Un historien et deux éducatrices au Musée, ou pourquoi je n’enseignerai plus jamais de la même façon
Citer cet article
APA
McCutcheon, S. (2024). Un historien et deux éducatrices au Musée, ou pourquoi je n’enseignerai plus jamais de la même façon. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=13022Chicago
McCutcheon Shawn. "Un historien et deux éducatrices au Musée, ou pourquoi je n’enseignerai plus jamais de la même façon." Histoire Engagée, 2024. https://histoireengagee.ca/?p=13022.Shawn McCutcheon, Ph. D.
Historien et ancien chargé de cours, je disposais déjà de plusieurs années d’expérience en enseignement lorsqu’en janvier 2023 j’ai été embauché au Musée Redpath, un musée d’histoire naturelle et des cultures du monde situé sur le campus de l’Université McGill. J’avais enseigné l’histoire du Québec, du Canada et de la sexualité à l’université, m’étais initié à l’enseignement collégial, sans compter les capsules d’univers social que j’avais animées au primaire et au secondaire. Malgré toutes ces expériences, travailler au Musée a transformé ma façon de concevoir l’enseignement et l’éducation. Au cours des deux années passées à travailler au Redpath, j’ai non seulement trouvé un lieu où mettre en pratique mon expérience en tant que chercheur et éducateur, mais j’ai aussi élargi mes horizons.
Au-delà des tâches administratives attachées à mon poste de coordonnateur du programme public, j’ai eu la chance de collaborer étroitement avec mes collègues des services éducatifs, Sara Estrada Arevalo et Rebeca Esquivel. Ces deux éducatrices muséales passionnées sont de véritables piliers du Redpath, et sont responsables de la conception et de la mise en œuvre des activités éducatives du Musée, tant celles offertes aux groupes scolaires et communautaires que celles proposées au grand public. Sara et Rebeca ont contribué par leurs échanges à élargir ma vision de ce qui constitue une expérience et des résultats d’apprentissage valides. Elles m’ont aussi amené à m’interroger sur le rôle communautaire joué par les musées, ainsi que sur les enjeux d’accessibilité et de diversité des personnes apprenantes. À travers nos collaborations, j’ai eu la chance d’enrichir l’expérience en recherche acquise pendant mon parcours universitaire, de retrouver le sentiment d’être utile à ma communauté, ainsi que de renouveler ma pratique et ma pensée éducative.
La recherche historienne en milieu muséal
À première vue, mon poste de coordonnateur du programme public au Musée Redpath ne semblait pas forcément m’amener à mettre en pratique ma passion pour la recherche et l’enseignement. Sur papier, mon rôle était de coordonner les réservations de groupes et les évènements, d’assurer le suivi des facturations, de créer du matériel promotionnel, ainsi que de gérer le site Web, les courriels, l’infolettre et les réseaux sociaux du Musée. Cependant, le travail de musée peut être assez fluide et implique souvent de porter plusieurs chapeaux à la fois. Ainsi, grâce à la bienveillance de la gestionnaire du Musée, Ginette Dessureault, mon expérience en tant que chercheur et éducateur a trouvé un foyer inattendu. Au fil de mes collaborations avec les éducatrices du Musée, j’ai participé au travail rigoureux de recherche derrière chaque activité, visite, ou atelier pour le public, tant scolaire que général. À ce titre, les musées représentent un lieu intéressant pour appliquer les compétences acquises au cours d’études supérieures en sciences humaines ou sociales et en enseignement.
Personnellement, la principale difficulté rencontrée après mon doctorat en histoire fut de traduire et d’adapter mes compétences universitaires en termes professionnels. La rédaction de la thèse, par exemple, permet d’acquérir de solides aptitudes en recherche, en écriture, en édition de copie, en création de contenu, en analyse et en synthèse. L’enseignement et l’encadrement de groupes d’élèves se traduisent par de l’expérience en pédagogie, en communication, en vulgarisation du savoir et en gestion de projet. L’ensemble des personnes qui ont étudié l’histoire à l’université et qui ont enseigné ont acquis ces compétences. Il faut simplement trouver les bons mots – ceux du marché de l’emploi – pour les mettre en valeur.
