Recension de Red Friends: Internationalists in China’s Struggle for Liberation

Publié le 21 janvier 2025

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Lehoux, J. (2025). Recension de Red Friends: Internationalists in China’s Struggle for Liberation. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=13229

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Lehoux Julien. "Recension de Red Friends: Internationalists in China’s Struggle for Liberation." Histoire Engagée, 2025. https://histoireengagee.ca/?p=13229.

Par Julien Lehoux, Université du Québec à Montréal

Du renversement de la dynastie Qing en 1911 jusqu’à l’avènement au pouvoir du Parti communiste chinois (PCC) en 1949, la Chine a été propulsée par le vent des révolutions. En effet, durant cette période, des milliers de personnes ont alterné entre le crayon et les armes pour tenter d’instaurer une nouvelle Chine imprégnée des valeurs égalitaires inspirées par les courants marxistes européens. Des premières figures fondatrices jusqu’au règne de Xi Jinping, les changements au sein du PCC ont été aussi nombreux que les personnes qui s’y sont impliquées. En marge se trouve une communauté généralement peu abordée spécifiquement : les internationalistes qui ont rejoint la Chine au cours du siècle pour participer au rêve socialiste. C’est de ces personnes que Red Friends, de John Sexton, traite.

John Sexton est traducteur de profession et chercheur spécialisé sur le PCC et ses relations à l’international. En tant que traducteur, il se consacre principalement à faire connaître les travaux et pensées d’idéologues communistes d’envergure de Russie et de Chine. En 2019, il a notamment publié une version annotée des minutes du Premier congrès des peuples d’Orient (1920). Plus récemment, en 2023, il s’est associé à l’historien Gregor Benton pour publier un ouvrage consacré au poète chinois Zheng Chaolin. Cependant, c’est sans doute Red Friends, aussi publié en 2023, qui constitue son projet le plus ambitieux.

Plus qu’un recueil annoté de textes traduits, Red Friends se distingue par son intention et son format. Comme l’explique John Sexton, le livre visait à mettre en lumière les nombreuses contributions des internationalistes au sein du PCC à partir de sa fondation. En effet, l’histoire nationale de la Chine tend souvent à présenter l’avènement du régime communiste comme le fruit du travail singulier de Mao Zedong et, dans une moindre mesure, de son cercle rapproché, tout en insistant sur les efforts collectifs de la population chinoise pour repousser la barbarie capitaliste et la sauvagerie fasciste étrangère, en autres choses. Se trouvent souvent exclues de ce mythe fondateur les premières personnes qui, en Chine, ont milité pour le parti, les figures soviétiques qui ont prodigué leurs conseils et les nombreuses personnes, à l’étranger, qui ont participé à l’avènement du régime, de la Première guerre civile à la Guerre froide.

Ce sont précisément ces deux derniers groupes qui constituent le sujet du livre de John Sexton. À travers leurs histoires individuelles, l’objectif est double : offrir une lecture de l’histoire du PCC qui transcende le récit officiel, en mettant en lumière les contributions des internationalistes avant, pendant et après la révolution de 1949, puis illustrer, à travers le vécu de ses protagonistes, les transformations du régime au fil du siècle, qui est passé d’un parti militant et idéologique à une entité pragmatique, centrée sur le culte d’une seule personne.

Pour ce faire, le livre est divisé en 21 chapitres relativement courts. Organisés de façon plus ou moins chronologique, du début du 20e siècle jusqu’au décès de Mao, ces chapitres sont de brèves biographies d’internationalistes qui, à un moment de leur parcours, ont soit participé directement au PCC ou gravité autour. La sélection des figures mises en lumière offre une grande diversité d’expériences tout au long de l’ouvrage. À cet effet, les internationalistes proviennent tant de l’Amérique, de l’Asie que de l’Europe, et se réclament aussi de différentes idéologies : anarchistes, socialistes ou issues de toutes les sauces du communisme, dont léninistes, trotskystes, stalinistes ou maoïstes. John Sexton propose ainsi un panorama riche de personnes ayant vécu différemment l’expérience du PCC : de celles qui, dès la première heure, ont milité pour le parti et en sont devenues les martyres, aux journalistes, adeptes, personnes fuyant leur pays pour des raisons politiques, gens aux allégeances ambigües s’adonnant à l’espionnage et autres individus qui n’entrent pas nécessairement dans une catégorie précise. 

