Le tourisme halal, c’est quoi ? Retour sur son implantation en France

Publié le 8 mars 2022

Par M. Morad BKHAIT, candidat au doctorat en sciences des religions, UQÀM, département de sciences des religions

Introduction

Depuis les soulèvements arabes de 2011 et la croissance de la population musulmane en Europe, une nouvelle classe sociale musulmane et des habitudes de consommation émergent. En effet, cette classe sociale bénéficie d’un plus grand pouvoir d’achat grâce à l’accès des jeunes générations à des emplois qualifiés et mieux rémunérés (comparés aux premières générations). Ceci a ouvert la voie à un nouveau commerce à l’international : le tourisme halal. Cette tendance, encore peu exploitée en France, est devenue ailleurs dans le monde l’une des activités les plus rentables dans le secteur du tourisme. On l’explique avec un accroissement des croyant.es soucieux.ses de pratiquer assidûment leur religion, l’islam, à travers le monde en respectant des normes établies en majeure partie par les traditions prophétiques de Mahomet (hadiths). Du moyen de transport aux activités proposées par l’hôtel, toutes sont examinées minutieusement pour les vacances halals.

Le concept du halal qualifie aujourd’hui une action dans l’acception marchande du terme. Employé pour la consommation de viande égorgée en accord avec la loi islamique, le halal étend le cadre de la licéité et de ses limites à plusieurs actions quotidiennes des musulman.es.

Le «halal» vient de l’arabe, qui signifie « permis », « licite ». Un acte est qualifié de licite dès lors qu’il ne pèse sur lui aucune prohibition islamique formelle. Dans les manuels de droit musulman, halal (licite) correspond à une des cinq catégories de l’action (avec l’illicite, l’obligatoire, le recommandé, le réprouvé). La racine de halal produit aussi son antonyme le haram (traduit par illicite, mais aussi sacré). Pour cela, le mot dépasse donc le cadre simpliste de la nourriture. Il inclut les interdits sexuels, ceux liés à l’espace sacré comme La Mecque, la chasse, la finance et la guerre pendant les quatre mois sacrés du calendrier musulman. Le concept est initialement issu de certains versets du Coran (en Sourate 2, verset 168 ou Sourate 5, verset 88 [Hamidullah, 1963).

Halal, retour sur un terme et une pratique équivoque :

Concernant l’espace alimentaire des musulman.es, il consiste jusque dans les années 80 à l’application du verset suivant :  » Vous sont permises, aujourd’hui, les bonnes nourritures. Vous est permise la nourriture des Gens du Livre, et votre nourriture leur est permise. »  (Sourate 5, 5). Ainsi les nourritures purifiées des « Gens du Livre » – c’est-à-dire généralement les Juifs et les chrétiens –sont permises aux musulman.es, à l’exception du porc.

Avec la diaspora formée à travers l’immigration du milieu du XXe siècle en France, la communauté musulmane va progressivement faire référence à un islam en décalage avec les pratiques du pays d’origine, un islam largement fantasmé. En effet, en l’absence d’institutions reconnues dans les affaires religieuses, les pratiques et les rituels chez les immigrées sont davantage basés sur des notions rudimentaires de la religion, mais aussi sur un référentiel hybride. L’enquête de Traoré (2015) avance que « la religion acquière une plus grande importance pour les migrants, les institutions religieuses jouant un rôle de soutien spirituel et affectif pour ces derniers qui étaient déjà religieux notamment dans leurs pays d’origine[1] ».

La principale cause d’immigration en France a longtemps été l’immigration économique. Elle est due au besoin français de main-d’œuvre depuis le milieu du XIXe siècle jusqu’à une période récente. Nous pouvons aussi mentionner les décolonisations et l’élargissement des communautés culturelles et religieuses dans le paysage français. Initialement gouvernés comme des individus en transit, ou de séjour temporaire sur le territoire, le regroupement familial en 1970 permet de rassembler des foyers en France ou de régulariser des mineurs. Ainsi, les générations suivantes participent en tant que citoyens français aux mutations sociales, politiques et religieuses du pays. Le décloisonnement des minorités et les pratiques de groupes religieux minoritaires commencent à questionner les pouvoirs publics.

