Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Étiquette : Italie

Entre héritage historique et actualité politique : les élections italiennes du 25 septembre 2022

Par Luca Sollai, chargé de cours au département d’histoire de l’Université de Montréal et chercheur au CERIUM

Résumé : Cet article analyse les résultats des dernières élections législatives en Italie. Avec un regard à la fois historique et contemporain, nous expliquerons le contexte qui a amené le parti d’origine post-fasciste, Fratelli d’Italia, à prendre le pouvoir. Dans un premier temps, les origines et l’évolution de la droite italienne seront observées, avec une attention particulière au débat sur l’héritage du fascisme. Ensuite, nous analyserons les causes ponctuelles qui expliquent l’actuel panorama politique italien. En conclusion, nous tracerons un portrait des possibles choix du gouvernement en matière de politique intérieure et étrangère en mettant en relief certaines contradictions présentes parmi les partis de la coalition de droite.

Mots clé : Italie, élections, fascisme, Giorgia Meloni, Union européenne, droite

Les élections italiennes du 25 septembre 2022 ont vu l’affirmation de la coalition de droite menée par Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni, première femme à être nommée Présidente du Conseil des ministres dans l’histoire de la République italienne. Cette victoire a provoqué une clameur mondiale dans la presse et les médias de masse internationaux qui n’ont pas manqué de souligner les origines postfascistes de Fratelli d’Italia. Un autre thème récurrent dans les médias à l’étranger est que la victoire de la droite italienne est en partie la conséquence d’une vague populiste transatlantique.

Cet article a comme objectif d’offrir un éclairage historique et politique sur la situation politique italienne. En effet, nous allons nous interroger sur l’ensemble des facteurs expliquant la victoire de Giorgia Meloni et de Fratelli d’Italia. Pour ce faire, il nous semble nécessaire d’adopter une approche mixte, à la fois historique et axée sur l’actualité politique récente, l’analyse de la situation italienne ne pouvant pas se limiter à l’actualité ni strictement à la mention de liens avec le passé fasciste du pays. Un certain recul dans l’analyse, avec l’intégration des deux aspects, est nécessaire pour brosser un portrait efficace de la situation italienne.

Par conséquent, l’article sera divisé en deux parties principales, une première dans laquelle nous examinerons la trajectoire de la droite italienne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et une deuxième reliée plus à l’analyse des résultats électoraux, en mettant en relief les causes qui ont déterminé la victoire de la coalition de centre droit tout en tenant compte des enjeux futurs du gouvernement.

Les sources utilisées sont très variées : nous passons de la première partie dans laquelle nous basons notre réflexion sur des sources secondaires (historiographie et sciences politiques) à la deuxième partie, plus axée sur l’actualité, dans laquelle nous intégrons l’analyse des données électorales, des programmes électoraux, des sources journalistiques et des médias sociaux.

Nous entendons montrer que le nouveau paysage politique italien est le résultat d’un long parcours historique et institutionnel qui a trouvé les pleines conditions de sa réalisation dans la conjoncture des élections législatives de 2022. Par ailleurs, nous verrons comment ce résultat ne doit pas être conçu comme une tendance irréversible, surtout en tenant compte des défis et des contradictions auxquels le gouvernement actuel fait face. Finalement, nous évoquerons les conséquences potentielles pour l’Italie en matière de politique étrangère et intérieure.

L’épidémie que tout le monde a oubliée : Le choléra à Naples en 1910-1911 (partie 2)

Émigrants italiens en partance pour les États-Unis, Port de Naples, 1910 –  Touring Club Italiano, opéré par Archivi Alinari

Catherine Tourangeau, Ph. D., McGill University

L’épidémie de 1910-1911

Les plus fins observateurs avaient anticipé les débuts de l’épidémie de choléra de 1910 et 1911 longtemps avant que les premières éclosions soient détectées en Italie. L’épidémie s’était déclarée au Bengale en 1899 et avait emprunté les routes habituelles de transmission au nord comme au sud pour atteindre le Punjab, l’Afghanistan et l’Iran, puis la Russie et la Pologne. Vers 1902, l’épidémie avait également atteint Bombay et Madras et avait suivi les pèlerins du Haj à la Mecque, d’où elle s’était graduellement dispersée au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. La maladie cognait déjà, à ce moment-là, aux portes des empires allemand et austro-hongrois et menaçait les ports méditerranéens.

