Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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La « grève du chocolat » de 1947 : une mobilisation enfantine d’un océan à l’autre

Francis Dupuis-Déri, professeur de science politique à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et membre du Collectif de recherche Action et politique et démocratie (CAPED)

Les grèves de la jeunesse pour le climat, interrompues par la pandémie de la COVID-19, reprendront sans doute très prochainement. Cette mobilisation a débuté en 2018 lorsque la jeune suédoise de 15 ans Greta Thunberg a commencé à faire la grève de l’école, tous les vendredis après-midi, pour manifester devant le parlement. Un peu partout dans le monde, d’autres jeunes — surtout des filles — ont répondu à son appel et organisé à leur tour des grèves de l’école, puis des manifestations de masse. À Montréal, par exemple, une élève de 5e secondaire, Sara Montpetit, a lancé le mouvement Pour le futur Montréal. En 2019, les journées mondiales de manifestation pour le climat ont été exceptionnelles par leur ampleur et celles de Montréal ont été qualifiées des plus importantes de l’histoire du Canada, par le nombre de personnes y participant. Or les gouvernements ont décrété le confinement et la fermeture des écoles en réaction à la pandémie, mesure qui a interrompu ce mouvement de la jeunesse. Des élèves au Japon ont même manifesté contre la réouverture des classes, de crainte que les mesures sanitaires prévues ne soient pas adéquates[1].

Aussi exceptionnelle soit-elle, cette mobilisation de la jeunesse marquée par des grèves d’élèves s’inscrit dans l’histoire longue des grèves scolaires, un phénomène relativement peu connu et peu étudié, à l’exception du cas britannique[2] et, dans une moindre mesure, du Chili[3]. Au Canada et au Québec, l’histoire est également marquée par des grèves dans les écoles, entre autres contre l’antisémitisme, contre la misère économique, contre des réformes pédagogiques, etc[4]. Plusieurs raisons peuvent expliquer que cette histoire reste dans l’ombre, notamment le fait que les ex-enfants maintenant adultes ne considèrent pas les jeunes qui n’ont pas encore atteint l’âge de majorité civique comme une force politique et sociale dotée d’une capacité d’action autonome. Au mieux cherche-t-on à expliquer leur action par l’influence et même la manipulation qu’exerceraient des adultes mal intentionnés.

Heureusement, quelques anciens enfants devenus adultes mènent des recherches qui prennent les jeunes au sérieux, en tant qu’acteurs et actrices politiques ayant des intérêts, une volonté et une capacité d’agir individuellement et collectivement. La sociologue Caroline Caron, par exemple, défend l’approche « différentialiste » de la citoyenneté qui reconnaît aux jeunes la capacité autonome de participer à leur manière aux débats et aux conflits sociaux, en fonction de leur identité, de leur le besoin de reconnaissance, de la défense de leur dignité, etc.[5]. Plus généralement, la « nouvelle sociologie de l’enfance » — ou les Childhood Studies — s’intéresse à la capacité d’agir des jeunes[6], tout comme de nombreuses études historiques.  

Certes, les jeunes participent depuis les débuts de l’école publique au 19e siècle à différentes activités civiques dans leurs établissements scolaires, par exemple la marche Miles for Millions dans les années 1960[7] ou aujourd’hui la Marche-Monde d’Oxfam pour recueillir de l’argent pour les plus pauvres, les comités d’Amnistie internationale, de la diversité sexuelle ou écolo. Plusieurs s’impliquent politiquement en siégeant au conseil d’élèves de leur établissement scolaire[8]. Même lorsqu’elles ne sont pas directement pensées par et pour les adultes, ces activités restent sous le contrôle des adultes, n’ont pas de portée contestatrice et sont même perçues par les autorités scolaires comme favorisant la socialisation et l’intégration des élèves.

C’est tout le contraire avec la « grève du chocolat », déclenchée en 1947 par des jeunes en Colombie-Britannique et qui va rapidement toucher toutes les provinces. Cette mobilisation démontre à la fois la capacité des jeunes à se mobiliser de manière autonome et conflictuelle, y compris avant les fameux médias sociaux, et permet de saisir comment des adultes tentent de miner la légitimité de telles mobilisations en laissant entendre qu’elles ne sont que le résultat d’une manipulation des enfants.

