Une histoire sans les femmes est une histoire désengagée
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Brunet, M. (2013). Une histoire sans les femmes est une histoire désengagée. Histoire Engagée. https://histoireengagee.ca/?p=3741Chicago
Brunet Marie-Hélène. "Une histoire sans les femmes est une histoire désengagée." Histoire Engagée, 2013. https://histoireengagee.ca/?p=3741.Par Marie-Hélène Brunet, candidate au doctorat en didactique à l’Université de Montréal
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Résumé
Depuis sa mise en place, le nouveau programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté au secondaire a été la cible de nombreuses critiques touchant essentiellement la question nationale. Certains commentateurs ont même affirmé que de grands événements politiques étaient occultés dans le programme au profit de l’histoire sociale. Nous avons décidé d’aller vérifier ces allégations à l’aide d’une analyse du programme en fonction plus précisément de la présence des femmes. Nous avons porté une attention plus particulière à la progression des apprentissages, un document indiquant les connaissances à maîtriser par les élèves. Les conclusions sont sans appel : les femmes sont pratiquement absentes. Leurs rares apparitions sont détachées de tout contexte et correspondent le plus souvent à des rôles stéréotypés. Loin d’encourager la réflexion sur les enjeux actuels, la progression des apprentissages propose la mémorisation d’une trame historique qui demeure factuelle et centrée sur les événements politiques.
Mots clés
Histoire des femmes?; progression des apprentissages?; enseignement secondaire?; citoyenneté?; débats
Introduction
Depuis sa mise en place, le nouveau programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté au secondaire a été la cible de nombreuses critiques touchant essentiellement la question nationale. Certains commentateurs ont même affirmé que de grands événements politiques étaient occultés dans le programme au profit de l’histoire sociale. Nous avons décidé d’aller vérifier ces allégations à l’aide d’une analyse du programme en fonction plus précisément de la présence des femmes. Nous avons porté une attention plus particulière à la progression des apprentissages, un document indiquant les connaissances à maîtriser par les élèves. Les conclusions sont sans appel : les femmes sont pratiquement absentes. Leurs rares apparitions sont détachées de tout contexte et correspondent le plus souvent à des rôles stéréotypés. Loin d’encourager la réflexion sur les enjeux actuels, la progression des apprentissages propose la mémorisation d’une trame historique qui demeure factuelle et centrée sur les événements politiques.
Que d’encre a fait couler le programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté en place au Québec dans les écoles secondaires depuis 2006! Lorsque la revue Histoire engagée a lancé un appel à contribution pour un numéro spécial sur l’enseignement de l’histoire, nous nous sommes demandé si la question nationale occuperait une fois de plus toute la scène. Loin de négliger l’importance des débats reliés à la nation québécoise, nous croyons néanmoins qu’ils ont accaparé une place démesurée dans l’espace médiatique québécois au détriment d’autres questions tout aussi fondamentales. Nous avons donc décidé d’interroger le programme sous un autre angle. Inspirée par Micheline Dumont (2013) dans Pas d’histoire, les femmes!, il nous a semblé de mise d’analyser le programme de formation (PFEQ) en histoire et éducation à la citoyenneté en nous penchant plus spécifiquement sur la place qu’il fait aux femmes. Dans un contexte où le programme d’histoire au primaire et au secondaire est en cours de révision et où un nouveau cours d’histoire nationale est prévu au niveau collégial (Rettino-Pazarelli, 2013), la réflexion sur cette question nous apparaît importante. Qui plus est, certains membres de la Coalition pour l’histoire (Bastien, 2011; Beauchemin, 2013; Bédard, Comeau, Graveline, & Laporte, 2013; Lachance, 2012) considèrent que la part disproportionnée accordée à l’histoire sociale (en recherche universitaire tout comme dans les programmes scolaires) aurait pour conséquence la dévalorisation d’événements politiques fondateurs de la nation québécoise. Lachance (2012) s’insurge ainsi : « J’aimerais qu’on m’explique pourquoi on enseigne sans état d’âme l’histoire des femmes, des Noirs, des Amérindiens, des groupes ethniques – des récits tout aussi ponctués de défaites et d’humiliations -, alors qu’on escamote l’histoire du Québec commune à tous? ».
