Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Recension de l’ouvrage « The History and Archaeology of the Iroquois du Nord » dirigé par Ronald F. Williamson et Robert von Bitter

Par Renée Girard, historienne indépendante

Entre les années 1660 et 1670, des Haudenausonee quittent leur territoire ancestral dans le présent état de New York pour s’installer au nord du lac Ontario. Cette collectivité, reconnue sous le nom d’Iroquois du Nord (IDN), est formée principalement de Seneca, de Cayuga, et d’Oneida, mais aussi de plusieurs individus intégrés à ces communautés après un processus d’adoption. Parmi ces derniers on retrouve des Attawanderon (Neutres) , des Wendat et des Tionontaté (Pétun), pour qui ce territoire est familier. Les établissements IDN sont de courte durée. Même si leur nom continue d’apparaître sur les cartes du XVIIIe siècle, les recherches archéologiques démontrent que la plupart des villages IDN sont abandonnés avant 1688 (263). The History and Archaeology of the Iroquois du Nord tiré du Symposium 2019 de la Ontario Archaeological Society réunit les recherches archéologiques les plus récentes sur ce groupe peu étudié. Le volume offre un jeu de va-et-vient entre histoire, archéologie et géographie. Cette conjonction de disciplines, associée à l’intégration de nouvelles méthodes de recherche et à la reconnaissance de la mémoire autochtone, produit une image nuancée et complexe des établissements IDN et de leur population. Cet exercice qui tient compte de la fluidité identitaire autochtone, tout comme celle de leurs frontières, permet ainsi de mieux comprendre la dynamique qui a incité l’occupation de ce territoire. 

L’ouvrage se démarque par la volonté des auteurs de se dissocier des raisonnements eurocentriques, inspirés par les priorités économiques et politiques des textes coloniaux, qui marquent les constructions historiques conventionnelles (141). Neal Ferris, par exemple, dénonce dans  « Changing Continuities of Home » ce qu’il considère comme la « tyrannie des moments transitoires préservée dans les écrits européens qui impose une permanence au passé et qui masque les réalités plus complexes et nuancées qui sous-tendent ces moments transitoires » (ma traduction, 156). Les auteurs mettent ainsi en opposition au récit d’annihilation, généralement proposé dans l’historiographie, un concept de transformation et une occupation autochtone marquée par la fluidité et la continuité. Cette historiographie qu’on décrie ici est toutefois peu définie. Les auteurs se réfèrent surtout aux historiens révisionnistes comme Jon Parmenter et José António Brandão qui, au sujet de l’abandon des sites IDN, distinguent entre transformation et destruction (40 et 151). Pour situer le propos, Ronald F. Williamson présente, en guise d’introduction, le contexte historique qui entoure l’établissement des Iroquois du Nord dans ce territoire préalablement occupé par les Attawanderon, les Wendat et les Tionontaté, à partir de sa genèse jusqu’à son abandon avant la fin du siècle. Par la suite, le volume se divise en cinq sections.

Recension du livre Plus aucun enfant autochtone arraché : pour en finir avec le colonialisme médical canadien de Samir Shaheen-Hussain

Sandrine Renaud, ergothérapeute, candidate au doctorat en philosophie (concentration éthique appliquée), Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)[1]

Après avoir expliqué le fonctionnement d’ÉVAQ et exposé les conséquences néfastes de la règle de non-accompagnement sur les enfants traités par son équipe, l’auteur explique, dans la deuxième partie du livre, pourquoi la campagne « Tiens ma main » a mis l’accent sur les enfants des communautés autochtones du nord du Québec. Alors que cette règle concernait l’ensemble des enfants québécois, il argue qu’elle affectait de manière disproportionnée les enfants issus de ces communautés. Précisément, en plus des facteurs géographiques qui augmentaient considérablement le délai avant qu’un parent ne puisse se rendre à leur chevet, il mentionne que ces enfants demeurent plus susceptibles de souffrir de conditions de santé graves requérant un transport médical d’urgence par rapport aux enfants du sud de la province. Faisant référence au cadre conceptuel des déterminants sociaux de la santé, Shaheen-Hussain montre de façon convaincante comment les conditions socioéconomiques dans lesquelles vivent ces jeunes, lesquelles      découlent directement du contexte politique colonial, affectent négativement leur santé et augmentent leur taux de mortalité. Ainsi, la règle de non-accompagnement constitue un exemple de pratique qui, malgré son application stricte et systématique à l’ensemble de la province, était discriminatoire dans ses effets vis-à-vis des familles autochtones.