De ce fait, nous savons que les primo-arrivants, par la qualité provisoire de leur résidence en France s’affranchissaient de plusieurs pratiques (jeûne du mois sacré de Ramadan compris). Le regroupement familial instauré dans les années 70, combiné aux nouvelles générations de musulman.es français.es, développera une identité spécifique à cette diaspora, parfois reconnue ni par le pays d’origine ni par le pays d’accueil. Dans les années 90, ce sont les chaines satellitaires de langue arabe et les ouvrages issus des centres de diffusion du Golfe qui feront élargir l’orthopraxie (ce qui est en conformité avec les rites prescrits) des musulman.es à l’étranger et par la même occasion élargir l’électorat de l’islamisme politique.

Aujourd’hui, les marchés islamiques, de production et de consommation de produits et services islamiques s’étendent à d’autres secteurs économiques comme le tourisme, la mode, la restauration, la cosmétique ou encore le sport et la finance (Bergeaud-Blackler, 2017).  Actuellement, le marché du halal est néanmoins confronté à une crise de confiance, notamment en raison de la coexistence (ou confrontation) de plusieurs organismes de certification aux cahiers des charges différents (voir plus bas). Seulement, depuis des années, nous voyons apparaitre des pratiques attestées comme halal, y compris le tourisme appelé « halal friendly ». Largement répandu dans les pays du Golfe, il trouve des partisans en Europe, l’Angleterre en première position et s’introduit en France grâce aux sites communautaires en ligne. D’après une société internationale de marketing islamique, Ogilvy Noor, l’ensemble du marché [mondial] ?al?l a pesé 2 100 milliards de dollars en 2012.

« The halal market alone is worth a staggering US$2.1 trillion a year and is increasing at US$500bn a year due to the growth of the global Muslim population [2]»

Alors que l’on prédisait une régression des rites alimentaires dans les sociétés industrialisées sécularisées, la croissance du marché halal a longtemps laissé les investisseurs perplexes. En revanche, ce marché promettait les 200 milliards de dollars en 2020, selon une étude effectuée dans 47 pays par le voyagiste halal singapourien Crescentrating et l’américain DinarStandard. Depuis, le sitefrançais ummahtrip prévoit les 300 milliards en 2026.

Tourisme halal ou voyage « à la musulmane »:

Avec l’islam de marché (Haenni, 2005) émerge une nouvelle classe moyenne pieuse désireuse de concilier des pratiques issues de la sharîa (Coran et Sunna) à de nombreuses activités quotidiennes, dont les voyages. Ce tourisme se distingue par sa particularité à offrir des prestations en harmonie avec la charia (voie islamique).

Les initiés recherchent alors de la nourriture halal, des hôtels et restaurants sans alcool, des loisirs strictement réservés aux femmes, des activités familiales, des centres commerciaux, des espaces de prière et des spa- halal. De petites attentions existent dans ces lieux, comme des autocollants d’instructions à suivre sur les meubles, la direction de la Mecque pour la prière ou un Coran sur la table de chevet à la place d’une Bible (El-Meshad, 2012). Autant de pratiques qui permettent d’ériger le concept halal en « qualité », résultant d’un processus de qualification et des activités en accord avec la licéité établie par le Coran et les traditions prophétiques. On peut alors mettre en exergue qu’il existe une distinction, même symbolique, entre le tourisme permis (halal) et le tourisme à la musulmane qui se définit à travers des prestations en opposition avec ces concurrents du tourisme classique. Les destinations proposées ciblent des sites insolites largement ancrés dans l’imaginaire collectif des musulman.es avec en tête de liste entre 2014 et 2020 : La Malaisie, les Émirats-Arabes-Unis et la Turquie.

Nous pouvons avancer que le marché du tourisme halal fonctionne préalablement en concomitance avec des phénomènes diasporiques et économiques, avant même que le verni religieux interfère. Comme pour le marché bio, celui du tourisme halal s’adresse à des individus qui veulent élargir leur engagement religieux/éthique à travers une nouvelle façon de consommer en villégiature. Cette dernière s’accompagne de dispositions matérielles et mentales pour le voyageur, toujours en conformité avec l’islam. Excepté la nourriture distribuée dans ces établissements halal, rien ne prédispose les propriétaires à produire de la « légitimité religieuse ». Ce qui peut créer des troubles dans la mesure où ces projets sont à ce jour entrepris par des musulman.es sans réel organismes de contrôle ou de critères clairs établis pour la gestion d’un établissement de cette nature.