Qu’en est-il réellement dans le programme actuel de 3e et 4e secondaire? Par cette courte analyse, nous espérons élargir le débat et ramener les pendules à l’heure concernant la place accordée aux femmes dans les programmes actuels. Car, soyons honnêtes, il reste encore des pas de géants à franchir avant de pouvoir parler d’une réelle intégration du genre dans l’enseignement de l’histoire. Au Québec, comme ailleurs en Occident, malgré les développements fulgurants de la recherche sur les femmes – et sur le genre plus largement – dans les départements d’histoire universitaires, la transposition didactique des savoirs savants vers l’histoire enseignée se fait très lentement. Comme nous le verrons, malgré un changement de paradigme pédagogique intégrant une approche par compétences, les contenus disciplinaires en histoire du Québec sont restés foncièrement les mêmes que ceux de la précédente réforme de l’éducation en 1982. La présence des femmes y demeure marginale, tout au plus compensatoire, et ces dernières sont le plus souvent confinées à des événements bien précis ou à des rôles traditionnels.
Ce texte présentera d’abord brièvement un historique de l’implantation du nouveau programme d’histoire nationale dans les écoles secondaires du Québec. Puis, une analyse plus en profondeur du programme, plus particulièrement de la progression des apprentissages, permettra de mieux y cerner la visibilité des femmes. Finalement, nous aborderons les limites inhérentes à ce type d’enquête et proposerons subséquemment des pistes de réflexion pour des recherches futures.
Un programme aux multiples possibilités limité par une nouvelle progression des apprentissages
Au Québec, à la suite d’une réforme d’envergure entamée en 1997 et s’appliquant à tous les niveaux du primaire et du secondaire, toutes matières confondues, le programme d’histoire est désormais centré autour du développement des compétences (MELS, 2006; Ministère de l’Éducation, 1997). Portant le nouveau nom d’Histoire et éducation à la citoyenneté, il comporte trois compétences disciplinaires qui reflètent une volonté d’amener les élèves à faire des liens entre leur présent et l’étude de l’histoire.
Dans la première compétence, les réalités sociales actuelles deviennent des objets d’interrogation; se tournant vers l’histoire pour obtenir réponse à leurs questions (compétence 1), les élèves doivent formuler des hypothèses. C’est à travers la méthode historique (compétence 2) que les élèves sont amenés à se documenter par l’intermédiaire de sources multiples. L’analyse et l’interprétation critiques de celles-ci devraient leur permettre d’expliquer les phénomènes historiques. Alors armés d’une meilleure compréhension du passé et du rôle de l’action humaine dans les changements sociaux, les élèves sont invités à un retour vers le présent où ils doivent prendre position sur des enjeux citoyens (compétence 3).
Dans la réalité des classes, la compétence 2 occupe beaucoup de temps d’enseignement, surtout qu’elle est plus présente dans les évaluations proposées par le MELS (et surtout dans l’examen ministériel de secondaire 4). Pour une majorité d’enseignants, elle est perçue comme la seule véritable compétence liée à l’histoire. Toutefois, les observations en classe de plusieurs chercheurs en didactique indiquent que la méthode historique n’est pas réellement appliquée. Les enseignants se sentent généralement plus à l’aise avec la trame narrative factuelle à faire maîtriser par les élèves (Boutonnet, 2013; Demers, 2012; Karwera, 2012; Moisan, 2010).
Le programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté s’étale sur les quatre premières années du secondaire avec deux années consacrées à l’histoire du Québec et du Canada. La structure de ce dernier programme prévoit une année où la matière est vue de manière chronologique, suivie d’une autre durant laquelle cette étude se fait de façon thématique (les thèmes étant population et peuplement, économie et développement, culture et mouvements de pensée, pouvoir et pouvoirs, un enjeu actuel).
