
Cédric Stéphane Mbah, Université de Yaoundé 1-Cameroun
Résumé
Le propos de cet article est de renouveler la réflexion sur l’histoire des troubles et du maquis au Cameroun à partir du Moungo. Il s’agit de confirmer à travers une étude sociologique et géographique du Moungo, que la structure cosmopolite et les facteurs naturels furent les matrices des revendications politiques et des propensions « maquisardes » dans cette localité. La constance des luttes, la témérité et la pérennité des revendications politiques dans le Moungo nonobstant leur interdiction, emmènent à considérer cette région comme le lieu vital et le fleuron du maquis pendant la lutte pour la décolonisation. De cette perspective, l’on peut être conforté dans l’hypothèse selon laquelle la région du Moungo fut une zone stratégique dans le déploiement du maquis au Cameroun.
Mots-clés : insurrection ; maquis ; UPC ; Moungo ; chemin de fer.
Introduction
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays sous la domination européenne ont manifesté, sous plusieurs formes, le désir de redevenir maître de leur souveraineté. Ce désidérata n’a pas épargné le Cameroun qui a vu naître les mouvements de revendications tels les syndicats et les partis politiques à l’exemple de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) né le 10 avril 1948. L’UPC, dans le contexte des décolonisations et des libérations, requérait l’indépendance du Cameroun en vertu de l’article 76 (b) de la charte de l’ONU qui promeut « le progrès politique, économique, social et éducatif des hommes des territoires sous tutelle, de leur évolution vers le gouvernement automne[1] ». Dès 1950, les interdictions par l’administration coloniale des revendications upécistes se juxtaposent quelquefois aux échauffourées qui se soldent au mois de mai 1955 par des émeutes dans la région de la Sanaga-Maritime et le pays Bamiléké[2]. Ces manifestations répondaient aux vœux des Camerounais et Camerounaises épris.es de liberté et désireux.ses de voir leurs pays accéder à l’indépendance immédiate et à la réunification du Kamerun[3] ; comme l’exprimaient les doléances émises au congrès de l’ONU en 1952 par Ruben Um Nyobe sous l’égide de l’UPC[4]. L’ampleur inquiétante des violences liées aux revendications des upécistes valut une interdiction pure et simple du parti UPC dès le 13 juillet 1955[5].
À la suite de cette décision administrative, l’UPC est entrée dans la clandestinité pour continuer de manifester son désir d’obtenir l’indépendance par. Quoique celle-ci est accordée le 1er janvier 1960, l’UPC estime toutefois que ladite indépendance est partielle. Dans le but d’acquérir une libération complète malgré son interdiction, l’UPC utilise d’autres stratagèmes, notamment celui du « maquis » qui, en réalité, était la continuité de la résistance armée menée dès 1955. C’est sous cette bannière que commence une autre guerre dite de l’indépendance à travers le phénomène des maquisards qui consiste à semer la terreur à travers la violence, et à ériger des campements et des milices irrégulières dans des zones difficiles d’accès (forêts, grottes, montagnes, etc.). Dans cette logique, la mise sur pied d’une armée renforcée et reformée au sein de l’UPC confortait les « maquisards » sur l’idée d’une prochaine indépendance achevée[6]. Dans la recherche des issues pour acquérir cette indépendance par voie armée, le Moungo se dressait comme zone stratégique relativement au modus operandi de la milice de l’UPC. Les questions qui découlent de ce constat sont les suivantes : quelles sont les raisons ayant contribué au choix du département du Moungo comme lieu vital à l’essor du maquis au Cameroun ? Quel est l’apport du Moungo à la réussite du maquis camerounais ? Répondre à ces interrogations revient à analyser géographiquement le Moungo comme localité-carrefour située entre la zone francophone et anglophone ; relais tactique entre One Kamerun (OK) de Wilson Ndeh Ntumazah[7] et l’UPC, mais aussi entre les pays Bassa et Bamiléké via le chemin de fer Eséka-Bonaberi-Mbanga-Nkongsamba et Mbanga-Kumba. L’emplacement à cheval entre les flancs des différents massifs montagneux constitués de collines et de forêts justifie le choix du Moungo comme contrée favorable à la clandestinité de l’UPC jusqu’à l’arrestation d’Ernest Ouandié l’un des pionniers de l’ALNK à Mbanga dans le Moungo en 1971.