Pour ma part, j’ai eu l’occasion de mettre en œuvre mon amour de la recherche et de l’écriture en contexte muséal. Le Redpath est un musée d’histoire naturelle, qui conserve et expose de riches collections de paléontologie, de minéralogie, de zoologie et des cultures du monde. De plus, le Musée représente un héritage patrimonial auquel l’historien en moi a été très sensible dès le départ : il s’agit du premier musée construit à dessein au Canada. Inauguré en 1882, il conserve encore aujourd’hui la majorité de ses éléments architecturaux néoclassiques d’origines. Compte tenu de la variété des collections, un des aspects les plus intéressants du type de recherches qu’on m’a confiées est la grande diversité des sujets : une semaine nous travaillions sur l’Égypte ancienne, une autre sur les grenouilles, puis sur l’histoire et l’architecture du Musée, avant de s’attaquer à l’évolution des hominina…
Bien que ce type de recherche diffère du travail universitaire, puisqu’il ne concerne que des sources secondaires, il est très valorisant pour qui a soif d’apprendre! Il y a eu, bien sûr, certains décalages, puisque le travail essentiellement collaboratif au Musée, incluant parfois l’équipe de conservation, tranche avec la solitude caractéristique de la recherche universitaire. Il implique un niveau de consultation que les universitaires rencontrent rarement, alors que l’esprit de collégialité est souvent mis de côté au profit du respect de la hiérarchie. De plus, les processus de création d’activité sont aussi différents du travail universitaire et comportent leur propre jargon spécialisé : délivrables, modules d’apprentissage, scripts de visites, feuilles de contrôles, etc. Sara et Rebeca ont cependant été patientes et ont pris le temps de m’apprendre les bonnes pratiques à adopter et, avec elles, j’ai eu le bonheur de créer des documents de référence et de les adapter en modules d’apprentissage destinés aux visites de groupes et aux ateliers. À défaut d’avoir son nom à la tête d’un article ou d’un livre, il y a une joie à voir son travail de recherche avoir une incidence rapide et tangible sur celui de ses collègues et, à terme, sur les interactions menées auprès du public.
L’apprentissage en milieu informel : ludique et valide
Être un éducateur au Musée (Sara et Rebeca m’ont assuré que je pouvais me qualifier de cette façon!) m’a fait découvrir un type d’apprentissage très différent de celui auquel j’étais habitué, et ce, autant au niveau primaire, secondaire et universitaire. L’apprentissage qui se réalise dans les musées est qualifié d’apprentissage informel, c’est-à-dire qu’il ne mène pas à l’obtention d’un diplôme ou de toute autre certification. Cependant, ce type d’apprentissage est aussi valide que celui qui s’effectue dans les salles de classe. Il est volontaire et bien qu’il s’effectue en partie sur une base cognitive, il est aussi plus affectif, c’est-à-dire centré sur les sentiments et les attitudes des individus. L’apprentissage informel valorise la pensée critique, le vivre ensemble dans une société multiculturelle, ou encore la participation citoyenne[1]. En tant que lieux d’apprentissage informel, les musées sont aussi importants que les écoles, les cégeps ou les universités, avec qui ils sont en dialogue constant. L’expérience muséale se situe tout simplement en continuité de l’expérience scolaire et du programme. Cependant, ce type d’apprentissage s’effectue dans des espaces accueillant un public beaucoup plus varié qu’une salle de classe. Les gens qui nous visitent sont d’âges variés, viennent parfois en famille, en solitaires ou encore en groupes scolaires allant de la maternelle jusqu’à l’université, et sont d’horizons culturels et économiques très différents. Les pédagogues en milieu muséal doivent donc être d’autant plus flexibles dans la conception et l’exécution de leurs activités afin de rejoindre un public diversifié.
Le but de l’apprentissage informel est autant – sinon plus – d’amener les personnes venant au Musée à s’interroger sur leurs émotions et à réévaluer leurs idées que de transmettre du contenu informationnel[2]. Il s’agit de susciter leur intérêt, de les divertir et de les informer, mais aussi de les amener à s’interroger sur les idées qu’elles tiennent pour acquises. L’apprentissage en milieu muséal vise à offrir aux membres du public l’occasion de vivre des expériences transformatrices par l’entremise d’expositions et d’activités éducatives. Après tout, les musées sont ce que Michel Foucault qualifiait d’hétérotopies, soit des « espaces autres » qui permettent de s’extirper de son train-train quotidien afin de s’immerger dans un espace spécial où le temps s’arrête et où on entre en contact avec une version différente de la réalité[3].
