Quand un service des archives soutient la démarche de décolonisation d’une communauté religieuse
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Notre-Dame, S. (2025). Quand un service des archives soutient la démarche de décolonisation d’une communauté religieuse. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=13296Chicago
Notre-Dame Service des archives de la Congrégation de. "Quand un service des archives soutient la démarche de décolonisation d’une communauté religieuse." Histoire Engagée, 2025. https://histoireengagee.ca/?p=13296.Par le Service des archives de la Congrégation de Notre-Dame
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En 2024, nous – le Service des archives de la Congrégation de Notre-Dame – avons été invité·es à prendre part au Forum ayant pour thème « Un appel à décoloniser la Congrégation de Notre-Dame. Pour mieux participer à l’humanisation du monde ». Nous avons préparé un atelier afin de présenter les méthodes de travail anti-oppressives que nous avons adoptées et d’ouvrir un dialogue à ce sujet avec les participant·es. Cet article est un compte-rendu de cette journée, tenue le 26 août 2024.
La démarche de décolonisation de la Congrégation de Notre-Dame et le contexte du Forum
Depuis plusieurs années, la Congrégation de Notre-Dame se préoccupe de la question de l’interculturalité et de la discrimination. À la suite des décès de George Floyd et de Joyce Echaquan, le Chapitre général de 2021 a officialisé la lutte contre toute forme de discrimination et de racisme, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la communauté. Ces questionnements, dont la décolonisation fait partie, sont portés au sein de la congrégation par le Réseau d’actions de justice sociale. Plusieurs rencontres ont eu lieu avec les sœurs et les personnes associées1 à travers le monde, ainsi qu’avec les personnes employées laïques de la Maison mère à Montréal2. Les personnes-ressources externes pour ces échanges étaient Jeanne-Marie Rugira, professeure-chercheuse au Département de psychosociologie et travail social à l’Université du Québec à Rimouski et Nicole O’Bomsawin, anthropologue et muséologue.
Afin de poursuivre ces réflexions, à l’été 2024, la Congrégation de Notre-Dame a organisé un Forum intitulé « Un appel à décoloniser la Congrégation de Notre-Dame. Pour mieux participer à l’humanisation du monde ». Celui-ci a été précédé de deux événements rassembleurs apparentés, s’intitulant respectivement « Oser la Visitation » (1988) et « Visitation au-delà des frontières » (2006). Le Forum de 2024 a réuni pendant une semaine plus de 240 religieuses, personnes associées, invité·es d’écoles et de musées lié·e·s à la congrégation, venant des différents lieux de missions de la Congrégation de Notre-Dame (Canada, États-Unis, Japon, Cameroun, Honduras, El Salvador, Guatemala, France et Belgique), ainsi que des invité·es d’autres congrégations religieuses. Des personnes modératrices, spécialistes des enjeux de justice sociale et des initiatives anticoloniales, ont animé les discussions. Ce rassemblement avait plusieurs objectifs, notamment : ouvrir des espaces de paroles et créer des conditions de dialogue; réfléchir et construire ensemble des réponses inédites dont notre monde a besoin en matière d’inclusion, de vivre-ensemble et de lutte contre toutes les formes de discrimination et de déshumanisation. Les thématiques abordées étaient ainsi nombreuses : Église et question coloniale, question raciale et colonialité du pouvoir, racisme, privilège blanc, relations Nord-Sud, interculturalité, intergénérationnalité et intersectionnalité, écoles de la Congrégation de Notre-Dame et éducation coloniale.
Les ateliers du Service des archives
Le 26 août 2024, un atelier en deux séances simultanées a été présenté par le Service des archives. Intitulé « Un premier pas vers des archives libératrices », le premier atelier, offert en français, a réuni une soixantaine de personnes de quatre continents, bénéficiant de traduction simultanée (en anglais, espagnol et japonais). Cet atelier a été animé par Gaël Jeannin, directeur du Service des archives et par Marie-Josée Morin, archiviste adjointe aux projets spéciaux. Le deuxième atelier, « A first step towards liberatory archives », donné en anglais, a rassemblé une trentaine de personnes provenant du Canada anglophone et des États-Unis. Il a été animé par Anne-Sophie Fournier-Plamondon et Philippe-Olivier Boulay Scott, archivistes. Le texte qui suit en résume les contenus.
