Lettre de Pierre Cloutier à ses collègues archéologues de Parcs Canada

Publié le 12 mai 2012
Pierre Cloutier

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Cloutier, P. (2012). Lettre de Pierre Cloutier à ses collègues archéologues de Parcs Canada. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=1828

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Cloutier Pierre. "Lettre de Pierre Cloutier à ses collègues archéologues de Parcs Canada." Histoire Engagée, 2012. https://histoireengagee.ca/?p=1828.

Par Pierre Cloutier, archéologue à Parcs Canada[1]

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Lévis, le 10 mai 2012

Chères et chers collègues du domaine de l’archéologie québécoise,

Je suis en deuil !

Forges St-Maurice

Lundi le 30 avril dernier, les employées et employés du Centre de services du Québec de l’Agence Parcs Canada apprenaient les conséquences des décisions budgétaires du gouvernement fédéral sur leur emploi. À cette occasion, plus de 60pour cent  de ces personnes ont vu leur situation professionnelle changer : six personnes apprenaient une future réinstallation dans la région d’Ottawa, treize personnes voyaient leur demande de départ volontaire acceptée et trente-deux autres ont été placées dans une situation d’employé excédentaire sans offre d’emploi raisonnable. Je suis le seul employé des Services archéologiques de Parcs Canada à Québec à s’être vu confirmé dans son poste actuel et à Québec.

Je vous écris aujourd’hui, tel que le permettent les règles du code d’éthique de l’Agence Parcs Canada, pour vous faire part d’un certain nombre de faits du domaine public et pour vous livrer quelques émotions qui m’animent.

Des faits plus anciens

À ma naissance, en 1960, le gouvernement fédéral ne comptait aucun archéologue au Québec. Dans les années qui suivirent, des archéologues étrangers sont venus former, dans le cadre de vastes chantiers de fouilles à l’île aux Noix (LHN du Fort-Lennox) et à Coteau-du-Lac, une première cohorte d’archéologues canadiens ; peu de Québécois ont alors maintenu leur orientation professionnelle dans ce domaine. La décennie suivante, à l’occasion du développement du réseau de Parcs Canada au Québec – création de parcs nationaux, mise en valeur des lieux historiques nationaux – quelques dizaines d’archéologues québécois ont créé un noyau professionnel qui a marqué profondément la pratique de l’archéologie historique (euro-québécoise) au Québec. Les fouilles aux forges du Saint-Maurice, aux fortifications de Québec, au fort Témiscamingue, au fort Chambly, pour ne nommer que les principales, ont permis de développer une pratique professionnelle qui a fait école. La fouille stratigraphique accompagnée d’une méthodologie de prise de notes et de relevés de terrain systématisés et standardisés, une gestion des collections jointe à la réalisation d’inventaires exhaustifs des collections mises au jour, la mise à la disponibilité des chercheurs de collections de référence, la création de laboratoires de restauration spécialisée en archéologie, la formation d’équipes de recherche en culture matérielle, de dessinateurs et de photographes professionnels caractérisaient alors les composantes des services professionnels reliés directement à l’archéologie. Ces services furent regroupés dans un même lieu qui fut finalement celui de la gare maritime Champlain à Québec.

Au début des années 1980, des réductions d’effectifs, exigées par le gouvernement fédéral, ont eu pour conséquence le départ d’un nombre important de ces chercheurs qui sont alors allés répandre la pratique professionnelle de l’archéologie dans de nouvelles sphères : dans le milieu universitaire pour certains, vers des administrations municipales pour d’autres, vers des musées et, finalement, dans le domaine de la pratique privée. L’organisation des services archéologiques de Parcs Canada au Québec est alors restée la même, malgré une diminution importante des effectifs. Pendant ce temps, d’autres interventions archéologiques importantes étaient encore réalisées par Parcs Canada au Québec : aux fortifications de Québec, sous la terrasse Dufferin, aux forges du Saint-Maurice et, avec d’autres partenaires du gouvernement fédéral, à la citadelle de Québec et au fort Saint-Jean.

