Par le collectif 4000, Université de Montréal1
Résumé : Certains écrits de l’historien Lionel Groulx ont fait polémiques dès leur parution en raison de leur caractère présumément raciste. Depuis, les controverses à ce sujet semblent sans fin. Comment sortir de cette impasse tant politique qu’historiographique ? Cet article, après avoir passé en revue les principales études consacrées au problème, propose une solution théorique. Plutôt que de chercher à évaluer si la doctrine du prêtre-historien est raciste, il veut, plus modestement, mais surtout plus précisément, apprécier comment l’un de ses textes, La naissance d’une race (1919), peut être inséré à l’intérieur de la pensée racialiste des XIXe et XXe siècles. L’article conclut que La naissance d’une race se rattache expressément à un racialisme bioculturel classique.
Mots-clés : Lionel Groulx, Race, Racialisme, Canadiens-français, Historiographie, Discours
La pensée de Lionel Groulx a été qualifiée de raciste dès 19222. L’accusation fait depuis figure de serpent de mer. Elle plonge régulièrement dans un certain embarras les institutions qui ont hérité des traces de la vague commémorative alimentée autour du prêtre-historien durant le premier mandat du Parti Québécois3. On a ainsi vu récemment à Montréal, dans la foulée du réveil du suprémacisme blanc et, conséquemment, du combat antiraciste, resurgir des propositions visant à débaptiser la station de métro Lionel-Groulx4. Ce genre de demandes a suscité une nouvelle levée de boucliers de la part d’acteurs qui entendent défendre la mémoire d’une figure intellectuelle majeure du nationalisme canadien-français5. Nous sommes donc devant un autre épisode de la difficile gestion d’un « héritage controversé6 », débat mémoriel qui ne semble pas près de s’éteindre en raison de sa charge émotive et de la teneur même des écrits de Lionel Groulx, qui offrent amplement matière à polémique. Car, d’une part, ce dernier manipulait bel et bien le champ notionnel issu du racisme, mais, d’autre part, il n’en a jamais fait un outil de propagande haineuse non plus que, pour reprendre les mots de l’historien Pierre Anctil, « l’unique rationalité de sa pensée politique et sociale7 ».
Comment explorer le sujet de la race chez Groulx en gardant la tête froide ? La distinction entre racisme et racialisme proposée notamment par Tzvetan Todorov8, dans un livre qu’il faisait paraître en 1989, permet d’étudier la manipulation par Groulx du concept de race sans pour autant avoir à traiter la question de son racisme éventuel. En effet, Todorov fournit une généalogie du racialisme comme doctrine de la pensée raciale. Groulx étant un intellectuel, nous proposons de procéder dans ce texte à une séparation des idées et des comportements, tout en reconnaissant que nous laissons ainsi en suspens le problème crucial du rapport entre intellectualité et pratique. Notre propos se bornera, dans le cadre de cet article, à établir que le cadre idéologique employé par l’abbé dans l’un de ses premiers livres d’histoire (La naissance d’une race, paru en 1919) était racialiste.