En pleine expansion, il ne s’agit pas encore d’un halal business, mais les produits halal, comme les produits de « tradition » sont ce que les économistes appellent des « biens de croyance » (credence goods) (Bergeaud-Blackler, 2017, p. 79). Pour le reste en Islam, la condition de voyage et le statut de voyageur accordent des allègements durant la période donnée aux pratiquant.es. Par exemple, ils sont susceptibles de recevoir la Zakât (Aumône obligatoire) ou de ne pas observer la prière de l’Aïd-el-Fitr. Ils doivent aussi remettre leurs objets aux ayants droit, se faire pardonner pour les injustices commises, accomplir une multitude d’invocations et peuvent aménager les heures de prières, comme interrompre le jeune en période de Ramadan (ces jours seront rattrapés ultérieurement).

D’une part, nous précisons que les règles ci-dessus sont extraites de la tradition prophétique et que les voyages au VIIe siècle s’étendaient sur plusieurs mois ou années. La diminution du temps de voyage et des distances ont mis le statut de voyageur en pourparlers, voire en suspens. Avec la facilité dans les grands déplacements et l’atténuation des difficultés autrefois liées au voyage, des savant.es musulman.es se penchent pour en abroger le statut général et le limiter à un cadre purement exceptionnel. D’autre part, certains estiment que la facilité dans les déplacements ne réduit en rien le statut de voyageur. En revanche, un avis semble faire consensus, celui d’entrer en statut de voyageur lorsque l’on réside moins de 15 jours dans l’endroit visité. Ce dernier doit être situé à 104 km et plus du lieu de résidence permanente.

Les sites spécialisés :

Le site le plus connu sur la toile est un site de langue anglaise, Crescent Rating, dont la ligne directrice est d’étendre le halal à un mode de vie (lifestyle) et de nouvelles activités de loisirs (leisure activities)[3]. Le terme islamique accolé à celui de friendly n’est visiblement qu’une opération marketing pour distinguer les objectifs de la filiale qui ne sont pas de générer des profits, mais plutôt de s’adresser aux musulman.es en première instance, mais aussi dans une large mesure aux simples « sympathisants » du halal. Pour cela il suffira de s’inscrire auprès du site afin de bénéficier de ces offres et des dernières informations utiles dans le domaine comme des renseignements sur le pays visité, les horaires de prières et les restaurants certifiés.

Cette entreprise multinationale, lancée à Singapour en 2009, propose également des conférences sur l’industrie, la commercialisation et l’expansion du tourisme halal. Elle est dirigée par le précurseur en la matière, Mohamed Fazal Bahardeen. Cet homme d’affaires a su investir une niche en passe de devenir un marché de masse, en se positionnant dans le marché ludo-éducatif musulman (nouvelle forme d’apprentissage des valeurs et de l’éthique musulmane à travers des jeux ludiques). En effet, le site présente sa démarche aux musulman.es qui optent pour des choix responsables et éthiques en matière de consommation, les décrivant comme des voyageurs à la conscience halal (Halal conscious travellers).

Toutefois, il existe une extension faite autour des couples/parents qui se voient, grâce au ludo-éducatif musulman, la possibilité de pratiquer avec leurs enfants des fondements de leur foi dans un pays musulman. La relation parents/enfants est très présente dans les campagnes de publicité avec le besoin d’exposer une famille proche de ses valeurs morales et de la matrice islamique. Le voyage devient alors l’occasion de pratiquer et transmettre des vertus au sein de la famille. Force est de constater que les voyages proposés sont, avant tout, des lieux de ressourcement des hauts lieux du califat ottoman (Turquie) en passant par le Burj al-Arab (Émirats arabes unis) ou encore l’Indonésie, pays qui compte le plus de musulman.es. Ceci fait gage d’authenticité auprès des consommateurs et indique aussi une typologie différente de pratiquant.es qui participe d’un mouvement social de consommation :

  • Les « tièdes » sont intéressés par la nourriture halal seulement.
  • Les « assidus » veulent respecter les règles du halal partout où ils se déplacent.
  • Les « non réguliers » voyagent entre les classifications mentionnées se complaisant dans l’une ou l’autre.
  • Les « sympathisants » à l’image du bio-business s’oriente vers ce tourisme avec une adoption de tourisme équitable, plus que halal.

Les pratiquant.es voyagent afin de passer des vacances en « terre d’islam » pour le mois sacré de Ramadan, le pèlerinage (hajj) ou simplement pour transmettre à leurs enfants les véritables valeurs de l’islam en société perçues comme altérées en Occident pour les musulman.es européens.es. De plus, il existe également des formations et des accréditations fournies par le site pour « comprendre le voyageur musulman » (Understand the Muslim Travelers) et offrir le meilleur service au « voyageur musulman à la conscience halal» (Offer to you and your staff the better service for the Halal-conscious Muslim traveller).

