Rencontre entre musulmans (es) et chrétiens (nes) dans la région des Grassfields du Cameroun : de la méfiance réciproque à la cohabitation pacifique

Publié le 1 octobre 2019

Par Martin DONLEFACK, Université de Yaoundé I (Cameroun)

Résumé

Dans de nombreux États africains sub-sahariens d’obédience religieuse chrétienne et musulmane, il s’est développé une vision politique qui a divisé les territoires nationaux en zones d’influence chrétienne et musulmane. Ce nouveau climat politique est intimement lié à l’expansion de l’islam au début du XIXe siècle et à l’avènement de la colonisation à la fin du même siècle. Après le départ du colonisateur vers la moitié du XXe siècle, ce clivage politique a favorisé une effervescence des conflits islamo-chrétiens. Aujourd’hui, le dialogue islamo-chrétien est devenu un impératif pour promouvoir la paix et la stabilité sociales. Toutefois, jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Grassfields du Cameroun étaient encore un milieu incognito à l’islam et au christianisme. L’ironie du sort a voulu que les deux religions y pénètrent au même moment et pratiquement dans le même contexte. À travers une analyse critique de la littérature écrite faite d’ouvrages généraux, d’articles universitaires et autres documents portant sur l’islam et le christianisme, nous proposons d’évaluer les rapports entre l’islam et le christianisme dans les Grassfields du Cameroun entre 1895-1990. Il s’agit de déterminer l’impact des dynamiques socio-politiques et économiques sur la transformation des mentalités, des perceptions et des préjugés religieux.

Mots clés 

christianisme ; méfiance ; dialogue ; Grassfields ; islam. 

Introduction

Selon les musulmans, la croyance à un seul Dieu est ce qui distingue radicalement leur religion des autres, et même du christianisme qui se caractérise par son dogme de la Trinité. L’expansion de l’islam a toujours inquiété les chrétiens. Cette inquiétude est liée à l’arrivée tardive et aux volontés expansionnistes de l’islam. Elle rappelle aux consciences européennes et surtout chrétiennes les affres de la pénétration musulmane en Europe, la prise de Jérusalem en 1076 et la bataille de Vienne en 1683[1].

En Afrique, les grands épisodes de l’histoire de la colonisation et de l’islam n’ont pas permis d’identifier une véritable rupture entre les faits religieux et socio-politiques qui ont à un moment donné pris le devant de l’actualité sur ce continent. Au niveau du Cameroun, l’influence des lamibé[2] a négativement affecté les conquêtes et l’administration coloniale au Nord et par conséquent l’expansion du christianisme dans cette partie du pays[3]. Contrairement au Sud Cameroun, l’administration de cette partie du territoire a connu, pour les grandes étapes de l’occupation coloniale, une administration dite indirecte. Le choix de ce système d’administration est lié à la rigidité des sociétés musulmanes par opposition aux autres groupes socio-culturels présents au Cameroun et à la difficulté des impérialistes européens d’y imposer de véritables bases de la politique d’assimilation.

Cette perception coloniale de l’islam a provoqué dans les milieux non musulmans au Cameroun des craintes qui se sont traduites par une politique de surveillance des activités musulmanes, dans le but de limiter l’expansion de l’islam vers le Sud, milieu d’obédience chrétien. Aussi dans les Grassfields[4], ce climat va susciter beaucoup de méfiance et d’hostilité entre les deux religions. Mais ces hostilités vont très vite se transformer en une cohabitation pacifique dès lors que les populations autochtones auront adopté une ou l’autre religion.

Aujourd’hui, le dialogue islamo-chrétien est devenu un impératif pour promouvoir la paix et la stabilité sociales. Une grande impulsion a été donnée à ce dialogue au XXe siècle dans le monde en général et en Afrique en particulier, à travers plusieurs institutions. Il s’agit chez les chrétiens du Conseil Œcuménique des Églises (COE), du Programme pour les Relations Islamo-Chrétiennes en Afrique (PRICA) et de l’Église Catholique[5]. Ces structures de concert avec le Forum International Islamique pour le dialogue (FID), le World Muslim Congress (WMC), la World Islamic Call Society (WICS), le Comité international pour le Dawa’ah et l’Aide Humanitaire de Al-Azhar ont mis sur pied des comités de liaison pour promouvoir le dialogue interreligieux[6]

Il est question dans cet article d’analyser l’évolution du dialogue islamo-chrétien dans les Grassfields du Cameroun entre la pénétration de ces deux religions (vers 1895) et l’effervescence religieuse créée par la loi No 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. Quelle est la nature des rapports entre l’islam et le christianisme dans les Grassfields du Cameroun ? Peut-on parler dans le cas d’espèce de choc de civilisation, de cohabitation ou tout simplement d’une hypocrisie développée par l’une ou l’autre religion dans le but de se supporter mutuellement ?

Du point de vue historiographique, cette étude débouche sur les questions de la construction/déconstruction sociale et de la définition des identités culturelles actuelles. Au plan sociologique, elle pose le problème de la cohabitation entre groupes humains différents par leur origine ethnique, leurs activités et leurs croyances, dans l’optique du dépassement des antagonismes et de la promotion d’une culture de paix. Il s’agira aussi de parvenir à une meilleure compréhension d’une réalité de notre vécu quotidien, de dépasser les émotions, les appréhensions, les incompréhensions et les stigmatisations, pour aboutir à l’établissement de rapports plus humains.

I- Islam et christianisme dans les Grassfields : arrivée et installation

I-1- Arrivée et installation de l’islam

L’introduction de l’islam dans cette région est liée surtout à l’islamisation du roi Njoya. La conversion du roi des Bamoun en 1895 a ouvert progressivement la région des Grassfields aux lamidats du nord Cameroun[7]. Cette conversion a également, après la pacification de la région à travers la création des postes militaires, encouragé les premières installations haoussa et peul dans cette région[8].

