Là où le présent rencontre le passé - ISSN 2562-7716

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Discussion avec Catherine Larochelle dans le cadre du lancement de son livre L’école du racisme*

*Texte originalement publié par le CHRS.

Par Kathleen Villeneuve, étudiante à la maîtrise en histoire (Université de Montréal)

Catherine Larochelle est membre du comité éditorial de la revue Histoire engagée, professeure au département d’histoire de l’UdeM et membre du CHRS. Ses recherches portent sur la façon dont l’impérialisme, le colonialisme, le racisme et l’orientalisme imprègnent les discours, les idéologies et les pratiques culturelles produits et diffusés au Québec aux 19e et 20e siècles. Ses intérêts de recherche recoupent l’histoire de l’enfance et de la jeunesse, l’histoire des représentations et l’histoire du mouvement missionnaire canadien-français. Elle accorde une grande importance à l’imbrication de son travail scientifique et intellectuel et de son engagement social et médiatique.

Le 1er septembre dernier avait lieu le lancement de son livre L’école du racisme : La construction de l’altérité à l’école québécoise (1830-1915), qui a remporté le prix Clio-Québec 2022 de la Société historique du Canada. Pour l’occasion, elle s’est entretenue avec Webster, rappeur et historien spécialiste de l’histoire de la présence afrodescendante et de l’esclavage au Québec et au Canada depuis la Nouvelle-France. L’événement était animé par Brintha Koneshachanda.

Grandir à l’orphelinat dans les années 1940-1950. Le témoignage d’Yves Lafleur – seconde partie

Ce billet fait suite à la première publication sur le parcours institutionnel d’Yves Lafleur. Dans cette seconde partie, monsieur Lafleur nous raconte son passage chez les Frères de Saint-Gabriel à Montréal dans les années 1950.

Orphelinat Saint-Arsène, Montréal  

Après trois années passées à l’Hospice Saint-Jérôme, Yves Lafleur est transféré à l’Orphelinat Saint-Arsène à Montréal. Il y passe quatre années ponctuées de nombreuses activités sportives et de vacances estivales à la colonie de l’orphelinat dans la région de Contrecœur. Il garde de bons souvenirs de son séjour dans cette institution montréalaise, malgré quelques incidents.


Classe de 6e année de l’Orphelinat St-Arsène, 1955, archives personnelles d’Yves Lafleur

 En 1902, monseigneur Dubuc, de la paroisse du Sacré-Coeur, cède un terrain bordant les rues Christophe-Colomb, Everett et de la Roche, à la communauté des Frères de Saint-Gabriel, afin qu’ils y établissent un orphelinat pour garçons1. Ayant une capacité d’accueil d’environ 50 enfants, l’Orphelinat Saint-Arsène reçoit ses premiers pensionnaires en octobre 1906. Six ans plus tard, l’orphelinat est déjà surpeuplé et compte plus de 100 garçons. Les Frères entreprennent alors un projet d’agrandissement, en 1913, ce qui leur permet dorénavant d’héberger 400 pensionnaires. En 1946, un second agrandissement est réalisé leur permettant d’accueillir 50 garçons supplémentaires en plus de voir à l’installation de douches2.

Grandir à l’orphelinat dans les années 1940-1950. Le témoignage d’Yves Lafleur.

Yves Lafleur est né au début des années 1940 à Saint-Sauveur-des-Monts, au nord de Montréal. Lieu de villégiature des « Pays d’en haut », le village compte à cette époque une population d’environ mille personnes sans compter les nombreux touristes de passage en quête de sports de glisse. Monsieur Lafleur a un frère aîné, et tous deux grandissent en partie dans des institutions de prise en charge de l’enfance et en partie chez des membres de leur famille élargie. L’internement de son père à l’Asile Saint-Jean-de-Dieu a plongé sa mère dans la pauvreté, d’où le placement des enfants dans les institutions du réseau charitable québécois. Yves Lafleur a été pensionnaire de l’Hospice Saint-Jérôme dans les Laurentides, ainsi qu’à l’Orphelinat Saint-Arsène à Montréal. Il passe aussi quelques étés dans la colonie de vacances de Saint-Arsène aux grèves de Contrecoeur

Yves Lafleur nous a raconté son enfance et son adolescence à sa façon, selon ce qui lui revenait en tête. Il passait subitement d’une histoire à l’autre, d’une anecdote cocasse à un événement traumatique. Pour les fins de ce blogue, nous avons fait une sélection d’extraits de l’entrevue que nous avons accompagnés de courts textes de mise en contexte historique. Un seul témoignage ne peut évidemment être considéré représentatif de l’ensemble de l’expérience institutionnelle des années 1940 et 1950. Il nous a semblé tout de même important de le préserver et d’en assurer la diffusion.

