Ne jamais oublier l’histoire de l’esclavage dans le lamidat de Rey-Bouba

Publié le 5 juin 2024

Par Chetima Melchisedek, UQAM

et

Richard Atimniraye Nyelade, Université d’Ottawa

L’inclusion du lamidat de Rey-Bouba sur la Liste indicative du patrimoine mondial le 18 avril 2006, suivie de la publication d’un dossier par l’UNESCO le 2 février 2018, a suscité une controverse considérable parmi les groupes qui, autrefois, ont été victimes des raids d’esclaves des lamidats du nord du Cameroun, incluant celui de Rey-Bouba[1]. En effet, alors que le dossier d’inscription vantait l’architecture et l’histoire du palais lamidal, construit entre 1805 et 1808, il passait sous silence non seulement les aspects sombres de l’esclavage – qui fait partie intégrante de l’histoire des lamidats au nord du Cameroun[2] –, mais ignorait aussi la continuation de telles pratiques et la perpétuation de nombreuses violations des droits de la personne. L’omission délibérée dans le dossier d’inscription de ces aspects sombres, sous le voile d’une célébration culturelle et patrimoniale, ne fait qu’exacerber les injustices et les violations des droits humains qui se perpétuent.

De fait, les expériences sociales, politiques et économiques des descendances d’esclaves au sein du lamidat de Rey-Bouba révèlent encore des contraintes et des incapacités notoires, perceptibles à travers des hiérarchies discriminatoires dans l’accès aux structures sociales, à la propriété foncière et à l’exercice des fonctions religieuses[3]. Dans cet article, nous examinons l’histoire, la persistance et les héritages de l’esclavage au sein dudit lamidat, une réalité voilée sous le terme de « serviteurs » dans le document accompagnant le dossier d’inscription sur la liste indicative du patrimoine mondial. Notre démarche vise à transcender la simple évocation de l’histoire de l’esclavage depuis le djihad foulbé du 19e siècle jusqu’à ses incarnations contemporaines, masquées sous les appellations de « servitude ». Nous nous attachons à révéler le rôle complice qu’ont joué les régimes coloniaux allemands et français, ainsi que l’indifférence alarmante des institutions locales, nationales et internationales face à cette réalité. Notre démarche critique souligne la nécessité d’une réévaluation profonde de l’inscription du lamidat de Rey-Bouba sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité qui, à notre avis, doit intégrer l’histoire de l’esclavage et la contribution des descendances d’esclaves à la richesse culturelle que l’UNESCO entend célébrer.

Notre appel à l’action ne se limite pas à la commémoration des victimes des injustices du passé et du présent; il aspire également à jeter les fondations d’une société réellement diverse, équitable et inclusive. C’est un engagement envers la vérité historique et la justice sociale, invitant à un dialogue ouvert et à des mesures concrètes pour rectifier les torts historiques et promouvoir une réconciliation véritable. En somme, notre travail se veut un catalyseur pour une prise de conscience collective et un moteur de changement, honorant la mémoire des victimes, tout en pavant la voie vers un avenir plus juste et inclusif.

Aux origines de l’esclavage dans le Rey-Bouba

Le lamidat est un régime politique traditionnel fondé dans la première moitié du 19e siècle, à la suite du djihad foulbé lancé par Usman dan Fodio dans le Hausaland, au Nigeria, en 1804[4], auquel ont répondu les sociétés foulbés du nord du Cameroun[5]. Ce djihad a donné naissance au califat de Sokoto, structuré administrativement autour d’un conglomérat d’émirats qui sont chacun subdivisés à leur tour en lamidats. Les lamidats nord-camerounais, incluant celui de Rey-Bouba, faisaient tous partie de l’émirat de l’Adamawa (ou Fombina), dont la capitale était Yola[6]. Depuis Yola, l’émir de l’Adamawa, Modibo Adama, a confié aux chefs foulbés du nord du Cameroun l’étendard du djihad afin de conquérir, soumettre et dominer les populations autochtones[7]. Une fois les conquêtes achevées, les Foulbés ont mis en place une administration centralisée avec la charia comme mode de gouvernance, obligeant les peuples conquis à leur payer un tribut en esclaves, sous peine de devenir eux-mêmes la cible de raids[8]. La conquête de la région a été âprement disputée, et ce n’est qu’avec l’aide d’autres chefs foulbés que les Yillaga (une branche du groupe foulbé) ont fondé le lamidat de Rey-Bouba et établi leur contrôle sur cette zone ethniquement diverse, réduisant les populations autochtones au statut de tributaires et de groupes à asservir[9]. Après la conquête, des individus issus de groupes autochtones ont été incorporés dans l’administration et, surtout, dans l’armée, transformant Rey-Bouba en l’un des lamidats les plus importants de tout le nord du Cameroun. Les sources historiques indiquent que, tout au long du 19e siècle et de la première moitié du 20e siècle, le nord du Cameroun a été la principale source d’esclaves pour le califat de Sokoto[10], qui a lui-même été le plus grand État esclavagiste africain du 19e siècle[11].