Des poussières et des femmes : Santé, militantisme et rapports de genre lors de la grève de Thetford Mines (1975)

Par Sandrine Labelle, Université du Québec à Montréal

Le 18 mars 1975, 3000 travailleurs des mines d’amiante de la région de Thedford Mines déclenchent une grève. Les enjeux principaux du conflit sont les risques environnementaux et sanitaires que pose l’exposition à la poussière d’amiante pour les travailleurs. Cette grève est marquée par l’importante mobilisation des épouses de mineurs. Elles s’organisent notamment à travers le Comité des femmes d’appui aux mineurs (CFAM). L’analyse des activités du CFAM permet de mieux comprendre la manière dont ces militantes politisent leur expérience en tant que femmes d’ouvrier au cours de cette lutte. Cet article met en lumière les préoccupations propres à ces femmes d’ouvriers et vise à cerner les motifs qui les amènent à se mobiliser. Il souhaite également valoriser le travail de ces femmes qui, par leur militantisme, réinterprètent le sens de leur identité féminine et ouvrière. Ainsi, elles se positionnent comme des actrices clés de leur communauté.

Mots-clés : Thetford Mines; militantisme féminin; grève; femmes; mines; amiante; santé; rapports de genre; familles ouvrières

Revisiter la révolte des travailleurs et des travailleuses de Winnipeg

Affiche de David Lester
Essai du Graphic History Collective
Traduction* : Benoit Marsan (révision : Adèle Clapperton-Richard)

Au mois de janvier 2017, le Graphic History Collective (GHC) a lancé Remember | Resist | Redraw: A Radical History Poster Project, un projet destiné à offrir une perspective artistique et critique aux conversations entourant Canada 150. Le projet a continué en 2018 et 2019, et est toujours en cours aujourd’hui.

Au mois d’avril dernier, le collectif a fait paraître la dix-neuvième affiche, réalisée par David Lester. Cette affiche vient souligner le centenaire de la grève générale de Winnipeg de mai et juin 1919, l’une des plus importantes de l’histoire du Canada.


En 1919, 35 000 ouvriers et ouvrières de Winnipeg, au Manitoba, territoire du Traité #1 (1871) et terre natale de la Nation Métisse, ont mené une grève générale de six semaines du 15 mai au 26 juin. Provenant de divers horizons, ils et elles ont arrêté toute production pour réclamer des salaires plus élevés, le droit à la négociation collective et plus de pouvoir pour la classe laborieuse. Cent ans plus tard, la grève générale de Winnipeg demeure l’une des plus grandes et des plus importantes de l’histoire du Canada.

Sur une histoire engagée du mouvement étudiant

Par Daniel Poitras

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Compte-rendu de THEURILLAT-CLOUTIER, Arnaud. Printemps de force. Une histoire engagée du mouvement étudiant au Québec (1958-2013). Montéral, Lux éditeur, 2017, 496 p.


Dans la vague des « célébrations » du 50e anniversaire de Mai 68, le livre d’Arnaud Theurillat-Cloutier tombe à point. Jusqu’ici, en fait de synthèse, il fallait s’accommoder du livre pamphlétaire et à droite de Marc Simard[1], qui n’avait pas pris le soin lui, d’admettre sa posture idéologique (et peut-être surtout, générationnelle). Rien de tel avec le livre qui nous intéresse ici. Bien sûr, devant un titre comportant l’expression histoire engagée, l’historien est naturellement porté à affûter ses couteaux, tout paré qu’il est à séparer le grain de l’ivraie – ou la science de la non-science. Il flaire déjà l’anachronisme, le contrefactuel, la décontextualisation, l’abstraction, la causalité indue, la téléologie ou tout ce qui tombe plus ou moins dans son radar disciplinaire. Comment considérer un livre d’histoire qui respecte les usages de la discipline et qui est aussi un livre engagé dont l’ambition est non seulement d’offrir une synthèse, mais qui propose également d’actualiser près d’un demi-siècle de militance étudiante? Avec quels critères en rendre compte : ceux de la discipline historique ou ceux – beaucoup plus difficiles à établir et qui, au fond, échappent largement au présent –, de la pertinence d’un travail pour les combats d’aujourd’hui et de demain? La question se pose encore plus vivement lorsqu’il s’agit d’un livre portant sur un mouvement social dont le propre est de vouloir marquer et changer l’histoire. Devant un tel objet, la personne historienne est doublement interpellé.e, dans sa science et dans son présent. Et c’est encore plus le cas si la personne a, elle-même, comme l’auteur du présent ouvrage, participé directement, comme militant (en 2005 et 2012), au mouvement social dont il traite.