L’entretien a porté sur deux périodes distinctes de son enfance. La première partie de cette entrevue porte sur son contexte familial ainsi que sur son placement à l’Hospice Saint-Jérôme. La seconde traite de son transfert et de son séjour à l’Orphelinat Saint-Arsène à Montréal.

Entrevue de Cory Verbauwhede, avec la collaboration de Lucie Dagenais; sélection des extraits Caroline Robert et Cory Verbauwhede; texte de Caroline Robert. Remerciements à Louise Bienvenue et Yves Lafleur. https://www.youtube.com/embed/j6OMNLT_D_E

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Le recours au placement en institution

Du milieu du 19e siècle jusqu’aux années 1960, le placement en institution a été l’une des principales mesures de prise en charge des enfants de familles pauvres et atypiques au Québec. Le placement institutionnel est fortement encouragé en 1921 par l’adoption de la Loi de l’assistance publique qui instaure un système de subventions publiques pour la prise en charge des « indigents » dans plusieurs catégories d’établissements charitables privés, dont ceux consacrés à l’enfance nécessiteuse1. La loi prévoit que les coûts d’hébergement des indigents seront partagés à parts égales entre l’établissement d’hébergement, l’État provincial et la municipalité de résidence de l’indigent. C’est en vertu de cette loi que monsieur Lafleur est placé à l’Hospice Saint-Jérôme. L’importance qu’il accorde à la municipalité dans son témoignage s’explique par le fait que, selon la loi, c’est elle qui a la responsabilité de le reconnaître comme un indigent relevant de l’assistance publique, une décision permettant à l’institution de recevoir les subventions municipales et provinciales. L’institution, pour défrayer sa part des coûts d’hébergement, puise dans ses propres fonds alimentés par diverses activités de financement, y compris la tarification de certains de ses services auprès de la famille de l’indigent secouru.

Juridicisation, judiciarisation et régulations sociales: le cas du mariage bourgeois au début du 20e siècle québécois. Entretien avec Thierry Nootens*

Par Milan Busic, étudiant à la maitrise à l’UQAM et membre du Centre d’histoire des régulations sociales, en collaboration avec Caroline Robert, candidate au doctorat en histoire à l’UQAM, et membre du Centre d’histoire des régulations sociales

Thierry Nootens, membre du CHRS depuis 2017, est professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivière et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire du droit civil au Québec à l’époque contemporaine (XIXe et XXe siècle). Nous l’avons rencontré afin de discuter de son parcours en tant que chercheur de même que de son plus récent ouvrage paru en février dernier : Genre, patrimoine et droit civil : Les femmes mariées de la bourgeoisie québécoise en procès, 1900-1930.

Milan Busic: Parlez-nous un peu de votre parcours en tant que chercheur.

Thierry Nootens: Je me suis intéressé assez tôt à l’histoire de la famille et à la question des rapports de pouvoir à l’intérieur de celle-ci, et ce, dès ma maîtrise. J’ai alors travaillé sur des archives judiciaires civiles très spécifiques, c’est-à-dire les interdictions (retraits de la capacité civile) pour motif de maladie mentale ou d’alcoolisme. J’ai par la suite poursuivi mes recherches sur ce thème au doctorat; cela m’a conduit à m’intéresser au problème de l’échec des héritiers de la bourgeoisie, thème que j’ai continué d’explorer au postdoctorat. Lors de mes premières années en tant que professeur, je me suis penché sur une autre forme de conflit intrafamilial, c’est-à-dire les problèmes financiers touchant les femmes mariées de la bourgeoisie. C’est vous dire le caractère ancien de ce projet qui s’est traduit par le livre dont nous discutons aujourd’hui…  Ensuite, je me suis attardé à l’appareil judiciaire comme outil de régulation sociale en propre, donc d’abord au rôle joué par un tribunal comme la Cour supérieure du Québec dans la régulation des rapports sociaux durant la transition au capitalisme industriel, sujet de mon prochain livre. Actuellement, enfin, je travaille avec des collègues du CIEQ sur la transition vers la vie urbaine et ouvrière dans les régions du Québec, sur la base d’archives notariales et judiciaires. On peut ainsi voir que je suis passé d’une histoire de la famille étudiée à partir de certaines archives judiciaires à une histoire du système judiciaire comme tel, avant de revenir à une histoire de la famille dont le judiciaire n’est qu’un des filons. Il s’agit en quelque sorte d’un retournement de perspective inconscient s’étant opéré au cours de mon cheminement de chercheur.