Dans l’ensemble, le djihad du 19e siècle, dont la logique était plus politique et économique que religieuse[12], a conduit à des transformations majeures dans tout le nord du Cameroun. Jusqu’à une période relativement récente, les raids esclavagistes, la traite des esclaves et l’esclavage constituaient des éléments importants de la vie socioéconomique de Rey-Bouba. On utilisait des esclaves localement, notamment dans les plantations agricoles (dumde), ce qui en faisait une source importante de main-d’œuvre pour les Foulbés[13]. On en utilisait d’autres à des fins domestiques, dans les foyers d’aristocrates, où il leur était possible d’occuper une grande variété de postes[14]. Beaucoup ont servi au paiement du tribut annuel à l’émir, à Yola, ou ont fait partie d’échanges avec le califat de Sokoto et le Borno contre des biens de luxe, en particulier des chevaux[15]. Pour obtenir des esclaves, les raids à longue distance se sont poursuivis jusqu’à la fin du 19e siècle, mais ont été limités par les occupations coloniales allemande (1902-1916) puis française (1916-1960). En outre, l’esclavage a continué d’être le pilier de la vie économique et politique à Rey-Bouba et dans de nombreux autres lamidats du nord du Cameroun.

L’esclavage et les règles coloniales

Malgré la proclamation, par la classe dirigeante coloniale française de l’abolition de toutes les formes d’esclavage dans le nord du Cameroun en 1936, aucune mesure concrète n’a concrètement été prise pour endiguer ce fléau. Au contraire, la présence coloniale, d’abord allemande (1902-1916) puis française (1916-1960), a été marquée par une accentuation de l’esclavage plutôt que par son élimination[16]. De fait, en raison du manque de personnel et de ressources financières limitées, les puissances coloniales se sont principalement appuyées sur les structures politiques foulbés pour administrer leur territoire colonial[17]. Dans la mesure où l’esclavage était le fondement économique de la société foulbé, on a naturellement décidé d’adopter, du côté colonisateur, la politique de l’autruche à cet égard : ce qu’on décide de ne pas voir n’existe pas. Certaines figures coloniales ont même conseillé aux gens qui leur succèderaient de ne pas s’attaquer à la question de l’esclavage, sous prétexte que cela conduirait inévitablement à l’échec des structures politiques foulbés, piliers essentiels du système colonial[18]. De plus, ce n’est pas seulement qu’on hésitait à aborder la question de l’esclavage, on en faisait même parfois l’éloge et on utilisait l’institution servile à son propre avantage[19]. Par exemple, le lamido Bouba Jama’a (1901-1945), troisième souverain de Rey-Bouba, a fourni au lieutenant-colonel Brisset, commandant de la colonne allemande dans le nord du Cameroun, des troupes, pour la plupart des esclaves, pour aider la France à vaincre l’Allemagne pendant la guerre de 1914-1916 à Garoua[20]. En retour de cette aide, la France a accordé à Rey-Bouba un statut spécial au nom duquel on s’est abstenu de créer un poste administratif sur son territoire, ce qui a permis à la classe dirigeante de Rey-Bouba de renforcer davantage son emprise sur les populations autochtones, qu’elle considérait comme ses vassales et subordonnées.