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Crédit : Archives Congrégation de Notre-Dame – Montréal
Positionnalité du Service et exemples d’archives oppressives
La Congrégation de Notre-Dame, fondée par Marguerite Bourgeoys au XVIIe siècle, est une communauté enseignante ayant fondé ou dirigé des centaines d’écoles, dont plus de 240 au Québec, ainsi que plusieurs œuvres sociales et communautaires3. C’est donc depuis bientôt quatre siècles que les religieuses produisent et conservent des archives. Les sœurs archivistes, dont certaines étaient à l’avant-garde de l’archivistique, vivaient sur le territoire aujourd’hui connu comme Canada, où se pratiquait le colonialisme dans un contexte d’impérialisme et de suprémacisme blanc. Elles vivaient aussi dans l’actuel Québec, territoire francophone au sein d’un pays à forte majorité anglophone. Ces religieuses, de culture occidentale, étaient dotées d’une bonne éducation et faisaient partie d’une communauté de confession catholique, plutôt privilégiée socialement et économiquement. Tous ces éléments ont influencé leurs pratiques archivistiques, qui ne sont donc pas impartiales.
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Crédit : Archives Congrégation de Notre-Dame – Montréal
Note : Photographie tirée de l’album Initiation à l’archivistique, 1968-1970, R0129, 456.545.008, Fonds Aline Lamoureux (S.S.-Agnès-de-Montepulciano), Archives Congrégation de Notre-Dame, Montréal.
La première archiviste professionnelle laïque est entrée au Service des archives au début des années 2000. Cette embauche a accéléré la mise à jour vers des pratiques professionnelles contemporaines qui ont été implantées au fil des années. En 2024, nous sommes maintenant sept professionnel·les laïc·ques qui travaillons au Service des archives. Notre équipe est composée majoritairement de femmes, et ses membres sont blancs, francophones, souvent descendants de personnes colonisatrices et ayant un niveau d’éducation élevé. Bien que nous ayons pu vivre ou vivions des discriminations, nous sommes conscient·es de nos privilèges et de leurs impacts sur notre travail.
La mission actuelle du Service est de gérer l’ensemble des documents de la congrégation, pour : servir la Congrégation de Notre-Dame en étant sa mémoire vivante; et pour faire connaître à la société la contribution de la congrégation depuis l’arrivée à Ville-Marie de sa fondatrice, Marguerite Bourgeoys, en 1653. En tant qu’employé·es du Service des archives, nous sommes fier·ères de continuer le travail de nos prédécesseures, de contribuer à la préservation de la mémoire de Marguerite Bourgeoys, ainsi que des membres et des œuvres de la Congrégation de Notre-Dame. Cependant, depuis quelques mois, au même titre que l’ensemble de la congrégation, le Service des archives réfléchit au rôle oppressif que les archives ont pu jouer dans le passé, et à celui qu’elles jouent encore aujourd’hui. Des questionnements se posent sur l’ensemble de nos pratiques professionnelles lorsque nous sommes confronté·es à des thèmes et mentions colonialistes ou racistes qui se trouvent dans les archives, ou encore aux images que nous conservons et diffusons.
Oui, la Congrégation de Notre-Dame détient et a produit des archives oppressives. Cette présence n’est toutefois pas une situation unique à la congrégation, ni même aux archives religieuses. Toutes les institutions du patrimoine sont touchées, autant les centres d’archives et les musées que les sociétés d’histoire locales. Les archives peuvent être oppressives de deux manières : par le contenu du document en lui-même ou par la description du document dans les bases de données et outils de recherche. Dans le premier cas de figure, c’est la personne qui a créé le document qui est responsable; dans le second cas de figure, c’est celle qui a décrit le document, l’archiviste, qui l’est.
Pour ce qui est des archives dont le contenu est oppressif, un exemple ancien concerne la traite de personnes. Un cahier de recettes et de dépenses du couvent de Boucherville témoigne des transactions des religieuses. Pour l’année 1796, une ligne concerne l’acquisition d’une personne autochtone mise en esclavage : « Catin est à nous du 14 octobre 1796 ».
Cahier de recettes et de dépenses incluant les comptes des pensionnaires et des servantes, 1795-1812.
Comme autres exemples, nous pouvons nous référer à l’historienne Catherine Larochelle qui, le matin du 26 août 2024, a tenu une conférence sur son livre L’école du racisme4. Ayant mené une partie de ses recherches dans les archives de la Congrégation de Notre-Dame, elle a exposé que l’école québécoise a enseigné et cautionné la domination coloniale et le racisme aux élèves du Québec. Des cas tirés des archives de la congrégation ont été mentionnés, que ce soit dans les manuels scolaires créés par la communauté ou dans les activités scolaires ; comme le théâtre, avec des représentations stéréotypées de personnages autochtones.