La proximité entre le royaume bamoun et les autres entités politiques présentes dans les Grassfields, l’antériorité des relations bamoun dans la région et l’ingéniosité du nouveau roi faisaient de Njoya l’ami de certains chefs voisins. C’est sur la base de l’islamisation et de cette présence pacifique du roi dans la région qu’allaient s’observer les premières conversions à l’islam. L’importance du trésor royal de Njoya et la diversité des produits commerciaux transportés par les colporteurs mixtes haoussa-peul-bamoun rompirent sans aucune résistance l’hostilité manifeste des chefs bamiléké à l’égard des étrangers Haoussa et Peul et gagnèrent leur confiance. Ce changement de situation est en effet révélateur de la place qu’allaient désormais occuper les Haoussa et les Peul dans les Grassfields Camerounais : c’est le début de la prolifération des quartiers dits « haoussa »[9].

On retient donc que le dynamisme commercial et l’ouverture du royaume Bamoun aux lamidats du nord Cameroun manifestée ici par la conversion du roi des Bamoun ont brisé les politiques d’hostilité développées à l’endroit des étrangers dans le pays bamiléké favorisant ainsi l’installation et l’expansion de l’islam.

I-2-Arrivée et installation du christianisme

Contrairement à l’islam, l’introduction du christianisme dans les Grassfields s’est effectuée dans le contexte de l’occupation coloniale. L’implantation des premiers missionnaires chrétiens est consécutive à la création des Bezirks dans la région ; stations et postes militaires aux compétences inégales[10]. Mais retenons que l’évangélisation commence à Bali dans la région de Bamenda et à Foumban à travers la mission protestante. Dans une logique coloniale visant à éviter les conflits entre les différentes confessions religieuses, la mission catholique n’avait pas le droit de s’installer à Bali et à Foumban. Elle choisit donc de s’investir plus à l’intérieur dans les milieux religieusement non conquis. C’est dans cette volonté de se faire un espace religieux propre à eux que les Pères Pallotins firent leur entrée dans les chefferies Bamiléké et plus précisément à Dschang où ils fondèrent en octobre 1910 à Melang (Foto) la première mission catholique appelée Paroisse Sacré-Cœur[11]. Les principaux acteurs de l’expansion du christianisme dans l’espace bamiléké sont : le père Théophane Paul Gontier, le père Louis Lapointe, sœur Alfred Therse, sœur Jeanne Rachelle et sœur Octavie Marie[12].

Nous retenons que l’ironie du sort a voulu que les deux religions fassent leur entrée dans cette région au même moment et pratiquement dans le même contexte. Comment vont-elles donc se comporter l’une envers l’autre dans ce nouvel environnement où le critère de préséance n’entre plus en jeu ?

II- Spectre de l’islam et chasse aux sorcières : une mise en relief des facteurs de tensions entre musulmans et chrétiens au Cameroun

En Afrique et au Cameroun en particulier, le spectre de l’islam qui hante les milieux chrétiens est lié au contexte de la rencontre entre ces deux religions. Il s’agit du contexte des conquêtes coloniales et des résistances autochtones. Les résistances mieux organisées et les plus farouches en Afrique sont celles qui étaient dirigées par des leaders musulmans. Il s’agit entre autres d’El Hadj Omar de l’empire toucouleur, Samory Touré le malinké dans la boucle du Niger, Cheikhou Ahmadou du royaume de Macina, Le Mahdi Mohamed Ahmed au soudan, Abdel Kader en Algérie. Il s’agit aussi au Cameroun du lamido Mahaman à Tikar, le lamido Bouba Ndjida à Rey, le lamido Ahmadou à Mawa et les lamibé de Tibati et de Ngaoundéré[13].

Dans ce contexte, les rapports islamo-chrétiens au Cameroun pendant toute la période coloniale étaient dominés par un climat de méfiance réciproque. L’Europe chrétienne faisait face en Afrique à des sociétés musulmanes toutes aussi spirituellement émancipées et politiquement solides que les sociétés occidentales ; mais qu’il fallait impérativement soumettre à l’ordre colonial. De l’autre côté, l’islam dans son propre territoire se sentait envahi et réduit au second plan par un concurrent séculier.  

La période de l’après-indépendance est marquée par la volonté des musulmans camerounais de renverser la situation à leur profit. L’avènement d’un peul musulman à la tête du jeune État semble être l’occasion idoine pour assouvir cette vengeance. Maud Lasseur n’hésite pas de reconnaitre que sous la présidence d’Ahidjo, musulman peul, une politique d’islamisation forcée a été officieusement menée dans la partie Nord du Cameroun. Comme conséquences, des églises chrétiennes ont été saccagées et les clergés torturés[14]. En plus, il n’était pas très évident, dans cette partie du pays, de trouver des chrétiens aux postes de gouverneur, de préfet, de sous-préfet, de commissaire ou de hauts gradés de l’armée. Ils étaient, pour la grande majorité, musulmans.

Dans certaines régions du Nord Cameroun, l’église va évoluer dans la clandestinité ; défavorisée en cela par une administration acquise à la cause de l’islam. Quelques exemples pour le démontrer: la chapelle de Pilim, chez les Guiziga a été rasée trois fois; en dépit d’une autorisation officielle, le sous-préfet de Meri interdit la construction de la mission catholique de Koza[15].

