Aide financière au parent au foyer : un piège pour les femmes?

Publié le 2 octobre 2017

Par Camille Robert, candidate au doctorat en histoire à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), autrice de l’ouvrage Toutes les femmes sont d’abord ménagères. Histoire d’un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager et collaboratrice pour HistoireEngagee.ca

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Caricature représentant René Lévesque et Yvon Dupuis sur deux chars, tirés par des femmes, dans « Aux ânes des carottes… Aux femmes des promesses de liberté… », Québécoises deboutte!, vol. 1, no 5, avril 1973, p. 5.

Au Congrès de la Relève de la CAQ, tenu la fin de semaine des 23 et 24 septembre 2017, l’une des résolutions visait la bonification de l’aide financière accordée au parent qui demeure au foyer avec un enfant d’âge préscolaire. Dans le cahier du participant, on pouvait lire que « [l]a présence à la maison des parents est un facteur important qui contribue au développement des enfants ». Faute de revenus, ajoutait-on, de nombreux parents sont toutefois contraints de retourner au travail. Bien qu’il puisse sembler louable de reconnaître la valeur du travail au foyer, la proposition essuie mal les critiques lorsqu’on la replace dans son contexte historique.

L’idée n’est pas nouvelle. L’ADQ avait déjà défendu une mesure semblable en 2007, soit une allocation aux familles dont les enfants ne fréquentaient pas le réseau de garderies. Qualifiée d’« allocation à la mère au foyer », cette proposition avait entraîné une levée de boucliers dans les milieux féministes. Plusieurs organisations y voyaient un recul pour l’autonomie économique des femmes, ainsi qu’un renforcement du modèle familial traditionnel pourvoyeur-ménagère.

Dès les années 1970, plusieurs propositions de rémunération des parents au foyer sont apparues dans les programmes de partis provinciaux. En 1973, le Parti québécois et le Crédit social proposaient tous deux de rémunérer la conjointe au foyer. À l’époque, cette proposition a été largement critiquée par le mouvement féministe. En avril 1973, le Centre des femmes écrivait dans son journal Québécoises deboutte! : « Ceci peut paraître progressiste de laisser supposer que “l’un ou l’autre des conjoints” peut assumer la tâche du travail au foyer. Mais dans la pratique, combien d’hommes accepteraient de jouer le rôle de ménagère et jusqu’où s’impliqueraient-ils[1]? »

Il faut dire que la question du partage et de la reconnaissance du travail ménager était dans l’air du temps. Dès le tournant des années 1970, plusieurs collectifs féministes, regroupements de femmes, partis politiques et comités syndicaux de condition féminine se sont penchés sur cet enjeu, et ont proposé des mesures visant sa rémunération, sa socialisation, ou encore la mise en place de réformes gouvernementales. Alors qu’une majorité de femmes était au foyer, un véritable débat de société s’est enclenché : la libération des femmes passait-elle d’abord par la reconnaissance sociale et économique de leur travail au foyer ou bien par leur intégration au marché du travail? Dans l’ensemble, c’est cette dernière avenue qu’ont choisie le mouvement féministe et le mouvement syndical.

Si de nombreuses femmes ont gagné une certaine autonomie financière depuis deux générations, il s’agit d’une victoire bien partielle. Aujourd’hui, dans les couples hétérosexuels, malgré une meilleure répartition du travail entre les conjoints, les femmes continuent  d’assumer la plus grande partie du travail ménager et portent souvent seules la « charge mentale » de l’organisation familiale et domestique. Sur le marché de l’emploi, elles demeurent surreprésentées dans les secteurs traditionnellement féminins, gagnent des salaires moins élevés pour un travail équivalent[2] et sont plus nombreuses à travailler à temps partiel pour concilier leur emploi avec leurs « responsabilités familiales » – ce qui les prive bien souvent d’avancement et d’une partie de leur revenu. Or, ce n’est pas parce qu’elles « attachent moins d’importance au salaire que les garçons », comme l’affirmait François Legault dans un gazouillis en 2012[3], mais bien parce que leur travail continue d’être perçu comme « valant moins » que celui des hommes.

La proposition de la CAQ pose bien sûr la question de la précarité économique de certains ménages et de la difficulté, pour plusieurs parents, de passer du temps de qualité avec leurs enfants. Cependant, cette mesure fait encore une fois reposer la responsabilité du soin des enfants sur les femmes à titre individuel, par le biais d’arrangements privés avec leur conjoint. Même si l’allocation n’est pas exclusivement destinée aux femmes, ces dernières sont plus susceptibles de quitter leur emploi pour rester au foyer, s’exposant ainsi à une certaine insécurité financière. Dans les faits, une telle mesure ne permet donc pas de remettre en cause les facteurs structurels qui freinent l’émancipation économique, sociale et politique des femmes.

Ainsi, la CAQ ne s’intéresse pas à la condition globale des femmes – qui n’est d’ailleurs abordée nulle part dans le cahier du Congrès de la Relève – et mise plutôt sur un modèle familial traditionnel. Toutefois, donner véritablement le choix aux mères implique d’améliorer l’ensemble des aspects qui touchent leurs conditions de vie. Après plusieurs années de compressions budgétaires dans les Centres de la petite enfance, dans les écoles primaires et dans les groupes communautaires qui accompagnent les parents, l’idée d’une allocation masque les problèmes fondamentaux liés à l’accès aux services publics. La qualité de vie des familles et l’amélioration de la condition des femmes devraient d’abord passer par une réelle prise en charge sociale et collective, et non privée, du travail de soin et d’éducation des enfants.

Pour en savoir plus

DUVAL, Alexandre. « Les femmes pourraient encore gagner moins que les hommes dans 20 ans ». Radio-Canada (11 septembre 2016). [En ligne]http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/802222/equite-salariale-femmes-gagneront-moins-dans-20-ans?fromBeta=true.

MALTAIS, Bruno. « Un tweet de François Legault jugé sexiste ». Radio-Canada (11 juillet 2012), [En ligne]http://blogues.radio-canada.ca/surleweb/2012/07/11/un-tweet-de-francois-legault-juge-sexiste/.

O’LEARY, Véronique et Louise TOUPIN, dir.  Québécoises deboutte!, tome 2. Collection complète des journaux (1972-1974). Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 1983, 370 p.

ROBERT, Camille. Toutes les femmes sont d’abord ménagères. Histoire d’un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager. Montréal, Éditions Somme toute, 2017, 178 p.

TOUPIN, Louise. Le salaire au travail ménager. Chronique d’une lutte féministe internationale (1972-1977). Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 2014, 451 p.


[1] « Le P.Q. : Espoir ou illusion », Québécoises deboutte!, vol. 1, no 5, avril 1973, p. 5, dans Véronique O’Leary et Louise Toupin, dir., Québécoises deboutte!, tome 2. Collection complète des journaux (1972-1974), Montréal, Éditions du Remue-Ménage, 1983, p. 129.

[2] Alexandre Duval, « Les femmes pourraient encore gagner moins que les hommes dans 20 ans », Radio-Canada, 11 septembre 2016, en ligne.

[3] Bruno Maltais, « Un tweet de François Legault jugé sexiste », Radio-Canada, 11 juillet 2012, en ligne.