RECENSIONS DEMANDÉES
Cette page présente une sélection d’ouvrages que nous aimerions voir recensés dans Histoire Engagée. En mettant de l’avant ces titres, nous souhaitons susciter l’intérêt de contributeur·rice·s prêt·e·s à en proposer une lecture critique. Bien qu’ils s’inscrivent dans des thématiques en lien avec notre ligne éditoriale, cette liste demeure ouverte : nous accueillons avec intérêt toute proposition de recension portant sur d’autres ouvrages.
N’hésitez pas à nous écrire à : contribution@histoireengagee.ca

Saidiya Hartman À perte de mère. Sur les routes atlantiques de l’esclavage, trad. Émilie Notéris, Éditions de la rue Dorion, 2024
« L’origine de mon désespoir remontait-elle à la première génération arrachée à son pays ? Était-ce la raison pour laquelle je pouvais parfois ressentir une telle lassitude vis-à-vis des États-Unis, comme si j’avais moi aussi débarqué en Caroline du Sud en 1525 ou à Jamestown en 1619 ? S’agissait-il de la pression exercée par toutes les mères perdues ou bien de celle des enfants devenu·es orphelin·es ? »
Dans cet essai historique dont l’écriture emprunte à la recherche d’archives, à l’analyse, au journal, à la poésie et à l’autobiographie, Saidiya Hartman, confrontée aux trajectoires de déportation d’une rive à l’autre de l’Atlantique et aux vies décimées et bouleversées par la traite esclavagiste, questionne le mode de formation des savoirs et les rapports de pouvoir en jeu dans la constitution de ce qui fait mémoire d’un passé. Comment fait-on l’expérience de l’histoire de l’esclavage ? Comment cette histoire se poursuit-elle ? Ce récit d’un voyage au Ghana par l’historienne suit les traces – matérielles, sociales, relationnelles – de la traite atlantique et de l’esclavage colonial : architectures, conflits, amitiés.
Le livre est publié dans une traduction de l’écrivaine et spécialiste de la diaspora noire africaine Maboula Soumahoro, également autrice d’une préface, et est accompagné de l’essai “Vénus en deux actes“ traduit par Émilie Notéris.
En Europe, cet ouvrage a paru aux éditions Brook.

Mohamad Amer Meziane, Des empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation, La Découverte, 2021
On appelle généralement » sécularisation » le phénomène qui aurait vu les sociétés occidentales sortir du règne de l’hétéronomie et entrer dans l’ère de l’histoire et de l’autonomie. Dès lors les humains, guidés par la Raison, auraient construit un monde libéré des croyances et des superstitions.
C’est une tout autre histoire que raconte ce livre, une histoire dans laquelle la proclamation d’un monde sans Dieu est le fruit d’une » impérialité » hantant l’Europe et ses colonies depuis l’échec de la réunification de l’Empire chrétien par Charles Quint – un monde impérial qui s’annonce, dès la fin du XVIIIe siècle, comme le seul ayant dépassé les religions et ainsi capable de les réconcilier. Mais cette affirmation n’est possible qu’au prix de la racialisation de l’islam et de sa réduction à un universalisme concurrent, insécularisable et irrémédiablement » fanatique « , ouvrant ainsi la voie à l’expansion européenne vers l’Afrique et l’Asie.
Outre la dimension raciale de la sécularisation, ce livre en met au jour une seconde, écologique celle-là. En l’absence d’un Royaume de l’au-delà, la Terre devient le seul monde » sacré « , et l’exploitation de ses sols et sous-sols la source unique de la légitimité de l’Empire. Aiguisée par les rivalités interimpériales (entre la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne), la ruée sur les biens terrestres s’est peu à peu muée en destruction de l’écosystème global. Ainsi pouvons-nous faire remonter la crise climatique à ce surgissement impérial-séculier et qualifier l’ère qu’il a ouverte de » Sécularocène « . C’est la critique du Ciel qui a bouleversé la Terre.

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel en collaboration avec Sean Carlton, Quand tombent les aiguilles de pin. Une histoire de résistance Autochtone, trad. Marie C Scholl-Dimanche, Éditions du Remue-Ménage, 2025
De nombreux ouvrages ont été écrits à propos du siège de Kanehsatà:ke et de Kahnawà:ke à l’été 1990, qu’on a appelé la « crise d’Oka ». Bien peu l’ont été depuis la perspective des Premiers Peuples, encore moins de celle d’une femme Autochtone. Quand tombent les aiguilles de pin répare enfin cette injustice, en offrant le récit tant espéré de Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, porte-parole de la résistance lors des événements. Au fil d’une conversation avec l’historien Sean Carleton, elle revient sur les grands moments de son histoire en tant que féministe, leader de sa communauté et gardienne du territoire.

