Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Recension de l’ouvrage « De si longues racines » de Micheline Dumont  

Par Annick Desmarais, candidate à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal

Avant-gardiste des recherches en histoire des femmes au Québec, Micheline Dumont a consacré sa carrière à lutter pour inscrire les femmes en tant qu’actrices importantes de l’histoire. Sa participation, en 1982, à l’ouvrage précurseur L’histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles[1] du Collectif Clio illustre son engagement audacieux. En parallèle à sa carrière d’enseignante à Montréal (1959-1968) et à l’Université de Sherbrooke à titre de professeure en histoire (1970-1999), elle s’est impliquée dans le débat public pour l’amélioration de la condition de vie des femmes et a publié près de 200 articles et rédigé de nombreux ouvrages. Ses publications postérieures à sa retraite en enseignement –  incluant notamment La pensée féministe au Québec[2], une anthologie qu’elle signe avec Louise Toupin, Pas d’histoire, les femmes! Réflexions d’une historienne indignée[3] ou Le féminisme québécois raconté à Camille[4] – dévoilent que son combat est toujours d’actualité : malgré les nombreuses avancées au cours des dernières décennies, les femmes ne font toujours pas partie du récit global dominant.

Dans son ouvrage De si longues racines, publié en 2022, Micheline Dumont emprunte une voie différente. Elle débroussaille les racines de son féminisme, en revenant au temps où elle n’était pas encore consciente d’être féministe. Son autobiographie débute avec ses plus lointains souvenirs et se termine lors de son grand déclic féministe à l’âge de quarante ans, moment où elle prend la décision de créer un premier cours en histoire des femmes au Québec. L’ouvrage est donc campé dans des événements antérieurs à son engagement militant : on y découvre sa jeunesse, les débuts de son mariage et de sa maternité. C’est avec une grande générosité et lucidité qu’elle livre ses mémoires en les analysant. À l’aide de son regard acéré sur les archives, elle scrute ses sources personnelles – journaux intimes, travaux scolaires, photos et autres – et offre de nombreux parallèles entre la perspective qu’elle avait sur la vie et le contexte historique de l’époque. Son autobiographie s’inscrit donc dans une démarche historique et s’apparente à celle d’autres historiennes qui ont documenté leur parcours, notamment son amie Andrée Lévesque dans « Essai d’égo-histoire[5]» publié en 2015. Leurs mémoires respectives illustrent, entre autres, que la discipline historique était encore à bâtir dans le Québec en ébullition des années 1960 et 1970.

Le Québec dans l’histoire mondiale de la démocratie, 1600-1840

Par Allan Greer, Université McGill

Joseph-François Lafitau, Moeurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps, t. 2, Paris, Chez Saugrain l'aîné ... Charles Estienne Hochereau, 1724, p. 314 [crédit Library of Congress]
Joseph-François Lafitau, Moeurs des sauvages ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps, t. 2, Paris, Chez Saugrain l’aîné, Charles Estienne Hochereau, 1724, p. 314 [crédit Library of Congress]

On assiste, depuis un certain temps, à la mondialisation de l’histoire du Québec (ce mot est un anachronisme voulu dans le contexte de la période d’avant 1867 pour désigner le Canada de l’époque de la Nouvelle-France, la « province of Quebec » et le Bas-Canada). En analysant l’histoire du Québec, les historien.nes sont de plus en plus sensibles aux contextes impérial, atlantique, nord-américain et des Amériques, et s’efforcent de chercher les liens qui relient des phénomènes québécois aux grands courants de l’histoire[1]. En même temps, quelques chercheurs.es dans d’autres parties du monde commencent à tourner les yeux vers des cas québécois pour mieux comprendre un passé qui dépasse les limites d’un seul pays. Une série de publications récentes mettent en vedette le rôle du Québec dans l’histoire de la démocratie, terme que j’utilise dans son sens large pour désigner les idées et les gestes en faveur du pouvoir politique populaire. Je voudrais recenser quelques-uns de ces ouvrages qui méritent, à mon avis, plus d’attention de la part des spécialistes québécois.es.