Les conséquences de l’«affaire Ndongmo», évêque de Nkongsamba, dans la décennie 1970, ont aussi fait leur effet. Selon M. Felix Sabal Lecco, alors ministre de la justice, assumant l’intérim du ministre d’État chargé des Forces armées, l’arrestation de Monseigneur Ndongmo Albert en date du 27 août 1970 est liée à l’implication de ce dernier dans un complot contre l’État Camerounais. Ci-dessous un extrait de la déclaration de monsieur le ministre à la presse nationale et internationale après l’arrestation de Mgr Ndongmo :

En Mai 1969, nos services de sécurités ont découvert un complot visant à assassiner le chef de l’Etat pour ensuite renverser nos institutions. L’interrogatoire des conjurés a gravement mis en cause Mgr Ndongmo et a particulièrement mis en relief son action dans la conception, la direction et la mise en œuvre du complot.
En dépit de cette dénonciation, le président de la République fédérale a donné des instructions pour que Mgr Ndongmo ne soit pas inquiété en attendant de plus amples informations. Il y a quelques jours survenait la capture du chef rebelle Ernest Ouandié dans le Mungo. Des déclarations de l’intéressé en cours d’interrogatoire ainsi que les documents trouvés sur lui, ayant établi de manière claire la complicité active depuis de longues années de Mgr Ndongmo avec la rébellion, le gouvernement a décidé d’arrêter celui-ci et de le traduire devant les tribunaux où il devra répondre de ses actes[16].

  Cette affaire est mal interprétée par certains musulmans. Le rapprochement est maladroitement vite fait. Mgr Ndongmo est accusé d’avoir voulu tuer Ahidjo[17]. En d’autres termes, un haut dignitaire chrétien s’est attaqué à la vie d’un haut dignitaire musulman. Les fidèles de l’église de Mokong en auront pour leurs frais. Au moment de l’arrestation et de la condamnation de Mgr Ndongmo, on entendait des voix s’élever dans les rangs musulmans pour dire aux chrétiens, selon les termes de Robert Ondobo, « Votre chef a voulu tuer le Président ! Il est mauvais et vous aussi : on va vous tuer»[18].

Sans nul doute que si l’autorité supérieure n’intervenait pas, on serait arrivé à un conflit ouvert. C’est pour cela que dans sa déclaration à la presse le 04 septembre 1970, M. Felix Sabal Lecco dit ceci, comme pour rassurer les uns et les autres : « Je tiens à souligner avec force que le gouvernement ne confond pas et ne confondra jamais l’Église catholique et Mgr Ndongmo et ne tolérera pas qu’une telle confusion puisse se faire jour dans l’opinion publique.[19]» L’affaire Ndongmo nous conduit ainsi aux portes des Grassfields, région culturelle d’origine de ce grand dignitaire chrétien. Comment cette région du Cameroun va-t-elle vivre, au-delà des véritables fiefs de l’islam (Nord Cameroun), cette hostilité manifestée entre les deux confessions religieuses ? 

III- Manifestions des rivalités islamo-chrétiennes dans les Grassfields du Cameroun

Depuis la rencontre de l’islam et du christianisme dans les Grassfields Camerounais, il n’a jamais été question d’un conflit ouvert entre ces derniers. D’ailleurs le contexte ne prêtait pas à une éventuelle attaque ouverte de l’un contre l’autre. Entre un christianisme qui cherchait à se frayer un chemin dans un Nord musulman solidaire et un islam décidé à gagner davantage les régions forestières du Sud à travers le grand négoce haoussa, l’hypocrisie semble bien avoir été la stratégie développée par les deux confessions religieuses pour vivre pendant près de 95 ans (1895-1990)[20] sans conflit ouvert.

Si dans le Nord Cameroun, l’islam s’imposa comme barrière contre l’expansion du christianisme, dans les Grassfields francophones et le reste du Sud Cameroun, l’alliance pouvoir colonial-christianisme était déterminée à contenir l’influence de l’islam dans ses foyers originels. Le contrôle devait s’accentuer dans le cas de la ville de Dschang à cause de sa proximité avec le royaume bamoun, région rompue à la cause de l’islam à travers l’islamisation du roi Njoya en 1895 et à cause de l’importante place que cette ville occupait dans toute la région bamiléké.

Les missions chrétiennes connaissaient bien le mode d’expansion de l’islam en Afrique noire. On parle ici d’une islamisation par étape. Chaque nouveau groupe ethnique islamisé contribue à diffuser l’islam autour de lui. À partir du moment où ils étaient imprégnés par la foi musulmane, les Bamoun étaient destinés à devenir un maillon de cette chaine[21].

De plus, au point de vue des origines, les Bamiléké sont les Soudano-Bantou ayant beaucoup de points communs avec les Bamoun, Mboum et Tikar. Bamoun, Bamiléké et les peuples de la région de Bamenda constituent donc la liaison entre la civilisation primitive ouest-africaine de la forêt  et les civilisations paléo-soudanaises et néo-soudanaises des savanes limitrophes. Ils sont considérés comme d’anciens pasteurs refoulés vers le sud par des aléas climatiques d’une part et la poussée expansionniste des Peuls d’autre part. Tout cela donne à penser que la région bamiléké, organisée autour de la ville de Dschang pourrait être perméable à ce qui vient du Nord Cameroun[22].

Vers 1925, alors que l’islamisation faisait des progrès rapides chez les bamoun, les autorités administratives de Dschang écrivaient pour indiquer que « l’action du prosélytisme musulman menace même de gagner le pays bamiléké… En raison du caractère fruste et mystique des populations bamiléké, l’islam pourrait devenir très dangereux »[23].

La détermination des missionnaires à éteindre l’influence musulmane est due au fait qu’à l’arrivée du christianisme dans la région, les Haoussa et Peuls musulmans avaient déjà gagné la bienveillance des chefs, ils leur avaient fait adopter leurs costumes et avaient commencé à les islamiser. En effet, les peuples de cette région avaient déjà vu en l’islam une religion supérieure à la leur et presque égale à celle du Blanc. Selon ces derniers, le musulman connaît Dieu, il sait lire et écrire, il se déclare égal ou même supérieur aux Blancs ; sa religion permet la polygamie et elle apporte une série de nouvelles amulettes qui protègent du mal et font réussir. Le musulman ne fait pas de controverse et ne demande pas de conversion au sens où nous l’entendons ; il ne s’oppose pas aux coutumes fétichistes, plutôt il en apporte de nouvelles[24]. Plus convaincante et réconfortante est, la conversion du roi Njoya, ami de nombreux chefs de la région (Bagam, Bandjoun, Bamessingue, Nso…). Ainsi le christianisme doit se mettre à l’œuvre pour pouvoir gagner à son tour la confiance des autorités traditionnelles.

