Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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La construction mémorielle par la littérature : le cas du massacre du Persil de 1937

Par Sarah Lacasse, candidate à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke sous la direction du professeur Jean-Pierre Le Glaunec

Dans la première moitié du XXe siècle, les Haïtiens travaillant dans les champs de canne à sucre de la République dominicaine sont régulièrement les victimes de mouvements haineux et de gestes à caractère xénophobe de la part des Dominicains, qui s’inscrivent dans une longue histoire de tensions et d’animosité entre les deux populations des pays partageant l’ancienne île d’Hispaniola. Ces tensions aboutissent au massacre du Persil, débutant au mois d’octobre 1937[1]. Pendant plus de cinq jours, les militaires dominicains, sous les ordres de leur président Rafael Leónidas Trujillo Molina, massacrent des milliers d’Haïtiens près de la frontière dominicaine, principalement le long de la rivière Dajabon[2], qui sépare Haïti de la République dominicaine. La rencontre du mot « massacre » et de l’herbe aromatique dans le nom de cet événement s’explique par le fait que les militaires dominicains présentaient du persil aux ouvriers agricoles et aux suspects haïtiens pour les identifier[3]. Lorsque ceux-ci étaient incapables de prononcer adéquatement avec l’accent espagnol le nom de cette herbe, ils étaient massacrés à la machette, car les militaires estimaient qu’ils étaient créolophones et, par le fait même, Haïtiens[4]. Certains chercheur.euse.s, dont Donna-Weir-Soley, estiment que cette tuerie s’est soldée par la mort d’environ 30 000 personnes haïtiennes, hommes, femmes et enfants[5]. Malgré l’ampleur de l’événement, le massacre est sous-représenté dans l’histoire haïtienne et dominicaine, tout comme dans les représentations culturelles et artistiques de ces deux nations. Ainsi, cette rubrique propose une réflexion sur la place qu’occupe le massacre du Persil de 1937 dans la littérature haïtienne, en passant du silence à l’omniprésence. Je m’intéresserai à la représentation artistique et culturelle du massacre dans les œuvres littéraires de Jacques Stephen Alexis, de René Philoctète et d’Edwidge Danticat, rarement étudiées par les historiens.

Compère général soleil (1955) de Jacques Stephen Alexis

Jacques Stephen Alexis – originaire d’Haïti et exilé en France – et son roman Compère général soleil (1955) s’inscrivent au sein du courant du réalisme merveilleux. Romancier haïtien et militant communiste, Alexis est né en 1922 et décédé en 1961 à Haïti. Il a vécu une partie de son adolescence à Haïti sous les régimes dictatoriaux de Sténio Vincent et de Lescot[6]. Il a grandi dans la politique et l’engouement culturel qu’a suscité la résistance à l’occupation d’Haïti. Le régime autoritaire et la répression de Lescot poussent Alexis à fonder un journal militant dans la Révolution de 1946, La Ruche. L’écrivain fut ensuite emprisonné et exilé en raison de son aspiration politique communiste. Lors de son exil, il écrit Compère Général Soleil, premier roman haïtien à tendance communiste sur cet événement historique.

Célébrités en temps de crise

Pierre Lavoie, chercheur postdoctoral en études américaines, Yale University

La pandémie actuelle doit d’abord et avant tout être analysée au regard des milliers de décès qu’elle provoque, des drames qu’elle engendre au sein des familles et des communautés durement touchées par la maladie et par ses conséquences socioéconomiques à travers le monde — le plus souvent parmi les groupes de populations les plus défavorisés et marginalisés[1]. Bien qu’il puisse sembler rassurant de se rallier autour de l’idée que nous soyons tous pris dans le même bateau, la présente situation nous rappelle au contraire les inégalités des conditions et des existences; elle les exacerbe.

Dans ce contexte, la formulation de quelconque instrumentalisation de la crise, même lorsque fondée sur les meilleures intentions — telle gratification de ses effets positifs pour l’environnement, tel appel à profiter de ce moment historique pour refonder nos sociétés, telle apologie du temps suspendu — exige beaucoup de doigté et de sensibilité; et souligne à grands traits le privilège de ceux et celles qui peuvent utiliser ce temps de retrait pour penser, pour se recentrer ou pour se divertir plutôt que pour soigner, pour craindre ou pour souffrir[2]. L’illustration paroxystique de cette dissonance des expériences et des perceptions se trouve peut-être dans les réactions décalées et dans la mise en scène du confinement de nombreuses célébrités issues du milieu du divertissement.

