Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Étiquette : Décolonisation Page 1 of 2

Le Moungo, une contrée stratégique à l’essor du maquis au Cameroun 1950-1971**

Source : https://www.researchgate.net/figure/Occupation-du-sol-dans-la-zone-du-Moungo-en-2001_fig2_342116782, consulté le 25 octobre 2022.

Cédric Stéphane Mbah, Université de Yaoundé 1-Cameroun

Résumé

Le propos de cet article est de renouveler la réflexion sur l’histoire des troubles et du maquis au Cameroun à partir du Moungo. Il s’agit de confirmer à travers une étude sociologique et géographique du Moungo, que la structure cosmopolite et les facteurs naturels furent les matrices des revendications politiques et des propensions « maquisardes » dans cette localité. La constance des luttes, la témérité et la pérennité des revendications politiques dans le Moungo nonobstant leur interdiction, emmènent à considérer cette région comme le lieu vital et le fleuron du maquis pendant la lutte pour la décolonisation. De cette perspective, l’on peut être conforté dans l’hypothèse selon laquelle la région du Moungo fut une zone stratégique dans le déploiement du maquis au Cameroun.

Mots-clés : insurrection ; maquis ; UPC ; Moungo ; chemin de fer.

Introduction

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays sous la domination européenne ont manifesté, sous plusieurs formes, le désir de redevenir maître de leur souveraineté. Ce désidérata n’a pas épargné le Cameroun qui a vu naître les mouvements de revendications tels les syndicats et les partis politiques à l’exemple de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) né le 10 avril 1948. L’UPC, dans le contexte des décolonisations et des libérations, requérait l’indépendance du Cameroun en vertu de l’article 76 (b) de la charte de l’ONU qui promeut « le progrès politique, économique, social et éducatif des hommes des territoires sous tutelle, de leur évolution vers le gouvernement automne[1] ». Dès 1950, les interdictions par l’administration coloniale des revendications upécistes se juxtaposent quelquefois aux échauffourées qui se soldent au mois de mai 1955 par des émeutes dans la région de la Sanaga-Maritime et le pays Bamiléké[2]. Ces manifestations répondaient aux vœux des Camerounais et Camerounaises épris.es de liberté et désireux.ses de voir leurs pays accéder à l’indépendance immédiate et à la réunification du Kamerun[3] ; comme l’exprimaient les doléances émises au congrès de l’ONU en 1952 par Ruben Um Nyobe sous l’égide de l’UPC[4]. L’ampleur inquiétante des violences liées aux revendications des upécistes valut une interdiction pure et simple du parti UPC dès le 13 juillet 1955[5].

À la suite de cette décision administrative, l’UPC est entrée dans la clandestinité pour continuer de manifester son désir d’obtenir l’indépendance par. Quoique celle-ci est accordée le 1er janvier 1960, l’UPC estime toutefois que ladite indépendance est partielle. Dans le but d’acquérir une libération complète malgré son interdiction, l’UPC utilise d’autres stratagèmes, notamment celui du « maquis » qui, en réalité, était la continuité de la résistance armée menée dès 1955. C’est sous cette bannière que commence une autre guerre dite de l’indépendance à travers le phénomène des maquisards qui consiste à semer la terreur à travers la violence, et à ériger des campements et des milices irrégulières dans des zones difficiles d’accès (forêts, grottes, montagnes, etc.). Dans cette logique, la mise sur pied d’une armée renforcée et reformée au sein de l’UPC confortait les « maquisards » sur l’idée d’une prochaine indépendance achevée[6]. Dans la recherche des issues pour acquérir cette indépendance par voie armée, le Moungo se dressait comme zone stratégique relativement au modus operandi de la milice de l’UPC. Les questions qui découlent de ce constat sont les suivantes : quelles sont les raisons ayant contribué au choix du département du Moungo comme lieu vital à l’essor du maquis au Cameroun ? Quel est l’apport du Moungo à la réussite du maquis camerounais ? Répondre à ces interrogations revient à analyser géographiquement le Moungo comme localité-carrefour située entre la zone francophone et anglophone ; relais tactique entre One Kamerun (OK) de Wilson Ndeh Ntumazah[7] et l’UPC, mais aussi entre les pays Bassa et Bamiléké via le chemin de fer Eséka-Bonaberi-Mbanga-Nkongsamba et Mbanga-Kumba. L’emplacement à cheval entre les flancs des différents massifs montagneux constitués de collines et de forêts justifie le choix du Moungo comme contrée favorable à la clandestinité de l’UPC jusqu’à l’arrestation d’Ernest Ouandié l’un des pionniers de l’ALNK à Mbanga dans le Moungo en 1971.

