Par Karine Hébert et Julien Goyette, professeurs.es d’histoire à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR)
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L’histoire des associations étudiantes est celle d’une longue lutte pour la reconnaissance. L’identité des étudiants, la légitimité de leurs associations, leur voix dans le concert démocratique sont toutes des conquêtes du 20e siècle. Le présent mouvement de grève qui agite le monde collégial et universitaire québécois s’inscrit dans ce temps long des revendications étudiantes. Cependant, compte tenu de la position de fermeture actuelle du Gouvernement du Québec, du premier ministre et de la ministre de l’Éducation, on peut craindre un inquiétant recul dans la reconnaissance sociale dont jouissent les étudiants, et plus largement les groupes sociaux, au sein de la société québécoise.
Dès la fin du 19e siècle, les étudiants des universités québécoises se regroupent au sein d’associations, se dotent de journaux étudiants afin de mieux diffuser leurs idées. Autour des maisons étudiantes, des students clubs, des associations générales et des revues étudiantes, avec des symboles carabins comme le béret et la canne, se développe un esprit étudiant qui permet une éventuelle affirmation identitaire. La reconnaissance de ces associations et de leur rôle de porte-parole démocratique auprès des administrations universitaires et sur la scène publique se fait lentement, et non sans heurts.
Jusqu’au creux de la Crise des années trente et, surtout, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les étudiants universitaires, en très grande majorité de jeunes hommes, sont perçus et se perçoivent eux-mêmes comme l’« élite de demain ». À ce titre, le point de vue des étudiants n’a de valeur que par la place privilégiée que ceux-ci sont destinés à occuper dans la société après leur formation. Recteurs, principals et professeurs se font d’ailleurs un devoir de rappeler aux étudiants les responsabilités inhérentes à leur statut d’avant-garde de la jeunesse : «Vous êtes, messieurs, l’élite et l’espoir de la nation de demain. Cette pensée est au fond des sentiments de respect et d’affectueux dévouement avec lesquels nous vous recevons. Nous avons confiance que, de votre côté, vous ne l’oublierez point.» (Le recteur, Mgr Piette, «Bienvenue de Monseigneur le Recteur aux étudiants», Université de Montréal, Quartier latin, 5 octobre 1932)
Mais, bientôt, les étudiants ne se satisfont plus de cette identité différée. Précipités dans le monde trouble de la crise et de la guerre, défiant à différents degrés l’autorité des adultes, ils façonnent des conceptions novatrices d’eux-mêmes. S’appropriant la définition de la jeunesse, ils changent plusieurs fois de peau, expérimentent de nouveaux rôles sociaux. Ils se présentent comme génération, groupe social, classe sociale, groupe de pression, jeunes travailleurs intellectuels, etc.
Si elle s’organise autour de la défense des intérêts des étudiants, cette affirmation identitaire des étudiants ne s’accomplit pas dans un enfermement corporatif, mais bien au contraire à travers une ouverture sur la société québécoise et le monde. Qu’ils interviennent dans les débats entourant la question nationale ou les conflits internationaux, qu’ils prennent position à propos d’idéologies comme le libéralisme, le personnalisme, le féminisme et le socialisme, ou encore qu’ils militent pour une démocratisation de l’éducation, les étudiants universitaires sont préoccupés par le monde qui les entoure et désirent désormais être entendus ici et maintenant. Sous Duplessis, la crise du financement des universités – une autre ! –, permet même une scène rare : les étudiants de McGill et de l’Université de Montréal s’unissent pour le temps de la grève générale de 1958. Par la suite, l’agitation de «Mai 68», le mouvement McGill français, la grève de 2005 contre la hausse des frais de scolarité et la diminution des bourses au profit des prêts étudiants constituent autant de démonstrations de la volonté des étudiants et, de plus en plus, des étudiantes de participer au débat public et de se faire reconnaître comme une force sociale agissante et responsable.
Ces jours-ci, à l’instar du discours de plusieurs groupes sociaux comme les femmes et les travailleurs, la parole étudiante se perd dans le bruit de l’individualisme et de l’économisme ambiants. Ils sont nombreux et nombreuses pourtant, dans les rues, sur la colline parlementaire, dans les médias, à nous répéter que l’éducation ne doit pas servir uniquement à produire des carrières individuelles mais aussi, et surtout, à construire une société, à affirmer que l’éducation est une richesse qui se mesure autrement qu’en dollars constants et qui doit permettre à chacun de participer à la société à la hauteur de ses compétences et de ses aspirations. L’attitude de nombreuses administrations universitaires et du Gouvernement du Québec, qui nient la légitimité de la démocratie étudiante et refusent toute négociation, trahit un retour en force du paternalisme et de l’élitisme. À la fin, si le dialogue de sourds se poursuit, les universités québécoises se seront peut-être enrichies de quelques poignées de dollars, mais la démocratie québécoise, elle, en sortira assurément appauvrie. La parole étudiante est une victoire historique et l’un des derniers refuges de la pensée collective au Québec. La moindre des choses, ce serait qu’on la respecte, qu’on l’écoute et qu’on la prenne en compte.