Pour ce qui est des archives dont la description est oppressive, différents exemples concernent les peuples autochtones. À de nombreuses reprises, des termes coloniaux comme « amérindiens » ou « sauvages » ont été choisis par les personnes qui ont composé les titres des documents. Nous pensons par exemple à l’image suivante : le titre donné est « Les figurines : Marguerite et les membres de sa Congrégation enseignent aux enfants amérindiens à la mission du mont Royal ». L’archiviste qui a décrit le document a alors choisi d’utiliser un terme colonial pour le décrire.
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Crédit : Archives Congrégation de Notre-Dame – Montréal
Note : Extrait de la base de donnée Constellio. L’image est décrite comme suit : « Les figurines : Marguerite et les membres de sa Congrégation enseignent aux enfants amérindiens à la mission du mont Royal », [entre 1955 et 1976], AL661, 220.110.213.054, Fonds Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours – Musée Marguerite-Bourgeoys.
Enfin, un dernier exemple de la façon dont la description archivistique peut être oppressive relève de l’absence. Des groupes de fonds et collections du Service des archives n’ont pas reçu le même effort de traitement que d’autres. En effet, le groupe de fonds qui a été le moins traité est celui des provinces et des régions (1 pour cent du total des documents traités), soit l’un de ceux qui témoigne le plus des activités de la congrégation en Asie, en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Afrique. En ayant consacré peu de temps et d’énergie à traiter et à décrire ces fonds, le Service des archives a adopté une attitude oppressive.
En tant qu’archivistes qui conservent ce patrimoine riche, précieux et unique, nous ne pouvons pas changer le passé ou réécrire l’histoire. Cependant, nous pouvons contribuer à ce que les traces de cette histoire et de ce passé, c’est-à-dire les archives, jouent un rôle réparateur pour les personnes et les communautés qui ont pu vivre ou qui vivent encore aujourd’hui de l’oppression.
Guide pour un traitement anti-oppressif et exemples de recommandations
En 2024, le Service des archives s’est engagé dans la transformation de son approche du travail archivistique et dans la modification de ses pratiques. Comme le traitement des archives par les archivistes peut contribuer à cette oppression, le choix a été fait de s’y pencher en premier lieu. Anne-Sophie Fournier-Plamondon a donc rédigé un Guide pour un traitement anti-oppressif afin de nous donner les outils nécessaires pour que les activités de traitement du Service des archives deviennent anti-oppressives5. Ce guide porte notamment les objectifs suivants : amplifier les voix des groupes discriminés ou marginalisés, dans le passé et encore aujourd’hui et rendre accessibles les archives dans un espace sûr pour l’ensemble des personnes utilisatrices (membres du personnel comme chercheur·euses).
Le Service des archives aspire donc à pratiquer une archivistique empreinte de justice sociale, qui place les humains au centre de nos méthodes de travail. Il est toujours question de préserver et de diffuser les documents, mais aussi de prendre soin des personnes qui ont été affectées par eux dans le passé, ainsi que de celles qui le sont aujourd’hui encore6. De pair, nous souhaitons pratiquer une empathie radicale, qui consiste à passer à l’action de manière concrète et intentionnelle afin de transformer le système dans lequel nous évoluons. Pour atteindre ces objectifs, il faut repenser notre approche du travail d’archiviste. Pour ce faire, nous reprenons en partie les principes énoncés par les membres du « Reparative Archival Description Working Group » (RAD) de la bibliothèque universitaire de Yale7 : humilité culturelle, « slow archiving », transparence, itération, collaboration et consultation.
Comment mettre cela en pratique? Certaines recommandations peuvent être formulées, tout en tenant compte que le traitement de chaque fonds est différent et qu’il n’y a pas une seule méthode de travail anti-oppressive à appliquer pour pratiquer une archivistique juste et réparatrice.
Comme les descriptions des fonds et des collections d’archives sont le premier point de contact entre les utilisateur·rices et les documents, le style et les mots employés jouent un rôle majeur dans leur contextualisation et influencent leur réception8. Nous nous engageons à éviter les formulations passives pour décrire des relations de domination et à employer des formulations actives, afin que les responsabilités des personnes impliquées soient claires. Si nous reprenons l’exemple du cahier de recettes et de dépenses contenant la trace de la traite de personnes, vu précédemment, la description actuelle parle d’une esclave, tout simplement : « On retrouve une mention concernant la présence d’une esclave panise de 24 ans, Catin, donnée par André Guy le 14 octobre 1796. ». Il serait plus approprié d’affirmer la relation de domination en nommant clairement sa nature et qui en est responsable : « On trouve des traces d’esclavagisme pratiqué par la Congrégation de Notre-Dame, qui a reçu d’André Guy le 14 octobre 1796 une Autochtone de 24 ans nommée Catin ».