L’accent sur le savoir-être et la relative marge de manœuvre face aux programmes scolaires offrent des possibilités d’activités qu’auparavant je n’avais pas pensé mettre en œuvre dans mes classes. À ce titre, mes échanges avec les éducatrices du Musée ont élargi ma conception de ce qui constitue une expérience et des résultats d’apprentissage valides. Je l’admets : lorsque j’enseignais à l’Université ou même au cégep, j’avais tendance à ne considérer que les contenus très approfondis comme valides. J’avais aussi tendance à exiger beaucoup trop de mes groupes : trop d’attentes face à leur appropriation du contenu et du niveau de leurs travaux. Enfermé dans un format très universitaire, il ne me venait pas à l’esprit que la publication de courts messages éducationnels sur les réseaux sociaux, que des activités telles que le coloriage de pages créées à partir des spécimens d’animaux du Musée, ou encore l’écriture de hiéroglyphes sur papyrus étaient des activités valides qui donnaient des résultats d’apprentissages complémentaires. Ludiques, oui, évidemment; valides, non. Or, sur les réseaux sociaux, les courtes publications du Musée rejoignent un public étendu et participent à la diffusion du savoir. En ajoutant sur les pages à colorier des renseignements sur chaque spécimen et en plaçant des panneaux informationnels sur ceux-ci dans notre salle d’activité, les jeunes (et moins jeunes) ont pu interagir avec les collections, les réinterpréter de façon créative et en apprendre plus sur les animaux présents au Musée. En demandant aux membres du public de tous les âges d’écrire leur nom en hiéroglyphes à l’aide d’un stylet de roseau sur du vrai papyrus, il leur a été possible de poser les mêmes gestes que des scribes de l’Antiquité, créant un pont affectif entre avec le passé. En manipulant et en touchant des objets similaires à ceux employés par des individus il y a de cela des millénaires, il leur a été possible de découvrir la matérialité concrète de l’écriture : la sensation du roseau, la texture du papyrus, le grattement produit par l’acte d’écrire.
Pour atteindre leurs objectifs en contexte d’apprentissage informel, les pédagogues en milieu muséal font appel à des principes de pédagogie active similaires à ceux que le personnel enseignant est de plus en plus appelé à adopter et que j’avais déjà commencé à intégrer dans mes propres cours. Tout comme dans les musées, la mise à profit des technologies de l’information et des communications, l’interaction avec les groupes ou entre élèves, ainsi que l’autonomisation de l’apprentissage sont valorisées. Elles remplacent peu à peu, dans de nombreuses classes, les cours magistraux. On demande de plus en plus aux élèves de construire leurs connaissances par leurs propres moyens ou bien à travers des échanges avec des pairs, plutôt que d’écouter une personne débiter du contenu par l’entremise d’un enseignement traditionnel. Cependant, en contexte muséal, parce que les membres du public sont libres de participer aux activités ou non, voire d’en retenir quelque chose ou non, il s’agit de leur donner des choix, de leur offrir un certain nombre de scénarios afin de piquer leur curiosité et de rejoindre leurs besoins et intérêts[4]. Le tout, tout en sachant bien que nous avons peu de contrôle sur les résultats d’apprentissage – il n’y pas d’évaluation obligatoire à la fin, seulement des commentaires!
Diversité des personnes apprenantes : interactivité et accessibilité
Malgré mon expérience préalable en enseignement, un autre défi auquel j’ai été confronté lors de mon passage au Musée est celui de l’accessibilité, ainsi que celui de la diversité des personnes apprenantes. Ces questions sont au cœur du travail que Sara, Rebeca et moi réalisions au quotidien, puisque, contrairement au milieu de l’éducation formelle, au Musée, chaque individu arrive avec ses propres besoins et ses propres attentes. L’idée de design universel nous accompagne à chaque étape de la création d’une activité éducative. Le design universel, en éducation, c’est une approche pédagogique qui tente de répondre aux besoins et aux capacités des personnes apprenantes en essayant d’éliminer les obstacles du processus d’apprentissage, afin de rendre les contenus éducatifs accessibles à un public diversifié[5].