Disposant de moyens financiers et technologiques plus importants, les missionnaires chrétiens se sont déployés dans les œuvres sociales et dans l’expansion du christianisme à l’intérieur des groupements de la région. En même temps, il faut limiter l’influence de l’islam dans la région à travers un contrôle strict des activités des prédicateurs étrangers en provenance du Nord Cameroun à l’exemple du groupe de prédicateurs conduit par Cherifi Aliou, prédicateur haoussa d’origine nigériane arrivée dans les Grassfields du Cameroun en 1954[25]. La circulaire nº942/CF/APA.I du 26/07/54 a/s Islam et Marabout, décrit avec précision les activités et le parcours de ce groupe et de leur leader[26].

L’administration coloniale par alliance au christianisme essayait autant qu’elle pouvait de saper le moral des locaux à l’égard de la présence musulmane. Les chefs qui manifestaient leur sympathie à l’égard de l’islam devenaient un maillon difficile à contrôler dans la chaine administrative. Par conséquent, des mesures sévères étaient adoptées à leur encontre dans le but de détourner l’attention de la population qui pourrait suivre leur chef dans sa nouvelle religion ; comme en témoigne ce rapport d’évaluation extrait du bulletin de notes n° 179 du 31 décembre 1951 du chef Nkonlack de Bamesingué : « De bon chef qu’il était, Nkonlack Jules est devenu un chef très moyen. Converti récemment à l’Islam, il semble s’occuper davantage de la religion que de son groupement. En outre, s’adonnant à la boisson, malgré sa nouvelle religion, il a perdu beaucoup de son prestige auprès de ses ressortissants et n’a pour ainsi dire plus aucune autorité »[27].

Le rejet de l’exil du roi Njoya à Dschang est également perçu comme une volonté de l’administration coloniale de limiter l’expansion de l’islam dans la région au profit du christianisme. La première destination du roi Njoya à la suite de la décision de son exil en 1931 fut Dschang. Malheureusement pour ce dernier et son peuple, son séjour à Dschang ne s’étendra pas sur plus d’une semaine. En effet, une fois le peuple Bamoun au courant de la destination de leur souverain, certains sujets restés fidèles au roi, d’autres notables et certains des fils du roi qui n’avaient pas pu faire le déplacement le jour de son départ, en l’occurrence Nji Pekassa, Nji Zerima, Nji Njigoumbe et Nji Kouotou s’organisèrent à l’insu des autorités coloniales pour rejoindre leur souverain à Dschang[28]. Ce nouveau déploiement inquiète les autorités administratives françaises alors que leur dessein était d’éloigner le souverain le plus possible de son peuple et de son royaume afin de mieux asseoir l’autorité des chefs supérieurs nommés. Cette décision se heurtait aux inquiétudes des missions chrétiennes qui en 1925, à travers une note adressée aux autorités françaises, manifestaient cette inquiétude en indiquant que la proximité entre les deux régions exposait le pays bamiléké à une quelconque islamisation en provenance du royaume bamoun.

La présence de Njoya et de ses nombreux sujets devenus musulmans à Dschang, chef-lieu de la circonscription administrative auquel dépendait Foumban, se dressait comme un véritable obstacle à l’épanouissement des activités des missionnaires présents dans la région. Alors, une rencontre urgente se tint à Nkongsamba le 5 avril 1931 pour éloigner davantage le roi Njoya de sa zone d’influence. Yaoundé fut donc la destination finale de l’exil du roi Njoya où il trouva la mort en 1933[29].

La délocalisation des quartiers Haoussa de Bafoussam et de Dschang après une requête des prêtres de la Paroisse Sacré-Cœur et l’occupation du site par la mission catholique sont aussi des faits qui traduisent le climat de tension entre le christianisme et l’islam dans cette région. Séparée du centre urbain d’environ 3km, contrairement à la mosquée située en plein centre urbain, la paroisse Sacré-Cœur de Dschang avait beaucoup de difficultés à concurrencer l’islam. Ainsi, il devint impératif pour les prêtres de cette paroisse de se trouver un lotissement au centre urbain et près de la communauté musulmane. On peut lire dans ce texte de Maurice Assonfack extrait de Historique de la Paroisse Saint Augustin que « ces prêtres, dans leurs brassages avec les fidèles chrétiens, ont constaté que le quartier Famla et ses environs (Centre commercial, Haoussa, Nylon, Madagascar, Payground, Marché B…) regorgeaient d’hommes… C’est ainsi qu’ils conçurent l’idée de création d’une deuxième paroisse et informèrent aussitôt la communauté »[30]. Cette paroisse construite en plein quartier haoussa abrite aujourd’hui l’École Catholique Saint Augustin groupe II, l’Église Saint Augustin et le presbytère[31].

Ce fut un coup dur pour la communauté musulmane qui devait se recaser à près de 2 km du centre urbain au lieu connu aujourd’hui sous le nom de Feum Kassan ou quartier de la mosquée. Notons que malgré cette décision, les Haoussa de Dschang s’obstinèrent à déguerpir[32]. L’insécurité liée aux luttes nationalistes dans la région donna l’occasion à ces derniers de renforcer leur position, d’où leur site actuel. En effet, vers 1958, les troubles politiques amenèrent les populations paysannes à quitter les campagnes pour la ville en quête de protection auprès des autorités administratives et militaires[33].