Vincent Labrecque
Bonjour,
Malgré mon carré vert, je suis totalement en accord avec ce passage : «l’éducation ne doit pas servir uniquement à produire des carrières individuelles mais aussi, et surtout, à construire une société, à affirmer que l’éducation est une richesse qui se mesure autrement qu’en dollars constants.»
Mais quelqu’un pourrait-il le reformuler, car je saisis mal le dernier bout qui parle de mesurer en dollars constants cette richesse qu’est l’Éducation. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire?
Par ailleurs, j’ai lu votre article car je suis très impliqué et j’y ai lu un truc qui m’a fait réagir.
Je trouve troublant le fonctionnement actuel des assemblées générales et de tout le processus de vote de grève. Je m’explique et j’aimerais avoir l’opinion de gens d’allégance rouge. Ne trouvez-vous pas partial, inéquitable, voire antidémocratique que les associations étudiantes, qui sont toutes d’allégance rouge, soient les organismes mandattés à organiser, orchestrer toute la machine entourant le vote de grève? C’est comme si le gouvernement libéral occupait les fonctions du Directeur général des élections. Ils ont créé un organisme indépendant pour être neutre, impartial et équitable dans l’organisation des élections, la démocratie c’est aussi ça!
C’est ce gros morceau qui est à l’origine de ma rancune envers ma propre association étudiante. C’est justement les rouges qui crient à l’appauvrissement de la démocratie, alors que les verts, qui ont des personnalités moins colorées, se font arranger ça et sont les grands perdants de cette lacune démocratique.
Aussi, petite parenthèse concernant le dialogue de sourds. N’est-ce pas Gabriel Nadeau qui s’est pointé à une rencontre avec la ministre pour dire qu’il refuse toute augmentation, et ce juste avant de se pousser sans écouter ni même, horreur, dialoguer!
Gabriel
Pour Mr Labrecque :
Au niveau de la gestion des assemblées générales, je suis conscient du doute que cela peut engendrer car vous dites que les asso étudiantes sont toutes « rouges ». Il est normal que chaque individu ait un point de vu. Par contre, si je me fis à l’asso de l’université que je fréquente, le positionnement de celle-ci face à la hausse a été voté en assemblée générale (à l’automne). Il a été voté « contre la hausse ». Il est normal que l’asso représente le vote. Si l’inverse avait été voté, alors, à contre-coeur possiblement, l’asso aurait en effet été « verte ». Lors des assemblées de vote de grève, notre asso a essayé d’organiser des panels d’information avant l’AG. Elle a dû l’annuler faute de trouver seulement des gens contre la hausse et la panel aurait donc été « biaisé ». Lors de la dernière AG de reconduction de grève, notre asso a placé un plénière de 30 minutes ouverte à tous pour donner leur point de vue. La majorité des gens qui se sont présentés au micro ont été en effet, des carrés rouges. N’empêche, la place pour les verts est ouverte. Un avocat a aussi été engagé pour présider la dernière assemblée car certains étudiants disaient que les AG n’étaient pas correctes. Cette semaine, sans faire d’AG, notre asso a organisé une rencontre ouverte d’information pour faire le point pour tout le monde. De plus, le vote de GGI implique que les étudiants ont quand même accès aux labos, à leurs stages (et cours de stage) , que les campus satellites (qui ne pouvaient se déplacer pour venir au vote de l’AG) ne soient pas touchés par la GGI et que les équipes sportives ne soient pas touchées. Bref, la seule chose qui n’a pas lieu, ce sont les cours, les profs continuemt de nous envoyer des updates via internet sur la matière et ils sont dispo pour les questions. Je crois que le maximum a été fait par notre asso pour ceux contre la grève…
Vincent Labrecque
Pour Gabriel,
Votre Asso peut donc se targuer d’être plus partialle que la nôtre. On est loin de faire venir un avocat à l’école! Je n’était pas au courant de votes de positionnement. En quoi est-il nécessaire que l’Asso se positionne? Cela n’introduit-il pas un biais justement? Dans un souci de démocratie ultime, ce devrait être organisé par des organismes indépendants, des notaires, voire des arbitres (pas ceux du hockey).
Par ailleurs, concernant les panels d’information, ils ont pris l’habitude de nous présenter un «état de la situation» de 10 minutes. Ils utilisent ce temps pour argumenter en faveur de la grève… Ahurissant! Ça donne un 3 heures de monolgue (ou presque). De tout cela résulte un ras-le-bol des verts de venir voter, ce pourquoi je crie à l’antidémocratie. Je sais qu’il n’en incombe qu’à nous de bouger, s’unifier et se battre, mais comme je l’écrivais, les verts sont le contraire des révolutionnaires. En tout cas, merci de ton éclairage Gabriel (Nadeau-Dubois?). Je vais vite aller montrer ce blog à nos rouges machiavéliques, leur donner une p’tite leçon de démocratie!