RECENSIONS DEMANDÉES
Cette page présente une sélection d’ouvrages que nous aimerions voir recensés dans Histoire Engagée. En mettant de l’avant ces titres, nous souhaitons susciter l’intérêt de contributeur·rice·s prêt·e·s à en proposer une lecture critique. Bien qu’ils s’inscrivent dans des thématiques en lien avec notre ligne éditoriale, cette liste demeure ouverte : nous accueillons avec intérêt toute proposition de recension portant sur d’autres ouvrages.
N’hésitez pas à nous écrire à : contribution@histoireengagee.ca

Mélissa Blais, L’attentat antiféministe de Polytechnique. Une mémoire collective en transformation, édition revue et augmentée, éditions du remue-ménage, 2024.
D’abord paru en 2009 sous le titre « J’haïs les féministes ! », ce livre offre un panorama inédit des interprétations antagonistes de la tuerie survenue le 6 décembre 1989 à l’École Polytechnique de Montréal, durant laquelle 14 jeunes femmes ont été assassinées parce qu’elles étaient des femmes. Il présente aussi les analyses féministes élaborées au fil du temps, et les controverses qu’elles ont suscitées. Dans cette édition revue, augmentée et coiffée d’un nouveau titre, Mélissa Blais prend acte du chemin parcouru.
À travers un examen minutieux des discours médiatiques, des commémorations et d’œuvres culturelles, dont le film Polytechnique et la pièce Projet Polytechnique, et grâce à des décennies de recherche et de militantisme, elle constate une lente transformation de la mémoire collective. Or, la menace d’un ressac antiféministe n’est jamais loin : la dimension politique du geste du tueur serait-elle, encore aujourd’hui, éludée ?

Crystal Gail Fraser, By Strength, We Are Still Here, University of Manitoba Press, 2024
Dans cet ouvrage, Crystal Gail Fraser s’appuie sur les concepts Dinjii Zhuh (Gwich’in) de force individuelle et collective pour éclairer l’expérience des élèves dans les pensionnats du Nord, dévoilant les nombreuses façons dont les communautés autochtones ont résisté à l’institutionnalisation de leurs enfants.

Seloua Luste Boulbina, Malaise dans la décolonisation – Terres éparses et îles noires, Les presses du réel, 2025
Un essai qui approfondit intellectuellement les sillons historiquement tracés des aberrations coloniales, croisant la science politique, la philosophie, l’anthropologie et la psychanalyse.
Les aberrations coloniales ne se sont pas évaporées. Leurs empreintes et leurs recompositions s’observent, aujourd’hui encore, un peu partout dans le monde. Leurs conséquences sont patentes. Au Nord et au Sud. L’existence sociale des Kanak de Nouvelle-Calédonie s’est-elle véritablement et profondément améliorée ? Qu’est-ce qui, en Haïti, hante encore ses citoyens ?De telles questions, et bien d’autres, s’inscrivent ici à l’intérieur d’une réflexion autour de quelques notions contemporaines : colonialité, décolonisation, restitution, collection, race, réparation. Ces concepts éclairent les enjeux personnels et collectifs de celles et ceux qui, actuellement, vivent la dépossession et la déprivation. En invaincus. Malaise dans la décolonisation explore la pluralité de ces expériences et les changements qu’elles appellent.

Elara Bertho, Un couple panafricain. Miriam Makeba et Stokely Carmichael en Guinée, Rot-bo-krik, 2025.
En 1968, Miriam Makeba et Stokely Carmichael quittent les États-Unis pour s’installer à Conakry, capitale de la Guinée socialiste. Réfugiés politiques en exil, la chanteuse sud-africaine mondialement connue et le militant révolutionnaire noir décident de se mettre au service du régime de Sékou Touré et de son ambitieux programme de décolonisation des esprits.
En suivant ce couple iconique de la lutte antiraciste dans ses pérégrinations transatlantiques, ce livre replace Conakry dans une cartographie mondiale et une histoire globale des luttes de libération. Dans cette capitale africaine, radicalités noires, combat anti-impérialiste, décolonisation des savoirs et idéal panafricain furent adossés à une politique culturelle ayant pour aspiration de rayonner depuis l’Afrique vers le reste du monde.

