Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

Catégorie : Émilie Malenfant

Recension : « Tout le monde parle de la pluie et du beau temps. Pas nous » de Ulrike Meinhof (Anthologie présentée par Karin Bauer)

Par Émilie Malenfant, Doctorante en histoire à Sorbonne-Université, Paris

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D’abord publiée aux États-Unis en 2008 sous le titre Everybody Talks About the Weather. We Don’t. The Writings of Ulrike Meinhof, l’anthologie éditée et introduite par Karin Bauer est désormais disponible pour le public francophone qui peut y découvrir celle qui fut l’une des plus importantes figures de la gauche allemande. Traduit en français dans un effort collaboratif souligné par l’auteure et les traductrices (Isabelle Totikaev et Luise von Flotow), le livre est publié par la maison d’édition Remue-ménage de Montréal. Si cette nouvelle édition traduite en français est presque en tout point identique à la version anglaise de 2008, elle se distingue toutefois par l’ajout d’une utile chronologie de la vie d’Ulrike Meinhof et des évènements sur lesquels elle a écrit ainsi que d’un bref lexique. Le livre s’ouvre par une courte préface d’Elfriede Jelinek, lauréate du Nobel de littérature en 2004, qui invite d’emblée le lectorat à adopter une position d’ouverture face aux écrits de Meinhof, laquelle « avait quelque chose à nous dire, quelque chose que nous aurions pu comprendre si nous l’avions voulu[1] ». S’en suit sur près de 80 pages une introduction renseignée et passionnante de Karin Bauer, professeure en études allemandes à l’Université McGill et première instigatrice de cette anthologie. Le corps de l’ouvrage est ensuite composé de 24 textes choisis d’Ulrike Meinhof, lesquels furent publiés entre 1960 et 1968. Les textes choisis, à l’exception d’un seul, parurent dans les pages de konkret, magazine radical de gauche dont Meinhof fut également la rédactrice en chef entre 1961 et 1964. Enfin, l’ouvrage comprend une postface de Bettina Röhl, fille d’Ulrike Meinhof, qui a mené des recherches approfondies sur sa mère et publié quelques titres à ce sujet, dont So macht Kommunismus Spaß en 2006. Karin Bauer précise en introduction qu’elle n’est, en tant que chercheuse, « pas d’accord avec le portrait que Röhl dresse de Meinhof et de la gauche […][2] », mais c’est peut-être justement la différence de ton et d’opinion de ce texte qui confirme toute la pertinence de le retrouver en clôture d’ouvrage (en plus du fait qu’il s’agissait d’une condition pour l’obtention des droits de publication des écrits de Meinhof).

Vieillir sans laisser de traces : où sont les femmes âgées dans l’histoire ?

Par Émilie Malenfant, doctorante en histoire à Paris-Sorbonne (Paris IV)[1]

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« Swan Lake (Liz Lerman) » de Dennis DeLoria (1982).

Phénomène universel s’il en est un, la vieillesse apparaît pourtant comme franchement intime, voire mystérieuse ou tabou. Aujourd’hui très présente, des discours politiques, aux magazines spécialisés en passant par la prolifération des objets du quotidien conçus pour faciliter la vie des personnes âgées, la vieillesse s’observe de maintes façons dans la réalité quotidienne des sociétés occidentales. Les insatisfactions quant au traitement de nos aînés.es côtoient souvent la multiplication des ambitions sociopolitiques annoncées pour le troisième âge, comme si la vieillesse, malgré la place qu’elle occupe dans le paysage social contemporain, demeure incomprise et délaissée. Pour preuve de ce désintérêt, il faut attendre les années 1970 et plus encore les décennies subséquentes, puis de manière plus prononcée les vingt dernières années, pour que la vieillesse devienne un sujet d’histoire. Même le tournant « social » de l’historiographie des années 1960 n’avait fait place qu’à une maigre reconnaissance du rôle et de la place des aînés.es dans le récit historique. Ce n’est qu’avec le développement et l’affirmation de l’histoire culturelle, ayant stimulé l’étude des groupes d’âge et des relations intergénérationnelles, et en continuité des recherches sur l’enfance, à laquelle les historiens.nes se sont d’abord intéressés.es, que la vieillesse devient progressivement – mais timidement – un objet d’étude. Si le fait que cet éveil coïncide avec les changements démographiques majeurs que connaît la société contemporaine ajoute à la pertinence du sujet, notamment quant à ses éventuelles implications pratiques, et que sociologues, psychologues et professionnels de la santé consacrent depuis des années une attention très considérable à la « question des aînés.es », il demeure que les historiens.nes spécialistes du sujet se font rares. Plus encore, alors que l’histoire de la vieillesse est en développement, certains problèmes épistémologiques se posent : masculinisation, homogénéisation, généralisation et raccourcis. Non seulement les aînés.es sont-ils et sont-elles majoritairement présentés.es comme formant un groupe social homogène composé d’individus témoins – voire victimes – (et non acteurs et actrices) des transformations sociales, mais ils et elles sont aussi, sous la loupe des historiens.nes, très massivement des hommes. D’abord en tant que femmes, puis en tant qu’aînées, les femmes âgées sont pratiquement absentes des études d’histoire ; affligées d’une double étiquette disqualificative. Même une historiographie aussi prolifique que celle de l’Allemagne contemporaine, et plus spécifiquement celle du Troisième Reich, est avare d’information sur la population féminine âgée. En effet, malgré la foisonnante littérature d’histoire sociale de l’Allemagne nazie, incluant des études sur les femmes, la famille et divers groupes sociaux, les femmes âgées – et les aînés.es plus largement – sont au cœur de bien peu de recherches.

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