Le Québec dans l’histoire mondiale de la démocratie, 1600-1840

Par Allan Greer, Université McGill

Joseph-François Lafitau, Moeurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps, t. 2, Paris, Chez Saugrain l'aîné ... Charles Estienne Hochereau, 1724, p. 314 [crédit Library of Congress]
Joseph-François Lafitau, Moeurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps, t. 2, Paris, Chez Saugrain l’aîné, Charles Estienne Hochereau, 1724, p. 314 [crédit Library of Congress]

On assiste, depuis un certain temps, à la mondialisation de l’histoire du Québec (ce mot est un anachronisme voulu dans le contexte de la période d’avant 1867 pour désigner le Canada de l’époque de la Nouvelle-France, la « province of Quebec » et le Bas-Canada). En analysant l’histoire du Québec, les historien.nes sont de plus en plus sensibles aux contextes impérial, atlantique, nord-américain et des Amériques, et s’efforcent de chercher les liens qui relient des phénomènes québécois aux grands courants de l’histoire[1]. En même temps, quelques chercheurs.es dans d’autres parties du monde commencent à tourner les yeux vers des cas québécois pour mieux comprendre un passé qui dépasse les limites d’un seul pays. Une série de publications récentes mettent en vedette le rôle du Québec dans l’histoire de la démocratie, terme que j’utilise dans son sens large pour désigner les idées et les gestes en faveur du pouvoir politique populaire. Je voudrais recenser quelques-uns de ces ouvrages qui méritent, à mon avis, plus d’attention de la part des spécialistes québécois.es.

Recension en dialogue : Mononk Jules de Jocelyn Sioui (éditions Hannenorak, 2020) et Voyages en Afghani de Guillaume Lavallée (éditions Mémoire d’encrier, 2022)

Par Catherine Larochelle, membre du comité éditorial d’HistoireEngagée.ca et professeure d’histoire à l’Université de Montréal

Je n’affirme pas être historien, mais plutôt quelqu’un qui s’est intéressé à l’Histoire d’un petit peu trop près. J’en ai même des séquelles.

Jocelyn Sioui

Le livre Mononk Jules de Jocelyn Sioui (2020, éditions Hannenorak) commence avec un avertissement dans lequel l’auteur se positionne par rapport à son expertise historienne. Si Sioui ne se prétend pas historien, à mes yeux, son ouvrage est une tentative réussie de raconter l’Histoire – celle que les historien.ne.s ont longtemps occultée. Qui plus est, il le fait d’une façon pédagogique, hautement accessible et fort agréable. Le livre relate la vie de Jules Sioui, militant wendat né en 1906 et mort en 1990, et qui consacra une part appréciable de sa vie à la lutte pour les droits des peuples autochtones en Amérique du Nord. À travers le récit qui suit la vie de Jules Sioui, grand-oncle de l’auteur (d’où le Mononk du titre), c’est une bonne part de l’histoire politique et sociale du 20e siècle qui se fait jour.

On peut apprécier ce livre pour la trajectoire individuelle qu’il raconte, celle d’un homme mû par une énergie hors du commun, « têtu » comme pas un et issu d’une lignée de guerriers. Il mit à profit ces caractéristiques pour s’opposer au gouvernement fédéral et à ses agents. La vie que Jocelyn Sioui retrace est également celle d’un humain complexe, multidimensionnel et faillible. L’auteur réussit à ne pas faire de son mononk un héros comme l’historiographie canadienne-française l’a fait avec des figures comme Cartier (p. 23-31). Il nous démontre par le fait même qu’il est possible de faire entrer dans l’histoire des personnages importants sans les héroïser.

Un génocide canadien ? Le débat historiographique et l’enseignement de l’histoire*

Kamloops Residential School, c. 1930s. BC Archives, B-01592.

Lisa Chilton, professeure au département d’histoire de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard

Depuis 2003, j’enseigne chaque année au moins un des cours d’histoire canadienne donnés à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. L’histoire du Canada avant et après la Confédération est un cours obligatoire pour les étudiant.e.s en histoire de l’UPEI. Ces cours attirent également un grand nombre d’étudiant.e.s à la recherche de cours optionnels. Au cours des deux dernières décennies, cet enseignement m’a donné d’innombrables occasions de tenter de donner un sens au passé afin de partager cette compréhension avec les étudiant.e.s, éclairant et nourrissant leurs propres questionnements. Alors que nous naviguons dans un climat sociopolitique polarisé qui classe les différents points de vue dans des « camps » opposés, y a-t-il quelque chose de plus précieux à partager aux étudiant.e.s qu’une pensée critique rigoureuse ?

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