Contrairement aux musulmans de Dschang, ceux de Bafoussam se sont pliés à la mesure administrative de déguerpissement et sont partis de leur ancien site (lieu qui abrite l’actuel marché B de la ville de Bafoussam) pour le nouveau site d’installation devenu quartier haoussa[34].     

IV- Des rivalités à la cohabitation pacifique

Dès l’indépendance du Cameroun en 1960[35], un nouveau rapport inter-religieux voit le jour entre la communauté musulmane et la communauté chrétienne dans la région des Grassfields. Les confrontations cèdent désormais place à la cohabitation pacifique dans l’intérêt de chacune de ces deux religions. Plusieurs raisons expliquent ce nouveau changement. Nous avons entre autres les raisons politiques et les raisons socio-culturelles.

Au niveau politique, l’accession du Cameroun à l’indépendance marque la fin de l’administration coloniale qui servait d’appui aux missions chrétiennes dans leur expansion dans l’ensemble appelé Sud Cameroun. À côté de cette nouvelle situation politique du Cameroun, nous avons, par ricochet, l’avènement d’un musulman à la tête du Cameroun indépendant qui va dissuader tous ceux qui voudraient déclarer ouvertement la guerre à l’islam. Il était désormais dans l’intérêt de ces deux religions de s’accepter et de coexister. En effet, l’idée selon laquelle il fallait éradiquer l’une ou l’autre religion avait disparu[36].

Au niveau socio-culturel, on note une tolérance religieuse de plus en plus grandissante dans les familles et groupements des Grassfields. Au sein d’une même famille, on retrouve quelquefois des chrétiens, des musulmans et les adeptes de la Religion Traditionnelle. Les discriminations religieuses sont désormais rares et les pratiques religieuses sont de plus en plus libres dans les familles. Pendant les moments tristes et les moments heureux, de quelque côté que ce soit, chaque membre apporte sa contribution. Dans l’ensemble, les fêtes musulmanes, chrétiennes et nationales sont les circonstances pendant lesquelles le rapprochement entre les deux communautés est beaucoup plus visible[37]. À côté de ceci, nous avons les mariages mixtes (musulman-chrétien) qui sont de plus en plus courants dans la région.

Parlant toujours de la cohabitation pacifique, la juxtaposition des mosquées et des églises dans les villes de la région est un signe remarquable à ce sujet. La mosquée centrale de Dschang par exemple et l’école coranique « Madrasatoun-nou » sont séparées de l’église Saint Augustin et de l’école catholique Saint Albert groupe II seulement par la route qui mène à la CAPLAME de Dschang. Ces deux centres religieux coexistent sans le moindre problème. La deuxième mosquée de cette même ville au quartier Minmeto’o partage elle aussi ses limites ouest et nord-est respectivement avec l’église du Plein Évangile et l’église Adventiste du Septième Jour. Interrogées, ces communautés affirment ne pas être gênées[38].

Photo : juxtaposition de la mosquée de Mimmeto’o dans la ville de Dschang et plusieurs églises chrétiennes    
Source : cliché de Martin Donlefack, 18 août 2019. Cette proximité entre les lieux de culte musulmans et chrétiens est tout aussi remarquable que parlante entre la mosquée centrale de la ville de Dschang, au quartier haoussa et la Paroisse Saint Augustin. Les villes de Bafoussam et de Mbouda dans les Grassfields sont comme la ville de Dschang des exemples frappants de cette proximité entre les lieux de cultes musulmans et chrétiens. Il s’agit de véritables signes de la cohabitation pacifique entre le christianisme et l’islam.

L’éducation et la santé se trouvent aussi être des facteurs de rapprochement entre jeunes musulmans et jeunes chrétiens. Dans la ville de Dschang, l’école catholique Saint Albert groupe II est située en plein quartier Haoussa, en conséquence la plupart des jeunes musulmans du quartier la fréquentent. Ces mêmes jeunes, une fois au secondaire, doivent partager les classes et même les tables bancs avec leurs frères chrétiens[39]. Mais il faut préciser que la cohabitation entre l’islam et le christianisme ne signifie pas la rupture totale des rivalités.

La concurrence pour la conquête des fidèles se poursuit inexorablement. L’évangélisation par les œuvres est devenue dès lors la principale stratégie pour se déployer véritablement sur le terrain. Dans ce domaine, les missions chrétiennes semblent avoir balisé le terrain à travers leur stratégie classique : enseigner, soigner, évangéliser.

Conclusion

Nous retenons que les phénomènes liés aux rivalités islamo-chrétiennes dans les Grassfields du Cameroun sont des facteurs historiques caractéristiques des mutations sociales, politiques et culturelles au Cameroun, notamment dans sa partie méridionale. Leur mise en perspective historique permet de les considérer comme étant le résultat d’un cheminement soumis à des aléas politiques, philosophiques ou religieux et à des considérations particulières. La reconnaissance de ces phénomènes s’impose comme un préalable nécessaire pour la recherche d’une véritable culture de paix. Ici comme ailleurs, les causes sous-jacentes, les formes et les conséquences des rivalités islamo-chrétiennes doivent être clairement mises à jour et soumises à une analyse scientifique pour permettre aux différents peuples et cultures d’assumer les mutations sociales et culturelles en toute clarté et dans une compréhension mutuelle. Il devient donc important d’analyser les effets du choc islamo-chrétien dans les différentes sociétés afin d’appréhender l’héritage de ces phénomènes et d’encourager, malgré les ressentiments causés par ceux-ci, la compréhension réciproque parmi les peuples et les cultures. Nous dirons enfin que dans la rencontre entre l’islam et le christianisme dans les Grassfields du Cameroun, il y a eu véritablement choc de civilisation (1900-1960) et que depuis 1960, date de la première indépendance du Cameroun, on est témoin d’une cohabitation soutenue par un respect mutuel. L’entente cordiale entre les musulmans et des chrétiens pendant les occasions de cérémonies officielles et privées (heureuses ou tristes) tout comme dans les milieux publics (écoles, hôpitaux…) et pendant leur nombreux rapports sociaux (mariage inter-religieux, réunion de famille ou de quartier…), est l’expression de ce respect mutuel. Il traduit aussi une réelle volonté de cohabitation des adeptes de ces deux religions. Il convient de signaler que malgré ce respect mutuel ou cette cohabitation pacifique, chacune des deux communautés religieuses reste extrêmement jalouse de ses dogmes religieux.  