Bien sûr, dans les cours que j’ai donnés à l’Université McGill, j’avais déjà appliqué autant que possible les principes de design universel dans les documents remis à mes groupes et dans mes présentations. Tout d’abord, je me suis évertué à transmettre l’information de manière flexible et multiple, en accompagnant mes cours de présentations PowerPoint synthétisant l’information, en y insérant des ressources audiovisuelles afin de rendre l’histoire plus vivante et en fournissant des versions enregistrées et sous-titrées de mes cours. J’ai valorisé l’usage du numérique et j’ai appliqué les bonnes pratiques en termes de taille et de police du texte, de contraste des couleurs et de l’allègement des renseignements. Afin de rejoindre un plus grand nombre de personnes apprenantes, j’ai introduit plusieurs types d’activités : à l’enseignement magistral, j’ai ajouté des groupes de discussion, des recherches en équipe, des débats, voire même de faux procès. Dans la même veine d’idée, j’ai aussi diversifié mes types d’évaluation, en offrant plus de flexibilité pour les examens à faire à la maison, mais aussi en introduisant la possibilité d’écrire des billets de blogue, de produire des balados et de créer des documentaires.
En revanche, au Musée, rendre les activités d’apprentissage accessibles va au-delà de ces considérations et, grâce à mes collègues, je suis entré en contact avec de multiples autres questionnements. Hors des contraintes d’une salle de classe, je me suis demandé : comment adapter les contenus et les méthodes d’animation à des groupes d’âges différents? Comment répondre aux besoins cognitifs, émotionnels, auditifs, visuels, ou de mobilité très variés du public qui nous visite? Quelles nouvelles méthodes pédagogiques le cadre informel du Musée me permettait-il d’explorer? Quel potentiel avait l’aspect multifonctionnel de nos espaces pour valoriser différentes façons d’apprendre?
Les pédagogues de musée n’opèrent pas dans des salles de classe, mais plutôt dans des espaces polyvalents. De plus, ces personnes ne sont pas tenues de suivre un programme formel, contrairement au personnel enseignant, et ce, tous niveaux confondus. Leur marge de manœuvre est donc plus grande et il leur est possible d’adopter diverses approches éducatives. Par exemple, nous tentons autant que possible d’avoir une approche multisensorielle. Nous incluons des objets (artéfacts, spécimens ou reproductions) dans nos activités, ce qui permet aux gens non seulement de voir, mais aussi de sentir, de toucher et de percevoir les collections ou des concepts de façon plus concrète et accessible[6]. Il faut voir la lumière dans les yeux des gens qui nous visitent quand on leur demande s’ils veulent toucher à un fossile de dinosaure! Manipuler les fossiles leur donne un sens différent de leur nature et leur permet d’entrer en contact avec l’objet lui-même tout en apprenant. Sara, Rebeca et moi avons aussi mis en œuvre une série d’ateliers pratiques, dont celui d’écriture de hiéroglyphes mentionné plus haut. Une autre activité que nous avons créée est un atelier de poterie ancienne. Les personnes y participant réalisent une poterie par pincement, une technique remontant au néolithique. Tout en en apprenant plus sur l’histoire et les usages de la porterie, elles sont aussi appelées à participer activement. L’activité fait appel à des gestes précis et à la mémoire mécanique du corps, permettant de vivre l’acte millénaire de modeler l’argile. Ces ateliers s’inscrivent dans la gestuelle et donnent une compréhension différente du contexte de production de nombreux objets et artéfacts archéologiques.
La ludification des expositions et des activités d’apprentissage est aussi un concept nouveau que j’avais peu l’habitude de considérer dans ma pratique enseignante au niveau universitaire. Le jeu permet d’attirer, de rejoindre et de stimuler un grand public, d’âge varié et aux attentes différentes. La ludification permet de présenter des idées parfois complexes et abstraites sous un jour nouveau aux enfants, ados et adultes[7]. Par exemple, au Musée Redpath, à travers une série de chasses aux trésors portant sur des sujets variés comme le carbone, l’évolution ou encore les dinosaures, les membres du public – du primaire au cégep – ont la chance de visiter le Musée en construisant leurs propres parcours. En tant qu’ancien prof, je dois admettre avoir été surpris de toutes les informations retenues et des questions ou réflexions que ces activités ont suscitées.