À la décennie suivante, les années 1990, une nouvelle phase de réductions budgétaires, puis de départs volontaires sans remplacement d’effectifs, ont eu pour effet de voir disparaître le service de recherche en culture matérielle puis la réduction, à un seul individu, des effectifs de photographes et de dessinateurs. Pourtant, des fouilles importantes ont eu lieu pendant cette décennie à la tenaille des Nouvelles-casernes, d’autres, plus modestes, à la Grosse-île, au fort Témiscamingue, au fort Lennox, au manoir Papineau, à Forillon, à l’île Nue de Mingan, aux fortifications de Québec et ailleurs. De nouveaux lieux historiques étaient encore en développement, dont le canal de Lachine. Sur ce dernier lieu historique, pour la première fois dans sa pratique de gestion de l’archéologie historique au Québec, Parcs Canada a fait appel systématiquement à l’entreprise privée pour réaliser les interventions sur le terrain. Parallèlement, le développement du réseau commémoratif du gouvernement fédéral pour mieux rendre compte de l’apport des femmes, des communautés culturelles et des nations autochtones à l’histoire du pays, a eu pour conséquence l’octroi de certains mandats de recherches en archéologie paléohistorique (préhistorique) à des consultants. Parcs Canada continuait aussi à offrir son expertise professionnelle à d’autres ministères fédéraux permettant, entre autres, la découverte et la fouille de la « ferme de Champlain » au cap Tourmente.

Dans la première décennie des années 2000, de nouveaux départs à la retraite et des changements de postes pour quelques employés ont eu pour conséquences de voir s’éteindre définitivement le service de photographie, puis, vers la fin de la décennie, de voir aussi s’envoler le poste de chef des Services archéologiques. Cette dernière situation s’est produite après le départ à la retraite des derniers archéologues de la génération des années 1970, cédant ainsi le rôle principal à ceux et celles qui les accompagnaient, en situation de précarité d’emploi, depuis les années 1980 et 1990. Ces employés de la « relève » réalisèrent, avec l’aide d’autres archéologues engagés à titre temporaire dans les années 2000, les imposantes fouilles du château Saint-Louis et de son périmètre immédiat, et la découverte, puis la fouille du fort Sainte-Thérèse, en plus de continuer à offrir le service d’archéologie aux lieux historiques et parcs nationaux et à collaborer avec le Ministère de la Défense à la citadelle de Québec et au fort Saint-Jean.

Les outils de gestion de la pratique archéologique à Parcs Canada se sont beaucoup raffinés pendant ces cinq décennies. Certes, aucune loi fédérale n’encadre spécifiquement la pratique de l’archéologie sur les terres fédérales, mais des lignes directrices précises et une politique de gestion des ressources culturelles offrent des outils non seulement pour protéger la ressource archéologique, mais aussi pour la documenter et la faire connaître au public. Les gestionnaires en place ont toujours la responsabilité de les utiliser.

Des faits plus récents

Depuis environ cinq ans, on savait que tous les services de la gestion du patrimoine culturel du Centre de services du Québec regroupés à la gare maritime Champlain devaient être relocalisés dans un nouveau bâtiment, à Québec. De nombreuses ressources humaines ont été mises à contribution pour réaliser ce futur déménagement. Or, à l’été 2010, l’Agence Parcs Canada prenait la décision d’arrêter le processus d’appel d’offres pour la construction du nouvel édifice devant loger les collections et les employés localisés à la gare maritime Champlain. Une décision temporaire fut prise, en attente d’une décision plus définitive : les employées des services archéologiques, sauf une, les conservatrices de collection et l’adjointe administrative furent relocalisées au 3 passage du Chien-d’Or ; les restaurateurs, grâce à une entente avec le gouvernement du Québec, ont été accueillis au Centre de conservation du Québec ; les collections ethnologiques et archéologiques ont été déménagées, avec les employés de la gestion des collections, une archéologue et une équipe d’employés temporaires travaillant à l’examen des collections, dans un entrepôt loué dans un parc industriel. Ces actions ont été finalisées en décembre 2011.