Saidiya Hartman À perte de mère. Sur les routes atlantiques de l’esclavage, trad. Émilie Notéris, Éditions de la rue Dorion, 2024
« L’origine de mon désespoir remontait-elle à la première génération arrachée à son pays ? Était-ce la raison pour laquelle je pouvais parfois ressentir une telle lassitude vis-à-vis des États-Unis, comme si j’avais moi aussi débarqué en Caroline du Sud en 1525 ou à Jamestown en 1619 ? S’agissait-il de la pression exercée par toutes les mères perdues ou bien de celle des enfants devenu·es orphelin·es ? »
Dans cet essai historique dont l’écriture emprunte à la recherche d’archives, à l’analyse, au journal, à la poésie et à l’autobiographie, Saidiya Hartman, confrontée aux trajectoires de déportation d’une rive à l’autre de l’Atlantique et aux vies décimées et bouleversées par la traite esclavagiste, questionne le mode de formation des savoirs et les rapports de pouvoir en jeu dans la constitution de ce qui fait mémoire d’un passé. Comment fait-on l’expérience de l’histoire de l’esclavage ? Comment cette histoire se poursuit-elle ? Ce récit d’un voyage au Ghana par l’historienne suit les traces – matérielles, sociales, relationnelles – de la traite atlantique et de l’esclavage colonial : architectures, conflits, amitiés.
Le livre est publié dans une traduction de l’écrivaine et spécialiste de la diaspora noire africaine Maboula Soumahoro, également autrice d’une préface, et est accompagné de l’essai “Vénus en deux actes“ traduit par Émilie Notéris.
En Europe, cet ouvrage a paru aux éditions Brook.

Alexandre Dumas, La ligne de parti au Québec : de la Confédération à nos jours, Septentrion, 2025.
La ligne de parti, cette discipline voulant que tous les députés d’une même formation politique votent en bloc et ne contredisent pas les positions officielles du parti, est un fondement du système politique québécois. Particularité de la culture politique d’ici, elle est pourtant souvent remise en question. De nombreuses voix ont réclamé une plus grande liberté de parole pour la députation.
Comme toute tradition, la ligne de parti s’est établie et consolidée au fil des décennies. Du Parlement chaotique de 1867 où certains députés votaient plus souvent contre leur chef qu’avec lui, le Salon bleu a vu la discipline se développer progressivement jusqu’à devenir cette ligne qu’il est désormais impossible de franchir sans causer d’émoi. Comment et pourquoi cette tradition est-elle devenue ce qu’on connaît aujourd’hui?
Alexandre Dumas présente l’évolution de la ligne de parti au Québec, de la Confédération au premier gouvernement de François Legault (2018-2022). Aux recherches en archives s’ajoutent des entrevues exclusives avec une vingtaine de personnalités politiques, dont Jean Charest, Pauline Marois, Philippe Couillard, Jean-François Lisée et Gabriel Nadeau-Dubois.

Charles W. Mills, Le contrat racial, trad. Aly Ndiaye, Mémoire d’encrier, 2023
Publié originalement en 1997 aux États Unis, Le contrat racial est un livre monument traduit en français pour la première fois. Le philosophe Charles W. Mills expose les failles du contrat social, qui est avant tout un contrat racial. Ce contrat a façonné le système de domination européenne qui fait exister les Blancs en tant que personnes à part entière et les non-Blancs en tant que sous-personnes. Charles W. Mills place la justice raciale au centre de ses analyses. Réfutant l’idée du contrat social, Mills évoque plutôt le contrat racial où l’ordre racial crée les assises de nos sociétés, la reconduction des privilèges et la domination.

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel en collaboration avec Sean Carlton, Quand tombent les aiguilles de pin. Une histoire de résistance Autochtone, trad. Marie C Scholl-Dimanche, Éditions du Remue-Ménage, 2025
De nombreux ouvrages ont été écrits à propos du siège de Kanehsatà:ke et de Kahnawà:ke à l’été 1990, qu’on a appelé la « crise d’Oka ». Bien peu l’ont été depuis la perspective des Premiers Peuples, encore moins de celle d’une femme Autochtone. Quand tombent les aiguilles de pin répare enfin cette injustice, en offrant le récit tant espéré de Katsi’tsakwas Ellen Gabriel, porte-parole de la résistance lors des événements. Au fil d’une conversation avec l’historien Sean Carleton, elle revient sur les grands moments de son histoire en tant que féministe, leader de sa communauté et gardienne du territoire.

Dionne Brand, Cartographie de la Porte du non-retour. Carnets d’appartenance, trad. Marie Frankland, Lux, 2025
«La Porte du non-retour incarne cette fissure ce lieu d’où nos ancêtres ont quitté un monde pour un autre ; le Vieux Monde pour le Nouveau. L’endroit où tous les noms ont été oubliés, tous les commencements redistribués. En un sens désespéré, c’est à la fois le lieu de naissance de la diaspora noire dans le Nouveau Monde et la fin des commencements que l’on peut retracer. […] J’ai l’intention d’explorer ce lieu de naissance – la Porte du non-retour, un endroit vidé de tout commencement – en tant que lieu d’appartenance ou de désappartenance.»