Le mouvement étudiant et son rapport à l’histoire : le cas de la grève générale illimitée de 2012

Par Camille Robert, étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et collaboratrice pour HistoireEngagee.ca[1]

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La grève étudiante de 2012 aura sans aucun doute marqué l’histoire du Québec. Le mouvement étudiant ne s’est toutefois pas contenté de faire l’histoire; se réclamant lui-même du passé, il y a cherché sa légitimité, notamment à travers des événements, des personnages et des symboles marquants. En tant que militante et étudiante en histoire, j’ai cherché à mieux comprendre comment s’est articulé, dans le cadre d’un mouvement social, ce dialogue avec l’histoire. Le recours à des affiches, des bannières et des images ayant circulé sur les médias sociaux ouvre une fenêtre sur cette réappropriation historique, alors que la lecture d’articles provenant de l’Ultimatum, le journal de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) – et de sa coalition large, la CLASSE – permet quant à elle de mieux saisir le discours de l’un des principaux témoins et acteurs du printemps 2012. Grâce à cette documentation, il est possible d’analyser non seulement le récit historique dans lequel s’est inscrit le mouvement étudiant, mais aussi les symboles historiques utilisés par les grévistes, les références à l’histoire dans les débats internes du mouvement, et enfin la conscience de faire l’histoire chez les militantes et les militants de la communauté estudiantine.

Construction d’un récit historique alternatif

À la lecture de plusieurs articles du journal Ultimatum, il apparaît que l’ASSÉ[2] ne se réclame pas d’une histoire politique, mais plutôt d’une histoire sociale, composée de grèves ouvrières, de luttes des sans-emploi, de combats féministes et de mobilisations populaires. Dans un extrait de l’Ultimatum d’août 2012, on peut bien comprendre de quel héritage se revendique l’ASSÉ :

Et lorsque notre mobilisation devient suffisamment puissante, l’élite politique et économique n’a tout simplement pas le choix de nous écouter. C’est ainsi que s’est bâti le Québec. Souvenons-nous des grèves ouvrières de nos grands-parents. Souvenons-nous de la grande noirceur qui a été vaincue. Souvenons-nous des grèves étudiantes, du front commun de 1972 qui défiait les injonctions et des mobilisations populaires, comme celle contre la guerre en Afghanistan. Aujourd’hui, nous savons que les droits que nous avons acquis sont le résultat de nos luttes[3]!

Les acquis sociaux actuels ne sont donc pas présentés comme un état de fait, mais comme des concessions obtenues des gouvernants sous la pression de luttes sociales. Par exemple, on explique les frais de scolarité moins élevés du Québec comme le fruit de luttes étudiantes à partir des années 1960. Le mouvement étudiant québécois s’inspire également des mouvements sociaux qui se déroulent à travers le monde à la fin des années 2000 : émeutes anti-austérité en Grèce, printemps arabe[4], grèves étudiantes au Chili et en Angleterre, indigné-e-s d’Espagne, mouvement Occupy, etc. Ces mouvements ont tous en commun la création d’espaces politiques de contestation en dehors du parlementarisme, avec des structures de pouvoir décentralisées. Ainsi, le mouvement étudiant québécois se présente à la fois comme héritier des acquis des mouvements sociaux des dernières décennies, mais aussi comme le gardien de ces acquis, dans un contexte où les centrales syndicales et d’autres groupes de pression connaissent une mobilisation plus discrète. Cette histoire populaire se situe donc en rupture avec une histoire des élites et des gouvernants; on s’intéresse alors à la lutte constante menée contre cette élite, c’est-à-dire à l’action dynamique d’acteurs sociaux pour transformer le cours de l’histoire.

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