Dionne Brand, Cartographie de la Porte du non-retour. Carnets d’appartenance, trad. Marie Frankland, Lux, 2025
«La Porte du non-retour incarne cette fissure ce lieu d’où nos ancêtres ont quitté un monde pour un autre ; le Vieux Monde pour le Nouveau. L’endroit où tous les noms ont été oubliés, tous les commencements redistribués. En un sens désespéré, c’est à la fois le lieu de naissance de la diaspora noire dans le Nouveau Monde et la fin des commencements que l’on peut retracer. […] J’ai l’intention d’explorer ce lieu de naissance – la Porte du non-retour, un endroit vidé de tout commencement – en tant que lieu d’appartenance ou de désappartenance.»

Charles W. Mills, Le contrat racial, trad. Aly Ndiaye, Mémoire d’encrier, 2023
Publié originalement en 1997 aux États Unis, Le contrat racial est un livre monument traduit en français pour la première fois. Le philosophe Charles W. Mills expose les failles du contrat social, qui est avant tout un contrat racial. Ce contrat a façonné le système de domination européenne qui fait exister les Blancs en tant que personnes à part entière et les non-Blancs en tant que sous-personnes. Charles W. Mills place la justice raciale au centre de ses analyses. Réfutant l’idée du contrat social, Mills évoque plutôt le contrat racial où l’ordre racial crée les assises de nos sociétés, la reconduction des privilèges et la domination.

Saidiya Hartman, Vies rebelles. Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queers et de femmes dangereuses, trad. Souad Degachi et Maxime Shelledy, Seuil, 2024
Vies rebelles retrace des bribes d’existence de femmes noires, qui ont quitté le sud des Etats-Unis en quête d’une vie meilleure pour les villes du Nord-Est, New York et Philadelphie, entre 1890 et 1930, après l’abolition de l’esclavage. S’appuyant sur les sources de la police, les écrits des philanthropes et des réformateurs sociaux, les archives de la justice mais aussi sur les notes prises par le jeune W. E. B. Du Bois lors de ses enquêtes, Saidiya Hartman leur donne vie, rendant à ces filles et femmes leur statut de sujet, dessinant des portraits vibrants de Noires indisciplinées, reconstituant leurs désirs, leurs efforts pour trouver la joie de vivre, leurs aspirations à la liberté, leurs élans de vie, leurs pensées, leurs corps éprouvés mais libres, leur anarchisme. Il en résulte des histoires inoubliables, portées par une écriture exceptionnelle, qui transforment nos représentations des classes subalternes « déviantes » et de la condition noire dans les sociétés post-esclavage.
Cette attention à l’infra-politique ouvre aussi d’autres généalogies aux radicalités noires et à la révolution des moeurs. Soixante-dix photographies rares et bouleversantes viennent illustrer la vie de ces femmes en marge de la société. Saidiya Hartman est l’une des théoriciennes afro-américaines les plus réputées aux Etats-Unis. Elle poursuit un travail d’écriture à la frontière des sciences humaines et de la narrative non fiction qui inspire nombre de chercheurs mais aussi d’artistes.
Elle est professeure à l’université de Columbia. Traduit de l’anglais par Souad Degachi et Maxime Shelledy

Seloua Luste Boulbina, Malaise dans la décolonisation – Terres éparses et îles noires, Les presses du réel, 2025
Un essai qui approfondit intellectuellement les sillons historiquement tracés des aberrations coloniales, croisant la science politique, la philosophie, l’anthropologie et la psychanalyse.
Les aberrations coloniales ne se sont pas évaporées. Leurs empreintes et leurs recompositions s’observent, aujourd’hui encore, un peu partout dans le monde. Leurs conséquences sont patentes. Au Nord et au Sud. L’existence sociale des Kanak de Nouvelle-Calédonie s’est-elle véritablement et profondément améliorée ? Qu’est-ce qui, en Haïti, hante encore ses citoyens ?De telles questions, et bien d’autres, s’inscrivent ici à l’intérieur d’une réflexion autour de quelques notions contemporaines : colonialité, décolonisation, restitution, collection, race, réparation. Ces concepts éclairent les enjeux personnels et collectifs de celles et ceux qui, actuellement, vivent la dépossession et la déprivation. En invaincus. Malaise dans la décolonisation explore la pluralité de ces expériences et les changements qu’elles appellent.

Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin, Le monde Nazi. 1939-1945, Tallandier, 2024
Dans cet ouvrage, trois historiens du nazisme proposent un récit inédit, une histoire totale du national-socialisme, de sa naissance en 1919 à son effondrement en 1945. En se fondant sur les renouvellements de l’historiographie internationale de ces trente dernières années ainsi que sur une pratique constante des sources, Johann Chapoutot, Christian Ingrao et Nicolas Patin analysent le nazisme de l’intérieur : le système de croyances, les émotions fanatiques et la culture militante des années 1920 ; la nature du « Troisième Reich » comme « dictature de la participation » fondée sur un consentement massif de la population ; enfin, la « guerre génocide » de 1939-1945, apocalypse raciale qui réalise les potentialités de l’eschatologie nazie.