Annette Joseph-Gabriel, Imaginer la libération. Des femmes noires face à l’empire, Rot-bo-krik, 2023.
Au milieu du XXe siècle, tandis que se joue la fin de l’empire colonial français, des penseuses et militantes noires s’engagent au coeur des grands mouvements de décolonisation. Encore bien trop méconnues, Suzanne Césaire, Paulette Nardal, Eugénie Éboué-Tell, Jane Vialle, Andrée Blouin, Aoua Kéita et Eslanda Robeson sont pourtant des protagonistes majeures de la contestation de la domination impériale et raciste. Explorant leurs écrits et archives, Annette Joseph-Gabriel raconte leur parcours et la diversité de leur positionnement. Toutes ont en commun d’imaginer de nouvelles identités, tant panafricaines que pancaribéennes, et permettent de construire une histoire complexe du féminisme noir.
Traduction de Jean-Baptiste Naudy

Laura Madokoro, Sanctuary in Pieces, McGill-Queen’s University Press, 2024
Au cours des deux dernières décennies, le mouvement Sanctuary City a amené des centaines de juridictions à se déclarer espaces sûrs pour les migrants sans papiers et les personnes sans statut. Bien que ces initiatives s’appuient parfois sur des précédents historiques, elles diffèrent profondément de la conception passée du refuge dans les sociétés de peuplement.
Pour analyser ces mutations, Sanctuary in Pieces retrace plus de deux siècles de protection et d’hospitalité à Montréal/Mooniyaang/Tiohtià:ke. Laura Madokoro suit les parcours de fugitifs de l’esclavage, de criminels recherchés, d’anarchistes renommés et d’opposants aux guerres, avant d’examiner les pratiques de sanctuaire public mises en place depuis les années 1970

Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine, avec une nouvelle préface de l’auteur, traduit de l’anglais par Paul Chemla, Éditions de la rue Dorion, 2024.
Dans ce livre majeur, Ilan Pappé, historien israélien de renom, revient sur la formation de l’État d’Israël : entre 1947 et 1949, plus de 400 villages palestiniens ont été délibérément détruits, des populations civiles ont été massacrées et près d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants ont été chassés de chez eux sous la menace des armes. Ce nettoyage ethnique, que l’on appelle aussi la Nakba ou la catastrophe, a été passé sous silence pendant plus de soixante ans et peine encore aujourd’hui à être considéré dans sa pleine mesure.
S’appuyant sur quantité d’archives, de journaux personnels et de témoignages directs, Ilan Pappé réfute indubitablement le mythe selon lequel la population palestinienne serait partie d’elle-même et démontre que, dès ses prémices, l’idéologie fondatrice d’Israël a œuvré pour l’expulsion forcée de la population autochtone.
Ce grand livre d’histoire est hélas aujourd’hui une lecture indispensable, brûlante d’actualité.
Note : ce titre, d’abord paru chez Fayard en 2008, a été retiré par l’éditeur de son catalogue en novembre 2023. Il reparaît aujourd’hui avec une nouvelle préface de l’auteur, simultanément aux Éditions de la rue Dorion (Montréal) et chez La Fabrique éditions (Paris).

Mohamad Amer Meziane, Des empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation, La Découverte, 2021
On appelle généralement » sécularisation » le phénomène qui aurait vu les sociétés occidentales sortir du règne de l’hétéronomie et entrer dans l’ère de l’histoire et de l’autonomie. Dès lors les humains, guidés par la Raison, auraient construit un monde libéré des croyances et des superstitions.
C’est une tout autre histoire que raconte ce livre, une histoire dans laquelle la proclamation d’un monde sans Dieu est le fruit d’une » impérialité » hantant l’Europe et ses colonies depuis l’échec de la réunification de l’Empire chrétien par Charles Quint – un monde impérial qui s’annonce, dès la fin du XVIIIe siècle, comme le seul ayant dépassé les religions et ainsi capable de les réconcilier. Mais cette affirmation n’est possible qu’au prix de la racialisation de l’islam et de sa réduction à un universalisme concurrent, insécularisable et irrémédiablement » fanatique « , ouvrant ainsi la voie à l’expansion européenne vers l’Afrique et l’Asie.
Outre la dimension raciale de la sécularisation, ce livre en met au jour une seconde, écologique celle-là. En l’absence d’un Royaume de l’au-delà, la Terre devient le seul monde » sacré « , et l’exploitation de ses sols et sous-sols la source unique de la légitimité de l’Empire. Aiguisée par les rivalités interimpériales (entre la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne), la ruée sur les biens terrestres s’est peu à peu muée en destruction de l’écosystème global. Ainsi pouvons-nous faire remonter la crise climatique à ce surgissement impérial-séculier et qualifier l’ère qu’il a ouverte de » Sécularocène « . C’est la critique du Ciel qui a bouleversé la Terre.