Au début du mois de mars 2012, tous les employés temporaires du Service du patrimoine culturel, dont deux archéologues et trois employés travaillant à l’examen des collections, ont appris que leurs contrats ne seraient pas renouvelés au-delà du 30 mars suivant. Ces cinq personnes travaillaient de façon continue depuis, en moyenne, sept ans. Une autre employée, provenant d’un autre service, qui travaillait à l’examen des collections, fut alors retournée à son poste d’attache.

Finalement, le 30 avril dernier, tous les employés de l’Agence Parcs Canada dont l’engagement est à durée indéterminée ont appris la nouvelle concernant leur avenir professionnel découlant des décisions budgétaires gouvernementales. Les employés du service du patrimoine culturel ont alors été individuellement informés que les collections ethnologiques et archéologiques seraient déménagées dans la région d’Ottawa à une date non encore précisée. De l’équipe de la gestion des collections, le seul employé qui restera en service s’est vu indiquer que son poste était touché et qu’il fera l’objet d’une réinstallation dans la région d’Ottawa. Même situation pour les trois restaurateurs maintenus en poste, dont un seul, spécialisé dans la restauration du métal, travaille sur les collections archéologiques. Tous les autres employés de ces deux services ont soit été acceptés pour un départ volontaire soit été placés en situation d’employé excédentaire sans aucune offre d’emploi raisonnable.

Enfin, mes collègues immédiats, un archéologue chargé de projet, une archéologue spécialisée en culture matérielle, un dessinateur responsable des relevés de terrain et un spécialiste du patrimoine autochtone, ont été placés en situation d’employé excédentaire sans aucune offre d’emploi raisonnable. Je suis donc le seul employé, parmi ceux et celles qui il y a à peine un an travaillaient à la Gare Maritime Champlain, et qui formaient encore le 30 mars dernier, avant le départ des employés temporaire, un groupe de vingt-sept personnes, à avoir conservé son poste à Québec !

Des émotions

Certains des lieux historiques gérés par Parcs Canada au Québec sont essentiellement constitués de ressources culturelles découvertes grâce à l’archéologie : le fort Témiscamingue, le canal fortifié de Coteau-du-Lac, le site des Forts-et-châteaux-Saint-Louis, les forges du Saint-Maurice. D’autres ont des composantes archéologiques majeures connues et parfois mises en valeur : les parcs nationaux de la Mauricie et de Forillon, la réserve de parc des îles de Mingan, l’aire marine de conservation du Saguenay-Saint-Laurent, le fort Lennox, le fort Chambly, les fortifications de Québec, la Grosse-île-et-le-Mémorial-des-Irlandais, les canaux historiques. Tous ces sites sont, pour ainsi dire, aujourd’hui pratiquement orphelins de l’expertise archéologique qui les a fait connaître au public. Plus encore, dans un avenir rapproché, certains des lieux historiques nationaux de Parcs Canada au Québec, dont la composante principale est archéologique, ne feront plus l’objet d’une interprétation personnalisée : ces sites offriront, dans l’avenir, des « offres d’interprétation non personnelles ». Ce sera, entre autres, le cas aux forges du Saint-Maurice où les vestiges du passé n’auront plus maintenant que des « vestiges d’interprétation » pour être expliqués au public.

Tous les services professionnels reliés à l’archéologie terrestre au Québec, pour Parcs Canada, sont réduits à un effectif unitaire : un archéologue à Québec, un employé en gestion de collection réinstallé avec la collection d’artefacts dans la région d’Ottawa, un restaurateur du métal également réinstallé dans la région d’Ottawa. Et rien d’autre au Québec ! De cette organisation professionnelle qui a fait école dans le domaine de l’archéologie historique québécoise il ne reste que cela.