Ce contrôle hégémonique sur les populations autochtones sera renforcé sous le régime du premier président du Cameroun indépendant, Ahmadou Ahidjo (1960-1982), lui-même d’origine peule, et sous celui de son successeur, Paul Biya (depuis 1982)[21]. Dans ce contexte, l’esclavage a continué de persister au sein du lamidat tout au long de la période postcoloniale, prenant notamment la forme de l’esclavage royal avec des troupes autochtones appelées dogari-en[22], et des concubines, voire des esclaves sexuelles, appelées Sulaabé[23]. Cette persistance de l’esclavage est due en partie à la logique du « donnant-donnant » entre les lamibés de Rey-Bouba et les autorités de l’État camerounais : en échange du soutien indéfectible de l’aristocratie traditionnelle de Rey-Bouba, les autorités étatiques ont toujours ignoré la question de l’esclavage et les nombreuses violations des droits de la personne, intervenant uniquement lorsque les circonstances ou les intérêts politiques l’exigeaient[24]. Depuis lors, la classe dirigeante du lamidat a adopté une stratégie politique de clientélisme, qui a mené à l’ascension remarquable de l’actuel lamido, Aboubakary Abdoulaye. En 2013, celui-ci a été promu premier vice-président du Sénat et, depuis 2014, il occupe une position influente en tant que membre de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés. Cette nomination est particulièrement frappante et ironique quand on la met en parallèle avec l’histoire et la réalité contemporaine du royaume, marquée par des pratiques esclavagistes et des abus des droits de la personne à répétition. Le contraste entre le passé et le présent esclavagiste du lamidat et la responsabilité de défendre les « droits de l’homme et des libertés » est non seulement choquant, mais soulève également des questions profondes sur les critères de sélection pour des postes dédiés à la protection des droits fondamentaux.

Esclaves ou « serviteurs »?

Depuis la période coloniale, le terme « serviteur » est utilisé à Rey-Bouba pour décrire les individus en bas de l’échelle sociale, mais cette terminologie atténuée masque une réalité bien plus sombre de l’esclavage. Curieusement, le même terme est utilisé dans la description du lamidat approuvée et publiée sur le site de la convention du patrimoine mondial de l’UNESCO[25]. Ces « serviteurs » sont en réalité des esclaves ou des personnes asservies par la violence historique et contemporaine du système lamidal.

Aussi, l’absence de référence à l’esclavage dans le document présentant Rey-Bouba sur le site de la convention du patrimoine mondial contraste avec l’ancienneté et l’actualité de ce phénomène, mettant sous silence le rôle et les fonctions des esclaves dans tous les domaines d’activité[26], incluant leur rôle dans la construction du palais et de son mur d’enceinte vanté par l’UNESCO comme « un lieu de mémoire et d’identité toujours vivant[27] ». L’intérieur du palais, selon le document, abrite « les quartiers du Lamido, les activités artisanales, les serviteurs, le personnel administratif, les invités distingués, le bétail, le stockage de nourriture et le logement[28] ». En qualifiant les esclaves de « serviteurs », l’UNESCO a tout simplement repris, sans aucune forme de critique, le discours de la descendance aristocratique foulbé sur l’esclavage dans le lamidat du nord du Cameroun, un discours qui avait aussi été transmis par les autorités coloniales allemandes puis françaises[29]. En effet, embarrassée par les pratiques de l’esclavage par les foulbés qui collaboraient avec elle, l’administration coloniale avait construit une interprétation militante de l’esclavage, le présentant comme une forme de servitude très bénéfique pour les esclaves – ici appelés « serviteurs » ou « domestiques »[30].

Bien qu’elles aient été confrontées à des preuves claires de la pratique répandue de l’esclavage, les autorités coloniales ont toujours pu trouver des circonstances atténuantes en affirmant, par exemple, que l’esclavage foulbé était une relation parentale entre les « maitres » et leurs « serviteurs », qui auraient été pleinement intégrés au sein de la famille[31]. Cette approche coloniale a été reprise par les régimes successifs d’Ahmadou Ahidjo et de Paul Biya lorsqu’ils ont à leur tour été confrontés aux mêmes pratiques serviles[32]. Les lamibés successifs de Rey-Bouba ont profité de cette interprétation militante invisibilisant l’esclavage pour continuer leurs pratiques de domination servile, qui se sont ainsi poursuivies jusqu’à une époque relativement récente[33]. En adoptant cette même interprétation, l’UNESCO plonge ainsi des groupes sociaux subalternes dans une indifférence absolue. Pourtant, une telle lecture mettant sous silence l’esclavage aurait pu être contredite par les faits de la vie quotidienne si le personnel de l’UNESCO avait diversifié ses sources d’information.

