Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Histoires à ressusciter : Quelques réflexions sur l’exposition et l’expérience Ododo Wa*

Par Gilbert Nuwagira

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Voici le cinquième texte d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.


En grandissant dans le sud-ouest de l’Ouganda, j’entendais parfois des histoires racontées à voix basse sur ce que la rivière Kagera avait apporté en 1994 et sur l’insurrection de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) dans le nord du pays. Ces dernières nous étaient transmises par des personnes qui n’étaient pas allées dans cette région de l’Ouganda. Au début des années 2000, les programmes d’études étaient muets sur les conflits qui persistaient au nord. Bien que nous étudions l’histoire  des rébellions ayant conduit à l’indépendance de l’Afrique de l’Est, je constate avec le recul qu’il y avait un silence marqué sur la manière dont les vestiges de ces conflits étaient gérés. Le jeune homme que j’étais ignorait donc les multiples violations flagrantes des droits de la personne qui se produisaient dans son pays et en était tenu à l’écart.

Il va sans dire que les histoires doivent être racontées. Elles brisent les chaînes de l’ignorance et font tomber les barrières à mesure que les gens acquièrent une compréhension plus nuancée de leur passé et de la façon dont il façonne activement leur avenir. Les histoires non racontées sont comparables aux ulcères qui se nourrissent du tissu social bien que les « armes se soient tues ». L’incapacité à créer des espaces pour partager des histoires tues jusqu’à présent n’est pas sans effet. En plus de favoriser une forme active de silence, cette omerta peut devenir un terreau fertile pour de futurs conflits. Un autre effet réside dans le fait que les perturbations générées par les conflits demeurent à leur tour inconnues, ce qui démontre aussi la nécessité de raconter des histoires. Les communautés doivent prendre conscience de leur passé commun et de leurs différentes expériences sans pour autant nier les récits des autres. Raconter des histoires est une façon d’ouvrir l’espace à des personnes qui ont vécu des périodes tumultueuses et de reconnaître des parcours divers dont les trajectoires sont souvent autrement effacées. Le fait de mettre en lumière les parties moins connues de notre histoire (qu’elles nous maudissent ou nous glorifient) est important pour toutes les générations, surtout lorsque ces connaissances peuvent aider à façonner des politiques, des lois, des pratiques et des cadres qui éviteraient de répéter les erreurs du passé. 

Raconter mon histoire avec des mots et des objets*

Par Grace Acan

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Voici le quatrième texte d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.


Quand je repense à la façon dont tout a commencé, je constate à quel point le dicton commun « un problème partagé est un problème à moitié résolu » est vrai. Partager une histoire comme la mienne n’est pas facile. Il faut du temps et du courage. Lorsque je me suis échappée de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) après huit ans de captivité, je ne pouvais pas le faire. Il m’a fallu des années et la parution d’un livre (A Lone Way Gone:Memoirs of a Boy Soldier), écrit par Ishmael Beah, pour que j’envisage cette possibilité.

En lisant l’histoire d’Ishmael Beah, je me suis mise à réfléchir aux avantages qu’il y a à partager son histoire. En tant qu’enfant soldat pendant la guerre civile en Sierra Leone, Ishmael Beah a traversé bien plus de difficultés que je ne l’avais imaginé. Il a affronté et fui de nombreux dangers sur la ligne de front des conflits armés. Quand j’ai comparé cela à ma propre expérience de la guerre en Ouganda, j’ai compris pourquoi on disait que j’étais une civile vivant parmi les soldats. Mon expérience de la captivité dans la LRA était similaire à celle de Beah, mais aussi très différente. J’ai réalisé que je devais partager ma propre histoire.

Partager, guérir, militer

Par Evelyn Amony

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Voici le troisième texte d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.


Une grande partie de ma vie a été marquée par des hauts et des bas, et je sais qu’elle continuera ainsi. À l’âge de 11 ans, presque 12, j’ai été enlevée par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) – un groupe de rebelles qui a combattu le gouvernement ougandais pendant plus de 20 ans. Avant mon enlèvement, je vivais avec mes parents et j’allais à l’école à Gulu, une petite ville du nord de l’Ouganda. J’ai été séparée de ma famille et retenue en captivité pendant plus de dix ans. Comme beaucoup d’autres personnes enlevées, j’ai été emmenée au Soudan du Sud où je vivais dans un camp de la LRA. Et, comme beaucoup d’autres filles, j’ai été forcée d’épouser un commandant et de mettre au monde des enfants.