Nous croyons que l’approche par compétences offre un terrain de choix pour aborder diverses thématiques touchant l’égalité hommes-femmes et, donc l’histoire des femmes et du genre. Malheureusement, lorsque le programme est analysé plus en profondeur, nous observons que les contenus disciplinaires imposés, tels qu’ils sont présentés aux enseignants, ne semblent pas aller de pair avec le souhait que nous venons d’émettre. Cette constatation devient d’autant plus manifeste quand on examine la progression des apprentissages proposée en complément au programme et mettant l’accent sur les connaissances à maîtriser (MELS, 2011).
En 2010, le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport a annoncé des changements dans le cadre de l’évaluation des apprentissages qui intègre dorénavant l’évaluation des connaissances (MELS, 2010). Pour ce faire, il propose en histoire et éducation à la citoyenneté une listes d’éléments de connaissance que les élèves doivent apprendre (MELS, 2011). Pour certains enseignants, cette liste, intitulée progression des apprentissages, devient alors l’outil principal dans la planification de leurs cours (Boutonnet, 2013).
L’analyse de ce document ministériel met en lumière un curriculum encore basé sur une histoire factuelle et majoritairement événementielle, en contradiction avec les visées de problématisation contenues dans la version originale du PFÉQ. Par ailleurs, en sondant de manière plus précise l’inclusion des femmes, tant d’un point de vue quantitatif que qualitatif, les résultats sont bien différents de ceux qu’auraient pu laisser imaginer les objectifs du programme.
Les femmes autochtones
Regardons tout d’abord les sections du programme consacrées aux Autochtones. Dans les connaissances choisies par le MELS dans le chapitre sur les Premiers Occupants, les femmes apparaissent en une seule occasion : « décrire des rôles attribués aux femmes et aux hommes dans un groupe autochtone ». Il va sans dire que ce libellé ne porte pas à réfléchir sur l’hétérogénéité qui caractérise l’attribution des rôles sexués dans les diverses sociétés autochtones. Or, c’est justement ce type de discernement qui permettrait potentiellement aux élèves de concevoir que ces rôles sont construits, évitant ainsi d’essentialiser les différences.
Dans la même veine, mais cette fois dans le chapitre économie et développement, thématique étudiée en 4e secondaire, un des exemples donnés en référence à l’organisation sociale des sociétés amérindiennes se lit : « la pratique de l’agriculture amène les Hurons […] à se doter d’une structure matriarcale ». Or, le consensus scientifique chez les anthropologues réfute l’existence même de sociétés matriarcales dans l’histoire, rappelant que le mot juste pour décrire la réalité de sociétés ancestrales iroquoiennes est la « matrilinéarité » (Echard, 1991). Il ne s’agit pas là d’un simple caprice linguistique, puisque « matriarcat » signifie littéralement l’équivalent féminin du « patriarcat », soit un système social totalement dominé par les femmes, ce qui n’est absolument pas le cas des sociétés à l’étude dans le cadre du programme. La nuance est majeure et doit être enseignée aux élèves, afin qu’ils n’assimilent pas le droit de parole aux femmes dans la sphère sociale – dans le cas présent le fait que les aînées désignaient les dirigeants (ces derniers, faut-il le rappeler, étant des hommes) – à une soi-disant hégémonie féminine.
Même si le programme prévoit que les élèves partent du présent pour interroger le passé, aucune mention n’est faite de la situation actuelle des femmes dans les réserves, encore moins des luttes menées dans les dernières années par les groupes de femmes autochtones contre la violence conjugale ou encore pour la fin des discriminations basées sur le sexe présentes dans la Loi sur les Indiens. Des questions qui resteront en suspens donc, surtout que les Autochtones ne sont absolument pas étudiés dans la durée, disparaissant pour des chapitres entiers (Lefrançois, Éthier, & Demers, 2010). Ce n’est pas bien différent pour les femmes dans leur globalité, qui comme nous le constaterons, semblent inexistantes à la lecture de nombreux chapitres.