Alors que le 20e siècle en Chine est marqué par les guerres et les révolutions, une grande partie des internationalistes dont John Sexton dresse le portrait s’y rendent pour y soutenir les communistes. Certains chapitres sont ainsi consacrés aux personnes sympathisantes russes envoyées par le Komintern pour lutter successivement contre les Seigneurs de guerre, le Guomindang et l’invasion japonaise. Le deuxième chapitre, par exemple, traite des figures militaires soviétiques dépêchées pour conseiller et supporter le Guomindang (alors en bons termes avec l’URSS) dans son projet de réunification de la Chine. Par l’entremise de personnalités comme Mikhail « Borodin » Gruzenberg, Vasily Blyukher et M. N. Roy, l’auteur examine les premières tentatives de collaboration de l’Union soviétique avec le Guomindang pour favoriser la révolution communiste en Chine. Cette première initiative s’est soldée par un échec total, mais l’URSS a repris le projet durant la Seconde Guerre sino-japonaise (1937-1945). À cette époque, un contingent de 2 000 pilotes soviétiques a été envoyé en Chine pour combattre l’invasion japonaise aux côtés des communistes. Jusqu’en 1941, ces pilotes ont régulièrement affronté l’armée japonaise, s’occupant aussi de la formation de nouvelles troupes. Malgré 236 pertes au combat, leur histoire reste largement méconnue. En effet, la rupture des relations entre l’URSS et la Chine de Mao au début des années 1950 a effacé toute procession mémorielle vis-à-vis de ces pilotes.

La participation militaire des internationalistes ne s’est pas limitée aux Russes. Le onzième chapitre aborde ainsi l’histoire de Michael Lindsay, un Écossais qui a rejoint la troupe de Mao en pleine Seconde Guerre mondiale. Celui-ci a su profiter de son statut d’homme blanc pour passer entre les lignes japonaises et chinoises, facilitant ainsi le transport de matériel radiophonique. Pendant quatre ans, sa famille et lui ont suivi l’armée de Mao, s’occupant de ses moyens de communication radio. Fait intéressant, Lindsay      est arrivé en Chine à bord du même bateau que Norman Bethune, que John Sexton surnomme le « Mao’s Model Internationalist ». Au-delà de la propagande chinoise à son endroit, Sexton replace plutôt sobrement Bethune, concluant son chapitre en écrivant qu’il était « impulsive, erractic, and sometimes impossible to get on with, but he was also courageous, committed, and always on the side of the underdog. »

En dehors du champ militaire, John Sexton se penche aussi sur le cas de journalistes ayant couvert la Chine pendant cette période tumultueuse. Un certain nombre n’étaient pas communistes avant leur arrivée dans le pays. C’était le cas d’Edgar Snow, dont les opinions se sont transformées en s’intégrant aux cercles gauchistes occidentaux établis à Shanghai et en rapportant les famines dans le nord du pays. Le chapitre qui porte sur Snow se concentre principalement sur la réception autour de son ouvrage Red Star Over China, publié en 1937, qui a offert une première présentation positive du communisme chinois à l’international. Comme l’écrit Sexton, Snow n’était toutefois pas particulièrement idéologue, n’ayant qu’une compréhension rudimentaire du marxisme. Cela contraste avec Verda Majo, qui s’est impliquée dans le mouvement Espéranto avant de quitter le Japon pour rejoindre la Chine. Fervente critique du tournant nationaliste et militariste du Japon, celle-ci a publié de nombreux textes, devenant ni plus ni moins la voix de la propagande radio des communistes qui s’adressait aux troupes japonaises durant la guerre.

Red Friends met également en lumière des scientifiques qui ont contribué aux politiques du PCC après la révolution. L’avant-dernier chapitre, « Farmers », traite de Joan Hinton et de son mari, Erwin Engst. Physicienne ayant travaillé à la conception de la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale, Hinton a été profondément désabusée par son usage à Hiroshima en 1945. Elle a alors quitté les États-Unis pour la Chine, où elle a rencontré son futur mari. Là-bas, le couple s’est investi intensément dans l’industrie laitière et s’est retrouvé au cœur des grandes politiques chinoises : les campagnes des Trois antis et des Cinq antis (1951-1952), le Grand Bond en avant (1958-1962), la Révolution culturelle (1966-1976) et bien d’autres. Ayant passé toute leur vie en Chine, Hinton et Engst ont conservé leurs convictions maoïstes, défendant les politiques du régime de diverses manières, jusqu’au massacre de Tiananmen en 1989. Pour le couple, le rêve socialiste a pris fin à ce moment.