L’histoire ouvrière américaine vue d’en bas

Par Benoit Marsan, doctorant en histoire à l’UQÀM, chargé de cours (UQÀM et UQO) et collaborateur pour HistoireEngagee.ca

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À voir l’importance qu’occupent dans l’actualité les courses démocrate et républicaine à l’investiture présidentielle, il est facile de perdre de vue que les dynamiques sociales et politiques américaines dépassent l’horizon des grandes figures et des principales institutions politiques du pays. Heureusement, deux récents documentaires, Howard Zinn, une histoire populaire américaine[1] et The Mine Wars[2], ont le mérite de nous montrer une histoire des États-Unis vue d’en bas et largement animée par les luttes de la classe ouvrière américaine. Jusqu’au Red scare[3], qui suit la Première Guerre mondiale, il est nécessaire de rappeler que le mouvement ouvrier américain est en partie influencé par des courants anarchistes, socialistes et religieux progressistes. Des années 1870 au début des années 1920, des millions d’hommes et de femmes, de diverses origines ethniques et nationales, anonymes ou non, ont imaginé une société américaine démocratique et égalitaire qui dépasse de loin le statu quo politique et social proposé à l’heure actuelle par l’élite politique du pays. Ces utopies se sont manifestées à travers une riche et fascinante tradition de radicalisme ouvrier. Cette dimension du passé américain est la plupart du temps occultée ou minimisée par l’histoire officielle[4]. C’est dire que les mouvements de contestation des dernières années, tels Occupy Wall Street ou encore Black Lives Matters, sont loin d’être des anomalies dans le contexte américain et peuvent plutôt s’appuyer sur un large répertoire de résistances populaires et de luttes qui peut être retracé jusqu’au tout début de l’histoire des colonies américaines[5]. Voici donc une brève recension de ces deux réalisations offertes en DVD. J’ai porté une attention particulière à The Mine Wars, car il s’agit d’une histoire encore moins connue que les principaux événements présentés dans Howard Zinn, une histoire populaire américaine.

Les fondements historiques du racisme dominicain. Les origines de l’antihaitianismo

Par Alain Saint-Victor, enseignant et historien[1]

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Carte de Saint-Domingue (1858).

Carte de Saint-Domingue (1858).

« Si le racisme […] peut être globalement compris comme un essentialisme, s’il témoigne partout d’un comportement d’exclusion et d’objectivation d’un autrui collectif, ses manifestations sont si diverses qu’elles semblent relever d’un ordre particulier[2] (c’est nous qui soulignons).» Le racisme tel qu’il s’est développé dans la République Dominicaine illustre bien ces propos du sociologue Adam Michel. Il est, en effet, pour le moins surprenant qu’une société composée majoritairement de Mulâtres et de Noirs puisse développer au cours de son histoire un racisme que plusieurs chercheurs qualifient d’antihaïtianisme (antihaitianismo), racisme qui tend à trouver chez l’Haïtien l’essence même de la race noire, qui perçoit dans son attitude, sa manière d’être, sa culture, la «barbarie», le «primitivisme» et «l’archaïsme» africain.

On sait que le racisme se manifeste sous différentes formes, en particulier «le racisme colonial impliquant la division de l’humanité en races ‘supérieures’ et ‘inférieures’, ‘civilisées’ et ‘barbares’ [et] le préjugé de couleur lié à la ségrégation ou à l’institution de l’apartheid dans les sociétés postcoloniales qui assignent un statut inférieur aux descendants d’esclaves[3].» Néanmoins ce qui caractérise le racisme dominicain c’est le fait que ses principaux tenants qui reprennent les thèses du racisme européen de la fin du XIXe siècle (infériorité biologique du Noir, son incapacité à gouverner, etc.), sont eux-mêmes descendants de Noirs et d’esclaves. C’est là un paradoxe qui peut surprendre. Toutefois, lorsqu’on connait la fluidité de l’idéologie raciste, sa grande force de propagation, sa subtilité et son pouvoir de reproduction, on ne saurait s’étonner qu’elle ait imprégné l’imaginaire collectif d’un peuple, qu’elle le pousse à voir dans un autre peuple (qui pourtant lui ressemble à plusieurs points de vue) l’étranger absolu, l’ultime représentant d’une race barbare et rétrograde.

Comment réparer un système brisé? Aperçu de la réforme migratoire aux États-Unis

Par Catherine Vézina, professeure-chercheuse au département d’histoire du Centro Centro de Investigación y Docencia Económicas à México, DF

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Le système migratoire américain semble brisé. Les réformes apportées dans les trente dernières années n’ont pas réussi à résoudre la question de l’immigration « illégale » ni à ajuster durablement les critères d’accès à la citoyenneté aux besoins du pays. Au malaise expérimenté par les millions de candidats à l’immigration, coincés dans les arriérés d’un système dépassé, s’ajoute aujourd’hui celui de quelque 10 millions de personnes se trouvant en situation irrégulière aux États-Unis et que Mitt Romney, gouverneur républicain du Massachusetts, invitait à « s’auto-déporter » lors de la campagne présidentielle 2012. L’Amérique d’Obama est secouée par une nouvelle génération d’immigrants, amenée clandestinement au pays par leurs parents pendant leur enfance, et qui réclament aujourd’hui qu’on leur permette l’accès au rêve américain. Ces dreamers[1] obligent cette année les représentants et les sénateurs américains à aller au bout d’une réflexion importante sur l’immigration aux États-Unis.

Changement de paradigme en matière d’immigration mexicaine

Les changements que laisse présager cette réforme sont significatifs sur plusieurs plans. Significatifs, parce qu’ils modifieront la dynamique électorale de la prochaine décennie et parce qu’ils permettront à des millions de personnes de s’extirper de la précarité associée à leur statut. Ils confirmeraient également l’abandon d’un paradigme en matière d’immigration qui a condamné le migrant mexicain à la précarité.

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