La Nouvelle-France
À la lecture de la Progression des apprentissages, les seules femmes ayant influencé le cours de l’histoire durant le Régime français sont les Filles du roi. Le PFÉQ fait quant à lui place à certaines communautés religieuses, mais le plus récent document ministériel n’en fait pas du tout mention. L’accent y est mis sur les « programmes de colonisation » et donc sur le rôle de l’État. Plutôt que d’interroger les conditions de traversée ou encore les conditions de vie des Filles du roi une fois dans la colonie, c’est « le doublement de la population » lié aux « mesures mises en œuvre par l’État », dont « l’envoi de Filles du roi », qui forment les connaissances jugées essentielles selon le MELS. Le rôle de procréation des femmes est donc celui privilégié, surtout lorsqu’on insiste, dans le chapitre Population et peuplement, sur « l’accroissement naturel » comme unique facteur ayant permis le développement démographique de la colonie. Pas que cet élément soit faux, mais le fait qu’il soit étudié isolément, sans tenir compte de la vie quotidienne et du labeur des femmes en Nouvelle-France, nous semble écarter des éléments qui permettraient de dresser une image moins réductrice que celle de simples reproductrices.
De la conquête au début du XXe siècle
En plus d’apparaître, comme nous l’avons vu, de manière superficielle dans les deux premiers chapitres de 3e secondaire, les femmes disparaissent complètement des trois chapitres suivants (changements d’empire, luttes et revendications dans la colonie britannique, formation de la fédération canadienne). Trois chapitres entiers où aucune mention n’est faite du rôle des femmes, de leur oppression; pas même une femme n’est nommée en exemple comme cas de figure (ou d’exception). En 3e secondaire donc, si un enseignant se limite à la Progression des apprentissages pour préparer ses cours, les élèves n’entendront parler d’aucune femme pour la très longue période se situant entre 1760 et 1929. Les repères culturels et repères de temps du programme original ne sont d’ailleurs pas plus loquaces. En 4e secondaire toutefois, les femmes de la fin du XIXe siècle apparaissent dans le chapitre économie et développement : on y indique, comme exemple des conditions de travail de l’époque, que « femmes et enfants sont moins payés que les hommes » dans les manufactures. Une fois de plus, cette affirmation n’est pas inexacte, mais elle est placée hors de tout contexte : aucune explication sur l’idéologie des sphères séparées, aucune mention du machisme caractérisant les syndicats de l’époque et, surtout, aucune indication que certaines femmes, malgré de fortes contraintes, ont cherché par différents moyens à défendre leurs droits. Le risque ici est la victimisation; les femmes étant présentées comme n’ayant aucune prise sur leur situation, leur agentivité semble alors inexistante. Certaines études en didactique ont démontré que les élèves perçoivent généralement les groupes opprimés dans l’histoire comme des sujets subissant plutôt qu’agissant (Fink & Opériol, 2010). De toutes les thématiques de la deuxième année d’histoire nationale, la seule mention des femmes dans le régime britannique en est donc une qui conforte les idées des élèves concernant le peu de possibilités d’action en cas d’aliénation.
Le Québec moderne
Après une quasi-absence entre 1760 et 1929, on ne retrouve des traces du rôle des femmes dans l’histoire que dans les chapitres s’intéressant au Québec contemporain. Le mouvement féministe fait alors, il faut le souligner, clairement partie prenante du contenu à trois endroits dans les différents documents ministériels : dans le chapitre 6 de l’étude chronologique (modernisation de la société québécoise) et dans les thématiques culture et mouvements de pensées et pouvoir et pouvoirs en 4e secondaire. Cependant, étant donné que l’oppression des femmes n’est tout simplement pas au programme des sections ou des chapitres précédents, le féminisme arrive tel un cheveu sur la soupe. En effet, comment les élèves peuvent-ils être en mesure de comprendre les origines du féminisme lorsque le contexte patriarcal dans lequel s’insère cette quête des droits n’a pas été préalablement vu? Le féminisme est donc présenté comme un résultat : les causes sous-jacentes, les obstacles multiples et les tensions sociales sont passés sous le silence, tout comme le fait que ces luttes ne sont pas terminées. Il apparaît comme s’insérant dans une brève période de temps, comme une simple « vague » pour utiliser le terme répandu, mais combien simplificateur et artificiel. Un tel récit risque de mener les élèves à croire à un progrès inéluctable d’autant plus que les formulations choisies par le ministère mettent souvent l’accent sur l’intervention gouvernementale en faveur des femmes plutôt que de souligner le rôle actif des mouvements féministes.
