Par Gilbert Nuwagira
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Voici le cinquième texte d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.
En grandissant dans le sud-ouest de l’Ouganda, j’entendais parfois des histoires racontées à voix basse sur ce que la rivière Kagera avait apporté en 1994 et sur l’insurrection de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) dans le nord du pays. Ces dernières nous étaient transmises par des personnes qui n’étaient pas allées dans cette région de l’Ouganda. Au début des années 2000, les programmes d’études étaient muets sur les conflits qui persistaient au nord. Bien que nous étudions l’histoire des rébellions ayant conduit à l’indépendance de l’Afrique de l’Est, je constate avec le recul qu’il y avait un silence marqué sur la manière dont les vestiges de ces conflits étaient gérés. Le jeune homme que j’étais ignorait donc les multiples violations flagrantes des droits de la personne qui se produisaient dans son pays et en était tenu à l’écart.
Il va sans dire que les histoires doivent être racontées. Elles brisent les chaînes de l’ignorance et font tomber les barrières à mesure que les gens acquièrent une compréhension plus nuancée de leur passé et de la façon dont il façonne activement leur avenir. Les histoires non racontées sont comparables aux ulcères qui se nourrissent du tissu social bien que les « armes se soient tues ». L’incapacité à créer des espaces pour partager des histoires tues jusqu’à présent n’est pas sans effet. En plus de favoriser une forme active de silence, cette omerta peut devenir un terreau fertile pour de futurs conflits. Un autre effet réside dans le fait que les perturbations générées par les conflits demeurent à leur tour inconnues, ce qui démontre aussi la nécessité de raconter des histoires. Les communautés doivent prendre conscience de leur passé commun et de leurs différentes expériences sans pour autant nier les récits des autres. Raconter des histoires est une façon d’ouvrir l’espace à des personnes qui ont vécu des périodes tumultueuses et de reconnaître des parcours divers dont les trajectoires sont souvent autrement effacées. Le fait de mettre en lumière les parties moins connues de notre histoire (qu’elles nous maudissent ou nous glorifient) est important pour toutes les générations, surtout lorsque ces connaissances peuvent aider à façonner des politiques, des lois, des pratiques et des cadres qui éviteraient de répéter les erreurs du passé.