J’ai peine à écrire ces mots. Je pense à ces personnes qui ont créé, ce qui hier encore, faisait l’orgueil de notre équipe de travail. Je pense à ceux et celles qui ont porté le flambeau d’une passion appréciée du public. Je pense, sans les nommer, à ceux et celles qui viennent d’être mis à pied, à la fin mars, malgré sept ans de services continus tant appréciés. Que c’est triste. Et que dire à ceux et celles qui, il y a une semaine encore, représentaient l’expertise professionnelle des services archéologiques et des services reliés ? Je suis triste, mais triste, de vous voir partir. Et je ne parle pas ici de ces personnes qui, pour garder leur emploi, devront déménager dans la région d’Ottawa. Oui, je suis en deuil et encore incapable de pleurer, trop pris par la colère.

Au moment d’écrire cette lettre, je n’ai aucune idée des fonctions qui me seront demandées pour la suite des choses. Cependant, pour moi, les données archéologiques acquises, qui sont du domaine public, sont précieuses. Les ressources connues, vestiges et collections, doivent continuer à être protégées et accessibles. La connaissance archivée, dont nos rapports, doit continuer à être disponible pour tous. Au-delà, je n’ai aucune prétention que ce soit quant à l’acquisition future de nouvelles données : je serai seul !

Quand j’ai choisi l’archéologie, après quelques années passées dans l’enseignement de l’histoire, c’était parce que ce métier m’offrait l’opportunité d’explorer le passé en associant travail manuel et travail intellectuel, travail à l’extérieur et travail à l’intérieur, et surtout, travail d’analyse personnelle et travail d’équipe si essentiel. Le faire à Parcs Canada, c’était l’endroit idéal qui regroupait sous un même toit l’ensemble des fonctions reliées à l’archéologie.

Mes collègues historiens, en mise en valeur, en planification des aires patrimoniales et en sciences sociales, tous très fortement touchés par les présentes coupures d’effectifs, ont collaboré pendant tout ce temps à me faire apprécier mon métier. J’ai eu la chance, pendant ces années, non seulement de voir une continuité dans les projets sur lesquels j’ai travaillé, mais aussi d’en voir la diffusion au public, grâce à des équipes d’interprétation hors pair présentes sur les sites. Pour moi, cette étape, la dernière du processus archéologique, est la plus importante puisque ce sont les contribuables qui financent Parcs Canada. Toutes ces raisons qui m’ont tant fait apprécier mon métier ne seront plus présentes pour moi désormais.

Lundi le 30 avril dernier, lorsque j’ai appris que je n’étais pas touché par les coupures, mon émotion s’est concentrée d’abord sur ma famille qui était épargnée. C’est ce qui comptait le plus pour moi, bien égoïstement.

Depuis, cependant, la douleur est présente. Cette douleur qui me vient de ce que vivent tous mes collègues, particulièrement ceux de l’ancienne gare maritime Champlain que j’ai côtoyés pendant plus de vingt ans. Dans quelques jours, les archéologues du Québec se donnent rendez-vous, avec leurs homologues canadiens, à Montréal, dans le cadre d’un colloque annuel. Je serai absent à ce rendez-vous pour des raisons personnelles. Des professionnels d’une grande compétence, certains déjà « libérés » depuis un mois, d’autres bientôt laissés de côté par Parcs Canada, devront se repositionner dans le marché de l’archéologie québécoise. Je souhaite qu’ils puissent tous continuer à contribuer au milieu professionnel de l’archéologie québécoise.

Alors qu’habituellement sur le chantier archéologique l’équipe travaille fébrilement à l’approche de la fin de fouille, cette fois je serai seul au moment de toucher le sol stérile.


[1] L’auteur se prononce ici à titre personnel.