Lancement montréalais inaugural de Maison Palestine : « Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente »

Publié le 12 juin 2025

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Mousavi, S. (2025). Lancement montréalais inaugural de Maison Palestine : "Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente". Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=13534

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Mousavi Sheida. "Lancement montréalais inaugural de Maison Palestine : "Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente"." Histoire Engagée, 2025. https://histoireengagee.ca/?p=13534.

Par Sheida Mousavi, étudiante du programme World Islamic and Middle East Studies à l’Université McGill

Cet entretien avec Maison Palestine fait suite à la recension de l’exposition « Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente » paru sur notre site en novembre 2024. Quelques extraits de cette recension sont repris dans ce texte. Pour lire la recension complète par Sheida Mousavi, c’est ici.

– Le comité éditorial

Logo de Maison Palestine

La bibliothèque d’études islamiques, située au cœur du campus de l’Université McGill, abrite une belle exposition, en partie interactive, intitulée « Les Expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente ». On la doit à l’historien et architecte palestinien Nadi Abusaada, commissaire de l’exposition, et à l’architecte palestinienne Luzan Munayer, commissaire adjointe. L’exposition marque le coup d’envoi de Maison Palestine/Dar Filastin, organisme à but non lucratif fondé au début de l’année 2023 à Tiohtià:ke (Montréal). Sa mission principale : construire au Québec un espace éducatif et culturel permanent sur la Palestine, ancré dans son histoire, son présent et son avenir. 

Au cours d’un entretien approfondi avec les fondatrices, Dyala Hamzah et Nyla Matuk, ces dernières ont discuté du rôle premier de Maison Palestine : centrer le savoir et les arts palestiniens, à la fois de Palestine et de sa diaspora, dans le but de préserver et de construire une histoire collective.

Nous en avons fini avec le fait de demander la « permission de narrer » la Palestine. Nous la narrons désormais selon nos propres termes.

Dyala

Au cours de l’entretien, les fondatrices ont également souligné la difficulté à transmettre le savoir palestinien dans le contexte d’une idéologie sioniste omniprésente dans les milieux universitaires. Dyala, professeure d’histoire arabe contemporaine à l’Université de Montréal, attire l’attention sur le fait que « les institutions universitaires jouent désormais un rôle actif dans la désinformation au sujet de la Palestine. Ce qui semblait n’être auparavant qu’une simple méconnaissance s’est activement transformé en une répression, mue par une idéologie coloniale hégémonique ». À bien des égards, Maison Palestine se veut une réponse qui remet en question « l’Histoire » – soit la conservation d’archives et la promotion d’un savoir historique manipulé, privilégiant le sionisme, une idéologie politique hégémonique jusque dans les universités. Ainsi, réapprendre et reconsidérer le passé, le présent et l’avenir de la Palestine, c’est le moteur de Maison Palestine.

Intellectuelles estimées dans leurs domaines respectifs, Nyla et Dyala ont consacré une immense énergie à la réalisation de Maison Palestine, à commencer par « Les Expositions arabes », présentées à un public occidental ainsi qu’à la diaspora arabe du Canada. Après de nombreuses discussions sur l’événement de lancement de l’organisme, le choix s’est porté sur « Les Expositions arabes », après une visite de Nyla à Ramallah en 2022, et son passage au Centre culturel Khalil Sakakini, où elle découvre l’exposition exquise de Nadi Abusaada.

Les fondatrices Dyala Hamzah à gauche et Nyla Matuk à droite (photo fournie par Maison Palestine).

Maison Palestine a été saisie par la réalité matérielle des expositions arabes et par le phénomène de cette « Nahda résurgente » des années 1930, moment politique et culturel majeur, à la croisée des chemins, pendant les années du mandat britannique. Présenter les expositions arabes à un public canadien aujourd’hui résume l’essence de la mission de Maison Palestine : exhumer, de manière urgente et opportune, le savoir palestinien qui a été enseveli, s’efforcer d’être alimentés par le passé et le présent de la Palestine afin d’imaginer son avenir. « Tout est désespéré, mais tout est également possible », nous dit Dyala.