Décoloniser le genre : entretien avec Kama La Mackerel

Propos recueillis par Camille Robert

En octobre dernier avait lieu l’atelier Décoloniser le genre et troubler la binarité, animé par Kama La Mackerel à la Galerie de l’UQAM. Kama est un·e artiste multidisciplinaire, éducateur·ice, médiateur·ice culturel·le, écrivain·e et traducteur·ice littéraire originaire de l’Île Maurice, qui vit maintenant à Montréal, au Canada. Son travail est fondé sur l’exploration de la justice, de l’amour, de la guérison, de la décolonialité et de l’empowerment individuel et collectif. Afin de revenir sur son parcours et sur le contenu de son atelier, nous l’avons rencontré·e il y a quelques semaines pour réaliser cet entretien.

Pour débuter, pourrais-tu nous présenter ton parcours personnel – qui semble lié de près à ta pratique artistique et intellectuelle?

Je suis artiste pluridisciplinaire, quoi que je dise de plus en plus interdisciplinaire. Je travaille et j’évolue en performance, en poésie, en arts visuels, en arts textiles et en installation. J’ai quitté l’Île Maurice à 19 ans, lorsque j’ai obtenu une bourse d’études pour poursuivre mon parcours en Inde. J’y suis resté·e durant cinq ans, où j’ai étudié la littérature, la philosophie et la danse classique indienne. J’ai alors été très influencé·e par les cultural studies et la postcolonial theory, et c’est aussi là que j’ai développé mon militantisme LGBTQ. Je dis souvent que mon féminisme, je l’ai appris des lesbiennes de Delhi! C’était et ça reste un contexte complètement différent de celui de l’Amérique du Nord. Durant les années où j’y étais, de 2003 à 2008, l’article 377 du Code pénal indien, hérité des Britanniques, criminalisait toujours l’homosexualité, alors qu’il était pourtant fréquent de voir des hommes se tenir par la main en public. C’était un moment où le personnel, l’histoire et le politique se rencontraient.

Je suis arrivé·e en 2008 en Ontario. J’y ai réalisé une maîtrise en Theory, Culture & Politics à l’Université Trent. Il s’agit d’un programme interdisciplinaire ancré dans la théorie critique où nous avions une grande liberté pour déterminer notre parcours et nos objets de recherche. Mes expériences passées m’ont motivé·e à travailler sur l’histoire de la masculinité en Inde, à l’intersection de l’histoire légale et de la philosophie politique. Je cherchais plus spécifiquement à expliquer comment l’intervention coloniale en Asie du Sud a changé la perception et la compréhension de la masculinité, les effets dans le mouvement indépendantiste et, plus récemment, les impacts dans la montée de la droite hindoue en Inde. Ce n’est donc pas une coïncidence que je sois artiste interdisciplinaire : mes recherches l’ont toujours été aussi!

Stratégie coloniale 101 : #ShutDownCanada face à l’histoire

Par Sarah Rotz, Daniel Rück et Sean Carleton*

Des Mohawks de Tyendinaga se tiennent près du chemin d efer durant une action près de Belleville, Ontario, Canada, le jeudi 13 février 2020. Photo : Brett Gundlock/Bloomberg.

Le 7 février dernier, des policiers militarisés de la gendarmerie royale du Canada ont arrêté et expulsé des défenseur.e.s des terres Wet’suwet’en de leurs territoires non cédés, déclenchant des manifestations et des blocus dans tout le pays. Avec une grande partie du trafic ferroviaire du pays au point mort et des navires de transport incapables de déplacer des marchandises, les gens constatent que la désobéissance civile pacifique peut contribuer au mouvement #ShutDownCanada.

Alors que les actions de solidarité se sont multipliées, les politicien.ne.s canadien.ne.s, peu importe l’allégeance, ont eu du mal à réagir. Le 14 février, le chef de l’opposition conservatrice, Andrew Scheer, a qualifié les barrages ferroviaires et les perturbations politiques d’« illégaux » et a déclaré que les défenseur.e.s des terres autochtones et leurs partisan.e.s devraient « vérifier leur privilège ». Si la déclaration de Scheer était mal informée et arrogante, elle était surtout prévisible. Ce genre de déclarations est classique dans les sociétés coloniales comme le Canada et fait partie d’un type de comportement proche de ce que l’intellectuel cherokee Daniel Heath Justice a nommé « Settlers With Opinions ».