En tant qu’organe des Nations Unies en charge de la promotion du dialogue interculturel, l’UNESCO a la responsabilité d’aider les esclaves, individuellement et collectivement, à retrouver leur voix et leur dignité en tant que sujets historiques à part entière dans l’histoire du lamidat de Rey-Bouba. Il est donc attendu qu’elle promeuve une connaissance incluant tous les points de vue, tant celui des groupes dominants que celui des groupes dominés. Cela ne peut se faire qu’en écoutant attentivement des récits alternatifs à ceux de la descendance des esclavagistes qui, jusqu’alors, ont construit et maintenu une hégémonie incontestée à Rey-Bouba. L’UNESCO devrait contribuer, dans la mesure du possible, à briser le silence entourant l’esclavage et à restituer aux esclaves et à leur descendance leur dignité en tant qu’êtres humains.

L’héritage de l’esclavage et les droits de la personne

C’est un secret de Polichinelle que le respect des droits de la personne les plus fondamentaux reste un mirage à Rey-Bouba, même dans un contexte démocratique qui consacre les libertés individuelles. La classe dirigeante recourt fréquemment à l’intimidation et aux arrestations arbitraires pour faire taire quiconque ou tout groupe qui remet en question ses actions oppressives[34]. Il serait futile de lister tous les exemples de passages à tabac, de détentions dans des prisons privées, de bannissements et de dispersions violentes de rassemblements pacifiques qui ont eu lieu au cours des 30 dernières années. Nous n’en mentionnerons que quelques-uns.

Comme aux temps précoloniaux, la classe dirigeante de Rey intervient régulièrement dans la nomination ou la révocation des chefferies autochtones qu’elle considère comme ses « subordonnées », parfois contre la volonté des populations concernées[35]. Par exemple, en 1992, Lamido Bouba Amadou a déposé le Belaka (chef traditionnel Mbum) de Touboro, Aliou Gandeï, conduisant à des protestations pacifiques de la population qui exigeait sa réintégration. Ces protestations ont été violemment réprimées par la milice privée du lamido, entrainant la mort de deux autochtones[36]. Sans aucune enquête crédible, le gouverneur de la province du Nord, Gounoko Haounaye, a attribué l’attaque aux populations locales, et non à la milice privée du lamido. Quelques jours après cette répression, plusieurs gardes du palais ont voyagé à Touboro et ont fait irruption dans la maison de Michel Houlbaï, député suppléant à l’Assemblée nationale pour le compte de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNNDP). Bien que Michel Houbaï ait réussi à s’échapper, un membre de sa famille a été agressé par les gardes du palais qui lui ont tiré dessus[37],

Comme l’affirme Yandal Celestin, actuel maire de Touboro, la dynastie de Rey-Bouba semble considérer le département du Mayo-Rey comme son propre patrimoine privé[38], sans tenir compte du fait que plusieurs groupes autochtones étaient déjà établis sur ce territoire avant l’hégémonie foulbé[39]. Ces populations ne sont pas seulement dépossédées de leurs terres ancestrales; elles continuent d’être soumises à une forme moderne d’esclavage. Dans un ouvrage récent, Richard Atimniraye et Alexis Bindowo mettent en lumière l’arbitraire et la tyrannie qui règnent encore dans le Rey-Bouba, où la peur et l’esclavage sont des réalités quotidiennes[40]. Ils exposent l’étendue de l’oppression et dépeignent une réalité où les droits et la dignité des populations autochtones sont piétinés, illustrant ainsi la dure réalité de l’héritage servile encore d’actualité dans le lamidat de Rey-Bouba. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre l’affirmation de la Convention du patrimoine mondial selon laquelle le palais de Rey-Bouba reflète « les relations interethniques parmi les différents groupes humains présents », contribuant à « la promotion de la diversité des valeurs ». De fait, on ne peut parler de cohabitation ethnique pacifique lorsque les lamibés continuent de considérer les groupes autochtones comme leurs vassaux, se donnant le droit de les soumettre à des taxes sur le bétail et les récoltes. Cette imposition de taxes illégales sur les produits agricoles contredit les principes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