Pour en savoir plus

Ouvrages généraux

Assonfack, Maurice, Tahang, Jean et al. 2009. Historique de la Paroisse Saint Augustin, Dschang.

 De Dinechin, B. et Tabart, Y., Un souffle venant d’Afrique, Communautés chrétiennes au Nord-Cameroun, Paris, Centurion, 1986, p. 126.

Eloundou, Eugene Désiré & Ngapna, Arouna. Un souverain bamoun en exil : le roi Njoya Ibrahima à Yaoundé (1931–1933), ouvrage inédit.

Koulagna, Jean. 2007. Le christianisme dans l’histoire de l’Afrique, Yaoundé : Éditions CLÉ.

 Lomo Myazhiom, A. C. 2001. Société et rivalités religieuses au Cameroun sous domination française (1916 – 1958), Paris, L’Harmattan.

 Mveng, Engelbert. 1985. Histoire du Cameroun, tome II,  Yaoundé : CEPER.

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Onomo Etaba, Roger  Bernard. 2014. Rivalités et conflits religieux au Cameroun, Paris : L’Harmattan.

Articles et communications de colloques

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Bah Thierno, Mouctar. 1996. « Cheikhs et marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamawa 19e – 20e siècle » in Ngaoundéré-Anthropos, Vol. 1, pp. 7-28.

Balta, Paul. 1987. « Faut-il avoir peur de l’islam ? » Croissance des jeunes nations, Paris, No 291, pp. 19-26.

Donlefack, Martin. 2016. « Migration et intégration des Haoussa en pays bamiléké (Ouest-Cameroun): 1903-1960 », in ADAMA, Hamadou (ed.). Traditions historiques et développement, Annales de la faculté des Arts Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Ngaoundéré, Volume XV, pp. 189-210.

Donlefack, Martin & Fouellefak Kana, Célestine Colette. 2016. « Les fondements du radicalisme islamique entre crises socio-politiques dans le monde musulman et clivages politiques et économiques mondiaux: 622-2001 », ?kà’ Lumière. Revue interdisciplinaire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université de Dschang, No 15, pp. 145-170.

Donlefack, Martin, Onomo Etaba, Roger Bernard & Fouellefak Kana, Célestine Colette. 2014. « Diplomatie traditionnelle et rapprochement des cultures : le rôle du roi Njoya dans l’épanouissement de la culture musulmane en pays bamiléké » in Komidor, Njimoluh (Sd.). Le roi Njoya créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, Paris : L’Harmattan, pp. 143-166.

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Dubié, Paul. 1957. « Christianisme, Islam et Animisme chez  les Bamoum (Cameroun) », in Bulletin de l’I. F. A. N., Tome XIX, no 3-4, Dakar, pp. 337-373.

Kwami Sidza, Seeti. 2006. « L’islam en Afrique subsaharienne des origines aux indépendances : histoire et analyse», in Kwami Sidza Seeti et Komi Dzinyefa Adrake, Islam et christianisme en Afrique, Yaoundé : Editions CLE, pp. 85-97.

Maud, Lasseur. 2005. « Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu », in Afrique Contemporaine, N°215, pp. 93-116.

Ondobo, Robert. 2002. « Les conflits religieux au Nord Cameroun », travail de recherche à l’ETSC.

Yemelong Temgoua, Nadine & Pokam Kamdem, Williams. 2015. « Pluralisme religieux et développement local au Cameroun : le cas de Dschang (1926-2011) », ?kà’ Lumière. Revue interdisciplinaire de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Université de Dschang, No 14, pp. 237-258.

Mémoire et thèses

Donlefack, Martin. 2009. « Islamisation et mutations des peuples de Menoua 1850-2005 », Thèse de Master, Département d’Histoire, FLSH, Université de Dschang.    

Donlefack, Martin. 2018. « Islam et mouvement des Bali-Tchamba : violences politiques, transformations sociales et nouvelles frontières dans le royaume bamoum et les chefferies bamiléké au Cameroun (1806-1895)», Thèse de Doctorat / Ph.D, Département d’Histoire, Université de Yaoundé I.

Fouellefak Kana, Célestine Colette. 2006. « Le christianisme occidental à l’épreuve des valeurs religieuses africaines : le cas du catholicisme en pays bamiléké au Cameroun (1906-1995)», Thèse de Doctorat en Histoire, Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l’Art-Tourisme, Université Lumière Léon 2.

Njiasse-Njoya, Aboubakar. 1981. « Naissance et évolution de l’Islam en pays Bamoun (Cameroun) », Thèse pour le Doctorat de troisième cycle, Tome I, Université de Paris I – Panthéon Sorbonne.

Saha, Zacharie. 1993. « Le Bezirk de Dschang : relations entre l’administration coloniale allemande et les autorités traditionnelles (1907-1914) », Mémoire de Maitrise, Département d’Histoire, FALSH, Université de Yaoundé.

Souley Mane. 2006. « Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) : XIX?-XX? siècle », Thèse de Doctorat / Ph.D, Département d’Histoire, Université de Yaoundé I.