Les descriptions comportent parfois des contenus problématiques qui peuvent provenir des créateur·rices des documents ou des archivistes qui les ont traités à une autre époque. Ces contenus problématiques peuvent être maintenus ou supprimés : il faut prendre la décision au cas par cas. Cette décision doit tenir compte de leur impact à deux niveaux : sur les utilisateur·rices et sur la repérabilité. Dans certains cas, l’effacement des termes offensants ou leur remplacement par des termes qui ne sont que peu ou pas utilisés ne permettent pas de repérer la discrimination et peuvent contribuer à l’invisibiliser. En contrepartie, le maintien de termes offensants peut conduire à blesser ou à gêner les personnes qui consultent la base de données ou les documents. Un exemple est celui d’un album photo de l’Institut pédagogique (Montréal) qui contient des diapositives représentant des enfants déguisés en Autochtones de manière stéréotypée.
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Crédit : Archives Congrégation de Notre-Dame – Montréal
Note : Diapositives attribuées à Georges-Henri Robillard du dossier Activités parascolaires à l’Institut pédagogique, 1957-[1988], AL206, 308.600.828, Fonds Institut pédagogique et collège Marguerite-Bourgeoys, Archives Congrégation de Notre-Dame, Montréal.
Voici une image du document, une image de son support et une capture d’écran de sa description dans la base de données. Dans un cas comme celui-ci, il est recommandé de modifier le titre dans la description en le remplaçant par un terme générique descriptif clair et sans équivoque entre crochets : [injure raciste]. L’ancien titre n’est pas effacé, mais déplacé dans une note qui contextualise le choix de le remplacer : Titre propre complet : « Sauvages ». Retiré et remplacé par (nom de l’archiviste), (date de la modification). Ainsi, nous sommes transparent·es en n’effaçant pas le contenu oppressif, mais nous nous assurons qu’il ne soit pas la porte d’entrée du document.
Avec ce Guide, le Service des archives reconnaît donc qu’il fait partie d’un système à l’origine de discriminations et de préjudices envers certaines communautés et s’engage à être un agent actif dans le démantèlement de ce système. Certaines institutions du patrimoine font preuve de fragilité archivistique9 et contribuent aux cycles d’oppression : elles acceptent sans questionner ou elles refusent de modifier des pratiques conçues par des personnes au service d’États pratiquant le colonialisme10. Le Service des archives croit que la réparation des injustices consignées dans les archives ou perpétuées par elles est une question éthique. De ce fait, la justice l’emporte sur des pratiques archivistiques culturellement construites. Comme proposé par T. R. Genovese : « The time has come for the archivist to see activism as part of their job description in order to reform a former catalyst of colonialism: the archive11 ».
Exercice collaboratif pour des archives libératrices
La dernière partie de l’atelier était collaborative et s’orientait davantage vers le futur. En effet, les plus de 90 participant·es ont été invité·es à la réflexion et au dialogue par le biais d’un exercice en trois temps : individuel, par groupe, puis toute l’assemblée. L’exercice original, intitulé « Imagining Liberation » a été créé par Michelle Caswell et provient du groupe Archivists Against History Repeating Itself12 . Pour les besoins du Forum, Philippe-Olivier Boulay Scott l’a adapté avec le titre « Imaginer des archives libératrices ». Abordons ici quelques-unes des questions qui ont été posées à l’auditoire, ainsi que les réponses qui ont été compilées.
- À quoi ressembleraient les archives et les centres d’archives qui avancent vers la libération, qui la font avancer?
Un centre d’archives libérateur devrait être : transparent, ouvert, accueillant, confortable, inclusif et collaboratif. Il devrait être centré sur l’humain, être empreint de justice sociale. Ce devrait être un lieu de partage. Il devrait être sécuritaire : p. ex. faire attention à comment les personnes pourraient se sentir en découvrant un document qui serait susceptible de les toucher. Ce devrait être un lieu de découverte sur le passé. On y trouverait des archives qui retracent les vérités et les réalités de l’histoire, des différentes époques. Les archives pourraient libérer notre histoire. Les archives libératrices pourraient être universelles : représenter tous les pays de missions de la congrégation, être accessibles en ligne, être traduites pour la compréhension de tous, mises à la disposition de tous.
