Recension de l’ouvrage « Trouve-toi une job ! : petite histoire des luttes pour le droit à l’assurance-chômage » du Mouvement Action-Chômage de Montréal

Publié le 6 décembre 2022

Par Benoit Marsan, stagiaire postdoctoral au département de sociologie de l’Université McGill et chargé de cours au département de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais

Fondé en 1970, le Mouvement action-chômage de Montréal (MAC) est un groupe communautaire de défense des droits des travailleuses, des travailleurs et des sans-emploi. Son action s’articule autour de trois axes : l’éducation populaire, la représentation des chômeuses et des chômeurs auprès de Service Canada et l’action collective. Il milite pour un système d’assurance-chômage universel et substantiellement plus généreux. En prévision des célébrations de son cinquantième anniversaire en 2020, l’organisation a entrepris de dépoussiérer ses archives afin d’écrire un roman-feuilleton. C’est dans la foulée qu’est apparue l’idée du livre Trouve-toi une job ! : petite histoire des luttes pour le droit à l’assurance-chômage. Paru en septembre 2022 aux éditions Écosociété, l’ouvrage a pour but de présenter l’évolution du MAC au cours des années, en plus de vouloir retracer une « histoire populaire et ouvrière des sans-emploi de Montréal, mais aussi du Québec » (p. 15). Principalement rédigé par Jérémie Dhavernas, avocat et employé de l’organisation, l’ouvrage est signé MAC afin de souligner la prise de parole des militantes et des militants qui y ont œuvré depuis sa fondation. Quant à son titre, il synthétise les propos désobligeants et basés sur des préjugés auxquels doivent souvent faire face les sans-emploi, et ce, particulièrement lorsqu’ils dénoncent leur condition.

Trouve-toi une job ! est une biographie associative s’appuyant principalement sur le matériel produit par les membres du MAC au fil de son histoire : correspondance, communiqués, procès-verbaux, rapports, tracts, journaux, guides, etc. Débutant par une préface de la chroniqueuse Aurélie Lanctôt du journal Le Devoir, le livre se divise en dix chapitres qui sont structurés chronologiquement. Les chapitres 1 à 3 sont consacrés aux années 1970 et aux organisations desquelles naît le MAC : la Maison du chômeur et le Local populaire. Ceux-ci abordent également les liens organiques, et parfois conflictuels, entretenus avec la Confédération des syndicats nationaux au cours de ses premières années d’existence, jusqu’au moment de leur rupture en 1978. Cette section du livre brosse aussi un tableau des défis rencontrés par les sans-emploi de la période et des luttes populaires menées à Saint-Henri et dans les quartiers du sud-ouest de Montréal, où apparaît le mouvement dans le contexte de la désindustrialisation du canal Lachine. Témoignant du déploiement des premières politiques néolibérales, de l’avènement du libre-échange et de la mondialisation de l’économie, les chapitres 4 et 5 survolent la période allant des années 1980 à 1993. Ils présentent les débats qui ont animé l’organisation et les orientations qu’elle a par la suite adoptées. Celles-ci structurent encore de nos jours les pratiques du MAC : éducation populaire, représentation/accompagnement des sans-emploi et action collective. C’est également au cours de ces années que le mouvement étend ses activités à d’autres quartiers montréalais et qu’il s’implante dans le quartier de la Petite-Patrie, où il a toujours pignon sur rue. Cette partie détaille les mobilisations menées par le mouvement afin d’étendre le droit aux prestations pour les travailleuses et les travailleurs aînés, ainsi que les luttes menées face aux premières réformes visant à restreindre drastiquement l’accessibilité et la protection du régime d’assurance-chômage au Canada.