Les luttes pour le contrôle des femmes sur leur corps forment aussi un sujet peu abordé. La pilule anticonceptionnelle, évoquée dans la ligne du temps du programme initial, est totalement absente de la progression des apprentissages, tout comme tout ce qui a trait à la contraception en général et même à la chute de la natalité. À propos de l’avortement, seul Henry Morgentaler est évoqué en exemple comme étant un « acteur associé au mouvement féministe ». Sans nier l’importance de cet homme dans la conquête des droits en matière de choix des femmes sur leur corps, il n’en demeure pas moins que de ne mentionner que lui équivaut aussi à laisser dans l’ombre l’immense travail des groupes de femmes en la matière.
Plus surprenante encore est l’absence complète des femmes dans le chapitre intitulé les enjeux de la société québécoise depuis 1980. Si le choix des sujets pour ce chapitre est laissé à la discrétion de l’enseignant, le MELS propose tout de même quelques exemples, comme la souveraineté, mais ne fait nulle part mention de l’égalité hommes-femmes. Même constat pour la totalité des éléments de connaissance reliés à la compétence citoyenne et ce dans tous les chapitres, pour les deux années du cycle. Pourtant, comme le souligne Bernard-Powers (1996), dans une démocratie qui se targue d’être représentative, l’apprentissage des compétences citoyennes ne peut se faire sans y inclure des méthodes d’enseignement et des textes historiques qui font place aux questions de genre. Pas étonnant que les élèves parlent du féminisme comme étant un mouvement révolu et dépassé (Conseil du statut de la femme, 2009), si les enjeux d’actualité sont balayés sous le tapis dans le programme.
D’un point de vue quantitatif
Dressons maintenant un bilan statistique de la présence des femmes dans la Progression des apprentissages. Étant conçu à la manière d’une liste de faits à cocher, le document contient, toutes compétences confondues, 519 éléments de connaissance à maîtriser dans le cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté de 3e et 4e secondaire. Parmi ceux-ci, seuls 27 éléments font référence directement aux femmes en général, à une femme en particulier (par ex., Léa Roback), au mouvement féministe ou encore à un sujet touchant directement les femmes (ex. : la conciliation travail-famille), ce qui constitue un maigre 5 pour cent de la totalité de la matière au programme. De ces 27, seuls 10 éléments exposent clairement les femmes comme agentes, c’est-à-dire qu’elles y jouent un rôle actif et n’y sont pas présentées comme étant soumises à l’État, au climat social ou aux mentalités. Par ailleurs, 63 pour cent des éléments touchant les femmes se retrouvent dans l’étude de la société canadienne contemporaine (après 1867).
Considérant ces chiffres, de même que l’analyse qualitative proposée précédemment, le programme peut-il réellement prétendre amener les élèves à « saisir l’importance de l’action humaine dans le changement social » à envisager les réalités sociales « dans la durée » (MELS, 2006)? Il nous semble que non. De surcroît, nous croyons que cette analyse serait similaire si nous nous étions tournés vers d’autres groupes marginalisés dans l’histoire (ouvriers, immigrants, autochtones). La progression des apprentissages (de même que les contenus du programme d’origine dans une moindre mesure) s’appuie sur la mémorisation d’événements de nature essentiellement politique où l’État, les gouvernements et les lois sont présentés comme moteurs de l’évolution sociale (Lefrançois, Éthier, & Demers, 2011).
Conclusion
Nous avons démontré que l’histoire enseignée au Québec dans les écoles secondaires est encore bien loin d’avoir intégré la réflexion sur le genre. Dans le programme de formation actuelle, et encore plus depuis l’adoption de la progression des apprentissages, les femmes émergent à si peu d’occasions qu’on croirait qu’elles sont des intruses. Ces apparitions sporadiques et dénuées de contexte présentent souvent les femmes de manière superficielle, ne permettant pas aux élèves de prendre conscience du rôle actif des femmes dans l’Histoire.
