cependant, a-t-elle ajouté, « les problèmes concrets demandent de solutions tangibles ». Il existe également un sentiment d’isolement, les historien.ne.s précaires jonglant avec les contrats, souvent dans plus d’une institution. La Dre Stacey Zembrzycki a expliqué comment les instructeur.trice.s précaires de son département se sont organisés de manière informelle et ont ouvert une conversation indispensable au sein du département.

Quelle est la place des étudiant.e.s diplômé.e.s dans cette conversation sur la précarité ? C’est la question clé posée par Letitia Johnson, qui était la dernière intervenante de l’ultime table ronde. Elle note que les systèmes de précarité sont présents dans les études supérieures, car certain.e.s étudiant.e.s sont financés, d’autres non, et certain.e.s étudiant.e.s diplômé.e.s sont poussé.e.s à travailler à temps partiel pendant leurs études. Les étudiant.e.s diplômé.e.s ne peuvent pas simplement être considéré.e.s comme un élément de second ordre.

Les membres du corps professoral à temps plein ont également parlé de façon émouvante, soulevant des idées concrètes sur ce que les départements et le corps professoral à temps plein pourraient faire. Laura Madokoro a fait remarquer que ces problèmes structurels massifs « exigent des solutions radicales ». Le besoin urgent de repenser les relations de pouvoir dans nos universités peut également être lié aux efforts plus larges (ce qu’ils sont) de décolonisation, comme l’a soulevé la Dre Crystal Fraser. S’adressant aux professeurs à temps plein présents, la Dre Tina Chen a demandé « quelles sont nos responsabilités » ? Lorsqu’elle a été engagée en 1999, elle était la seule personne de couleur dans son département.  Cette situation a lentement changé, mais seulement après des années de lutte et de prise de décision explicite. Il y a des leçons à tirer de l’activisme antiraciste en matière d’alliance, mais il ne s’agit pas ici de parler au nom des autres. Son département a revu sa politique d’honoraires pour les conférencier.ière.s, décidant que les salarié.e.s ne devaient pas en recevoir et qu’ils soient verser aux historien.ne.s précaires. Catherine Larochelle a également évoqué les défis supplémentaires auxquels sont confrontées les femmes dans le milieu universitaire et le fait que de nombreux travailleur.euse.s précaires sont des femmes. John Lutz a fait remarquer que l’association des professeur.e.s à temps plein de son université a négocié la conversion de trois professeur.e.s à temps partiel en professeur.e.s permanent.e.s, dont un en histoire.  L’embauche interne doit être déstigmatisée. Ces petites victoires comptent.

La Dre Janis Thiessen a également fait part de la façon dont le métier d’historien.ne peut détruire votre santé. Il y a beaucoup de problèmes de santé dans son département, même parmi ceux qui sont titularisés. La Dre El Chenier a parlé de la valeur d’une éthique en matière de soin dans nos relations mutuelles.  Il y a des limites à ce que nous pouvons faire en tant qu’association professionnelle. Mais il y a encore beaucoup de choses que nous pouvons nous engager à entreprendre, nous rappelle le Dr Harold Bérubé.

Je tiens à remercier tous les intervenants des tables rondes, ainsi que les trois président.e.s des webinaires (la Dre Shannon McSheffrey, la Dre Nancy Janovicek et le Dr Barrington Walker) d’avoir accepté de participer à ce qui était une conversation difficile mais nécessaire. La série de tables rondes a amené de nombreux professeur.e.s à temps plein et d’autres personnes à lire le Manifeste pour la première fois ainsi que les autres ressources qui ont circulé, et a contribué aux efforts d’organisation des travailleur.euse.s précaires eux-mêmes. De nouvelles idées ont été conçues et deux présentations d’historien.ne.s précaires ont été publiées ultérieurement dans Active History et University Affairs. Environ 270 historien.ne.s ont assisté aux sessions de tables rondes en direct et 816 autres ont jusqu’à présent visionné les tables rondes sur notre chaîne Youtube. L’ensemble de ces chiffres est nettement supérieur aux 650 membres actuels de la SHC.

