Par Alexandre Klein, Université d’Ottawa
Nous vivons une époque marquée par les crises[1]. Il y a bien sûr la crise du coronavirus qui nous a touchés à la fin de l’hiver et qui a transformé, au cours du printemps, l’ensemble de nos existences, tant physique et mentale qu’économique et sociale. Il y a également la crise politique qui embrase actuellement une grande partie du globe suite au meurtre de George Floyd, le 25 mai dernier à Minneapolis par un policier blanc. Il y a aussi la crise économique qui se dessine à l’ombre de ce que l’on appelle déjà « Le Grand Confinement » ou encore la crise des opioïdes qui poursuit ses ravages en Colombie-Britannique comme dans le reste du Canada et aux États-Unis. Et puis il y a cette crise plus globale que nous vivons depuis plusieurs décennies maintenant, mais dont l’urgence s’est affirmée au cours des dernières années : la crise écologique. Ainsi, il est courant de lire dans les journaux et d’entendre à la radio ou à la télévision ce terme qui semble définir notre époque (et ce d’autant plus que ces diverses crises, sanitaire, sociale, économique, migratoire et écologique s’avèrent intimement liées). Pourtant, malgré (ou peut-être du fait de) son omniprésence, on s’interroge peu sur le sens exact de cette notion qui reste polysémique. Le dictionnaire Larousse rattache en effet la crise tant à de l’enthousiasme soudain, qu’à un accès sentimental brusque ou encore à un moment difficile à passer, une rupture d’équilibre temporaire mais établie, voire même une pénurie dans le cas de la crise du logement. Certains n’y voient ainsi qu’un état passager menant à un retour à la normale, ce qui les invite par exemple à refuser qu’on l’applique à l’irréversible drame climatique[2], tandis que d’autres y recourent au contraire pour insister sur la gravité de la situation vécue[3]. Mais qu’implique véritablement la notion de crise ? Quels peuvent en être les différents sens et surtout quelle en est la portée ? Le philologue et historien français Jackie Pigeaud, disparu en 2016, peut nous aider à y voir plus clair. Il s’est en effet intéressé à l’histoire, d’abord médicale, de cette notion, et contribue dès lors à nous éclairer sur cette période singulière qui est la nôtre et qui semble souvent se réduire à ce simple vocable.