Pour ce qui est des accusations de certains (Bédard et al., 2013; Bock-Côté, 2007; Lachance, 2012) qui prétendent que des événements politiques majeurs comme la Conquête, l’Acte de Québec, l’Acte d’Union, la Rébellion des patriotes, la Crise de la conscription et le rapatriement de la constitution sont passés sous le silence dans le programme, elles sont assurément fausses. Chacun des événements mentionnés ci-haut occupe une place de choix dans les connaissances à maîtriser par les élèves. Par contre, la perte du droit de vote des femmes à la suite des demandes des Patriotes, les sphères séparées, la commercialisation de la pilule, le massacre de Polytechnique, l’équité salariale et bien d’autres encore, n’apparaissent tout simplement pas dans la progression des apprentissages.
À l’aune des conclusions que nous venons de tirer, comment donc comprendre les insinuations d’une histoire supposément « dénationalisée »? D’une part, nous croyons que les auteurs de ces débats partagent une sorte de nostalgie d’un passé « incontesté » qui n’a pourtant jamais existé. Dans ce passé imaginaire, les élèves connaissaient les grands personnages et les événements mythiques de leur histoire sur le bout des doigts. Or, des commentateurs de tout acabit annoncent depuis des décennies la chute de la civilisation à cause de la méconnaissance de l’histoire chez les jeunes (Moreau, 2004). Dans le cas présent, les élèves ne sont peut-être pas en mesure de mémoriser les événements inclus dans le programme, mais une chose est certaine, les contenus qu’on leur propose ne font pas plus de place aux femmes qu’auparavant.
Par ailleurs, intégrer davantage les luttes des femmes dans l’histoire du Québec ne peut-il pas contribuer aussi à forger l’identité nationale des élèves? L’engagement des femmes, à travers l’histoire, ne permet-elle pas d’aborder les questions reliées à l’égalité hommes-femmes, une valeur invoquée à maintes reprises dans les débats récents de l’actualité québécoise (Conradi, 2013)?
Si cette analyse a permis de jeter, nous l’espérons, un regard inédit sur le programme d’histoire et d’éducation à la citoyenneté au secondaire, elle comporte tout de même plusieurs limites. D’abord, la progression des apprentissages n’est qu’un outil; elle n’est pas le reflet tangible de l’enseignement-apprentissage dans les classes. Les enseignants demeurent contraints par le programme, surtout en raison de l’examen ministériel, mais les choix pédagogiques et narratifs qu’ils font sont nécessairement variés. Ainsi, une grande part des éléments proposés par la Progression des apprentissages, neutres par leur formulation, n’excluent pas un traitement de genre. De la même manière, les éléments où les femmes apparaissent figées dans le temps n’empêchent pas une analyse plus profonde dans la durée. Mais encore faut-il que les enseignants décident d’intégrer ces aspects dans les apprentissages qu’ils proposent. Les manuels et cahiers d’exercices, eux aussi, seraient à analyser puisque leurs récits sont possiblement plus riches et complexes que les énoncés du programme. Finalement, il y a les élèves et leur interaction avec les contenus qui seraient à examiner plus en profondeur. Quelle compréhension ont-ils de l’histoire des femmes et des enjeux reliés à l’égalité hommes-femmes? Une pédagogie par compétences (tel que prônée par le PFÉQ) permet-elle d’atténuer les lacunes du contenu en amenant les élèves à se poser des questions, à interroger de manière critique les sources et à réfléchir sur les enjeux actuels?
Somme toute, nous pensons avoir brossé un portrait qui pourra inspirer d’autres recherches sur l’enseignement et l’apprentissage de l’histoire des femmes et du genre et qui pourra inciter les enseignants à porter une attention plus particulière à ces problématiques. Le débat est loin d’être clos comme le démontre notre réflexion, c’est pourquoi il importe de rester vigilant face aux usages détournés de l’histoire.
Pour en savoir plus
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