LES FORCES STRUCTURELLES À PRENDRE EN CONSIDÉRATION

Il est important de reconnaître que le problème de la précarité chez les historien.ne.s, bien qu’il existe depuis longtemps, s’est aggravé au cours des dernières années. Les universités canadiennes ont connu des changements structurels massifs qui dépassent nos départements et même notre discipline. Le démantèlement de l’Université Laurentienne par le biais de la Loi fédérale sur les arrangements avec les créanciers des compagnies nous rappelle que même les professeur.e.s « permanent.e.s » à temps plein ne sont pas toujours protégé.e.s face à l’assaut idéologique plus large contre les sciences humaines et sociales. L’introduction de la bibliométrie à la britannique (indice de citation) représente une menace existentielle pour les universités canadiennes telles que nous les connaissons.

La crise de l’emploi en histoire a été alimentée par au moins cinq facteurs :

  • LA TRANSITION VERS UN PERSONNEL À TEMPS PARTIEL/OCCASIONNEL : On constate le passage de l’embauche de professeur.e.s à temps plein vers l’emploi occasionnel et à temps partiel dans tout le pays, même si ce processus est inégal d’une université ou d’une région à l’autre. Ces différences méritent notre attention car elles suggèrent qu’un système à deux vitesses n’est pas inévitable. Notre travail de collecte de données nous aidera à dresser un tableau de la situation et à déterminer où concentrer nos efforts.
  • DES HUMANITÉS QUI PERDENT LA COTE : De nombreux départements d’histoire sont de plus en plus petits, le résultat, en partie, de la baisse des inscriptions, mais aussi parce que les universités investissent dans ce qui est rentable, brillant et nouveau. On assiste également à un assaut idéologique contre les humanités dans certaines provinces et à l’échelle internationale, où l’on a vu des programmes d’histoire complètement supprimés.  Pourtant, certaines disciplines connexes ont réussi à s’en sortir mieux que l’histoire, voire à prospérer, dans ce nouvel environnement politique et institutionnel difficile. Nous devons nous demander pourquoi et ce que les départements d’histoire peuvent faire de plus pour se positionner et positionner nos étudiant.e.s. Nous devons également défendre la valeur sociétale d’une formation en histoire et des connaissances historiques approfondies, aujourd’hui plus que jamais.
  • UNE ÉVOLUTION VERS LA RECHERCHE INTERDISCIPLINAIRE: Nous avons constaté une évolution vers des programmes interdisciplinaires et des nominations interdisciplinaires. Les historien.ne.s se retrouvent de plus en plus souvent employés dans d’autres départements. Je ne pense pas être représentatif, mais les anciens étudiant.e.s de doctorat et les boursier.ière.s postdoctoraux que j’ai supervisés ont trouvé des emplois menant à la permanence dans les domaines de la religion, des études sur les femmes, des études sur les conflits, des communications, des études culturelles, de la littérature, du théâtre et de l’histoire, ainsi que dans le secteur du patrimoine au sens large. Ceci dit, un certain nombre de nouveaux programmes d’histoire appliquée, tels que les études muséales ou en conservation, ont vu le jour en dehors de notre discipline. L’anthropologie a beaucoup mieux réussi à former ses étudiant.e.s pour qu’ils soient plus que des spécialistes de contenu. L’histoire publique, par contre, reste beaucoup moins développée au Canada qu’aux États-Unis, bien que cela change lentement.  Nous devons repousser les limites de ce qu’est et peut faire un historien.ne. Cela signifie repenser, ensemble, la formation de la prochaine génération d’étudiant.e.s diplômé.e.s.  Comment nos doctorant.e.s pourraient-ils et elles être mieux placé.e.s pour trouver un emploi ailleurs que dans les départements traditionnels d’histoire ou dans le secteur plus large du patrimoine ?  Le nouveau doctorat en histoire publique de Carleton est un modèle, mais en existe-t-il d’autres ?
  • MOINS D’EMPLOIS EN HISTOIRE CANADIENNE/EUROPÉENNE: Au cours des deux dernières décennies, les départements d’histoire ont cessé d’embaucher des canadianistes et des européanistes au même niveau qu’auparavant. Cela fait partie d’une réorientation attendue depuis longtemps vers une histoire plus globale et moins eurocentrique. Il y a également plus d’affectations transnationales ou thématiques. Comment pouvons-nous préparer nos étudiant.e.s, surtout en histoire canadienne, à travailler dans des cadres transnationaux ou mondiaux d’interprétation historique et de production de connaissances ?
  • DÉGRADATION DU DOCTORAT CANADIEN : Nous devons nous attaquer à l’embauche fréquente de non Canadien.ne.s pour les postes annoncés dans les départements d’histoire des universités canadiennes et à la dévalorisation des diplômes canadiens qui en découle. Dans de tels cas, les règles d’immigration canadiennes exigent que les départements fassent valoir qu’il n’y a « aucun.e Canadien.ne qualifié.e » disponible. Cela est invraisemblable, étant donné la morosité du marché du travail au Canada. Les listes courtes de candidat.e.s qui sont tous non Canadien.ne.s ne sont pas rares. Il semble que l’idée selon laquelle les professeur.e.s des écoles de la Ivy League aux États-Unis sont de meilleur.e.s historien.ne.s que ceux et celles formé.e.s dans les universités canadiennes persiste. Un certain prestige départemental est également attaché à l’embauche de professeur.e.s issu.e.s de l’élite américaine, britannique ou française. Cela soulève la question de savoir pourquoi tant d’historien.ne.s ont une si mauvaise opinion des historien.ne.s formé.e.s au Canada ? Risquons-nous de reléguer les professeurs formés au Canada à un deuxième niveau d’emploi précaire ? Nous devons avoir une conversation à ce sujet. Ce ne sera pas facile, car cette question peut être polarisante et personne ne veut ériger des barrières à la connaissance et à l’excellence pour le simple plaisir de le faire. Mais c’est un sujet tabou qui veut dire qu’un grand nombre des quelques nouveaux postes menant à la permanence annoncés en histoire sont attribués à des non Canadien.ne.s.
ALORS, QUE FAIT-ON MAINTENANT ?