Pour comprendre toutes les implications de cette exposition multidimensionnelle, il faut en considérer le sens politique, à un moment lui-même politique, où les formes de narration historique de la Palestine en tant que nation distincte sont réinterprétées, bousculant activement nos idées préconçues.

« Les expositions arabes de la Jérusalem mandataire : une Nahda résurgente » est une exposition gratuite ouverte au public jusqu’en juin 2025, accessible en français, en anglais et en arabe. La composante interactive comprend un écran tactile, programmé pour fournir une imagerie géographique immersive à la personne spectatrice, qui peut s’embarquer dans une visite historique virtuelle à la découverte de trois sites importants de la ville de Jérusalem des années 1930.  En parcourant l’exposition, l’affirmation d’Abusaada selon laquelle « les Palestiniens n’étaient pas de simples sujets passifs des plans colonialistes prévus pour l’avenir de Jérusalem » a résonné très fort dans mon esprit. En tant que simple spectatrice de l’exposition, je me suis pourtant forgée une double conscience, parfaitement au fait que ce qui m’est présenté : les racines d’un siècle de colonisation brutale et de génocide à venir. Je n’en aurais pas eu conscience sans la régénération archivistique entreprise par Abusaada et facilitée par Maison Palestine, qui ont travaillé à travers le temps et l’espace pour créer de puissantes dynamiques et de nouvelles possibilités de prise en compte de l’histoire palestinienne au Canada.

« Les expositions arabes » ne sont pas séparables du moment présent : activistes propalestiniens et universitaires soutiennent que le génocide actuel (manifesté par le déplacement, la brutalisation et le meurtre de civils palestiniens ainsi que par l’anéantissement de l’infrastructure vitale et culturelle) n’est pas un acte sporadique ou contemporain de la violence israélienne sanctionnée par l’État, mais fait partie de l’effacement historique, violent et continu, des Palestinien·nes, mené par l’entité sioniste depuis bien avant le 7 octobre.

Illustration de la suppression permanente de l’information sur la Palestine et de la censure extrême dont elle fait l’objet, l’exposition d’Abusaada est pourtant une œuvre d’historien, une exposition sur des événements historiques, ni proactive ni politisée pour le présent. Malgré cela, Maison Palestine a dû faire face à une myriade d’obstacles, essuyé quantité de refus ou enregistré un franc désintérêt, de la part de la communauté montréalaise, dans sa recherche d’un espace d’exposition. 

Ce combat, qui n’est pas taillé pour les âmes sensibles, connaît un tournant avec l’annulation de l’exposition par une institution éducative de premier plan, l’Université de Montréal. L’ayant initialement acceptée, l’Université se ravise un mois avant son lancement au motif qu’elle présente des « risques pour la sécurité ».

Photo fournie par Maison Palestine

Après le 7 octobre, lorsqu’Israël entame un génocide à grande échelle en Palestine avec la complicité de l’Occident, dans tous les domaines, la réalisation de cette exposition bien-aimée connaît son premier grand revers : l’importation depuis la Palestine des pièces exposées à Ramallah n’étant plus possible, celle-ci se transforme, à la faveur des trésors d’imagination déployés par les commissaires et Maison Palestine, en une exposition d’imprimés sans artefacts qui s’installe dans les salles magnifiques, mais non conventionnelles et contraignantes, de la bibliothèque d’études islamiques de l’université McGill. 

C’est au terme d’un travail acharné, de longues journées de planification et d’intenses séances de coordination avec Abusaada (alors à Zurich) et Munayer (à Jérusalem), l’assistante de production Mayyasah Akour à Montréal, et le personnel de la bibliothèque d’études islamiques, que Maison Palestine inaugure l’exposition, et son propre lancement comme organisme, le 5 septembre 2024. L’exposition se poursuit jusqu’au 12 juin 2025.