Pense-bête pour jeunes historiens dans les médias*

Publié le 1 septembre 2010

Luc Nicole-Labrie

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Cette semaine au Québec, c’est le début des cours dans plusieurs universités. Bien des étudiants y arrivent pour la première fois, plusieurs continuent leurs programmes, d’autres débutent des études aux cycles supérieurs et tous devraient y apprendre des tonnes d’informations utiles, que ce soit dans leur propre champ d’étude, pour leur carrière ou même pour leur culture générale. Dans les programmes d’histoire, c’est la même chose. Cependant, peu de choses préparent la jeune historienne ou le jeune historien au travail d’historien «professionnel», hors des salles de classe. Cette semaine, j’ai cru bon préparer une petite liste, pour que l’historien qui cherche à vulgariser son information dans les médias puisse éviter certains pièges et sache bien dans quoi il s’embarque. Cette liste s’inspire de mes propres expériences.

1- Connaître nos limites

Vous recevez un appel. Des demandes d’entrevues sur l’histoire du Pont Jacques-Cartier; sur l’histoire du Vieux-Hull; sur l’histoire de la Belgo de Shawinigan. Pouvez-vous vraiment répondre à la demande? N’hésitez pas à refuser des entrevues qui semblent un peu tirées par les cheveux par rapport à vos compétences et à vos recherches. Si vous ne le sentez pas, c’est probablement que cela n’en vaut pas la chandelle.

2- Connaître le média et la demande

À la télévision, les images parlent. Êtes-vous certain que le sujet peut être illustré? À la radio, ce sont les mots. Il faut entendre et comprendre: débit, force, vocabulaire. Les entrevues sont souvent plus longues. Attention: vous ne gagnez rien à lire vos réponses, même si vous devez vous donner le droit d’avoir des notes, des pistes de réponses avec vous. Rappelez-vous: ce n’est pas une conférence scientifique, mais une présentation aux médias et surtout à leurs auditeurs ou lecteurs. Si le public écoute, il est intéressé et vous devez donc alimenter cet intérêt. Le rythme est très rapide, l’intérêt doit être constant et gardé comme tel. Attention: cela ne dénature pas votre propos, c’est seulement la réalité des médias. À l’écrit, il faut être clair et précis; le bon mot au bon endroit. Et une question cruciale: est-ce que l’entrevue sera en direct ou pré-enregistrée. Le direct est sans filet, mais tout y passe. L’enregistrement est plus sécuritaire (on peut reprendre des phrases mal formulées par exemple), mais vous ne contrôlez pas le contenu définitif et parfois, cela peut créer certaines surprises sur le produit final (citations isolées, propos cruciaux coupés, etc.). Si possible, restez à la disposition du média pour confirmer le ton des propos accordés.

3- S’entendre sur les questions

On espère donner de la profondeur historique à un sujet d’actualité? Vous avez été approché? Vous acceptez l’entrevue? Autant que possible, ne vous jetez pas dans la gueule du lion sans préparation. Certes, vous connaissez le sujet, mais connaissez-vous l’interviewer? La chose la plus importante est certainement de s’entendre à l’avance sur le sujet précis et les questions de l’entrevue. Dans un monde parfait, parlez en détail au recherchiste (s’il y en a un) et idéalement à l’interviewer pour fixer vos balises; cela évite de sortir du sujet et vous permet de rester dans une zone où vous êtes en plein contrôle de vos moyens et de votre sujet. Cela améliorera la qualité de l’entrevue. Faites comprendre que ça ne sert à rien de faire 23 détours hors du sujet: vous pouvez tomber dans le piège des réponses faciles ou même des erreurs historiques et historiographiques qui ne colleraient pas avec le sujet ou avec le ton des réponses que vous souhaitez donner. Un bon interviewer crée une chimie en quelques secondes; un bon interviewé répond aux questions de façon claire et soutenue.

4- Développer sa couleur!

On veut parler de l’histoire du Vieux-Québec? On peut aller voir Jean Provencher, Denis Vaugeois, Jacques Lacoursière, Réjean Lemoine, Jean-Marie Lebel… et les autres… Alors pourquoi vous? Parce que vous êtes blond, punk, arabe? Il vous faut une couleur spécifique. Des historiens académiques, il en sort des centaines des bancs universitaires du Québec chaque année. Parler aux médias «grand public» ne demande pas le même ton que de parler à vos pairs étudiants, chercheurs ou aux professeurs des facultés. Faire de la vulgarisation n’est pas la même chose. Votre recherche et votre préparation doivent être rigoureuses (après tout, c’est probablement pour cela qu’on vous approche!). Votre rendu doit être vivant, épicé, rythmé. Vous connaissez votre sujet par coeur? À vous de le faire vivre de façon unique. Il faut être différent et rigoureux; (développez un ton de voix dynamique, trouvez la bonne petite anecdote, etc.)

5- Un cachet? Pourquoi pas!!

On demande votre avis professionnel? Faites-vous de la promotion pour votre employeur, pour la sortie d’un livre, pour un centre de recherche? Tant mieux pour vous et votre projet et bonne promotion! Une radio communautaire ou étudiante veut une expertise? Laissez parler votre coeur et participez si vous le désirez. D’un autre côté, un média privé vous commande une chronique spéciale ou régulière sur un sujet d’intérêt? Très bien, vous êtes un spécialiste. Mais vous travaillez et cela se rémunère. Des échanges de visibilité au minimum et un cachet en argent au mieux. Votre travail doit être reconnu. C’est un des principaux défis des historiens professionnels aujourd’hui. Vous avez eu une bonne formation universitaire, de l’expérience et votre expertise se paye. Cela peut être gênant et intimidant, mais il faut au moins le demander.

Ce message est évidemment ouvert à la discussion. Donnez vos exemples, posez vos questions et surtout commentez. Je ne crois pas faire ici le tour de la question, mais j’espère au moins avoir donné des idées et des pistes de réflexion pour éviter les pièges. Bonne lecture!

*Publiée sur Histoire et Société.