Recension de l’ouvrage « The History and Archaeology of the Iroquois du Nord » dirigé par Ronald F. Williamson et Robert von Bitter

Publié le 28 novembre 2023

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Girard, R. (2023). Recension de l'ouvrage « The History and Archaeology of the Iroquois du Nord » dirigé par Ronald F. Williamson et Robert von Bitter. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=12239

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Girard Renée. "Recension de l'ouvrage « The History and Archaeology of the Iroquois du Nord » dirigé par Ronald F. Williamson et Robert von Bitter." Histoire Engagée, 2023. https://histoireengagee.ca/?p=12239.

Par Renée Girard, historienne indépendante

Entre les années 1660 et 1670, des Haudenausonee quittent leur territoire ancestral dans le présent état de New York pour s’installer au nord du lac Ontario. Cette collectivité, reconnue sous le nom d’Iroquois du Nord (IDN), est formée principalement de Seneca, de Cayuga, et d’Oneida, mais aussi de plusieurs individus intégrés à ces communautés après un processus d’adoption. Parmi ces derniers on retrouve des Attawanderon (Neutres) , des Wendat et des Tionontaté (Pétun), pour qui ce territoire est familier. Les établissements IDN sont de courte durée. Même si leur nom continue d’apparaître sur les cartes du XVIIIe siècle, les recherches archéologiques démontrent que la plupart des villages IDN sont abandonnés avant 1688 (263). The History and Archaeology of the Iroquois du Nord tiré du Symposium 2019 de la Ontario Archaeological Society réunit les recherches archéologiques les plus récentes sur ce groupe peu étudié. Le volume offre un jeu de va-et-vient entre histoire, archéologie et géographie. Cette conjonction de disciplines, associée à l’intégration de nouvelles méthodes de recherche et à la reconnaissance de la mémoire autochtone, produit une image nuancée et complexe des établissements IDN et de leur population. Cet exercice qui tient compte de la fluidité identitaire autochtone, tout comme celle de leurs frontières, permet ainsi de mieux comprendre la dynamique qui a incité l’occupation de ce territoire. 

L’ouvrage se démarque par la volonté des auteurs de se dissocier des raisonnements eurocentriques, inspirés par les priorités économiques et politiques des textes coloniaux, qui marquent les constructions historiques conventionnelles (141). Neal Ferris, par exemple, dénonce dans  « Changing Continuities of Home » ce qu’il considère comme la « tyrannie des moments transitoires préservée dans les écrits européens qui impose une permanence au passé et qui masque les réalités plus complexes et nuancées qui sous-tendent ces moments transitoires » (ma traduction, 156). Les auteurs mettent ainsi en opposition au récit d’annihilation, généralement proposé dans l’historiographie, un concept de transformation et une occupation autochtone marquée par la fluidité et la continuité. Cette historiographie qu’on décrie ici est toutefois peu définie. Les auteurs se réfèrent surtout aux historiens révisionnistes comme Jon Parmenter et José António Brandão qui, au sujet de l’abandon des sites IDN, distinguent entre transformation et destruction (40 et 151). Pour situer le propos, Ronald F. Williamson présente, en guise d’introduction, le contexte historique qui entoure l’établissement des Iroquois du Nord dans ce territoire préalablement occupé par les Attawanderon, les Wendat et les Tionontaté, à partir de sa genèse jusqu’à son abandon avant la fin du siècle. Par la suite, le volume se divise en cinq sections.

Le thème de continuité se retrouve dans la première section, intitulée « Departing and returning, Haudenosaunee Homeland Contexts for the Iroquois du Nord Villages ». Kurt A. Jordan y expose dans quelle mesure la migration de groupes Haudenosaunee vers les rives nord du lac Ontario s’inscrit dans une période faste pour ces derniers, tant au niveau économique, que politique et militaire (35). Ces années de prospérité leur permettent d’envisager l’établissement de « colonies » satellites au-delà de leur territoire traditionnel. Jordan utilise ce terme pour définir des « extra-regional spaces » (35) situés à plus de 80km du territoire traditionnel, qui permettent, tout comme les colonies européennes, de peupler un territoire avec des membres de la communauté dans des endroits stratégiques, tant pour l’autosuffisance alimentaire que pour le contrôle de routes commerciales – on pense ici à la traite des fourrures (40).