Quand des mouvements comme Idle No More ou #ShutDownCanada font leur apparition, quand les Canadien.ne.s allochtones sont dérangé.e.s par les déclarations de nationalité et de souveraineté autochtones, les colons répondent souvent par ce qu’Eve Tuck et K. Wayne Yang appellent « moves to innocence », que l’on pourrait traduire par « déplacements vers l’innocence ». Tuck et Yang définissent les mouvements des colons vers l’innocence comme des « strategies to remove involvement in and culpability for systems of domination ». Ces « déplacements » ou ces « jeux » constituent un élément clé du guide de stratégie coloniale : les tactiques et les stratégies habituelles utilisées par les colons pour défendre le statu quo colonial. La violence et la coercition sont des éléments clés de ce guide; cependant, les colons utilisent également un certain nombre de manœuvres discursives pour maintenir les conditions matérielles du colonialisme. La connaissance et l’exhibition du guide de stratégie coloniale peut aider à contrer ces stratégies et à faire progresser la décolonisation. Nous offrons cette courte introduction au guide de stratégie coloniale en tant que colons et intellectuel.le.s militant.e.s.

Remédiation linguistique au Western Development Museum : réponse aux appels à l’action n° 43 et n° 67 de la Commission Vérité et Réconciliation

Par Kaiti Hannah

Note de l’autrice : Certaines parties de ce billet ont à l’origine été publiées sur WDM.ca. Elles sont reproduites avec l’autorisation des auteurs et du Western Development Museum (WDM). Le WDM est le musée d’histoire humaine mandaté par la province de la Saskatchewan.

Note du comité éditorial : Ce texte est d’abord paru sur Active History dans sa version originale anglaise. Nous vous en proposons une traduction, réalisée par notre équipe.

Construction du WDM de Saskatoon, le 18 février 1972
WDM George Shepherd Library 10-E(e)-8

Le langage est important. Les mots que nous choisissons d’utiliser dans notre interprétation historique doivent être inclusifs, précis, respectueux, actuels et significatifs. Le langage se transforme aussi avec le temps – ce qui était perçu comme une trame narrative acceptable par le passé ne l’est souvent plus aujourd’hui. À mesure que de nouvelles recherches sont publiées et que l’engagement et les attentes du public évoluent, les musées doivent adapter leurs approches d’interprétation du passé. Les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, parues en 2015, ont souligné le pouvoir que les mots et le langage ont sur la perception et la compréhension que nous avons du monde qui nous entoure, et la façon dont les mots influencent notre interaction et nos relations avec les autres.

De nombreuses personnes perçoivent les musées comme des lieux d’autorité historique, mais les musées ne sont pas neutres. L’ensemble des personnes qui participent à l’élaboration des expositions, des gens qui la soutiennent financièrement au personnel de recherche, des conservateurs et des conservatrices à l’équipe de conception de l’exposition, ont leurs propres préjugés et perspectives qui teintent le produit final, même si tous et toutes tentent de rester neutres. Le positionnement est inévitable, mais il doit être reconnu, et il peut être atténué par la collaboration avec divers groupes, en reconnaissant et en affirmant un large éventail de perspectives.

L’antisémitisme et le colonialisme ne sont pas des « mystères » historiques

Collectif de signataires

Mercredi dernier, l’ancien ministre des Affaires culturelles et fondateur des éditions du Septentrion, Denis Vaugeois, était invité à l’émission Plus on est de fous, plus on lit! pour souligner la parution d’entretiens menés avec Stéphane Savard. Formé en histoire et ayant publié plusieurs ouvrages et manuels scolaires, Vaugeois s’est également prononcé sur sa vision de l’histoire québécoise.

À la suite de cette entrevue, plusieurs de ses déclarations ont été invalidées, notamment par des intervenantes et intervenants issus des communautés autochtones ou des milieux de la recherche. En début de semaine, les historiens Jean-François Nadeau et Éric Bédard ont publié des répliques divergentes. Au-delà de la fausseté de certains propos de Denis Vaugeois, notamment concernant les pensionnats autochtones, l’ancien ministre péquiste semble véhiculer une vision édulcorée de l’histoire, dans laquelle le passé est « nettoyé » du colonialisme, de l’antisémitisme et du racisme.

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