Les chapitres 6 et 7 sont consacrés à l’abrogation de la Loi de l’assurance-chômage qui est remplacée par la Loi de l’assurance-emploi en 1996. Ils analysent les conséquences de ce changement de paradigme, ainsi que celles des politiques néolibérales pour les sans-emploi : réduction substantielle du taux de couverture et de la protection contre le chômage, critères d’admissibilité de plus en plus discriminatoires, recours accrus au programme provincial d’aide-sociale également amputé, réorientation des programmes de protection des personnes sans emploi à des fins d’employabilité, détournement des fonds de la « caisse » d’assurance-chômage et la naissance de Service Canada. Cette partie du livre raconte aussi les mobilisations populaires et politiques de la période, telles les luttes contre la réforme Axworthy, les manifestations dénonçant les sommets socio-économiques provinciaux de 1996 et sa politique de déficit zéro, les mobilisations des Sans-chemises contre le détournement de la caisse et pour un régime d’assurance-chômage universel, ou encore, la dénonciation par le MAC et les sans-emploi de la machine kafkaïenne que représente Service Canada. Le chapitre 8 relate la poursuite des politiques néolibérales en matière de chômage qui se manifestent notamment par le « saccage » de l’assurance-chômage effectué par le gouvernement Harper de 2012 à 2014. La réforme conservatrice est alors accueillie par une importante opposition, notamment au Québec et dans les provinces maritimes. C’est aussi au cours de cette période qu’Ottawa instaure le Tribunal de la sécurité sociale pour les sans-emploi qui s’estiment lésés par une décision de Service Canada. Non seulement le nouveau processus de contestation administratif et légal s’avère soudainement plus complexe qu’antérieurement, mais il occasionne d’importants délais dans le processus d’appel, en plus de se révéler partial, aléatoire et de nier l’accès à une procédure légale équitable aux chômeuses et chômeurs. Le neuvième chapitre, qui couvre la période 2015-2020, s’intéresse au « rafistolage » de l’assurance-chômage effectué par le gouvernement Trudeau en réponse à la forte opposition à certaines mesures controversées de la réforme des conservateurs. On y aborde aussi les campagnes et recours légaux entrepris face à un régime de protection contre le chômage fondamentalement sexiste et discriminatoire envers les femmes, ainsi que l’intensification des problèmes auxquels sont confrontés les sans-emploi devant la machine inhumaine que représente Service Canada. Le dernier chapitre conclut l’ouvrage sur la pandémie de COVID-19. Cet événement a non seulement révélé la nature dysfonctionnelle de la Loi de l’assurance-emploi, mais aussi l’inaptitude de la société canadienne à protéger adéquatement les personnes qui perdent leur travail. Même si les mesures temporaires créées par le gouvernement fédéral, dont la Prestation canadienne d’urgence, ont permis d’éviter le pire à de nombreux Canadiens et Canadiennes, les personnes aînées et étudiantes en ont néanmoins fait les frais. La pandémie a aussi exacerbé les problèmes systématiques à Service Canada pour des dizaines de milliers de prestataires d’assurance-chômage. Malgré les aveux d’échec du gouvernement fédéral et de nombreux acteurs sociaux et politiques quant à une protection conséquente des chômeuses et des chômeurs, qui est adaptée à la réalité du marché du travail du XXIe siècle, une réforme substantielle du régime d’assurance-chômage canadien se fait toujours attendre. Néanmoins, les années de pandémie ont permis de remettre ces enjeux au cœur de l’actualité.

Ayant travaillé et milité au MAC, en plus d’être un historien qui s’intéresse à l’histoire du chômage et des sans-emploi, c’est avec curiosité et enthousiasme que je me suis plongé dans la lecture de Trouve-toi une job !. Il s’agit d’un ouvrage original qui ne possède pas d’équivalent dans la littérature sur l’histoire des organisations populaires et communautaires québécoises. Bien écrit et accompagné de nombreuses photos et illustrations, il s’agit d’une lecture agréable, fascinante et facile d’accès. Les seules critiques que je peux formuler ont trait à son introduction et à sa conclusion. D’entrée de jeu, il aurait été pertinent de présenter une synthèse des analyses et des positionnements du MAC à l’égard du chômage et du régime de protection des chômeuses et des chômeurs à travers son histoire, mais aussi à la lumière de la présente conjoncture. Ces éléments transparaissent au cours des chapitres, mais manquent d’un fil conducteur explicite. L’ouvrage aurait pu également se conclure en présentant un court bilan critique et des perspectives, non seulement pour le MAC, mais également pour le mouvement communautaire et plus spécifiquement celui des sans-emploi. Il faut souligner que le livre réussit très bien son pari de présenter l’histoire de l’organisation tout en situant celle-ci dans un contexte plus large faisant une grande place aux sans-emploi et aux luttes populaires à Montréal et au Québec. À travers ses pages, c’est également l’histoire du régime canadien d’assurance-chômage qui est racontée et la réactivation cyclique des discours suspicieux et stigmatisant véhiculés à l’égard des chômeuses et des chômeurs pour justifier les réformes visant à restreindre leur protection et leurs droits. Malheureusement, même si le mouvement populaire et communautaire est un acteur important de la société québécoise depuis les années 1960, lorsqu’une de ses organisations produit son histoire, elle est rarement éditée et publiée par une maison d’édition. Ceci a pour incidence de limiter l’accès aux connaissances relatives à ce mouvement social. Espérons donc que Trouve-toi une job ! soit le précurseur d’un changement de tendance à cet égard.

Mouvement Action-Chômage de Montréal, Trouve-toi une job ! : petite histoire des luttes pour le droit à l’assurance-chômage, Montréal: Écosociété, 2022.