L’Italie est donc déjà sur un pied d’alerte lorsque, à l’été 1910, on note l’apparition des premiers cas d’infection chez les pêcheurs de haute mer de la région des Pouilles. Le préfet de la province de Bari met alors les autorités nationales en garde contre les conséquences économiques et politiques qui pourraient accompagner un état d’urgence. Il suggère même, pour la première fois, une politique de dissimulation partielle, notamment par l’émission de faux diagnostiques de méningite[1].

Bien que l’épidémie commence dans les Pouilles, c’est Naples qui inquiète le plus les autorités; en plus d’être la ville la plus peuplée de la péninsule, elle est aussi au cœur des échanges intérieurs et extérieurs du pays. Et surtout, c’est par le port de Naples qu’on quitte l’Italie par milliers pour migrer aux États-Unis. Les observateurs notent que si le choléra s’implante à Naples, la péninsule en entier sera bientôt aux prises avec une épidémie – sans parler des risques de transmission à bord des navires[2]. Les coûts sociaux, économiques et politiques pourraient être immenses.

Mais il est déjà trop tard. Dès septembre, le choléra atteint les ports de Naples et de Palerme : à l’automne 1910, la maladie fait quelques centaines de morts dans les deux villes. Elle perd de sa virulence à l’hiver, mais revient en force au printemps, à l’été et à l’automne 1911. En l’espace de quelques mois seulement, l’épidémie atteint les quatre coins du pays. Les autorités municipales et nationales ne restent évidemment pas inactives devant la crise sanitaire. Leur réaction évolue toutefois dans le temps; nous pouvons identifier trois grandes phases dans la gestion de la crise entre l’été 1910 et l’hiver 1911.  

L’épidémie que tout le monde a oubliée : Le choléra à Naples en 1910-1911 (partie 1)

Façades du quartier Santa Lucia de Naples, 1878 – Bayerische Staatsgemäldesammlungen / Sammlung Siegert

Catherine Tourangeau, Ph.D., McGill University

Les années 1910 et 1911 sont riches en excitation en Italie. À l’automne 1911, le gouvernement de Giovanni Giolitti entre en guerre avec l’Empire ottoman pour le contrôle de la Libye, rapproche un peu plus l’Europe du déclenchement de la Première Guerre mondiale. La même année, la péninsule italienne célèbre également le 50e anniversaire de son unification. Une série de célébrations et d’expositions organisées à travers le pays attirent des foules s’élevant parfois à plus d’un million de personnes.

Ces années sont également marquées par une grave crise sanitaire. Absente tant de la mémoire collective que des livres d’histoire, une épidémie de choléra fait pourtant rage dans les rues de Naples et à travers la péninsule italienne. Entre l’été 1910 et les premiers mois de 1912, elle fait peut-être jusqu’à 32 000 victimes au pays. 

Cette amnésie collective fait de l’épidémie de choléra de Naples un cas d’étude intéressant. La disparition quasi totale de la crise sanitaire de la mémoire italienne ne résulte ni d’un manque d’éducation ni d’un traumatisme refoulé, mais plutôt d’une politique de dissimulation et de déni. L’épidémie de choléra de 1910 et 1911 a été sciemment dissimulée par les autorités italiennes avec tant de succès qu’il a fallu attendre le milieu des années 1990 pour que les historiens et les historiennes s’y intéressent. À cet effet, nous devons une dette importante à Frank Snowden, chercheur émérite et professeur d’histoire de la médecine et des sciences à l’Université Yale[1].

Snowden envisageait à l’origine une étude politique sur le mouvement anarcho-syndicaliste du sud de l’Italie à l’aube de la Première Guerre mondiale. Lorsque ses recherches préliminaires ont révélé de nombreux cas de choléra, il a eu la puce à l’oreille et a décidé de creuser un peu plus la question pour réaliser, d’une part, la sévérité épidémique des cas de choléra à Naples en 1910 et 1911 et, d’autre part, le silence quasi complet des sources officielles et de la littérature scientifique[2].

L’histoire de l’épidémie de choléra de Naples et de sa disparition dans les sources vaut la peine d’être racontée aujourd’hui, alors que le monde est aux prises avec un nouvel ennemi invisible; si l’histoire ne nous dit pas précisément ce qu’il faut faire en situation de crise, elle nous indique néanmoins souvent ce qu’il ne faut pas faire.

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