Compte-rendu du livre Guiding Modern Girls: Girlhood, Empire, and Internationalism in the 1920s and 1930s de Kristine Alexander

Publié le 6 février 2023

Annie Des Groseillers, étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université de Montréal

 

Le livre Guiding Modern Girls: Girlhood, Empire, and Internationalism in the 1920s and 1930s, écrit par Kristine Alexander et publié en 2017, porte sur le mouvement des Guides au Royaume-Uni, en Inde et au Canada dans les années 1920 et 1930. L’autrice, une historienne spécialisée en histoire des enfants et de l’enfance, concentre son analyse principalement sur les questions de genre, d’empire et d’internationalisme à travers l’histoire des Guides. Elle adopte une perspective transnationale et cherche à démontrer certains parallèles entre trois endroits géographiques où le colonialisme s’exprime différemment : le Royaume-Uni, en tant que métropole de l’empire britannique; le Canada, société majoritairement blanche issue du colonialisme de peuplement français et britannique et finalement, l’Inde, colonie britannique où les Blancs détiennent le pouvoir mais sont minoritaires.

Dans ce livre, Kristine Alexander montre comment, dans les décennies 1920 et 1930, le mouvement des Guides au Royaume-Uni, au Canada et en Inde contribue à la fois à maintenir un idéal de la modernité féminine conservatrice ancrée dans la maternité et la domesticité et à encourager chez les jeunes Guides une certaine indépendance et même certains traits associés à la masculinité, comme le courage et la force physique. Ce mouvement a aussi défendu des idées d’internationalisme et d’impérialisme sous la forme de métaphores familiales. Les représentants du mouvement des Scouts et des Guides ont ainsi perpétué des hiérarchies basées sur la race, la classe, le genre et la « civilisation » à travers leurs idéaux, leurs discours et leurs actions. Le livre « explores how ideas about girlhood travelled across borders, and asks how they were complicated and changed by factors like race, class, and religion by tracing the circulation and reshaping of the Guide movement’s texts, consumer goods, and ideals across three distant and different parts of the British Empire[1]. » L’autrice montre aussi comment les jeunes filles ont pu adapter et s’approprier les enseignements et les structures du mouvement des Guides selon leurs réalités locales et individuelles.

 

Guiding Modern Girls est organisé de façon thématique. Un thème central de cette analyse est celui de la féminité. Après un aperçu des origines victoriennes, de la genèse et des premières années du mouvement des Scouts et des Guides en Angleterre et dans le monde, l’autrice aborde la question de la féminité enseignée par le mouvement des Guides. On cherche à préparer les jeunes filles à leur futur rôle supposé de mère et d’épouse, en charge des enfants, du foyer et des tâches domestiques. Les jeunes filles apprennent donc à réaliser différentes tâches ménagères et à prendre soin des bébés dans le cadre de jeux et d’exercices. Ironiquement, le fait que l’organisation soit exclusivement féminine crée aussi des espaces pour les jeunes filles et les femmes qui souhaitent exister en dehors des rôles genrés traditionnels en leur permettant d’occuper des positions généralement masculines en dehors du foyer familial. Un autre thème important est celui de la citoyenneté et de l’inclusion. Selon l’autrice, la formation à la citoyenneté offerte aux Guides permet certes aux jeunes filles d’acquérir des compétences pertinentes, par exemple des notions de premiers soins, mais ce programme propose une définition restrictive de la citoyenneté qui exclut de nombreux groupes. L’autrice analyse aussi les liens entre le mouvement des Scouts et des Guides et le militarisme ainsi que le colonialisme à travers les rapports à la nature et au plein air. Kristine Alexander étudie, entre autres, les rallyes et autres grandes manifestations publiques des Guides, comme les reconstitutions historiques (historical pageantry), les entrainements physiques de groupe et les exercices militaires, afin de mieux comprendre les rapports entre le mouvement des Guides et la construction genrée du corps ainsi que ses liens avec les jeunesses fascistes et nazies en Europe à la même époque. L’autrice porte enfin une attention au potentiel et aux limites de la volonté du mouvement des Guides de créer une « international sisterhood » basée sur l’amitié et la coopération internationale. Ce sont alors les concepts d’internationalisme et d’impérialisme qui teintent l’analyse du mouvement des Guides dans la période de l’entre-deux-guerres, période marquée entre autres par les espoirs et les déceptions par rapport à la Société des Nations, au pacifisme et à la coopération internationale. La volonté de créer une « Guide sisterhood » à travers les médias et les rencontres internationales est cependant limitée par les contraintes matérielles auxquelles sont confrontées un grand nombre de Guides et par les hiérarchies raciales et sociales que le mouvement ne remet pas en question.

 

L’autrice a consulté des sources officielles, produites par les autorités du mouvement des Scouts et des Guides, afin d’analyser les discours, les valeurs, les attentes et l’image qu’on voulait alors véhiculer des Guides. Elle a aussi accordé une grande attention aux sources produites par de jeunes Guides ou dans lesquelles il est possible de lire la « voix » des filles. Par exemple, l’autrice cite des lettres personnelles, des « scrapbooks », des « logbooks », etc. produits par des Guides ou par des « Guide Leaders » à propos des activités et des apprentissages réalisés dans divers contextes. Tout au long du livre, Kristine Alexander accorde de la place aux sources produites directement par les jeunes filles, de manière à mettre l’accent sur leurs « voix » pour mieux comprendre comment elles recevaient et s’appropriaient (ou non) les valeurs et les connaissances qu’on tentait de leur inculquer. Si, dans plusieurs cas, l’historienne n’a pas pu trouver de sources satisfaisantes pour tirer des conclusions sur le vécu et le ressenti des Guides, elle prend toujours la peine de rappeler l’importance de ne pas tenir pour acquis les discours véhiculés dans les sources officielles. Peu de traces des pensées ou des opinions des jeunes filles ont été conservées dans les archives, mais des hypothèses peuvent tout de même être émises à partir de certains exemples disponibles.

 

En conclusion, Guiding Modern Girls est un livre important qui contribue à plusieurs historiographies tout en créant des ponts entre celles-ci. En effet, d’un côté, l’histoire de l’empire britannique profite d’une analyse centrée sur des jeunes filles, personnes historiques rarement étudiées, surtout hors des limites d’une histoire nationale. D’un autre côté, l’histoire des enfants est enrichie par cette étude transnationale qui situe les jeunes filles dans leur contexte social, politique, matériel et colonial. À travers le livre, Kristine Alexander met l’accent sur l’importance de retrouver la « voix » des enfants et des adolescentes : un apport majeur de cette monographie à l’histoire des enfants, mais aussi à la pratique historienne en général. L’autrice démontre la nécessité de chercher autant que possible à nuancer les discours officiels à l’aide de sources dans lesquelles les jeunes filles concernées expriment, explicitement ou implicitement, leurs impressions, leurs émotions et leurs réactions à ce que les adultes attendent d’elles. Bref, ce livre rappelle que les jeunes filles sont des actrices historiques pourvues d’agentivité, qu’elles ne forment pas un groupe homogène, qu’elles sont affectées par leur environnement, qu’elles influencent en retour, ce que certain.e.s oublient encore aujourd’hui.

Bibliographie

Alexander, Kristine. Guiding Modern Girls: Girlhood, Empire, and Internationalism in the 1920s and 1930s. Vancouver : UBC Press, 2017.


 

[1] Kristine Alexander, Guiding Modern Girls: Girlhood, Empire, and Internationalism in the 1920s and 1930s, Vancouver, UBC Press, 2017, p. 8.