J’ai échappé de justesse à la mort en 2005, lorsque j’ai été capturée avec mon nouveau-né dans une embuscade militaire par l’armée ougandaise. La jupe verte que je portais ce jour-là est exposée au Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) de Winnipeg, au Manitoba. On y voit les trous des balles qui ont effleuré mon corps lorsque j’ai levé les bras, en tenant mon bébé au-dessus de ma tête.

« Ododo Wa » : Recherche et communication de connaissances difficiles*

Par Annie Bunting, avec Patricia Trudel

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Voici le deuxième texte d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.


Nous considérons souvent la recherche universitaire comme un retour en arrière. Elle documente le passé et collecte des données sur des expériences vécues. En travaillant avec le Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP), notre partenariat financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) – Esclavage conjugal en temps de guerre : Partenariats pour l’étude de l’esclavage, du mariage et des masculinités (ECtG) – a pu diffuser ses recherches de façons créatives. Mobiliser cette recherche et ces expériences vécues en tant qu’« histoire active » est une démarche orientée vers l’avenir. Elle permet de donner vie aux données et de rejoindre des publics nouveaux et variés.

L’exposition temporaire Ododo Wa : Filles en temps de guerre, conçue par Isabelle Masson du MCDP, et la version itinérante de l’exposition sont ancrées dans les expériences de Grace Acan et d’Evelyn Amony, qui ont toutes les deux survécu à leur enlèvement par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) en Ouganda dans les années 1990. Elles sont aujourd’hui chercheuses et militantes dans le nord de l’Ouganda et ont collaboré étroitement au projet ECtG et avec le MCDP sur Ododo Wa. L’exposition donne vie à leur expérience en captivité et d’unions conjugales forcées d’une manière qui informe le public et transforme sa compréhension de la situation des femmes en temps de guerre. Le développement efficace d’une exposition de cette nature nécessite des choix judicieux en matière d’orientation, de récits, d’objets, d’images et de films; il est également essentiel d’établir des relations de confiance significatives entre toutes les parties concernées et de planifier des méthodes de communication nuancées dans différents lieux.

Concevoir Ododo Wa/Nos histoires*

Par Isabelle Masson

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Cette semaine, nous entamons la publication d’une série de cinq articles portant sur l’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre, présentée au Musée canadien pour les droits de la personne jusqu’en novembre 2020. Le présent texte en est l’introduction. Cette série a également été publiée en anglais sur ActiveHistory.ca. Vous trouverez les autres textes de la série ici.

L’équipe d’HistoireEngagée.ca est heureuse de partager avec ses lectrices et ses lecteurs ces textes d’Isabelle Masson, d’Annie Bunting et de Patricia Trudel, de Grace Acan, d’Evelyn Amony et de Gilbert Nuwagira. Allant d’importants témoignages de femmes ayant vécus des expériences de guerre à des réflexions sur l’élaboration de l’exposition et ses pérégrinations, en passant par les enjeux de la recherche, ces textes nous mènent au cœur d’une expérience muséale unique et d’un pan important de l’histoire des droits de la personne. Nous espérons que vous serez inspiré.e.s par ces récits et intéressé.e.s par cette proposition muséale importante. Bonne lecture!

L’exposition Ododo Wa : Filles en temps de guerre a été inaugurée au Musée canadien pour les droits de la personne (MCDP) le 23 octobre 2019. Située au cœur d’une galerie appelée « Les droits aujourd’hui  », l’exposition combine des images, des objets et des films présentant les histoires de Grace Acan et d’Evelyn Amony. Les deux femmes ont toutes deux été enlevées par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), dans le nord de l’Ouganda, et contraintes à l’esclavage conjugal pendant leurs années de captivité.

Mon approche conceptuelle cherche à amplifier la voix des femmes et à mettre en valeur leur action en se concentrant sur leurs expériences avant, pendant et après le conflit armé. Le processus d’élaboration de l’exposition, qui s’est étendu sur trois ans, a été marqué par une volonté résolue de (dé)faire les représentations culturelles des expériences des filles et des femmes en temps de guerre. Les décisions relatives à la conservation ont été prises en étroite collaboration avec Grace Acan et Evelyn Amony ainsi qu’avec notre partenaire d’exposition, le projet Esclavage conjugal en temps de guerre : Partenariats pour l’étude de l’esclavage, du mariage et des masculinités (ECtG). Le projet de recherche ECtG, financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), est un partenariat international entre organisations qui travaillent avec des communautés touchées par la guerre sur la question de la violence sexuelle. Il est dirigé par la professeure Annie Bunting, de l’Université York, et coordonné par Véronique Bourget.

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