En plus d’exercer une domination hégémonique sur les « chefferies vassales », les élites traditionnelles de Rey-Bouba, par le biais de leur milice, harcèlent constamment les groupes militants de l’opposition et le leadeurship associatif œuvrant à la défense de leurs droits fondamentaux, par le biais de détentions illégales, de passages à tabac et d’interdictions de réunions publiques. L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, par exemple, a documenté la poursuite, la détention arbitraire et le harcèlement judiciaire subis par Célestin Yandal entre 2013 et 2018, alors qu’il était président du Collectif des jeunes de Touboro[41]. Ce dernier a été détenu pendant deux ans après avoir dénoncé les abus commis par le lamido de Rey-Bouba, par ailleurs actuel vice-président du Sénat camerounais, contre les populations de Touboro. Celui-ci avait en effet ordonné aux autorités administratives locales, incluant le procureur de la République à Tcholliré, l’arrestation de 14 jeunes pour troubles à l’ordre public lors d’une altercation avec sa milice privée venue extorquer les populations.

Le jour de son arrestation, Yandal Celestin, désormais maire élu de l’UNDP à Touboro, se rendait à la gendarmerie de Ngaoundéré pour rencontrer un parent; il y a été détenu avant d’être transféré à la célèbre prison de Tcholliré pour tentative d’assassinat d’un des miliciens du lamido[42]. Toutefois, aucune preuve prouvant sa culpabilité n’a jamais été présentée par les autorités judiciaires, ce qui force à croire que sa détention n’avait été qu’une manœuvre de harcèlement en raison de ses activités légitimes de défense des droits de la personne. De nombreuses autres figures importantes des mouvements associatifs font également face au même type d’intimidation. Pourtant, le lamido et ses gardes n’ont jamais eu à s’inquiéter de leurs abus répétés contre les populations autochtones, même dans les cas connus des hauts fonctionnaires du gouvernement travaillant dans le Mayo-Rey. Par exemple, dans un rapport, Emilienne Soué indique que les auxiliaires du lamido se livrent à l’extorsion, au racket et aux escroqueries sur les marchés de Rey-Bouba[43].

Un héritage à réévaluer

Dans cet article, il nous a paru important de rappeler l’histoire de l’esclavage dans le lamidat de Rey-Bouba, depuis ses racines dans le djihad foulbé du 19e siècle jusqu’à ses manifestations modernes, subtilement voilées sous des termes tels que « servitude » et « serviteurs ». Le rôle des régimes coloniaux dans la perpétuation de ces pratiques, malgré leur abolition formelle, et l’indifférence contemporaine des entités locales comme internationales face aux violations continues des droits de la personne sont particulièrement frappants. L’omission par l’UNESCO de l’héritage sombre de l’esclavage et de ses ramifications contemporaines perpétue non seulement des inexactitudes historiques, mais couvre aussi indirectement les injustices et les violations des droits de la personne en cours. Dans ce contexte, il est impératif pour la communauté internationale, en particulier à l’UNESCO, et pour l’État du Cameroun de reconnaitre le rôle de l’esclavage dans l’histoire de Rey-Bouba et de combattre activement ses formes contemporaines qui se déploient encore impunément. Garantir que le patrimoine culturel et artistique du lamidat soit célébré d’une manière à la fois historiquement précise et éthiquement responsable exige de reconnaitre l’ensemble de son héritage, incluant les chapitres douloureux de l’asservissement historique et de la servitude en cours.

Par conséquent, l’inscription du lamidat de Rey-Bouba sur le site du patrimoine mondial de l’humanité exige une réévaluation critique. Célébrer sa signification historique sans reconnaitre la souffrance et le tort causés par les élites traditionnelles de Rey-Bouba aux populations autochtones représente une négligence profonde. Il est essentiel que la communauté internationale et les autorités camerounaises prennent des mesures décisives pour aborder et rectifier ces problèmes, afin de faire du lamidat de Rey-Bouba un héritage véritablement digne de reconnaissance et d’une célébration mondiale. Cette action honorerait non seulement les victimes d’injustices passées et présentes, mais ouvrirait également la voie à l’édification d’une société diverse, juste et inclusive.