Les témoignages de l’époque, ainsi que les recherches archéologiques, confirment la mixité des groupes qui forment ces colonies et semblent indiquer que le choix des emplacements aurait pu être influencé par le désir de certains membres de se reconnecter avec un territoire qui leur était familier (40). Les villages IDN se seraient ainsi formés comme des palimpsestes sur des sites auparavant occupés par les Attawanderon, les Wendat et les Tionontaté. Les sites fouillés démontrent une culture matérielle riche et variée d’origine autochtone et européenne, et confirment une occupation de courte durée. Les raisons généralement évoquées pour cet abandon sont les attaques destructives des Français et de leurs alliés anishinaabe. Il est toutefois possible que la production agricole optimale de ces villages ayant été atteinte, la reconstruction n’ait pas été considérée (46). Jordan soutient ainsi que l’abandon des villages IDN ne s’inscrit pas dans un processus de déclin, mais de transformation (51).

La deuxième section consiste en six chapitres, tous consacrés aux efforts de localisation des sites IDN mentionnés dans les documents coloniaux et dont la position reste toujours indéterminée. Les Sulpiciens qui avaient la gouvernance des missions dans ce territoire ont produit de rares écrits. Contrairement aux rapports détaillés des jésuites, leurs descriptions géographiques restent vagues et ne donnent qu’une idée approximative de la situation des villages qu’ils ont desservis. De même, les cartes produites à l’époque sont peu fiables, souvent élaborées à partir de témoignages imprécis. Les chercheurs revisitent ces documents à la lumière d’études archéologiques et géographiques. Plusieurs d’entre eux ont recours au système de détection spectrale LiDAR (Light Detection and Ranging) afin d’affiner leurs recherches. Robert von Bitter, Chris Menary et Nick Gromoff s’intéressent à la mission de Kenté (Cayuga) créée en 1668 par les Sulpiciens et au village du même nom. L’utilisation du LiDAR leur permet de remettre en question les affirmations de Ken Zwayze qui situait le village à Consecon et de proposer Wellers Bay comme emplacement. Chris Menary et Robert von Bitter associent cette même technologie aux consultations de cartes anciennes et aux analyses topographiques pour situer les villages oneida de Ganaraské, Quintio et Ganneious dont la situation stratégique près de Rice Lake permettait de contrôler le commerce des fourrures dans la région. Dana R. Poulton présente les recherches effectuées sur le site de Bead Hill, dans la vallée de la rivière Rouge, qu’elle considère comme étant le site probable du village Seneca fortifié de Ganatsekwyagon. Jouxtant plusieurs voies de communication menant vers les Grands Lacs, le village aurait été situé dans un endroit à la faune et à la flore riches, permettant l’autosuffisance alimentaire pour les peuples qui occupaient ce territoire. Protégé par des défenses naturelles, il aurait été décrit comme un « château » par les Hollandais et les Anglais qui y commerçaient (105). Le peu de fouilles encore effectuées – 99.5% du site demeure non fouillé (117) – laisse toutefois beaucoup de questions en suspens. La configuration du village, son étendue et la période d’occupation restent encore à définir (122). David Robertson porte son attention sur Teiaiagon, un autre village Seneca, celui-ci situé en plein cœur de la ville de Toronto dans le quartier de Baby Point, dont une partie de l’héritage archéologique a été sauvegardée grâce à des restrictions appliquées au développement immobilier lors de l’élaboration de ce lotissement urbain au tout début du vingtième siècle. Finalement, Neil Ferris s’intéresse au village de Outinaouatoua dont l’emplacement reste toujours inconnu. Il analyse le témoignage produit par le cartographe Galinée à la suite de son séjour dans la région en 1669-1670 et soutient que ce texte a servi a construire un récit de destruction basé sur des observations qui font abstraction de pratiques coalescentes autochtones (150-151). Pour Ferris, la distinction entre les Attawanderon et les Iroquois du Nord ne tient pas compte de la complexité des identités sociales autochtones du XVIIe siècle qui s’inscrivent dans un processus où traditions et innovations s’entrecroisent (151-156).

La troisième section qui porte sur la culture matérielle des Iroquois du Nord intègre aussi continuité et changement, tradition et innovation. William A. Fox, April Hawkins et David Harris comparent les perles découvertes sur les sites IDN avec celles provenant des sites ancestraux haudenosaunee et remarquent une contemporanéité évidente. Ils observent toutefois une dichotomie est-ouest qui sous-entend un déplacement des activités autochtones vers l’ouest en réponse aux avancées des Français vers le lac Ontario. Martin Cooper observe la distribution temporelle et spatiale des objets métalliques retrouvés sur les sites IDN, aussi variés que des chaudrons de cuivre, haches, couteaux, médailles et pièces de monnaie métalliques retrouvés sur les sites IDN, et les compare avec ceux des sites haudenosaunee contemporains. Ronald F. Williamson et Robert von Bitter présentent des peignes en bois de cervidés richement décorés, des objets à la fois profanes et sacrés, sur lesquels ils observent des décorations inspirées des récits haudenosaunee traditionnels. Quant aux tessons de céramiques et pipes examinés par William E. Engelbrecht et Ronald F. Williamson, ils confirment la continuité d’utilisation des objets de fabrication autochtone – malgré l’adoption de produits européens – ainsi que la diversité d’origine des membres des communautés haudenosaunee. 