La Société historique du Canada et ses membres doivent continuer à mettre en œuvre les appels à l’action du Manifeste.  En plus des actions déjà entreprises par la SHC (voir ci-dessus), il est proposé que nous entreprenions cinq autres actions (organisées en dix motions) qui reposent sur ces fondements :

  • ÉLABORER un ensemble de meilleures pratiques à l’intention des directeurs et directrices de département qui pourraient faire partie d’une trousse d’orientation et peut-être d’un webinaire. Le Manifeste identifie un certain nombre de mesures tangibles que les départements peuvent prendre:
    • Préparer le calendrier des cours de concert avec les instructeur.trice.s à temps partiel.
    • Identifier les possibilités d’améliorer les conditions de travail des professeur.e.s contractuels.
    • Tenir compte des professeur.e.s contractuel.le.s dans les priorités d’embauche pour les postes menant à la permanence.
    • Intégrer les professeur.e.s contractuel.le.s aux structures de gouvernance des départements et trouver des moyens de les rémunérer.
    • Limiter ce qui est demandé dans les dossiers de candidature préliminaires et éviter de demander aux candidat.e.s de produire de nouveaux documents.
    • Suivre ce qu’il advient des doctorant.e.s après l’obtention de leur diplôme.
    • S’assurer que les professeur.e.s contractuel.le.s figurent sur les pages Web du département.
    • Trouver d’autres moyens de soutenir les professeur.e.s contractuel.le.s.
    • Défendre les intérêts des professeur.e.s contractuel.le.s auprès de l’administration et des syndicats de professeur.e.s.
    • Rénumérer les étudiant.e.s et les contractuel.le.s qui sont conférencier.ière.s invité.e.s.

Motion #1 : Que la SHC forme un comité de trois membres, dont au moins un.e instructeur.trice à temps partiel ou occasionnel.le (qui recevrait des honoraires), qui préparera un document identifiant les meilleures pratiques pour les directeurs de département sur les questions de précarité. Une fois approuvé par le Conseil d’administration de la SHC, ce document sera combiné avec les dernières données de notre enquête et constituera la base d’une trousse d’orientation et d’un webinaire pour les directeurs et directrices de département. La formation des nouveaux directeurs et directrices de département doit aller au-delà des listes, ils et elles doivent être orientés sur ces questions et entendre les voix des historien.ne.s précaires. La trousse d’orientation de la SHC pourrait inclure une courte histoire numérique centrée sur les expériences des travailleur.euse.s précaires eux et elles-mêmes (avec leur permission et leur collaboration bien sûr).