- Quels sentiments, quelles impressions produiraient ces archives?
Les archives libératrices produiraient des émotions, qu’elles soient agréables, comme la joie, ou qu’elles soient inconfortables, comme la culpabilité. Mais il faudrait se servir de ces sentiments pour avancer, aller de l’avant. Il faut apprendre de l’histoire afin de ne pas répéter les erreurs et les discriminations du passé. Que le passé soit positif ou négatif, il faut le préserver pour améliorer l’avenir. Les archives libératrices devraient permettre d’ouvrir de nouveaux chemins et de réimaginer un futur différent.
- Qui s’y trouve?
Tout le monde aurait sa place dans un centre d’archives libérateur : religieuses, personnes associées, étudiant·es, professeur·es, journalistes, chercheur·euses, etc. On y trouverait différentes personnes, différents âges, différents groupes sociaux, différentes nationalités et cultures qui y seraient toutes en dialogue. Y travailleraient des archivistes humbles, bienveillant·es, à l’écoute, transparent·es et honnêtes. Ils et elles devraient être en nombre suffisant pour accomplir leurs objectifs libérateurs. Le centre d’archives devrait employer des personnes de groupes ayant subi ou subissant des discriminations.
- Quelles sont les activités des archivistes de la libération?
Les archivistes sont les premières personnes à faire face au passé. Ils et elles contribueraient à éclairer les archives afin de comprendre le passé. Ils et elles contextualiseraient l’archive, l’éclaireraient et mettraient en garde au besoin. Rigoureux·euses, ils et elles corrigeraient les descriptions oppressives et auraient le courage de nommer les problèmes. Des activités en lien avec le processus de décolonisation pourraient être organisées. Leur travail faciliterait donc le pardon et la réconciliation.
Ces idées et réponses, provenant de personnes d’origines et d’horizons qui ressemblent et qui diffèrent des nôtres, nous ont grandement intéressé·es. Nous les utiliserons pour bâtir un service d’archives que nous désirons faire correspondre le plus possible à un idéal libérateur.
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Crédit : Archives Congrégation de Notre-Dame – Montréal
Bilan de la rencontre plénière de fin de journée
La journée s’est terminée par une rencontre plénière rassemblant les participant·es du Forum, occasion de dresser collectivement un bilan sur les nombreux sujets abordés. L’atelier sur les archives a suscité de nombreux commentaires.
Les personnes modératrices ont mis de l’avant le travail du Service des archives : réflexion profonde, méthodologie et regard critique. La contextualisation des documents que permet ce travail des archivistes, gardien·nes de la mémoire, est perçue comme nécessaire et vitale. Le devoir de reconnaître le passé de manière humble et de le faire de façon non-oppressive est aussi mentionné.
La traite de personnes par la Congrégation de Notre-Dame, présentée dans les ateliers du Service des archives, a choqué plusieurs membres de l’assemblée qui ne connaissaient pas ce pan de l’histoire. Les questions suivantes ont été posées : est-ce qu’il y a d’autres éléments cachés? Quelles réparations peuvent être entreprises par la Congrégation de Notre-Dame? Les autorités de la communauté ont alors répondu que depuis 2021, la communauté redécouvre ses 400 ans d’histoire, notamment grâce aux archives. Certaines pratiques, comme l’esclavagisme, ont été mises au jour, et d’autres sujets sensibles seront probablement révélés dans le futur. La patience est de mise, au cœur d’un processus encore à ses débuts.
Les personnes modératrices ont relevé que l’inconfort est normal au cours d’une telle démarche. Quant à la question de la réparation, du temps sera nécessaire afin d’être à la hauteur de la gravité de la situation et d’y répondre de manière adéquate. Le travail entrepris par le Service des archives ouvrira ces réflexions. Il est mentionné que, bien que pouvant être parfois bouleversé·es par ce qu’ils et elles découvrent ou découvriront dans les mines d’informations encore inconnues, inexploitées et inexploitables, les archivistes le font avec authenticité et courage pour le bien de la congrégation. Grâce à son ouverture et sa volonté, des chercheur·euses s’intéressant à la congrégation peuvent transmettre des informations à la communauté, à l’exemple de Catherine Larochelle.
