Soleil Atikamekw : pour un regard plus juste sur l’histoire et sa mise en récit
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Chevalier-Caron, C. (2024). Soleil Atikamekw : pour un regard plus juste sur l’histoire et sa mise en récit. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=12655Chicago
Chevalier-Caron Christine. "Soleil Atikamekw : pour un regard plus juste sur l’histoire et sa mise en récit." Histoire Engagée, 2024. https://histoireengagee.ca/?p=12655.Par Christine Chevalier-Caron,
Historienne, enseignante et chercheuse en inclusion sociale
La sortie récente du film Soleil Atikamekw, de la cinéaste Chloé Leriche, attire l’attention sur une tragédie qui a touché la communauté de Manawan en 1977. Cinq personnes avaient été retrouvées mortes noyées, prises au piège dans un camion enfoncé dans une rivière après avoir passé une soirée avec deux allochtones. Contrairement aux cinq Atikamekw, les deux Québécois qui, après avoir quitté les lieux, avaient pris le temps de se doucher et de boire un café avant d’aller voir la police, ont survécu. Malgré toutes les incohérences dans les faits établis ainsi que dans les rapports du coroner et de la police, aucune enquête n’a été menée avant 2016. Que s’est-il vraiment passé en 1977? Presque 50 ans plus tard, les réponses demeurent parcellaires, mais une foule de pistes permettent toutefois d’y voir un peu plus clair. De façon poignante et magistrale, le film Soleil Atikamekw se place dans la perspective de la communauté de Manawan, plus spécifiquement celle des proches des victimes. Il offre ainsi un nouvel éclairage sur la tragédie de 1977, qu’on peut considérer comme une manifestation de plus du colonialisme et de ses conséquences réelles sur les communautés autochtones, tout en posant pour une énième fois la question de l’occultation du récit historique.
Ici, il est particulièrement important de parler d’occultation volontaire, voire politique, de l’histoire, et non d’oubli. Le film en témoigne amplement : les familles, elles, tout comme la communauté de Manawan, n’ont pas oublié. L’occultation est un des mécanismes les plus puissants du colonialisme et, au Québec, force est d’admettre qu’on en a souvent fait usage, que ce soit en politique, dans la société en générale ou au sein de la discipline historique, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de réalités autochtones. Lorsque des éléments tels que ceux présentés dans Soleil atikamekw sont dissimulés, le récit historique sert les figures politiques qui travaillent à la négation des abus du colonialisme et du racisme systémique, et qui refusent de voir leur profond enracinement. Ultimement, ce processus contribue à maintenir un récit falsifié ou incomplet, et à entretenir l’incompréhension, voire l’ignorance de la société, qui finit par se montrer indifférente ou complaisante devant son passé colonial. Par-dessus tout, cela sert les figures mêmes du colonialisme, en commençant par les personnalités politiques toujours présentes dans les manuels d’histoire, teintées d’héroïsme, qui ont profité – et qui continuent de profiter – de ce processus pour maintenir leur pouvoir.
L’histoire troublante que raconte Soleil Atikamekw est aux antipodes de ce qui est inscrit au programme d’histoire et dans les manuels scolaires. Dans ce film, où se concilient témoignages de proches des victimes et récit inspiré d’une histoire véritable, nous allons à la rencontre d’une communauté marquée par une expérience traumatisante et des évènements tragiques. Ce film rend aussi compte de l’ampleur et de la persistance du colonialisme dans certaines de ses formes les plus vicieuses et violentes : l’absence de sensibilité des allochtones envers les Autochtones, l’impunité accordée aux personnes blanches qui ont commis des crimes à l’encontre d’Autochtones, le peu de considération donnée aux réalités autochtones dans le récit dominant. D’ailleurs, on soutient bien souvent que le récit national et l’enseignement de l’histoire ont changé au fil des dernières décennies. Il suffit toutefois d’analyser le programme ministériel d’histoire et les manuels scolaires pour voir qu’il reste beaucoup de travail à faire à ce niveau. Le déséquilibre entre la place de choix accordée aux lois et actions des gouvernements d’un côté, et l’espace minime consacré à l’agentivité des populations autochtones de l’autre, demeure tout à fait remarquable. C’est ici que des films comme Soleil Atikamekw offrent une alternative ou un complément de choix. Par l’entremise de personnages interprétés notamment par Jacques A. Néwashish, Mirotansa Chilton, Carl-David Ottawa, Oshim Ottawa, Wikwasa Newashish, Mirociw Chilton et Lise Yolande Awashish, c’est justement la question de l’agentivité qui transperce l’écran; qui émeut tout en sensibilisant et en éduquant. Que ce soit dans les écoles ou dans l’espace public, ce film peut et devrait servir d’outil pédagogique de choix.
Lors de la représentation qui a eu lieu au Cinéma Beaubien, le 6 avril dernier, le public a eu la chance de s’entretenir avec la réalisatrice, ainsi qu’avec des membres de la distribution et de l’équipe, à propos du film. De nombreux éléments sont ressortis des échanges, mais une question revenait sans cesse : que faire, maintenant? Plusieurs pistes ont été suggérées, insistant notamment sur l’importance de voir le film et d’en parler, mais aussi de faire connaitre l’histoire de la tragédie qui a eu lieu dans la communauté de Manawan en 1977, y compris le manque de rigueur et l’indifférence de la police et des autorités judiciaires dans le traitement de l’affaire. Le cinéma peut avoir un pouvoir politique, et il est possible de se servir de ce levier pour démontrer les biais de l’histoire et éviter de se faire les complices du colonialisme, peu importe les formes de sa continuité.
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