L’entreprise propose ainsi des sessions de coaching, d’aide au développement des structures pour les futurs investisseur.ses. Le tout en gardant le contrôle sur cette activité qui pourrait être indépendamment exploitée par la concurrence. Il s’agit donc derrière un marché colossal de faire du tourisme, un autre moyen d’utiliser sa religion au profit d’autres croyant.es à travers la planète.

En effet, en voyageant avec le halal friendly, le touriste met à contribution son argent à un membre de la communauté (agence) qui le fera circuler à travers une multitude d’acteurs sociaux ou religieux ; on dénote ici une action de type ascétique intra-mondaine au sens wébérien.

Rappelons que pour Max Weber (1971), il existait deux types de religions (mystique et ascétique, p. 64). Dans le cas du tourisme halal, on retrouve cette notion d’ascétisme exprimant le militantisme et l’engagement actif dans le monde d’ici-bas, accompagné de l’espérance d’une béatitude sans fin dans l’au-delà.

Enfin, le site exporte ces certifications dans la nourriture halal, ces habilitations dans le consulting et l’étude de marché autour de cette activité. Effectivement, de nombreuses accréditations proviennent de Malaisie et du Sud-Est asiatique, point le plus islamoconcentré de la planète, où la majorité des produits ?al?l sont vendus. Enfin, en été 2013, Crescent Trips, l’application pour smartphones fut lancée, remportant un énorme succès, suivi par l’acquisition du Trip Advisor musulman, HalalTrip, ancien concurrent direct de Cresent Rating. Aujourd’hui, ce dernier est leader dans son domaine et agrandit son influence auprès des musulman.e.s de France.

Le halal en France et son organisation :

En parallèle de l’institutionnalisation de la certification halal en France, nous devons mettre en exergue des lois qui se sont multipliées en France visant à invisibiliser les populations musulmanes de l’espace public en particulier. Pour rappel, « l’espace public » est une notion juridiquement inédite. Singulièrement délicate, elle est doit faire la scission entre deux sphères : public et privée.

Pour cela, la loi de séparation des Églises et de l’État votée en décembre 1905 constitue en France le support juridique le plus usité, afin de distinguer ses deux espaces. Seulement, cette loi de laïcité votée il y a plus d’un siècle se confronte à des réalités différentes. Dans un contexte de renforcement des dispositifs de sécurité et des contrôles d’identité à l’aune du terrorisme international, la loi de laïcité subit à travers des événements historiques contemporains plusieurs interprétations en France.

Pour l’illustrer, c’est une première loi contre les « signes religieux ostentatoires », dont le voile islamique, mais aussi le crucifix, ou le port de la kippa et du turban des sikhs qui est votée en 2004. Depuis, les établissements scolaires publics interdisent l’accès à l’éducation aux femmes qui portent le voile, cantonnant les populations musulmanes. Ce qui rend la tâche difficile d’installer un réseau d’établissement scolaire privé, parfois sous contrat, c’est-à-dire qu’il bénéficie de subventions de l’État (Lycée-Collège Averroès (Lille) ou le Collège et Lycée Ibn Khaldun (Marseille)). Cette loi de 2004 fut défendue, afin de préserver la neutralité religieuse dans les établissements scolaires publics. Elle sera ensuite critiquée pour les discriminations intrinsèques qu’elle contient à l’encontre des femmes musulmanes. Dans le même acabit, l’État français légifère en 2011, une loi concernant directement le port du voile intégral dans les espaces publics (loi n°2010-1192). Ces lois participent à l’invisibilisation des musulmanes dans l’espace public et les administrations publiques de l’État. En revanche, il semble que le voile intégral porté par quelques musulmanes est venu cristalliser des principes plus larges, comme les droits de la personne en France.

Par ailleurs, c’est avec l’arrivée des femmes et des familles dans la diaspora française que les mets ont changé dans les populations musulmanes de France (Bergeaud-Blacker, 2017 p. 15). La demande croissante pour la nourriture halal va faire la barrière dans le paradigme culinaire, mais aussi un paradigme identitaire avec une adhésion plus assidue à l’islam. Ces éléments importants font naitre le consommateur musulman, avec le marché de niche très fructueux du halal dont des opportunités commerciales à la fois sur le marché économique et sur le marché religieux. En effet, l’espace alimentaire des musulman.es – jusqu’alors ouvert sur les nourritures des Gens du Livre – va se réduire avec le marché halal et l’obligation de manger halal va créer une rupture dans les espaces commensaux.