Conclusion
Cette expérience a été unique et extraordinaire pour les quatre archivistes présent·es sur place. Prendre part aux réflexions à propos des enjeux de décolonisation et en lien avec la transformation de la Congrégation de Notre-Dame a été très enrichissant. Durant les jours qui ont suivi, l’équipe du Service des archives a reçu de la part de membres de la communauté plusieurs bons mots sur cette démarche de soutien à la congrégation dans son appel à la décolonisation. Tout cela nous encourage à continuer dans cette direction : ce premier pas vers des archives libératrices sera suivi par d’autres.
- Les personnes associées sont « des femmes et des hommes qui, en réponse à leur appel baptismal, s’engagent à vivre la mission de Jésus, mission de service, d’amour, de justice et de compassion dans le monde d’aujourd’hui »
dans un esprit d’ouverture et de mutualité avec les religieuses. Congrégation de Notre-Dame, « Spiritualité et vocation », Congrégation de Notre-Dame, s.d., (Consulté le 17 janvier 2025) https://www1.cnd-m.org/fr/spiritualite-et-vocation/#:~:text=Qui%20sommes%2Dnous%3F,monde%20d’aujourd’hui. ↩︎ - Voir par exemple le compte-rendu de l’atelier réalisé au Japon au printemps 2024 : Bulletin d’information sur l’atelier (1) – Congrégation de Notre-Dame ↩︎
- Exemples d’organismes à Montréal : la Relance jeunes et familles (1968-), groupe d’éducation psychosociale offrant des services ciblés aux familles moins favorisées ; le Carrefour Marguerite-Bourgeoys (1983-), organisme ouvert à tou·tes les aîné·es de 50 ans et plus désirant apprendre, partager et évoluer dans un milieu de vie stimulant ; le Refuge Juan Moreno, un centre d’hébergement d’urgence pour les femmes et les enfants demandeurs d’asile. ↩︎
- Catherine Larochelle, « L’école du racisme : La construction de l’altérité à l’école québécoise (1830-1915) », Les Presses de l’Université de Montréal, 2021, 352 p. ↩︎
- Le Guide pour un traitement anti-oppressif sera publicisé par le Service des archives au courant de l’année 2025. ↩︎
- Jennifer Douglas, Mya Ballin et Jessica Lapp, « Introduction », Archivaria 94 (automne/hiver 2022): 5. ↩︎
- Reparative Archival Description Working Group (RAD), « Home », Yale Library, s.d., (Consulté le 2024-06-05) https://guides.library.yale.edu/c.php?g=1140330&p=8319098. ↩︎
- Jarrett M. Drake, « RadTech Meets RadArch: Towards a New Principle for Archives and Archival Description », Medium, 2016, https://medium.com/on-archivy/radtech-meets-radarch-towards-a-new-principle-for-archives-and-archival-description-568f133e4325; Charlotte G. Lellman, « Guidelines for Inclusive and Conscientious Description », Center for the History of Medicine (Harvard University), 2024, https://wiki.harvard.edu/confluence/display/hmschommanual/Guidelines+for+Inclusive+and+Conscientious+Description ↩︎
- « It symptomizes unwillingness or inability on the part of professional archivists to fully recognize and compensate for their complicity in the historicity of the archive, and it is characterized by reticence to cede intellectual or physical control over archives.” Antonina Lewis, « Omelettes in the Stack: Archival Fragility and Aforeafter », Archivaria 86 (automne 2018): 52. ↩︎
- Council for Culture (Pays-Bas), Dealing with shared sources from colonial history: Advice on redress and restitution in relation to colonial archives, Council for Culture, 2024, , 24; Jarrett M. Drake, « RadTech Meets RadArch: Towards a New Principle for Archives and Archival Description », Medium, 2016, https://medium.com/on-archivy/radtech-meets-radarch-towards-a-new-principle-for-archives-and-archival-description-568f133e4325. ↩︎
- Taylor R. Genovese, « Decolonizing Archival Methodology: Combating hegemony and moving towards a collaborative archival environment », AlterNative 12, no 1 (2016): 34. Traduction libre de Philippe-Olivier Boulay Scott : « Le temps est venu pour l’archiviste de considérer l’activisme comme faisant partie intégrante de sa description de tâche afin de réformer cet ancien catalyseur du colonialisme : le centre d’archives ». ↩︎
- Le site web Archivists Against History Repeating Itself a été consulté le 16 mai 2024. Au moment de la rédaction de cet article en novembre 2024, il n’était plus accessible. ↩︎
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