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[1] « Le Lamidat de Rey Bouba », UNESCO, 2 février 2018, en ligne : https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/6329%2F.

[2] Voir Shimada Yoshihito, Royaume Peul, islamiques et super-ethniques dans le Nord Cameroun : Autour de Rey-Bouba, Nagoya, Université de Nagoya – Comparative Studies in Social and Human Sciences, 2004; Thierno Mouctar Bah, « Slave-Raiding and Defensive Systems South of Lake Chad from the Sixteenth to the Nineteenth Century », dans Sylviane Diouf, dir., Fighting the Slave Trade: West African Strategies, Athens, Ohio University Press, 2003, p. 15-30.; Philip Burnham, « Raiders and traders in Adamaoua », dans James Watson, dir., Asian and African systems of Slavery, Oxford, Basil Blackwell, 1980, p. 43-72.

[3] Issa Saïbou, « Paroles d’esclaves au Nord-Cameroun », Cahiers d’études africaines, vol. 179-180, no 3-4 (2005), p. 853–877; Ahmadou Séhou, « Esclavage, émancipation et citoyenneté dans les lamidats de l’Adamaoua (Nord-Cameroun) : Le poids du passé sur les comportements actuels. », Esclavages & Post-esclavages, vol. 1 (2019), en ligne : https://doi.org/10.4000/slaveries.580.

[4] Paul Lovejoy et Jan Hogendorn, Jan, Slow death for slavery. The Course of Abolition in Northern Nigeria, 1897–1936, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, 412 p.; Murray Last,The Sokoto Caliphate, Londres, Longmans, 1967, 280 p.; Heidi Nast, « The Impact of British Imperialism on the Landscape of Female Slavery in the Kano Palace, Northern Nigeria », Africa, vol. 64, no 1, janvier 1994, p. 34-73.

[5] Philip Burnham, The Politics of Cultural Difference in Northern Cameroon, Washington D.C., Smithsonian Institute Press, 1996, 210 p.; Andreas Eckert, « Slavery in Colonial Cameroon, 1880s to 1930s », Slavery & Abolition, vol. 19, no 2, aout 1998, p. 133-148; Martin Njeuma,« The Lamidates of Northern Cameroon, 1800-1894 », dans Martin Njeuma, dir.,  Introduction to the History of Cameroon in the Nineteenth and Twentieth Centuries, Hong Kong, Macmillan, 1989, p. 1-31; Eldridge Mohammadou, Ray ou Rey-Bouba, traditions historiques des Foulbés de l’Adamawa, Paris, C.N.R.S., 1979, 348 p.

[6] Eldridge Mohammadou, op. cit.

[7] Shimada Yoshihito, op. cit.

[8] Ahmadou Séhou, op. cit.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] François Renault, « Review of The Ideology of Slavery in Africa, by P.E. Lovejoy »,  International Journal of African Historical Studies, vol. 15, no 4, 1982, p. 720.

[12] Issa Saïbou, op. cit.

[13] Melchisedek Chétima, « Slavery in the Mandara Mountains and Lake Chad Basin. », dans Oxford Research Encyclopedia of African History, à paraitre.

[14] Ahmadou Sehou, « Lamibe Musulmans, missionnaires Chrétiens et administrateurs coloniaux face à l’esclavage : Les prescriptions légales à l’épreuve des pratiques locales dans l’Adamaoua (Nord-Cameroun), XIXe-XXe siècles », African Economic History, vol. 51, no 2, 2023, p. 102-130.

[15] Melchisedek Chétima, op. cit.

[16] Ahmadou Sehou, op. cit., 2023.

[17] Marte Sinderud, Marte « Freemen, Slaves and Dependants: Problems of Social Categorisation in the Lamidate of Ngaoundere, Northern Cameroon », dans Per Hærnes et Tore Iversen, dir.,, Across Time and Space, Studies in Slavery in Medieval Europe and Africa, Trondheim, Dept. of History, 2002, p. 173-196; Philip Burnham, op. cit., Andreas Eckert, op. cit..