Recension en dialogue : Mononk Jules de Jocelyn Sioui (éditions Hannenorak, 2020) et Voyages en Afghani de Guillaume Lavallée (éditions Mémoire d’encrier, 2022)

Par Catherine Larochelle, membre du comité éditorial d’HistoireEngagée.ca et professeure d’histoire à l’Université de Montréal

Je n’affirme pas être historien, mais plutôt quelqu’un qui s’est intéressé à l’Histoire d’un petit peu trop près. J’en ai même des séquelles.

Jocelyn Sioui

Le livre Mononk Jules de Jocelyn Sioui (2020, éditions Hannenorak) commence avec un avertissement dans lequel l’auteur se positionne par rapport à son expertise historienne. Si Sioui ne se prétend pas historien, à mes yeux, son ouvrage est une tentative réussie de raconter l’Histoire – celle que les historien.ne.s ont longtemps occultée. Qui plus est, il le fait d’une façon pédagogique, hautement accessible et fort agréable. Le livre relate la vie de Jules Sioui, militant wendat né en 1906 et mort en 1990, et qui consacra une part appréciable de sa vie à la lutte pour les droits des peuples autochtones en Amérique du Nord. À travers le récit qui suit la vie de Jules Sioui, grand-oncle de l’auteur (d’où le Mononk du titre), c’est une bonne part de l’histoire politique et sociale du 20e siècle qui se fait jour.

On peut apprécier ce livre pour la trajectoire individuelle qu’il raconte, celle d’un homme mû par une énergie hors du commun, « têtu » comme pas un et issu d’une lignée de guerriers. Il mit à profit ces caractéristiques pour s’opposer au gouvernement fédéral et à ses agents. La vie que Jocelyn Sioui retrace est également celle d’un humain complexe, multidimensionnel et faillible. L’auteur réussit à ne pas faire de son mononk un héros comme l’historiographie canadienne-française l’a fait avec des figures comme Cartier (p. 23-31). Il nous démontre par le fait même qu’il est possible de faire entrer dans l’histoire des personnages importants sans les héroïser.

L’assurance-maladie à l’époque de la Grande Dépression : Une analyse historique de la Commission Montpetit

Par Alain Saint-Victor, historien

Rapports de la Commission, 1933 (Crédit : BANQ numérique)

La Commission Montpetit

En décembre 1932, sous la présidence de l’économiste Édouard Montpetit, la Commission des assurances sociales de Québec soumet son septième et dernier rapport au gouvernement du premier ministre Taschereau. L’objectif des commissaires est de faire des recommandations au gouvernement quant au modèle d’assurance-maladie-invalidité qui doit être adopté dans la province. Il y est mentionné que « l’assurance sociale existe [déjà][1]» au Québec et qu’elle est libre contrairement à celles qui existent dans certains pays européens. Pour le gouvernement, une comparaison entre les deux modèles d’assurance s’avérait nécessaire. Avant même d’effectuer les recommandations en vue de procéder à une législation, la Commission a décidé de faire une étude comparative du système qui existe au Québec avec les systèmes européens.

Au départ, il s’agit pour la Commission de centrer la discussion sur l’assurance maladie autour de la question de l’obligation ou pas du régime de l’assurance maladie. En aucun cas dans le rapport, il n’est fait mention d’étatiser le système de santé. La question centrale qui a orienté les débats lors des audiences était de voir si l’assurance maladie obligatoire était une option et sinon comment adopter une assurance basée sur la médecine privée qui puisse répondre aux attentes d’une partie de la population.