Finalement, certains cas sortent du lot. Dans son chapitre « Faith and an Act of Contrition », John Sexton relate l’histoire de David et Isabel Crook. Originaire de la Grande-Bretagne, le premier est arrivé en Espagne en pleine guerre civile, où il a été blessé dès sa première journée de combat. Staliniste convaincu, il a été recruté par le NKVD et est devenu un espion au service de l’URSS. Sa mission consistait à surveiller les trotskystes : d’abord en Espagne, puis en Chine. En 1938, il y a rencontré Isabel et le couple a commencé à travailler en enseignement, tout en assistant le PCC dans divers projets de traduction. Cependant, durant la Révolution culturelle, l’allégeance des Crook est remise en question en raison de leur association passée avec le régime stalinien, ce qui a conduit à la détention de David de 1967 à 1973. Malgré cette expérience traumatisante, le couple a décidé de rester en Chine et de continuer à contribuer à la vie publique en se prononçant sur divers sujets de l’actualité. Comme le note Sexton, cette période a marqué un changement dans les opinions politiques de David : au fil des ans, il a progressivement abandonné le stalinisme, le clou final étant enfoncé au moment des manifestations de Tiananmen, en 1989.

Les chapitres consacrés aux Hinton-Engst et aux Crook illustrent parfaitement l’une des grandes qualités du livre, soit d’arriver à présenter la vie de chaque protagoniste en parallèle avec l’histoire de la Chine. Comme mentionné précédemment, chaque personne dépeinte possédait sa propre pensée politique, qui évoluait souvent au fil de sa vie, tout comme le régime lui-même avançait à travers le temps. Pour d’autres, leurs opinions restaient figées, marquées par leur fidélité indéfectible au parti. Dans tous les cas, John Sexton a réalisé un travail remarquable afin d’analyser la pensée propre à chacun des sujets de ses chapitres. La force du livre revient ainsi dans sa capacité à remettre en perspective l’héritage de ces individus vis-à-vis du régime : parfois amer, parfois nostalgique, mais très souvent figé dans une période aujourd’hui révolue.

Notre appréciation porte également sur un aspect rarement abordé dans le livre lui-même: celui d’éclairer les perspectives idéologiques des communautés occidentales établies en Chine et à Hong Kong. Dans la grande historiographie du colonialisme en Chine, la communauté occidentale est souvent dépeinte comme un bloc monolithe dont les préoccupations politiques se résumaient à celles de la mère-patrie. Au sein de cette marée de gens aux motivations diverses (curiosité, commerce, religion), il est intéressant de repérer les cas plus singuliers d’individus qui se sont impliqués autrement dans les affaires chinoises. À cet égard, soulignons l’exemple de Hilda Selwyn-Clarke, mentionnée fréquemment dans l’ouvrage. Épouse de Selwyn Selwyn-Clarke, une figure bien connue de la société occidentale hongkongaise pour ses actes humanitaires durant la guerre, Hilda a longtemps travaillé, à l’insu de l’occupation japonaise, avec la China Defense League, qui est venue en aide à la base militante communiste.

S’il n’est pas révolutionnaire dans sa structure, Red Friends propose néanmoins une recherche fascinante sur la participation des internationalistes à la vie politique chinoise. Bien que cette communauté ait constitué un très petit groupe au sein d’un océan de personnes militantes au fil des décennies, elle représente tout de même des pages d’histoire significatives : celles où la Chine de Mao a été, pour un moment, le symbole d’un projet rassembleur pour une multitude d’individus bien intentionnés.

Bibliographie

BENTON, Gregor, dir. Poets of the Chinese Revolution: Chen Duxiu, Zheng Chaolin, Chen Yi, Mao Zedong. Londres, Verso, 2019.

BENTON, Gregor et John SEXTON, dir. Zheng Chaolin, Selected Writings, 1942–1998. Londres, Haymarket Books, 2023.

HORNE, Gerald. Race War! : White Supremacy and the Japanese Attack on the British Empire. New York, New York University Press, 2004.

SEXTON John, dir. Alliance of Adversaries: The Congress of the Toilers of the Far East. Londres, Haymarket Books, 2019.

SEXTON, John. Red Friends: Internationalists in China’s Struggle for Liberation. Londres, Verso, 2023.