[18] Holger Weiss, « The Illegal Trade in Slaves from German Northern Cameroon to British Northern Nigeria », African economic History, vol. 28, 2000, p. 141-197.

[19] Melchisedek Chétima, op. cit.

[20] Assana. « Democratization, Social Renegotiations and the Hegemony of the Rey Bouba Lamidate over the Population of Slavish Mboum Origin in Question in the District of Touboro (North Cameroon) », Asian Journal of Humanities and Social Studies, vol. 9, no 4, 2021, p. 101-117.

[21]Claude Abé, « Les systèmes politiques traditionnels centralisés du monde rural face à la multiplication de l’offre partisane et à la mutation du personnel politique local au Cameroun : l’expérience du lamidat de Rey Bouba. », dans Céline Bessière et al., dir., Les mondes ruraux à l’épreuve des sciences sociales, Paris, Jouve, 2007, p. 202-217; Martin Njeuma, op. cit.

[22] Issa Saïbou, op. cit.

[23] Marte Sinderud, « Royal Concubinage in Ngaoundere, Northern Cameroon, ca. 1900–1960. », The International Journal of African Historical Studies, vol. 46, no 1, 2013, p. 1-25.

[24] Claude Abé, op. cit.

[25] « The Lamidate of… », op. cit.

[26] Issa Saïbou, op. cit.

[27] « The Lamidate of… » op. cit.

[28]Ibid. Voir aussi : Mark Delancey, Representing Rulership: Palace Architecture, Spatial Orientation, Ritualized Movement, and Secrecy in Northern Cameroon, thèse de dotorat, Cambridge, Université Harvard, 2004.

Hamadou « Palaces and Residences of the Northern Cameroonian Rulers in the Sixteenth to Twentieth Centuries », thèse de doctorat, Tromsø, Université de Tromsø, 2005.

[29] Ahmadou Séhou, op. cit., 2019; Holger Weiss, op. cit.; Andreas Eckert, op. cit.

[30] Ahmadou Séhou, op. cit. 2019.

[31] Melchisedek Chétima, op. cit.

[32] Claude Abé, op. cit.; Issa Saïbou, op. cit.

[33] Ahmadou Séhou, op. cit., 2019; IssaSaïbou, op. cit.

[34] Emilienne Soué, « Violation des droits fondamentaux. » Le Droit, no 19, 23 octobre 2012, en ligne : https://www.journal-ledroit.net/index.php/2016-02-15-05-17-51/nouveau-numero-nd031/166-le-droit-nd019/783-violation-des-droits-fondamentaux (page consultée le 7 janvier 2024).

[35]Assana, op. cit.

[36] Article-19, Northern Cameroon Attacks on Freedom of Expression by Governmental and Traditional Authorities, 1995, en ligne : https://www.article19.org/data/files/pdfs/publications/cameroon-attacks-on-foe.pdf (page consultée le 3 janvier 2024).

[37] Ibid.

[38] « Cameroun : poursuite de la détention arbitraire et du harcèlement judiciaire de M. Célestin Yandal, président du Collectif des jeunes de Touboro », Fédération internationale des droits de l’Homme, 26 juin 2014, en ligne : https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/cameroun/15655-cameroun-poursuite-de-la-detention-arbitraire-et-du-harcelement-judiciaire (page consultée le 9 février 2024).

[39]Voir, par exemple, Eldridge Mohammadou, op. cit.; Shimada Yoshihito, Shimada, op. cit.

[40]Richard N. Atimniraye et Alexi Bindowo, Lamidalisme, colonialisme, esclavage et génocide des Autochtones au Nord-Cameroun, Ottawa, Canadian Scientific Publishing, 2021, 338 p. 

[41] « Poursuite de la détention arbitraire et du harcèlement judiciaire de M. Célestin Yandal », Organisation mondiale contre la torture, 1er juin 2015, en ligne : https://www.omct.org/fr/ressources/appels-urgents/ongoing-arbitrary-detention-and-judicial-harassment-of-mr-c%C3%A9lestin-yandal (page consultée le 9 février 2024).

[42] « Cameroun : poursuite de… », op. cit.

[43]Emilienne Soué, op. cit.