Avec la démocratisation et la codification d’un abattage halal industriel pour définir le rite religieux, consommer halal devient un enjeu économique et un enjeu normatif. Force est de constater que l’alimentation d’abord deviendra politique permettant d’imposer une norme et une identité religieuse aux musulman.es. Ces normes viendront transcender les différentes traditions religieuses, notamment entre les deux principales branches de l’islam, le chiisme et le sunnisme. Puis, rapidement, ce sont tous les produits qui contiennent des substances illicites (additif, gélatine de porc…) qui vont permettre de rendre halal plusieurs sphères du quotidien. Par conséquent, ce n’est pas le halal qui va dicter le marché, mais bien le marché qui va conformer à grande vitesse le halal.

De plus, la France avec 1.4 million d’abattages par an est l’un des plus gros abatteurs mondiaux où les garanties halal sont validées par des « agences de certifications halal» privées (Bergeaud-Blackler, 2017, p. 158). Ces agences abritent des prestataires de services d’abattage dont la seule condition exigée à l’emploi est la piété de l’individu. En France, le domaine du halal était majoritairement lié à la nourriture auprès des boucheries certifiées par des organismes annexes aux grandes mosquées de France (ARGML – Association Rituelle de la Grande Mosquée de Lyon, AVS – À Votre Service, HALAL REUNION – Commission de Surveillance du halal de la Réunion- Service ou l’ACMIF- Association Culturelle Musulmane d’Île-de-France). Ces associations se partagent le marché de la certification halal en France.

Longtemps, les activités de certifications ou même de représentation de la communauté musulmane en France ont eu des dispositions défavorables auprès des musulman.e.s. Le cas le plus probant est celui du Conseil Français du Culte Musulman initié en 1999 par Jean-Pierre Chevènement et instauré par le Ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en 2003. En effet, ce dernier est perçu comme peu représentatif de la communauté musulmane, mais surtout très liée aux pays « d’origine » :

– La Turquie avec le Comité de Coordination des Musulman.e.s Turcs (CCMTF).

– Le Maroc avec le Rassemblement des Musulman.e.s de France (RMF) et l’Union des mosquées de France.

– L’Algérie avec la Grande Mosquée de Paris (GMP).

– L’Égypte pour les Frères Musulman.e.s via l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF)[4].

Mais, depuis quelques années, on peut constater qu’il existe aussi des sites en ligne qui relayent les informations concernant le halal. C’est le cas du site, halalbook.fr, qui met en ligne des recettes et des restaurants certifiés halal par des membres attitrés qui se retrouvent, comme sur un réseau social et discutent des restaurants appréciés et exécrés. Cependant, depuis peu, il subsiste des lieux de villégiature à la location muslim-friendly même si c’est encore loin d’être une opération de grande envergure. En effet, les lieux touristiques présentés comme muslim friendly ne sont actuellement que des endroits à la campagne sans vis-à-vis avec des personnes susceptibles de ne pas respecter les mêmes normes vestimentaires où l’on vous offre un repas végétarien en guise de repas halal. Souvent, ces locations sont réservées par groupe, afin d’occuper toutes les places disponibles et ainsi recomposer avec les convictions islamiques durant le séjour. Encore peu de maisons sont gérées par des musulman.e.s et on constate que la France ne figure pas dans le classement annuel de Crescent Rating. Malgré quelques essais encore peu concluants, le lien avec les récentes lois votées en matière d’expression religieuse dans l’espace public semble pesé.

Par ailleurs, le site qui s’est spécialisé dans le voyage respectueux de l’éthique musulmane en France est voyageshalal.com (basée à Créteil et aujourd’hui sur Facebook uniquement). Il propose comme ces concurrents internationaux des pérégrinations en adéquation avec la loi islamique, des hôtels à l’abri des regards et des visites du patrimoine islamique sont organisés[5]. Pour ce faire, les paiements sont proposés en 4 fois sans frais (référence à l’usure, ribâ, initialement proscrite en islam), des assurances sous le même régime financier peuvent être souscrites. Le site voyageshalal.com défend une vision qui permet « aux musulman.e.s d’explorer le monde dans le respect de l’éthique musulmane »[6].