Archives

Islam et Marabout. APA. 207/CF/PS9, Circulaire nº942/CF/APA.I du 26/7/54 a/s. Archives Nationales des Yaoundé.

Islam et marabouts. Région Bamiléké. 18 octobre 1954. APA. 2171/PS2, Lettre n°942. Archives Nationales des Yaoundé.

Bulletin de notes. 25 novembre 1952. n° 179, APA. Archives préfectorales de Dschang.

Bulletin de notes. Personnel indigène des enseignements. 1934. APA. Archives préfectorales de Dschang.

Informateurs

Aladji Bala, 83 ans, Notable à la chefferie haoussa de Bafoussam, Bafousam, 19/05/2010.

Anazetpouo, Zakari, environ 47 ans, imam de la mosquée de Minmeto’o Dschang, Dschang, 26/04/2013.

Babaniya, Mama, environ 84 ans, doyen de la communauté haoussa de Bafoussam, Bafoussam, 02/10/2011.

Bawa, Daïrou, 78 ans, Chef de la communauté musulmane de Dschang, Dschang, 26/01/2011.

Massabe, Memounatou, 83 ans, veuve ménagère, Foumban, 30/09/2012.


[1] P. Balta, L’Islam dans le monde, Paris : Le Monde Éditions, 1991, p. 10.

[2] Lamibé est le pluriel de Lamido : chef supérieur musulman placé à la tête d’un lamidat (territoire commandé par un Lamido). Avant l’avènement de la colonisation, l’espace correspondant à l’actuel Nord-Cameroun est dominé par des sociétés musulmanes très centralisées appelées lamidats.

[3] M. T. Bah, « Cheikhs et marabouts maghrébins prédicateurs dans l’Adamawa 19e – 20e siècle » in Ngaoundéré-Anthropos, Vol. 1, 1996, p. 13.

[4] Selon J-P. Notué et B. Triaca, Bandjoun, Milan, Éditions 5 Continents, 2005, p. 23, on peut diviser les Grassfields camerounais en trois principales régions naturelles et humaines : le Grassfield du Nord-Ouest (région du même nom) ; le Grassfield du Nord-Est et de l’Est (pays des Bamoum et vallée du Mbam) ; le Grassfield du Sud où l’on rencontre les chefferies bamiléké. Dans notre étude, l’espace appelé Grassfields francophone correspond au royaume bamoun et les chefferies bamileke équivalent respectivement aux Grassfields du Nord-Est et du Sud.   

[5] A. Dzinyefa Komi, « Le dialogue islamo-chrétien en Afrique », in S. Kwami Sidza & A. Dzinyefa Komi, Islam et Christianisme en Afrique, Yaoundé : Éditions CLE, 2006, pp. 114-116.

[6] Ibid.

[7] Le pays  bamiléké par exemple était une zone très réfractaire aux religions étrangères : chrétienne et musulmane. Pour s’y adapter, il leur fallut à toutes deux, une stratégie de pénétration dans lesquelles elles se trouvaient virtuellement concurrentes. Cela donne de ce fait, tout son sens aux propos de Mgr Allegret lorsqu’il déclare au sujet d’un musulman en lequel nous croyons voir le roi Njoya : « Il connaît Dieu. Il sait lire et écrire. Il se déclare égal et même supérieur aux blancs ; sa religion permet la polygamie et elle apporte une série d’amulettes qui protègent du mal et font réussir. Il ne fait pas de controverse et ne demande pas de conversion au sens que nous l’entendons. Il ne s’oppose pas aux coutumes fétichistes ; il en apporte de nouvelles ». E. Allegret, « l’œuvre missionnaire en AOF et AEF. L’appel de l’Afrique française », cité par A.C. Lomo Myazhiom, Sociétés et rivalités religieuses au Cameroun sous domination française (1916 – 1958), Paris : L’Harmattan, 2001, p. 287.

[8] Le fait religieux à l’origine de l’installation des Haoussa en pays bamiléké, est lié surtout à l’islamisation du roi Njoya.

[9] M. Donlefack, R. B. Onomo Etaba & C.C. Fouellefak Kana, « Diplomatie traditionnelle et rapprochement des cultures : le rôle du roi Njoya dans l’épanouissement de la culture musulmane en pays bamiléké » in Komidor Njimoluh (Sd.), Le roi Njoya créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, Paris : L’Harmattan, 2014, p. 153. Il faut noter que jusqu’au début du protectorat allemand, les Haoussa et les Peul bien que déjà présents dans les marchés bamiléké, n’avaient pas encore procédé à une installation permanente, car l’hostilité de certaines autorités traditionnelles les exposait à de multiples attaques. Ainsi la création des stations militaires par les Allemands a davantage encouragé l’introduction des Haoussa et même leur installation. Aujourd’hui encore, les anciens sites d’occupation haoussa dans le pays bamiléké nous renseignent mieux sur cette relation close entre Haoussa et Allemands. Que ce soit à Dschang, à Bafoussam ou à Mbouda, ils sont les seuls peuples africains qui vivaient en contact direct avec le quartier administratif.

[10] Z. Saha, « Le Bezirk de Dschang : relations entre l’administration coloniale allemande et les autorités traditionnelles (1907-1914) », Mémoire de Maitrise en Histoire, Université de Yaoundé, 1993, p. 42-45.

[11] C. C. Fouellefak Kana, « Le christianisme occidental à l’épreuve des valeurs religieuses africaines : le cas du catholicisme en pays bamiléké au Cameroun (1906-1995)», Thèse de Doctorat en Histoire, Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l’Art-Tourisme, Université Lumière Léon 2, pp. 126-128.

[12] Ibid. 

[13] E. Mveng, Histoire du Cameroun, tome II, Yaoundé : CEPER, 1985,pp. 42-43.

[14]  M. Lasseur, « Cameroun : les nouveaux territoires de Dieu », in Afrique Contemporaine, N°215, 2005, pp. 93-116.