Débats  

Pour mieux comprendre les recommandations de la Commission, il faut analyser les audiences qui se sont déroulées au cours de son mandat. Dans un mémoire[2] présenté à la Commission, le vice-président du Collège des Médecins et Chirurgiens de la Province de Québec, le Dr. L.-F. Dubé, prend clairement position contre « [l]’étatisme et [l]e collectivisme[3]» auxquels, à son sens, les assurances sociales pourraient mener. S’il est d’accord, en principe, sur l’existence des assurances médicales, il précise les conditions à partir desquelles les médecins doivent y adhérer. Pour lui, la pratique médicale ne peut exister sans le respect des trois principes fondamentaux qui déterminent la profession, soit la liberté de choix et de thérapie du médecin; le secret professionnel, qui ne doit être violé sous aucun prétexte; et enfin les frais médicaux qui doivent être l’objet d’entente seulement et directement entre le médecin et l’assuré.

La naissance d’une race (1919) : incursion dans la pensée racialiste bioculturelle de Lionel Groulx

Page titre de la naissance d'une race 1919

Par le collectif 4000, Université de Montréal1

Résumé : Certains écrits de l’historien Lionel Groulx ont fait polémiques dès leur parution en raison de leur caractère présumément raciste. Depuis, les controverses à ce sujet semblent sans fin. Comment sortir de cette impasse tant politique qu’historiographique ? Cet article, après avoir passé en revue les principales études consacrées au problème, propose une solution théorique. Plutôt que de chercher à évaluer si la doctrine du prêtre-historien est raciste, il veut, plus modestement, mais surtout plus précisément, apprécier comment l’un de ses textes, La naissance d’une race (1919), peut être inséré à l’intérieur de la pensée racialiste des XIXe et XXe siècles. L’article conclut que La naissance d’une race se rattache expressément à un racialisme bioculturel classique.

Mots-clés : Lionel Groulx, Race, Racialisme, Canadiens-français, Historiographie, Discours


La pensée de Lionel Groulx a été qualifiée de raciste dès 19222. L’accusation fait depuis figure de serpent de mer. Elle plonge régulièrement dans un certain embarras les institutions qui ont hérité des traces de la vague commémorative alimentée autour du prêtre-historien durant le premier mandat du Parti Québécois3. On a ainsi vu récemment à Montréal, dans la foulée du réveil du suprémacisme blanc et, conséquemment, du combat antiraciste, resurgir des propositions visant à débaptiser la station de métro Lionel-Groulx4. Ce genre de demandes a suscité une nouvelle levée de boucliers de la part d’acteurs qui entendent défendre la mémoire d’une figure intellectuelle majeure du nationalisme canadien-français5. Nous sommes donc devant un autre épisode de la difficile gestion d’un « héritage controversé6 », débat mémoriel qui ne semble pas près de s’éteindre en raison de sa charge émotive et de la teneur même des écrits de Lionel Groulx, qui offrent amplement matière à polémique. Car, d’une part, ce dernier manipulait bel et bien le champ notionnel issu du racisme, mais, d’autre part, il n’en a jamais fait un outil de propagande haineuse non plus que, pour reprendre les mots de l’historien Pierre Anctil, « l’unique rationalité de sa pensée politique et sociale7 ».

Comment explorer le sujet de la race chez Groulx en gardant la tête froide ? La distinction entre racisme et racialisme proposée notamment par Tzvetan Todorov8, dans un livre qu’il faisait paraître en 1989, permet d’étudier la manipulation par Groulx du concept de race sans pour autant avoir à traiter la question de son racisme éventuel. En effet, Todorov fournit une généalogie du racialisme comme doctrine de la pensée raciale. Groulx étant un intellectuel, nous proposons de procéder dans ce texte à une séparation des idées et des comportements, tout en reconnaissant que nous laissons ainsi en suspens le problème crucial du rapport entre intellectualité et pratique. Notre propos se bornera, dans le cadre de cet article, à établir que le cadre idéologique employé par l’abbé dans l’un de ses premiers livres d’histoire (La naissance d’une race, paru en 1919) était racialiste.

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