En quatrième partie, Gary Warrick et Ronald F. Williamson proposent à leur tour une vision pérenne des sites IDN qui intègre la continuité dans le changement. Ils soutiennent, en tenant compte de la tradition orale anishinaabe, que les Iroquois du Nord auraient abandonné leurs villages, non pas à cause des poussées françaises, tel qu’évoqué dans les textes coloniaux, mais à la suite d’attaques anishinaabe (272). Ils précisent, toutefois, que l’on retrouve peu de références à ces affrontements, tant dans les récits historiques produits au XVIIIe siècle que dans la tradition orale haudenosaunee (267). Les indices archéologiques démontrent néanmoins, qu’à la suite de l’abandon des établissements IDN, les Mississauga auraient profité des situations privilégiées des anciens villages pour établir leur campement d’été, soit près des rivières ou des lacs entourés de terres fertiles. Ils auraient ainsi assuré une permanence à ces sites jusqu’au retour des Haudenosaunee après que les Britanniques leur aient concédé ces territoires en récompense pour leur soutien pendant la guerre d’indépendance américaine (281).

Dans la cinquième section, la réflexion de Victor Konrad sert de conclusion à l’ouvrage. Le géographe revient sur chaque chapitre et met en valeur la dimension interdisciplinaire du volume. Pour mieux comprendre cette période de grande fluidité dans le monde autochtone, et tenter de répondre aux multiples questions toujours en suspens, Konrad réitère l’importance de se dissocier des préoccupations françaises de l’époque. Il soutient qu’il est nécessaire de revisiter les concepts identitaires qui fossilisent des groupes selon des normes occidentales. Il recommande d’aborder le sujet à partir de la théorie des frontières qui conteste les concepts établis de régionalisation et de durée (298) et d’intégrer les connaissances autochtones qui, jusqu’à ce jour, ont été peu reconnues.

C’est à Rick Hill que revient le mot de la fin. Cet artiste et penseur haudenosaunee fait part de sa réflexion sur la continuité dans l’art autochtone et soutient que le changement n’équivaut pas toujours à une forme d’assimilation. Il définit ainsi la créativité autochtone comme Indigenuity (303). Il se questionne toutefois sur la dimension éthique des fouilles archéologiques. Bien qu’il soit profondément touché par le lien que les artefacts, tels les peignes IDN, lui permettent de faire avec ses ancêtres, il fait part du malaise qu’il ressent devant ces objets sacrés que les Haudenosaunee destinaient à accompagner les défunts. Ce volume, qui fait partie de la prestigieuse collection Mercure, rassemble des textes qui forment un ensemble cohérent. Le recueil a l’avantage de se concentrer sur un sujet très bien délimité, à la fois géographiquement et temporellement. Agrémenté de tableaux et de photographies de haute qualité, il propose un portrait des Iroquois du Nord qui, bien qu’encore fragmentaire, se précise au fil de la lecture. Bien sûr, comme le remarque Konrad, il reste encore beaucoup de questions à résoudre au sujet de cette période d’interactions et de transformations (298). The History and Archaeology of the Iroquois du Nord réussit toutefois à démontrer l’importance de considérer la fluidité identitaire autochtone, tout comme celle des frontières dans l’interprétation de l’occupation du territoire par les Haudenosaunee. Cette approche révisionniste, qui intègre des visions autochtones et des technologies de télédétection, redéfinit ainsi un chapitre de l’histoire jusqu’ici interprété à partir de textes coloniaux marqués par les préoccupations françaises de l’époque. Toutefois, une approche collaborative avec la participation d’auteurs autochtones tout au long du volume, et non seulement dans la conclusion, enrichirait le discours en se rapprochant de l’autohistoire réclamée par des historiens autochtones tels Georges Sioui et Susan Hill.

Référence : The History and Archaeology of the Iroquois du Nord, Ronald F. Williamson et Robert von Bitter dir. Mercury Series, Archaeology Paper 182, Canadian Museum of History and University of Ottawa Press, 2023. 357 p.