MB: Au regard de votre parcours, on remarque tout de suite que le nouveau projet du CHRS, «Régulations sociales et familiales dans l’histoire des problèmes sociaux au Québec», s’inscrit directement dans vos intérêts de recherche. En effet, la famille semble être au cœur de vos travaux depuis votre doctorat. D’où provient cet intérêt spécifique pour l’étude de la famille?

TN: Il est toujours difficile d’expliquer la naissance d’un intérêt scientifique, mais de manière globale, je crois que les questions de rapports de pouvoir et d’inégalité demeurent des questions historiennes centrales. Pour en venir à la programmation scientifique du CHRS, je dirais que, dès mon doctorat, je me suis intéressé à la place de la famille en tant qu’outil de régulation sociale, notamment en tentant de la situer par rapport à d’autres ensembles normatifs et pratiques institutionnalisées de régulation, dont la médicalisation et la judiciarisation des rapports sociaux. Le fait de poser la question en termes de régulations sociales vise notamment à identifier quels étaient les rapports de force entre la famille et ces autres acteurs de l’univers des régulations sociales que sont la médecine et le binôme droit-justice. Cela m’a permis, entre autres, de montrer que, malgré l’idée d’une médicalisation de la folie au 19e siècle, soit une appropriation de sa prise en charge par les médecins, et le développement de l’institutionnalisation de la déviance sous toutes ses formes, la famille demeurait à l’avant-plan dans l’activation et la mise en œuvre de ces autres types de réponses aux comportements déviants et aux accidents de la vie en général.

Entretien avec Louise Bienvenue à l’occasion du lancement du site Mémoires de Boscoville

Par Cory Verbauwhede

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Cette entrevue porte sur le projet de recherche dirigé par l’historienne Louise Bienvenue sur l’histoire de Boscoville, un centre de rééducation pour jeunes délinquants. Le nouveau site, Mémoires de Boscoville[1], met en valeur une trentaine de témoignages récoltés dans le cadre d’une enquête orale menée entre 2012 et 2015. Formulés plusieurs années après la fermeture de l’internat, ces récits nous éclairent sur l’expérience de Boscoville et sur les traces mémorielles qu’elle a laissées. En plus de soupeser les effets à long terme des innovations thérapeutiques mises de l’avant au sein du centre de la Rivière des Prairies, l’enquête vise à consigner pour les générations à venir la mémoire d’une institution québécoise unique de la seconde moitié du XXe siècle[2].


Cory Verbauwhede : Parlez-nous du projet derrière le site.

Louise Bienvenue : L’enquête orale qui a donné jour au site Web Mémoires de Boscoville fait partie d’une plus vaste recherche sur cette institution qui a marqué l’histoire de la justice des mineurs au Québec. En lisant les travaux historiques sur les premières institutions sociojudiciaires pour jeunes qu’étaient les écoles de réforme et la Cour des jeunes délinquants, dont plusieurs ont été signés par des membres du CHRS (Véronique Strimelle, Sylvie Ménard, Jean Trépanier, David Niget, Lucie Quevillon, Jean-Marie Fecteau, etc.), j’ai voulu savoir comment les choses avaient évolué dans l’après-guerre. J’avais croisé le nom de Boscoville dans un ouvrage dirigé par Marie-Paule Malouin, L’univers des enfants en difficulté, et ça m’avait beaucoup intriguée. Cette institution avait bousculé de bord en bord les manières de faire. Elle avait misé sur les sciences du psychisme et de la pédagogie pour réinventer la rééducation des adolescents délinquants. Dans les années 1950, mais surtout dans les trois décennies qui ont suivi, Boscoville s’est imposé comme un espace thérapeutique moderne. Ce fut un important chantier d’interprétation du phénomène délinquant en Amérique du Nord. Plusieurs visiteurs et stagiaires de l’étranger y étaient reçus, alors que les nouveaux théoriciens canadiens de la psychoéducation étaient accueillis dans les congrès spécialisés à travers le monde.

Capture d’écran du site Mémoires de Boscoville.

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