Conclusion

Nous constatons un basculement du voyage purement normatif qui se définissait préalablement comme un déplacement vers un lieu lointain ou étranger dans le but de se dépayser. Depuis, il devient un voyage conforme aux croyances et pratiques islamiques afin de se ressourcer, appliquer ou renouer avec ces pratiques religieuses en famille. Le phénomène intéressant dans ces nouvelles entreprises du tourisme halal est qu’elles s’orientent toutes vers un idéal et une éthique à respecter en tant que musulman.es. Comme nous avons pu le voir avec la nourriture halal qui émergea avec le phénomène économique et diasporique des musulman.e.s dans les années 80 en France, aujourd’hui, le tourisme aussi semble s’attacher à l’idée commune d’une identité spécifique des musulman.es. Cette dernière met en avant un mode de vie, des besoins et une participation réfléchie et responsable à la consommation de masse. Ce tourisme regroupe une multitude de sensibilités religieuses qui partage un lien commun avec l’éthique façonnée et définie comme musulmane.

Les entreprises spécialisées dans le tourisme halal se diversifient et proposent aussi d’encadrer des voyages religieux pour l’Omra (petit pèlerinage surérogatoire) ou elles versent des aumônes (sadakat, entre 1% et 3% du montant de votre voyage) au nom des voyageurs pour les nécessiteux.ses. Des assistances appelées assurance solidarité (tak?ful) prennent aussi en charge les annulations voyage & assistance du pèlerin par exemple lors de son pèlerinage à la Mecque (Cinquième pilier de l’Islam).

Ce tourisme (avec le voyage) comme le ludo-éducatif musulman (avec les activités) ont pour objectif de renforcer les liens familiaux autour des références coraniques et prophétiques, tout en reversant les profits engendrés dans un circuit fermé. Le but étant d’une part de s’émanciper de la mainmise des agences de voyages traditionnelles et de s’orienter vers des agences respectueuses de la loi islamique et d’autre part asseoir ces compétences dans le domaine islamique auprès d’agences non-musulmanes par le biais de conférences, coaching et accréditations. La dimension religieuse est donc centrale dans ces nouvelles entreprises qui essayent de combiner les besoins du monde « d’ici et maintenant » avec la félicité du « monde prochain » garanti aux croyant.es.

Il ne reste plus qu’à savoir comment les besoins nécessaires au fonctionnement du tourisme halal vont s’articuler avec l’encadrement juridique appuyée de l’expression religieuse en France. Surtout lorsque les thématiques de l’islam, comme de l’immigration s’invitent fréquemment durant l’élection présidentielle prévue en mai 2022, mais semble brusquement compromise par les tensions russo-ukrainiennes des dernières semaines.

Bibliographie

BERGEAUD-BLACKLER, F. (2017). Le Marché halal ou l’invention d’une tradition, Paris, Seuil.

EL-MESHAD, S. (2012). « Pour un tourisme “halal friendly”, Courrier International, N°1141.

HAENNI, P. (2005). L’islam de marché : l’autre révolution conservatrice, éd. du Seuil.

HAMIDULLAH, M. (1963). Le Saint Coran, Paris : Impression de Carthage.

TRAORE, D. (2015). « Évolution de l’identité religieuse de femmes ouest-africaines au Québec au prisme de l’expérience migratoire », Revue européenne des migrations internationales, vol 31, no 3/4, 253-273.

WEBER, M. (1971). Économie et société (sous-titre : Les Catégories de la sociologie), Plon, p.61-74.


[1] TRAORE, D. (2015). « Évolution de l’identité religieuse de femmes ouest-africaines au Québec au prisme de l’expérience migratoire », Revue européenne des migrations internationales, vol 31, no 3/4, p. 245.

[2] « Islamic branding: Reaching out to the untapped ‘billion’ customer group (part 1) » de Saifur Rahman dans light castle, le 20 avril 2014. URL : https://www.lightcastlebd.com/insights/2014/04/islamic-branding-reaching-untapped-billion-customer-group-part-1/

[3] « Crescent Rating.com » URL : http://www.crescentrating.com/plan-your-trip/book-halal-friendly-hotels.html

[4] « 3 raisons qui expliquent l’impopularité du Conseil français du culte musulman ». URL : http://3millions7.cfjlab.fr/2015/03/03/3-raisons-qui-expliquent-limpopularite-du-conseil-francais-du-culte-musulman/

[5] « Voyagehalal.com ». L’hyperlien n’est plus en fonction, disponible uniquement sur la page Facebook. URL: https://fr-fr.facebook.com/pages/category/Tour-Guide/Voyages-Halal-560988323935799/

[6] « Yellow place ». URL: https://yellow.place/fr/voyages-halal-cr%C3%A9teil-france