Servir la communauté : un public d’origines et aux attentes variées
Collaborer avec les éducatrices du Musée m’a aussi fait redécouvrir un des aspects que j’avais le plus apprécié de l’enseignement, surtout au primaire et au secondaire, soit le sens du service de la communauté à travers la transmission du savoir, du senti et des expériences. Une chose que mon expérience quotidienne m’a apprise est qu’un peu comme les bibliothèques et les centres communautaires, les musées jouent un rôle culturel de première garde auprès de la communauté. Le rôle rassembleur des musées et leur responsabilité d’accueil, d’inclusion, d’éducation et de promotion de la diversité auprès du public sont des éléments qui ont récemment pris de plus en plus de place dans la définition institutionnelle des musées que donne le conseil international des musées (ICOM)[8]. Au-delà des relations qu’ils développent avec divers groupes communautaires, avec les écoles, les centres pour personnes ainées et tant d’autres, les musées sont aussi des espaces publics de rencontres que les gens utilisent comme ressources communautaires[9]. Au Musée Redpath, la politique d’entrée par don volontaire pour les visites individuelles favorise ce type d’utilisation en facilitant l’accès aux expositions à des personnes disposant de moyens financiers moindres.
L’usage que le public fait du Musée est varié : certaines personnes viennent pour apprendre, pour se distraire, pour passer un moment entre proches, pour s’occuper, ou tout simplement pour trouver un abri. Par exemple, lorsque le verglas a causé une panne d’électricité durant plusieurs jours en avril 2023, certains musées montréalais, dont le Redpath, ont vu leur fréquentation bondir et ont accueilli un grand nombre de personnes en quête de chaleur et de distraction[10]. Un autre bon exemple d’usage communautaire s’est produit lors de la grève du personnel enseignant survenue à l’automne 2023. Le Musée, avec son architecture victorienne, ses collections de fossiles, ses animaux naturalisés et ses objets et artéfacts anciens, a toujours été très populaire auprès des familles, qui représentent une bonne partie de son public. Avec le recul, il n’est donc pas surprenant que, dès les premiers jours de la grève, parents et grands-parents aient afflué en masse afin de trouver des activités éducatives pour leurs enfants ou petits-enfants. Pour Sara, Rebeca et moi, cela a mené à la création et au déploiement d’activités gratuites supplémentaires visant à occuper et divertir ce public inattendu : une nouvelle chasse au trésor autonome s’est ajoutée des animations en galerie et des séances spéciales de coloriage et de bricolage. À ce titre, ne sous-estimez jamais le pouvoir thérapeutique que peuvent avoir quelques feuilles à colorier, laissées au petit bonheur des gens dans une salle d’activités, sur les nerfs de parents au bord de l’épuisement…
Au Musée, nous recevons aussi chaque année de nombreux groupes communautaires soutenant des publics sous-desservis et en situation de vulnérabilité ou d’isolement social. Malgré des ressources humaines limitées et une capacité maximale, quant au nombre d’entrées possible, nous avons offert sans frais un grand nombre de visites guidées à des groupes constitués de membres d’associations venant en aide aux individus en situation de précarité sociale, financière, émotionnelle ou psychologique. Pour chaque groupe, cela nécessitait l’adaptation de nos activités afin de rencontrer les intérêts et les besoins particuliers de tout le monde. Concrètement, cela signifiait entre autres d’adapter la densité du contenu, le vocabulaire employé, les méthodes et le matériel d’interprétation.
Ce que je veux dire, c’est que les musées servent toute la communauté. Le public auquel nous nous adressons est très varié. Chaque personne arrive avec ses attitudes, ses idées et ses intérêts particuliers. Il est vrai qu’il en va de même en contexte d’apprentissage formel. Cependant, contrairement à des élèves qui n’ont pas le choix d’être sur place, en classe, le public du Musée est là le plus souvent sur une base volontaire. Il est donc encore plus important d’être à l’écoute et de capter son attention. Ainsi, les pédagogues en milieu muséal et les guides doivent faire preuve d’une grande capacité d’adaptation et de beaucoup de flexibilité dans leurs approches[11]. L’objectif est d’offrir une expérience transformatrice au public, au moyen d’activités immersives et intéressantes. Le défi d’adaptation est de taille, mais vraiment gratifiant!