ÉDUQUER les membres sur les structures d’inégalité au sein de la profession par le biais d’articles réguliers dans Intersections, de tables rondes et d’autres formats.  D’autres idées continueront d’être générées dans les années à venir.

Motion #2 : Que la SHC crée une place régulière dans Intersections consacré aux questions de précarité, y compris les dernières données du sondage auprès des directeurs et directrices de département.

  • REPENSER la formation des étudiant.e.s à la maîtrise et au doctorat en histoire.

Motion #3 : Que la Société historique du Canada mette sur pied un groupe de travail de cinq membres de la SHC sur la formation des diplômé.e.s en histoire au 21e siècle, avec un mandat d’un an pour évaluer et fournir des conseils sur l’avenir de la formation des diplômé.e.s en histoire au Canada. L’un des cinq membres sera un.e étudiant.e diplômé.e nommé par le comité des étudiant.e.s diplômé.e.s de la SHC (et recevra un honoraire). Le groupe de travail sollicitera des soumissions écrites et organisera une série de tables rondes publiques ouvertes aux membres, qui aboutiront à un rapport écrit. Les points saillants du rapport seront publiés dans Intersections et une session spéciale sera organisée lors de notre réunion annuelle. Le budget du groupe de travail sera de 6 000 $ provenant de notre fonds Repenser l’histoire canadienne.

  • DÉFENDRE la valeur d’une formation en histoire et des connaissances historiques ainsi que l’excellence des programmes de doctorat canadiens.

Motion #4 : Que la SHC lance une campagne de publicité centrée sur la valeur d’une formation en histoire et des connaissances historiques. Cette campagne consisterait à rédiger des articles d’opinion et à accorder des entrevues aux médias. Un.e membre du Conseil se verrait confier ce portefeuille et agirait à titre de coordonnateur.trice de la campagne.

Motion #5 : Que la SHC reconnaisse qu’en période de crise de l’emploi pour les titulaires de doctorat en histoire, il est souvent intenable de prétendre qu’il n’y a pas de « Canadien.ne.s qualifié.e.s » afin d’embaucher des non Canadien.ne.s ou des immigrant.e.s reçu.e.s pour des postes menant à la permanence en histoire. Nous demandons à la présidence de la SHC d’entreprendre une recherche qui servira de base à la défense de cette question.

Motion #6 : Que la SHC encourage le Conseil de recherches en sciences humaines à ajuster sa politique de frais admissibles afin que les chercheur.euse.s précaires qui n’ont pas d’emploi à temps plein deviennent admissibles à se verser un salaire en tant que bénéficiaires de subventions (tout comme les boursier.ière.s postdoctoraux).

  • APPUYER les efforts collectifs des travailleur.euse.s précaires de s’organiser et promouvoir une plus grande accessibilité au sein de la SHC

Motion #7 : Que la Société historique du Canada croit à l’idée que les chargé.e.s de cours à temps partiel et occasionnel.le.s ainsi que les aides-enseignant.e.s devraient être syndiqués. Nos membres devraient donc appuyer les efforts des travailleur.euse.s précaires et des étudiant.e.s diplômés pour se syndiquer ainsi que dans leur lutte continue pour améliorer les salaires et les conditions de travail.

Motion #8 : Que la Société historique du Canada invite les historien.ne.s précaires à former un comité associé à la Société s’ils et elles le souhaitent.

Motion #9 : Que nous fixions les frais de la SHC pour notre réunion annuelle pour les étudiant.e.s diplômés et les membres précaires à un quart de ceux demandés aux membres à temps plein.

Motion #10 : Que nous continuions à verser aux participant.e.s précaires aux panels organisés par la SHC des honoraires correspondant à un an d’adhésion gratuite.

Il est temps de passer à l’action.