[15] Onomo, Rivalités et conflits religieux, pp. 100-101.

[16] http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-4510.html, consulté le 18 août 2019.

[17] Ibid. p. 103.

[18] R. Ondobo, « Les conflits religieux au Nord Cameroun », travail de recherche à l’ETSC, 2002, p. 14.

[19] Felix Sabal Lecco, cité par B. De Dinechin et Y. Tabart, Un souffle venant d’Afrique, Communautés chrétiennes au Nord-Cameroun, Paris, Centurion, 1986, p. 126.

[20] 1895 renvoie à l’islamisation de Njoya roi des Bamoun. Elle marque ainsi le début de l’influence de l’islam dans les Grassfields à travers les nouvelles conversions et l’installation des Peul et Haoussa, véritables vecteurs de l’islam au Cameroun. L’année 1990 quant à elle nous rappelle l’effervescence religieuse au Cameroun créée par la loi No 90/053 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté d’association. Elle a ouvert le Cameroun à de nouveaux courants religieux. 

[21] P. Dubié, « Christianisme, Islam et Animisme chez  les Bamoum (Cameroun) »,in Bulletin de l’I. F. A. N., TomeXIX, no 3-4, Dakar, juillet 1957, pp. 370-373.

[22] Bien qu’il y ait un rapprochement culturel entre les Bamoun, les Tikar et les Bamiléké, notons également que géographiquement parlant, le pays bamiléké n’est pas une zone de forêt dense que l’on considère comme ayant fait obstacle à l’islam, mais une zone de hauts plateaux et de montagnes, rappelant les massifs montagneux du Nord Cameroun et d’Afrique occidentale qui abritent des ilots animistes hostiles à l’islam. C’est un pays d’agriculteurs, ou l’élevage extensif du gros bétail est rendu impossible par le manque d’espace plutôt que par des conditions climatiques défavorables.

[23] Ibid. p. 370. Certains missionnaires protestants, à cette époque, formulaient les mêmes craintes.

[24] S. Kwami Sidza, « L’islam en Afrique subsaharienne des origines aux indépendances : histoire et analyse», in Kwami Sidza Seeti et Komi Dzinyefa Adrake, Islam et christianisme en Afrique, Yaoundé : Editions CLE, 2006, pp, 85-97.

[25] Ibid. p. 77.

[26] La circulaire nº942/CF/APA.I du 26/07/54 a/s Islam et Marabout, Archives Départementales de Dschang. 

[27] Bulletin de notes n° 179 du 31 décembre 1951, Archives Départementales de Dschang.

[28] E. D. Eloundou & A. Ngapna, Un souverain bamoun en exil : le roi Njoya Ibrahima à Yaoundé (1931–1933), ouvrage inédit, pp. 38-39.

[29] Ibid.

[30] A. Maurice & al. Historique de la paroisse Saint Augustin, Dschang, ouvrage inédit, p. 8. 

[31] L’installation des missionnaires au centre urbain va avoir un impact considérable dans l’évolution de l’islam. Ils vont, avec l’aide de l’administration, procéder à la destruction de la mosquée qui se trouvait sur le site de l’actuelle École Catholique Saint Augustin groupe II, du presbytère et de l’église elle-même. Cette destruction va être suivie du déguerpissement de la communauté musulmane de ce site. La nouvelle force religieuse vient déstabiliser l’islam et le relègue au second plan ; même les populations locales, longtemps attirées et flattées par l’islam, vont se voir progressivement se soumettre aux dogmes du Christianisme. Il faut noter que la destruction de la mosquée n’a pas fait l’objet d’un conflit armé.

[32] Plusieurs raisons expliquent ce refus : premièrement, la communauté musulmane ne veut pas s’éloigner du centre urbain. Car le nouveau site est situé à près de 2 km de ce centre, au quartier appelé aujourd’hui « quartier mosquée ». Deuxièmement, la situation politique du Cameroun tourne en faveur de l’expansion de l’Islam dans la Subdivision de Dschang. La ville de Dschang accueille de plus en plus les populations paysannes. Les prosélytes musulmans de Dschang trouvent en cette situation une occasion idoine pour conquérir de nouveaux adeptes.

[33] M. Donlefack, « Islamisation et mutations des peuples de Menoua 1850-2005 », These de Master, Departement d,Histoire, FLSH, Universite de Dschang, 2009, p. 86.

[34] Aladji Bala, 83ans, Notable à la chefferie haoussa de Bafoussam, Bafousam, 19/05/2010.

[35] Parlant de l’indépendance du Cameroun en 1960, il s’agit justement de l’indépendance de la partie francophone du pays issu de la partition de 1916 après le départ des Allemands à la fin de la Première Guerre mondiale.

[36] Souley Mane, « Islam et société dans la région du Mbam (Centre-Cameroun) : XIX?-XX? siècle», Thèse de Doctorat / Ph.D, Département d’Histoire, FALSH, Université de Yaoundé I, 2006, p. 253.

[37] À l’occasion de la 24ème fête internationale de la femme, le 08 mars 2009 à Dschang, les femmes musulmanes ont organisé une conférence sur la protection à la fois religieuse et juridique de la femme et de la jeune fille contre les violences : l’état des lieux. Elles étaient assistées par un mouvement chrétien de l’église Saint Augustin. Il s’agit de la chorale Sainte Joséphine. À la fin de la conférence, la phase de réjouissance a été pleine de surprises : les musulmans présents se sont associés aux choristes dans les pas de danse et dans les encouragements avec quelques billets de banques. 

[38] Anazetpouo, Zakari, environ 47ans, imam de la mosquée de Minmeto’o Dschang, Dschang, 26/04/2013.

[39] Bawa, Daïrou, 78 ans, Chef de la communauté musulmane de Dschang, Dschang, 26/01/2011.