En somme, le secteur des musées représente une avenue d’emploi gratifiante pour les personnes qui ont étudié en histoire, qui aiment enseigner et qui cherchent à explorer des voies en dehors de l’université. Personnellement, grâce à la bienveillance et à la camaraderie de plusieurs collègues, j’ai pu y appliquer ma passion pour la recherche et l’éducation. J’y ai retrouvé le sentiment d’utilité à la communauté que j’avais, je l’avoue, un peu perdu au cours de l’année suivant la fin de mon doctorat. Dans le cadre de mon mandat au Musée Redpath, j’ai aussi beaucoup appris et pu renouveler ma vision de l’éducation. Je dis donc un grand merci à cette équipe et particulièrement à mes collègues des services éducatifs, Rebeca et Sara. Grâce à elles, j’ai grandi. Leurs conseils et notre travail en commun continueront à m’inspirer tout au cours de ma carrière. Et si j’ai un jour le privilège de réintégrer le monde de l’enseignement (supérieur ou non), je n’enseignerai plus jamais de la même façon.
Pour aller plus loin :
« Publication et références », Société des Musées du Québec (SMQ), (En ligne) https://www.smq.qc.ca/fr/professionnel/statistiques/references.html
Ngaire Blankenberg and Gail Lord. Cities, Museums and Soft Power, Washington, DC, The AAM Press, 2015.
Denise Hansen. Museum Education: Learning with Objects, B.C. Museums Association, 2019.
Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, Londres, Rowan & Littlefield, 2016
Janice Majewski. Smithsonian Guidelines for accessible exhibition design, Smithsonian Accessibility Program.
Freeman Tilden. Interpreting Our Heritage, Charlotte, University of North Carolina Press, 2007 (1957).
[1] Brad King. « Planning for Effective Learning Partnerships » dans Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, p. 63.
[2] Brad King. « Introduction » dans Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, Londres, Rowan & Littlefield, 2016, p. 4; p.175.
[3] Les écoles, les théâtres, ou encore les cinémas sont d’autres exemples d’hétérotopies. Voir : Michel Foucault. « Des espaces autres », EMPAN, volume 2, no.54, 2004, p.15.
[4] Jennifer Sheperd. « Planning for Informal Learning », dans Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, p. 24.
[5] « Universal Design for Learning, » Centre for Teaching Innovation, Cornell University [En ligne] https://teaching.cornell.edu/teaching-resources/designing-your-course/universal-design-learning (page consultée le 10 juillet 2024).
[6] Pour plus d’exemples provenant d’ailleurs au Canada, voir : Denise Hansen. Museum Education : Learning with Objects, B.C. Museums Association, 2019.
[7] Lauren Styx. « How can games in museums enhance visitor experience? », Museum Next [En ligne] https://www.museumnext.com/article/how-can-games-in-museums-enhance-visitor-experience/ (page consultée le 3 avril 2024).
[8] Assemblée générale extraordinaire de l’ICOM, ICOM, 2022. p.3. Un grand nombre de personnes du monde muséal ont aussi pris la parole à ce sujet. Pour saisir quelques éléments essentiels du débat, voir : Rebecca Carlson. « Why We Need Museums Now More Than Ever – The Importance of Museums,” Museum Next, September 15, 2023. [En ligne] https://www.museumnext.com/article/why-we-need-museums-now-more-than-ever/#:~:text=Museums%20Bring%20Communities%20Together&text=Local%20museums%20can%20provide%20a,history%20of%20a%20particular%20area (page consultée le 9 juillet 2024). Pour plus d’idées sur le type d’impact communautaires que peuvent avoir les musées, voir : Museums Change Lives, Museums Association, London, 2017.
[9] Ngaire Blakenberg. « Learning for Change », dans Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, p. 33.
[10] Le Musée des beaux-arts de Montréal a même décidé pour l’occasion de suspendre ses droits d’entrée afin d’accueillir gratuitement le public. Voir : « Musée gratuit aujourd’hui! », X [En ligne] MBAM on X : « ⚡ Musée gratuit aujourd’hui! En raison des conditions météorologiques extrêmes et des pannes d’électricité qui touchent une grande partie de la communauté montréalaise, le Musée ouvre ses portes gratuitement aujourd’hui, jeudi 6 avril. Venez vous réchauffer💙 https://t.co/wHE6paxzqH » / X (page consultée le 9 juillet 2024).
[11] Brad King. « Introduction » dans Brad King and Barry Boyd (eds), The Manual of Museum Learning, p. 4.
Articles sur les mêmes sujets